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6 déc. 2013

Obtenir une entrevue avec l’écrivain barcelonais Enrique Vila-Matas depuis la publication de son dernier roman, Dublinesca, paru à l’hiver 2010, tient de l’exploit. En effet, celui-ci, à l’instar des écrivains qui peuplent ses romans, tente par tous les moyens de se transformer en coup de vent, ce qui se confirme avec son dernier protagoniste Samuel Riba, qui renonce à sa carrière d’éditeur pour partir à Dublin sur les traces de Joyce et de Beckett. C’est un appel téléphonique à Paula de Parma, sa femme, qui a permis à Robert Derain de joindre l’auteur réfugié depuis quelques mois à Lokunowo. Derain a bien voulu nous transmettre la transcription de son entretien réalisé au mois de janvier dernier afin que nous puissions la publier dans ce dossier entièrement consacré à l'auteur catalan.

Robert Derain  A priori, il est paradoxal que votre acte de naissance en tant qu’écrivain aille de pair avec la mise à mort du lecteur. Mais, à lire les œuvres qui suivent La lecture assassine, dont Imposture et Une maison pour toujours, on comprend que la mort — ou, plutôt, qu’un renoncement à la vie — n’épargne pas davantage l’écrivain. Au terme d’Imposture, le personnage découvre « que son penchant pour l’écriture [l’enchaîne] pour la vie au plus noble, mais également au plus implacable des maîtres ». Bref, votre entrée en littérature semble marquée par une certaine forme de renoncement à la fois volontaire et forcé comme si, entendant l’appel de la littérature, vous aviez fait le choix de suivre votre destin en dépit des difficultés d’un tel engagement.
Enrique Vila-Matas — Si j’ai fait un choix, c’est celui de devenir imposteur dans la maison que mes pairs m’ont léguée. Depuis, je survis dans un no man’s land aussi exigeant que désespérant, car la littérature commande un engagement total de soi, voire une renonciation à soi-même et à la réalité — du moins à un soi et à une réalité univoques. Imposteur, je finis toujours par adopter temporairement la personnalité de tel ou tel de mes personnages ; aussi ai-je été amnésique, shandy, ventriloque… Cela m’est extrêmement pénible mais, même si je n’en sortirai jamais, il me plaît qu’il en soit ainsi. Je réalise mon plus vieux projet littéraire : m’exposer chaque fois que j’écris. C’est ce que proposait Michel Leiris. Faulkner, pour sa part, disait que l’auteur devrait se suicider s’il en venait à écrire l’œuvre idéale. [Vila-Matas laisse planer un silence dramatique.]
RD  Vous affirmiez dans une de vos rares entrevues qu’au tout début de votre carrière d’écrivain vous avez aimé Boris Vian, Albert Camus, Francis Scott Fitzgerald et André Malraux, non pas pour ce qu’ils avaient écrit, mais bien à cause de leur caractère photogénique. Au fil de vos publications, il semble que vous soyez passé d’un pôle à l’autre, allant de l’exacerbation de la figure d’auteur à une valorisation de sa disparition. Cette obsession atteint un point culminant dans votre roman Docteur Pasavento, où elle se trouve incarnée de façon paradoxale : à la fois l’un et l’autre pôles, valorisation de la disparition et exacerbation de la figure de l’écrivain. Sans parler directement de changement de cap, comment expliqueriez-vous cette évolution qui met en relief ce paradoxe ?
EVM — À l’époque où je vivais à Paris, dans la mansarde de Marguerite Duras, j’étais conscient de deux faits : d’abord, le plus accablant, celui que j’écrivais assez mal. Par contre, je savais également que j’étais jeune et beau, plutôt photogénique. Je crois aujourd’hui que cette valorisation de l’écrivain qui montre fièrement son visage au grand jour provient de la croyance, probablement inconsciente, qu’à défaut d’être un bon écrivain, je pourrais un jour être un bel auteur. Au fil du temps, si je n’ai su éviter l’enlaidissement qui nous guette tous, je crois avoir développé une écriture qui soit mienne, authentique. Aussi maintenant, je ne lis que très peu ces idoles de jeunesse, auxquelles je préfère Kafka qui, s’il fut un maître de l’écriture, fut également laid comme une chauve-souris. Il y a certainement un passage qui fait paradoxe, en effet... Je suis peut-être plus sérieux aujourd'hui. Susan Sontag écrivait ceci : « L'attitude vraiment sérieuse est celle qui voit en l'art un moyen d'obtenir quelque chose à quoi l'on n’atteint peut-être qu'en abandonnant l'art ». Je peux donc dire, d’une certaine manière, que c’est en me détachant peu à peu de mon projet littéraire que j’en suis venu à donner un sens à mon écriture, une écriture du renoncement qui trouve sa nécessité dans l’absence de nécessité.
RD  Nous aimerions développer l'idée de ce paradoxe. On remarque dans vos livres l’intérêt que vous portez aux familles d’écrivains. Pensons par exemple aux Bartlebys, ces auteurs ayant vécu à un moment ou l’autre de leur carrière un blocage littéraire, ou encore aux Shandys, membres de cette société secrète au centre de L’abrégé d’histoire de la littérature portative. L’idée d’une société secrète luttant contre la disparition de la littérature surgit également dans le roman Le mal de Montano. Nous comprenons qu’il s’agit d’un effort de structuration de votre part, d’une certaine volonté de regrouper ces êtres solitaires, qui, seuls, auraient peut-être du mal à survivre aux injures du temps. Voilà un autre paradoxe lorsque, d’une part, votre travail donne à lire l’omniprésence de la littérature dans la réalité (par la création de groupes, par des allusions à des affinités littéraires, par l'élaboration de filiations imaginaires), alors que, d’un autre côté, vous valorisez l'anéantissement des figures d'auteurs au profit de ce que Blanchot nommerait l'essence même de la littérature, c’est-à-dire ce mouvement qui la renvoie vers elle-même, vers sa disparition. Est-ce comme cela qu'il faut vous comprendre, Enrique Vila-Matas ?
EVM — Tu ne dois pas dire que tu me comprends. Walter Benjamin disait que, de nos jours, la seule œuvre vraiment dotée de sens — de sens critique également — devait être un collage de citations, de fragments, d’échos d’autres œuvres. Par conséquent, ma disparition est nécessaire. Mourir écrasé sous le poids de la grande Bibliothèque, voilà l’idéal auquel doivent tendre les auteurs contemporains. Il s’agirait là d’un suicide exemplaire. Pour revenir sur les familles d’auteurs que j’élabore, je dois d’abord dire une chose : l’écriture est l’acte solitaire par excellence. Les écrivains sont tous des solitaires et la plupart d’entre eux souffrent de cette solitude. Virginia Woolf, par exemple, disait que « l’écriture est le désespoir même. » Dans mes livres, j’aime rassembler les auteurs, au-delà des contraintes du réel. Un peu comme lorsqu’on met de l’ordre dans les rayons d’une bibliothèque, je les regroupe afin de tisser des liens d’amitié littéraire, faute de mieux. Pour répondre à votre question, oui, il y a paradoxe dans ma démarche. La littérature ne se fait pas autrement. Les livres sont des objets fascinants parce qu’ils sont paradoxaux, étant à la fois présence au monde et absence du monde. Les membres de mes familles d’écrivains me sont chers puisque ce sont, à mon sens, des explorateurs qui ont tous en commun d’avoir élargi le spectre des possibles littéraires, de belles brèches textuelles.
RD — Un des motifs récurrents dans vos œuvres est celui de la conférence. Le personnage principal de Docteur Pasavento, au début du roman, se rend à Séville afin de dialoguer avec Bernardo Atxaga à propos des relations entre la réalité et la fiction. Votre récit autobiographique Paris ne finit jamais se présente quant à lui comme étant un ensemble de notes destinées à être lues dans une conférence dont le sujet gravite autour de l’ironie. D’où vient cet intérêt si marqué pour la conférence ?
EVM — La conférence, et jusqu’à un certain point l’entrevue, constituent ce que je considère comme étant une forme de littérature de l’éphémère. La conférence, transposée en régime fictionnel, vous l’avez certainement constaté, me permet d’affirmer d’une manière on ne peut plus efficace la prédominance de la fiction sur le réel. En ce moment, je m’écris devant vous et ce n’est pas seulement ma figure d’écrivain que je forge, mais mon être tout entier. Comme la réalité me paraît horrible quand elle est dans la bouche de tous, je tente de mettre autre chose dans la mienne. La conférence, au sein d’un roman, me permet également de joindre efficacement le mensonge romanesque à la réalité. Par conséquent, j’ai l’honneur de vous apprendre que, d’une certaine manière, vous êtes un personnage de mon entrevue romancée. [rires]
RD — Nous aimerions maintenant vous poser une question par rapport à la position particulière qu’occupe Robert Walser dans votre œuvre. Dans Docteur Pasavento, le narrateur mentionne cette phrase qu’aurait prononcée Walser à son arrivée à l’asile : « Je ne suis pas ici pour écrire, mais pour devenir fou. » Or, cette arrivée à l’asile est d’une importance capitale dans l’œuvre de l’auteur puisque c’est là que Walser a écrit l’ensemble de ses microgrammes 1), œuvre exemplaire de l’écrivain qui tend à la disparition. Endossez-vous cette analogie entre écriture et folie incarnée par Robert Walser ?
EVM — Robert Walser représente pour moi la perfection d’un zéro bien rond, une formule dont tous les termes s’annulent avec harmonie. Chez Robert Walser, la vie n’existe pas. Pour la saisir et la comprendre, il faut la raconter. Ainsi, la folie de Walser est pour moi son œuvre majeure ; c’est-à-dire non pas ses microgrammes, mais évidemment sa vie elle-même qui, avec éloquence, renverse le miroir stendhalien. En mourant dans la neige le soir de Noël, minuscule point final sur la page blanche des montagnes qui entouraient son lieu d’exil, Robert Walser fermait la boucle, donnant à son œuvre, sa vie, une portée incommensurable. C’est en voulant tuer l’écriture que Walser, pour moi, est devenu écrivain.
RD — À plusieurs occasions, que ce soit par écrit ou encore en conférence, vous avez manifesté votre mépris envers la tendance des écrivains espagnols contemporains à se complaire dans le roman réaliste, suggérant vous-même dans vos livres la supériorité de la fiction sur le réel2). Pourriez-vous développer davantage votre point de vue à ce sujet ?
EVM — Parler comme un livre, c’est lire le monde comme s’il était la suite d’un interminable texte. Suivant ce raisonnement, la littérature et le réel sont, ont été et demeureront toujours sur le même plan. Selon moi, la position platement dichotomique qu’endossent ces écrivains qui prétendent imiter le réel [ici Vila-Matas ne peut réprimer un rire mesquin] rabaisse la littérature à un simple jeu de singerie. De mon côté, entre la vie et les livres, j’opte pour ces derniers qui m’aident à comprendre la première.
RD — Vous mettez souvent en scène dans vos romans des personnages malades de littérature. On ne peut s’empêcher d’établir un parallèle entre la situation de ces personnages et la vôtre, celle de l’auteur réel, votre écriture étant pour bonne partie autobiographique. Mais puisque vous jouez constamment sur la frontière entre votre vie privée et la fiction, il est difficile de résister à la tentation de vous demander si Enrique Vila-Matas est véritablement malade de littérature à l'instar de ses nombreux protagonistes narrateurs…
EVM — [Hésitant pour la première fois avant de répondre.] Évidemment, il y a probablement une part de vérité dans ce parallèle entre la maladie de mes personnages et ma relation avec la littérature. Cette obsession n’a toutefois pas été un problème majeur dans ma vie jusqu’à présent, en vérité, puisqu’elle a constitué le réservoir dans lequel j’ai puisé pour écrire mes livres. Cependant, en avançant dans ma quête d’un absolu littéraire où le livre et le monde seraient une seule et même chose, je sens parfois le poids des livres, le poids de la littérature universelle me rompre les os. Il m’arrive de parler avec des citations en croyant être le propriétaire de mes idées, tout comme il m’arrive d’être persuadé de citer un auteur alors qu’il n’en est rien. C’est sans compter le phénomène inverse mais pas contradictoire, où par ces citations, d’autres se trouvent à parler à travers ma propre écriture. Tout cela me ramène, je le sais, à mon sort de pauvre agraphe tragique. Si j’étais un étranger m’observant et observant le déroulement de ma vie, je serais obligé de dire que tout cela finira nécessairement dans la stérilité, consumé que je suis de doutes incessants, et créateur seulement dans l’art de me torturer moi-même. Mais en ma qualité d’intéressé, j’ai de l’espoir.
RD — Revenons à ce motif de la conférence. Dans vos écrits, la posture de l’écrivain adoptée par le personnage narrateur se combine souvent à celle du conférencier, laissant volontairement poindre certaines traces d’oralité dans le texte. On pense alors à d’autres figures emblématiques de la littérature qui illustraient cette combinaison du geste d’écrire avec celui de raconter. Michel Butor affirme à ce propos que « tout écrivain est Schéhérazade ». Que pensez-vous de ce rapprochement entre la figure du conteur incarnée par Schéhérazade et l’image, le rôle de l’écrivain ?
EVM — Je n’ai rien d’une vulgaire Schéhérazade qui, comme un charlatan bourré d’illusions, se leurrant lui-même, croirait qu’il est possible d’arrêter le temps et de suspendre la mort. Je ne saurais dire, par ailleurs, si je suis une conférence ou un roman, comme s’interroge mon personnage dans Paris ne finit jamais. Il est vrai toutefois que je conçois l’écriture d’un roman un peu comme une conversation avec le lecteur. Les nombreuses digressions qui parsèment mes livres en témoignent. Je n’écris pas de façon purement linéaire. Je préfère davantage suivre le geste de la parole. D’ailleurs, il y a de bons romans qui sont précisément très brillants à cause de leurs digressions. Je pense ici, par exemple, au magnifiqueLife and Opinions of Tristram Shandy de Laurence Sterne, dont la lecture a été pour moi une révélation. Une conversation doit-elle garder pendant des heures le même sujet, la même forme ou la même intention ? Je trouve, dans la conférence, une sorte de liberté qui me permet de lier les idées et les réflexions entre elles, bien que parfois elles soient éloignées de prime abord. J’ai peut-être découvert la liberté un peu tard, comme écrivain, la liberté suivant le flot de la pensée. La conférence me permet de sortir de la narration classique et de ses histoires. J’aime les histoires et j’aime les raconter mais j’aime aussi la réflexion. La « pensée » comme élément de narration. La « pensée » plutôt que ce qu’on pourrait nommer « les idées » : quelque chose qui a à voir avec la voix d’un personnage qui me parle.
RD — Cette position d’ouverture à l’endroit de la pensée, de l’histoire littéraire et des œuvres d’autres grandes figures de la littérature laisse pourtant peu croire à un exercice d’écriture librement inspiré par les Muses ; il est difficile de ne pas vous imaginer en écrivain cérébral, maîtrisant avec brio les rouages de son édifice livresque. Quelle part laissez-vous à cette « voix » dans votre travail ? Vos textes se développent-ils en vous surprenant vous-même au fur et à mesure qu'ils s'élaborent ? Au fur et à mesure que cette voix vous surprend à nouveau, vous fait la « conversation » au hasard de votre quotidien comme vous la faites par la suite avec votre lecteur ?
EVM — À cette question sur mes façons d’écrire, je réponds toujours que, au cours de la rédaction de mes livres, se produisent des surprises infinies. Et que c'est une chance, parce que la surprise, le tour inattendu, la phrase qui se présente à point nommé sans qu'on sache d'où elle vient, constituent le dividende inespéré, le fantastique coup de pouce qui maintient un écrivain en activité. Quand telle chose advient, il faut être conscient qu'il s'agit d'une fiction exquise et, le sachant, croire en elle. Il n'y a pas à faire la fine bouche dans des situations de ce genre.
RD — Dans La lecture assassine, votre ambition était de tuer le lecteur, misant ainsi sur une fiction ayant un pouvoir d’action sur la réalité. Or, si les lecteurs du roman ont connu une triste fin, force est de reconnaître que l’incidence du roman sur les vrais lecteurs est (heureusement !) assez limitée. En toute honnêteté, dans quelle mesure considérez-vous que la littérature puisse agir sur le réel ?
EVM — D’abord, votre question a le défaut, cela dit commun, d’opposer ou de distinguer la littérature et la réalité, alors qu’en aucun cas la fracture n’est aussi nette. La littérature est devenue mon quotidien ; elle lui donne forme. Elle m’a rendu malade, elle me condamne à la servir. Mais, parce que je lui ai légué ma vie, j’existe maintenant à jamais dans la fiction — j’y disparais, en fait. Voilà : elle ne me sauve pas de la mort, comme Schéhérazade ; elle me donne plutôt le droit de m’abolir dans mon œuvre, comme Blanchot, comme Kafka.
RD — Vous faisiez référence tout à l’heure à Faulkner et à sa vision de l’œuvre idéale et du suicide de l’écrivain. Est-ce pour cette raison que, au fil de votre œuvre, la menace qui pesait sur le lecteur dansLa lecture assassine s’est déplacée du côté de l’écrivain ? Votre œuvre vous conduit-elle vers le livre idéal, lequel mettra le point final à votre entreprise ?
EVM — Mon œuvre ne se conçoit pas en termes d’évolution. Il n’y a ni début, ni milieu, ni fin à mon projet littéraire. Je suis un voyageur en exil, le voyageur le plus lent. J’erre au gré de mes obsessions, un peu comme un fou avec son parapluie rouge. Il m’arrive de perdre mon chemin, souvent aussi je ne le retrouve pas, mais j’en emprunte alors un autre. Tout est toujours à recommencer, ce qui a le mérite de repousser l'heure de ma mort, le moment où je devrai me taire. 






NOTES

1 Alors qu'il était enfermé à l'asile de Herisau, Robert Walser a réalisé une oeuvre littéraire paradoxalement imposante : cinq cent vingt-six feuillets ont été retrouvés dans ses archives, entièrement couverts d'une minuscule écriture au crayon (qu'il a fallu vingt ans pour arriver à déchiffrer).
2 Par exemple, dans Étrange façon de vivre : « J’ai décidé que, désormais, ma trilogie et mon absurde fixation au réel passeraient de vie à trépas. Après tout, n’y avait-il pas déjà très
longtemps que je soupçonnais que, derrière toute image réelle, il y en avait toujours une autre plus fidèle à la réalité, et que, sous celle-ci, il y en avait une autre encore plus fidèle, et ainsi de
suite à l’infini […] ? » ; autre exemple : « […] l’article de presse que j’écrivais tous les jours et qui m’amusait toujours comme un fou, parce que ce genre de textes dans lesquels, non sans audace, j’inventais tout et que je ne mettais jamais plus d’une demi-heure à écrire, me dédommageait au centuple des rigoureuses lois du réalisme social [...] ».





Robert Derain est un médecin français qui a exercé la psychanalyse à l’institut psychiatrique de Herisau, en Suisse, où a notamment été interné Robert Walser à la fin de sa vie. Il est l'auteur d'Éclipses littéraires, magnifique anthologie de récits dus à des auteurs dont le dénominateur commun consiste à n'avoir publié qu'un seul livre de leur vivant et d'avoir renoncé ensuite à la littérature. Lors d'une correspondance amorcée par Enrique Vila-Matas qui s'intéressait à son unique œuvre, en 1991, Derain a soulevé l'idée que ce dernier avait copié son projet d'écrire sur les paralysés de littérature. Néanmoins, c'est avec cordialité que Derain a accepté de fournir au jeune écrivain espagnol une liste d'auteurs susceptibles d'alimenter son projet littéraire sur l'art du refus. À 94 ans, Robert Derain aurait aujourd'hui demandé d'être interné dans cet institut psychiatrique de Herisau où il travaillait, malgré qu'il ait encore toutes ses facultés de jugement, prétextant que la vraie littérature qu'il s'apprête à écrire avant sa mort puisse se réaliser pleinement dans la dissimulation et la folie. Proche ami de Georges Perec, on raconte que les deux comparses interchangeaient régulièrement leurs identités afin de satisfaire les envies de Robert Derain de se prendre pour le grand écrivain qu'il n'a pas été.







POUR CITER CET ARTICLE :
Robert Derain (2010), 
« Annexe — Entrevue inédite 
avec Enrique Vila-Matas », 
dans temps zéro, nº 3 [en ligne]. URL : http://tempszero.
contemporain.info/
document529 [Site consulté le 5 décembre 2013].
http://tempszero.contemporain.info/document529