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26 août 2019

Metropolis, un film politique
   Depuis sa sortie en 1927 et jusqu’à nos jours, le film Metropolis de Fritz Lang a suscité de nombreuses interprétations (y compris psychanalytiques) mais c’est sans doute son aspect politique qui a provoqué le plus de polémique. Le cinéaste allemand rappelle lui-même que les nazis auraient été sensibles -à leur façon- à son oeuvre. Quand il rencontre Goebbels en 1933, le ministre de le propagande lui déclare : « le führer a vu Metropolis et a décidé : voilà l’homme qui nous donnera le cinéma nazi ». A la suite de cette entrevue, Lang s’empresse de quitter l’Allemagne…
Ainsi, plusieurs critiques ou historiens de cinéma ont souligné la parenté des thèmes évoqués dans le film de Lang et certaines des idées du régime hitlérien, même si la plupart veut bien accorder au réalisateur allemand le bénéfice du doute (de fait, Metropolis est réalisé plusieurs années avant l’arrivée au pouvoir des nazis). Ainsi Siegfried Kracauer, dans son célèbre ouvrage De Caligari à Hitler publié en 1947, insiste sur le caractère pré-nazi du film: selon lui, « l’appel de Maria pour la médiation du cœur entre la main et le cerveau aurait pu être formulé par Goebbels ». Il rapproche la morale de Metropolis avec un discours du ministre prononcé en 1934 à Nuremberg, « le pouvoir fondé sur le fusil peut être une bonne chose : néanmoins, il est beaucoup mieux et plus agréable de gagner le coeur du peuple et le garder ». Le critique Georges Sadoul reprend cette accusation dans son Histoire du cinéma, en rapportant une anecdote, significative selon lui : en 1943, un déporté qui gravit pour la première fois l’escalier géant de Mathausen demande à l’un de ses compagnons : « connais-tu le film Metropolis? ». Pour conclure sur cette série d’accusations, Michel Ciment relève dans son dernier ouvrage sur Fritz Lang : « cette idéologie de l’alliance du capital et du travail, où les exploités sont montrés passifs et soumis, annoncent le fondement de l’Etat nazi ».
Une société totalitaire
Pour un spectateur d’aujourd’hui, la société que met en scène Lang dans son film présente plusieurs aspects totalitaires indéniables. Ainsi, cette ville-état est structurée comme une pyramide strictement hiérarchisée). En haut (à tous les sens du terme), l’élite de la ville, menée par Fredersen, occupe les étages supérieurs des gratte-ciels, où elle mène une vie agréable (les quelques scènes de Freder gambadant dans les Jardins éternels, ou son père dirigeant ses affaires d’une main de fer depuis son bureau directorial). On peut même évoquer l’aspect physique des membres des classes supérieures, qui présentent toutes les caractéristiques d’un type « racial » que les nazis apprécient particulièrement : l’Aryen, blond aux yeux bleus. Cette classe dirigeante s’appuie sur une haute technologie, qui lui permet de surveiller et réprimer comme il se doit les masses ouvrières (le bureau du maître de la ville est rempli de machines plus ou moins complexes). Fredersen garde jalousement sous la main le savant Rotwang, à qui il a accordé le privilège de conserver sa maison médiévale délabrée au milieu des buildings…
Les classes inférieures sont cantonnées dans les entrailles de la ville, où se trouvent leurs lieux de travail et leurs logements collectifs. Ils semblent abrutis par de terribles journées de travail, habillés de manière uniforme et marchant comme des automates. Sans craindre l’anachronisme, beaucoup de critiques ont relevé que ces hommes-esclaves rappelaient fortement la main d’œuvre concentrationnaire exploitée dans les camps de concentration nazis. De même, la vision de Freder, qui voit les ouvriers jetés dans le brasier de la machine-usine, a pu sembler à certains prémonitoire, comme une anticipation des crématoires où les corps des déportés ont été brûlés au cours de la seconde guerre mondiale.
La collaboration de classe
Mais ce catalogue d’images prémonitoires ne suffit pas à expliquer le malaise de certains critiques : le message politique et social du film pose aussi problème. La morale, annoncée au début et rappelée à la fin du film, est simple -pour certains simpliste- : « le cœur est le médiateur entre les mains et le cerveau ». Et la réconciliation finale, sur le parvis de la cathédrale, signifie clairement que le pouvoir n’a absolument pas changé de mains : comme l’écrit Kracauer, Fredersen reste maître du jeu : « l’industriel ne renonce pas à son pouvoir mais il va l’étendre à un royaume encore non annexé, le royaume de l’âme collective. La rébellion de Freder débouche sur l’établissement de l’autorité totalitaire ». On pourrait multiplier les citations d’auteurs -souvent marqués à gauche- qui estiment que le film est en quelque sorte « pré-nazi » : ainsi Freddy Buache résume son trouble : « rétroactivement, ce schéma qui postule qu’un Chef emprunt de tendres sentiments doit réunir dans un même élan de mutuelle compréhension le Capital et le Travail, fait froid dans le dos. Hitler, Staline et tous les dictateurs sourient paternellement aux petites filles en robes de dentelles qui leur offrent des bouquets ». Même si cette critique peut paraître facile ou excessive, on peut relever quand même que les états fascistes vont justement mettre en place des institutions sociales où étaient rassemblés patrons, ingénieurs et ouvriers ( Les corporations dans l’Italie de Mussolini et le Front du travail dans l’Allemagne hitlérienne).
A l’inverse, beaucoup ont remarqué que, si la dureté des conditions de vie des prolétaires est soulignée, la révolte ouvrière est présentée de manière très négative : C’est bien la créature maléfique créée par Rotwang qui incite les masses à se rebeller. La fausse Maria a un comportement complètement déréglé : elle prononce des discours véhéments, avec des grimaces sardoniques, se livre à des danses lascives devant des bourgeois lubriques. C’est aussi la fureur aveugle des masses ouvrières qui est montrée, lorsque, à l’instigation de la fausse Maria, ils envahissent l’usine souterraine, en saccageant tout sur leur passage et notamment la salle des machines (la partition d’origine prévoyait qu’on entende alors la Marseillaise).
Certains auteurs estiment que Metropolis comporte même des aspects racistes (Francis Courtade pense que le film de Lang « porte en creux toute une charge d’antisémitisme ordinaire »). Et on peut relever quelques éléments troublants. Ainsi, Rotwang serait l’incarnation à l’écran du pouvoir maléfique des Juifs. En donnant vie à la fausse Maria, robot-révolutionnaire, il serait l’avatar du rabbin de la légende, qui crée le Golem, sa créature à partir d’argile. La bicoque biscornue qu’occupe le savant ressemble beaucoup aux maisons médiévales des ghettos d’Europe centrale (et on pense notamment à celles représentées dans le cinéma allemand des années 1920). A la fin du film, l’élimination de Rotwang, cet élément indésirable, permet la réconciliation finale.
D’autres lectures possibles…
Mais il est d’autres lectures possibles du message politique du film. Beaucoup de critiques ont été frappés par l’influence chrétienne qui semble imprégner Metropolis. Ainsi beaucoup des scènes où intervient Maria, sont baignées de religiosité : au début du film, la jeune femme apparaît à Freder, entourée d’enfants, le corps comme irradié par une lumière céleste. Un peu plus tard, Maria prêche dans les souterrains de la ville à la foule des ouvriers rassemblés, comme un rappel des premiers chrétiens réunis dans les catacombes de Rome. La longue séquence qui raconte l’édification de la tour de Babel est aussi une allusion directe à l’épisode biblique. Enfin, la scène finale se déroule sur le parvis de la cathédrale, une fois que les mauvais démons en ont été chassés . On pourrait presque parler d’un « christianisme social », qui instaure entre les classes sociales antagonistes un véritable dialogue fraternel. Les nazis eux-mêmes n’ont pas été unanimes à propos du film de Fritz Lang. Quelques années après les propos admiratifs tenus par Goebbels, le critique Otto Kriegk dénonce en 1943 l’idéologie confuse du film réalisé par deux « juifs libéraux » (Lang et son producteur Pommer), fascinés par les Etats-Unis (par contre, il omet de signaler la participation de Thea Von Harbou). Et de relever que Metropolis a été interdit en Italie et en Turquie pour « tendance bolchevique ».
Un malentendu?
Comme on le voit, le film de Fritz Lang se prête à de nombreuses interprétations et il a beaucoup déconcerté les critiques. L’idée s’est souvent imposée d’une œuvre plastiquement réussie mais avec un discours ambigu ou déplaisant. Luis Bunuel , en 1927, parle ainsi de « deux films collés par le ventre » : s’il est admiratif de ce « merveilleux livre d’images », par contre, il dénonce le scénario de Metropolis : « ce qui nous y est raconté est trivial, ampoulé, pédant, d’un romantisme suranné ». Ce qui ajoute à la confusion, c’est le jugement ultérieur de Fritz Lang lui-même, très sévère sur certains aspects de son film : « personnellement, je n’aime pas Metropolis parce que le film essaie de résoudre un problème social d’une manière puérile. Je dois d’ailleurs en accepter la responsabilité, bien qu’elle ne soit peut-être pas tout à fait mienne ». le cinéaste allemand fait allusion ici à la mise en cause par la plupart des historiens du cinéma de son épouse et scénariste de l’époque, Thea Von Harbou. Cette jeune femme, militante nazie convaincue et qui a collaboré à la plupart des films allemands de Fritz Lang, s’est défendue d’avoir voulu exposer une quelconque idéologie dans le film. Dans la préface du livre qui a précédé le scénario, elle précise « qu’il ne sert aucune tendance, aucune classe, aucun parti. Il est une aventure qui s’organise autour d’une idée : le médiateur entre le cerveau et la main doit être le cœur ». Avec une certaine élégance, Fritz Lang assume d’ailleurs sa propre responsabilité quand certains critiques, comme Lotte Eisner, mettent les aspects les plus déplaisants du film au compte de Von Harbou .
Une prise de conscience progressive
En fait, il semble bien qu’au cours des années 1920, le cinéaste allemand soit encore assez immature au point de vue politique: dans ces films précédents, il montre son goût pour les récits d’aventures et les affaires criminelles. A propos de Metropolis, Lotte Eisner, son amie et critique de cinéma, révèle que Lang aurait sans doute voulu développer davantage un des thèmes récurrents de son œuvre, le pouvoir des forces maléfiques : il avait notamment prévu de tourner plusieurs scènes oniriques montrant le déchaînement de la Mort, mais il y aurait renoncé, craignant l’incompréhension du public. Le réalisateur, qui avait commencé des études d’architecture avant la guerre, semble avoir été aussi fasciné par tous les signes de la ville moderne (une de ses sources d’inspiration pour le film aurait été le voyage qu’il a accompli en 1924 à New York, en compagnie d’Erich Pommer). On sait le soin qu’il a apporté aux décors du film, avec l’aide de toute son équipe technique (en particulier Karl Freund, Otto Hunte, Erich Kettelhut, Karl Vollbrecht) : d’énormes moyens sont mis en œuvre pour réaliser les maquettes, animations, et autres effets spéciaux qui sont l’une des réussites de Metropolis, alors le film plus cher jamais produit par la société UFA. On sait aussi l’intérêt de Fritz Lang pour la science-fiction : dans l’une des versions envisagées, il avait prévu qu’à la fin du film, Freder et Maria s’envolaient vers la lune dans un aéronef.
Au point de vue politique, Fritz Lang se pose encore peu de questions. Il est sans doute un pangermaniste et un patriote sincère. Alors qu’il mène une vie de bohème à Montmartre, il s’engage en août 1914 dans l’armée austro-hongroise et il est blessé au cours du conflit. Il est naturalisé allemand en 1922 et traite dans Die Nibelungen d’une légende chère au cœur des nationalistes, la légende de Siegfried (le jour de la sortie du film, Lang aurait fait fleurir la tombe de l’empereur d’Allemagne). Là encore, certains critiques ont remarqué que l’opposition entre Burgondes et Huns fait irrésistiblement penser à la doctrine raciste des nazis. On peut penser qu’à cette époque, Fritz Lang partage certaines des idées conservatrices de son épouse et qu’il se démarque nettement d’autres artistes de la période de Weimar, nettement plus engagés à gauche. Une de ses œuvres les plus célèbres, M le Maudit réalisé en 1930, a souvent été interprétée par les historiens du cinéma comme une allusion directe à la montée du nazisme dans la république de Weimar (cf notamment les analyses de Freddy Buache ou Marc Ferro). Mais il semble bien que Fritz Lang n’ait pas voulu dans son film dénoncer l’idéologie nazie, en tout cas pas de façon délibérée : son intention première était d’évoquer une affaire criminelle et d’explorer les aspects psychologiques du personnage incarné par Peter Lorre, plutôt que de s’aventurer sur le terrain politique.
En fait, le cinéaste allemand aurait pris conscience de la situation politique de l’Allemagne et du danger que constituait l’idéologie nazie peu de temps après. Selon lui, c’est dans Le testament du docteur Mabuse qu’il prend implicitement parti : pour lui, la bande de gangsters du docteur Mabuse, qui veut profiter du chaos pour s’emparer du pouvoir, est une claire évocation du parti nazi et de ses méthodes (« j’ ai mis dans la bouche de Mabuse des phrases, des slogans du mouvement hitlérien », précise le cinéaste). Le film sera d’ailleurs interdit par la censure du nouveau régime en 1933. La suite de l’histoire, telle qu’a été racontée par le cinéaste lui-même, est connue: Fritz Lang a un entretien avec Goebbels qui lui propose de prendre la tête du cinéma allemand. Alors que le réalisateur rappelle au ministre que sa propre mère est juive, celui-ci réplique que ce sont les Nazis qui décident de l’origine raciale des Allemands ( Michel Ciment pense que cette rencontre est sans doute fictive : par contre, elle ressemble furieusement à une scène de cinéma ). Ce qui n’est pas contestable, c’est qu’à cette époque, Lang quitte l’Allemagne pour Paris et continue, quelque temps après, sa carrière de metteur en scène outre-Atlantique : le réalisateur ne revient en République fédérale d’Allemagne qu’en 1956. Dans les films de sa période américaine ( plus d’une vingtaine de longs métrages, de Furie en 1936 à L’invraisemblable vérité en 1956), le réalisateur approfondit sa réflexion sur la nature humaine et se montre de plus en plus pessimiste, cherchant à débusquer selon son expression, « le fascisme qui est en nous ». En même temps, il réalise plusieurs films dont l’engagement antinazi est incontestable (Michel Ciment parle de « tétralogie antinazie » à propos de Chasse à l’homme, Les bourreaux meurent aussi, Le ministère de la peur, et Cape et poignard).
   Aussi, au terme de cette présentation rapide des lectures politiques de Metropolis, on est tenté d’avoir une analyse plus nuancée quant aux interprétations possibles du film. Beaucoup de critiques ont fait des procès d’intention à l’égard de Fritz Lang, sans doute injustifiés. Leur sévérité s’explique sans doute par certaines analogies troublantes, une morale sociale simpliste, des rapprochements inévitables. Mais, outre qu’il est souvent anachronique, ce jugement est aussi excessif : Lang n’a jamais repris à son compte les idées les radicales de l’idéologie nazie : il a plutôt témoigné, selon l’expression de Michel Mesnil, d’une « coupable innocence » à propos de l’évolution politique de son pays, en tout cas jusqu’en 1933. Par contre, le cinéaste a été sensible à « l’air du temps », comme il l’avait déjà montré dans certains de ses films précédents (le premier Mabuse est une description assez juste du climat affairiste qui règne dans la bourgeoisie allemande des années 1920). Dans Metropolis, la vision d’une société hiérarchisée, quasi totalitaire mais finalement amendable est sans doute d’une grande naïveté mais elle semble bien correspondre à la confusion idéologique de l’époque, (par la suite, le réalisateur a toujours admis que la morale de son film était -pour le moins-superficielle). Le message politique de Metropolis est au choix confus ou naïf. En cela, il témoigne aussi de son époque.

BIBLIOGRAPHIE :
-Fritz Lang, Les trois lumières, textes réunis par Alfred Eibel, Flammarion, Paris, 1988
-Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler, Flammarion, Paris, 1987
-Lotte Eisner, Fritz Lang, Cahiers du Cinéma, Paris 1984
-Lotte Eisner, L’écran démoniaque, Ramsay, Paris 1985
-Georges Sturm, Fritz Lang : films/textes/références, Presses Universitaires de Nancy, 1990
-Bernard Eisenschitz, Le cinéma allemand, Nathan, Paris 1999
-Michel Marie, M Le Maudit, Nathan Synopsis, Paris 1996
-Thomas Elsaesser, Metropolis, BFI film classics, London 2000
-Michel Ciment, Fritz Lang, Gallimard Découvertes, Paris 2003
M. Le Maudit, dossier Ciné-club de Wissembourg n°15