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31 juil. 2016

Le 2 septembre 1914[1] Wittgenstein fait mention de sa première lecture de l’Abrégé de l’Évangile de Tolstoï[2]. Il l’emporte avec lui partout où la Guerre le mène. Le philosophe est connu de ses camarades comme « l’homme à l’Évangile », et Wittgenstein lui-même l’affirme : le livre lui aurait « sauvé la vie »[3]. Dans les remarques plutôt intimes de ce carnet, on voit des formules et des prières sans doute inspirées de l’œuvre de Tolstoï, et il est évident que le caractère de Wittgenstein souffre de l’influence de la doctrine chrétienne telle qu’étalée sur les douze chapitres où est enseignée la leçon d’abandon et d’humilité du Christ. Son admiration presque mythique pour Tolstoï, le contexte de la Première Guerre et le fait qu’il recommandait la lecture de l’Abrégé à tous comme s’il s’agissait d’une sorte de remède – comme plus tard plusieurs autres textes littéraires de l’écrivain russe – semblent suggérer à quelques commentateurs une influence fortement, mais simplement, personnelle, et que pourtant j’aimerais appeler ici, « périphérique » – par contraste à la influence reconnue « directe » de, par exemple, Schopenhauer[4].
Mais s’il est vrai que l’Abrégé a pu servir au soldat Wittgenstein à « ne pas se perdre » dans la folie (extérieure et intérieure) du combat, ce que je voudrais montrer dans le présent article est que l’influence de ce livre sur le Tractatus Logico-Philosophicus et les autres œuvres de la même période est beaucoup plus dogmatique que l’on pourrait le croire. Plus qu’une sorte d’« esprit commun », ces œuvres partagent un même but et une même signification morale et moralisante – pour ne pas parler d’un même « contenu »  éthique[5]. L’influence est donc dogmatique dans la mesure où les remarques du Tractatus et des Carnets sur l’éthique et le mystique peuvent être mieux comprises à la lumière de l’Abrégé, en affirmant une attitude « positive » et « définitive » – impérative et catégorique – à l’égard de la bonne manièrede vivre une vie pleine de sens. C’est là la « vision correcte du monde » telle qu’affirmée par Wittgenstein à la fin du Tractatus, ou bien la « vie véritable » de l’Abrégé. En effet, ce qu’il y a de dogmatique chez Tolstoï comme chez Wittgenstein est ce qui précisément constitue la vraie vie de l’esprit, une vie qui n’est heureuse que lorsqu’elle se conforme aux principes d’une vie digne d’être vécue, une vie atemporelle, vouée à la volonté du Père. Le but partagé par les auteurs est donc celui de trouver une réponse au « problème de la vie », de manière telle que cette réponse soit vécue plutôt qu’expliquée.
Le chemin
Le chemin même de la quête amène à la bonne réponse. Les deux œuvres peuvent d’une certaine manière être considérées comme des pièces nécessaires à l’établissement de la pratique de la vie véritable et de la manière correcte de vivre[6]. Si d’une part elles montrent le parcours jusqu’à ce que l’abandon de la volonté à celle du Père ne soit possible, elles enseignent d’autre part cette possibilité elle-même. Et la tâche moralisante qui concerne cet enseignement se rapporte à la fois à l’incapacité de certains domaines à répondre aux besoins de notre esprit ou à faire face à la simplicité même de la réponse.
Il ne s’agit donc pas, pour les œuvres en question, de fournir la solution au problème de la vie comme s’il s’agissait d’un problème de la science ou de la philosophie. Le chemin commun vécu par Tolstoï comme par Wittgenstein ne passe par le langage scientifique ou philosophique que pour prouver son immense insuffisance et son inaptitude à apporter une résolution aux problèmes supposément « les plus profonds ». La science et la philosophie engendrent plutôt l’embarras le plus grand, nous laissant incommensurablement insatisfaits[7]. D’où l’angoisse et la longueur de la quête. Et d’où, aussi, la nécessité que la quête s’arrête ou qu’elle s’accomplisse d’une autre manière.
En effet, pour Wittgenstein il ne s’agit pas d’arriver à une vraie réponse, mais bien de dissoudre toute question. L’insuffisance du langage étant ici étroitement liée à la distinction centrale du Tractatus entre dire et montrer, la séparation des domaines (de la science, de la philosophie, de l’art, du mystique, etc.) suit justement la possibilité d’apporter (ou non) une explication sensée à la fois de la question et de la réponse. Si les réponses de la science n’apaisent pas l’angoisse liée à la quête du sens de la vie, c’est qu’en vérité on cherche depuis toujours au mauvais endroit. Et si une réponse ne peut être donnée, c’est que la question est elle-même illégitime. Ainsi, lorsqu’on parle du « problème de la vie », ce n’est pas un problème de la science de la nature qu’il s’agit de résoudre (6.4312). D’après les critères établis par Wittgenstein, il est clair que le « problème de la vie » doit disparaître en tant que « problème ». Cela devient manifeste dans ce passage du Tractatus :
6.5 – D’une réponse qu’on ne peut formuler, on ne peut non plus formuler la question. Il n’y a pas d’énigme. Si une question peut de quelque manière être posée, elle peut aussi recevoir une réponse.
N’est-ce donc pas la raison pour laquelle la science n’est pas en mesure de combler ce besoin de l’esprit humain de comprendre le sens de sa propre existence ? En effet, la science n’explique pas le quoi, mais ne peut rendre compte que du comment[8] :
6.52 – Nous sentons que, à supposer même que toutes les questions scientifiques possibles soient résolues, nos problèmes de vie demeurent encore intacts. À vrai dire, il ne reste plus alors aucune question ; et cela même est la réponse[9].
6.521 – La solution du problème de la vie, on la perçoit à la disparition de ce problème.
(N’est-ce pas la raison pour laquelle les hommes qui, après avoir longuement douté, ont trouvé la claire vision du sens de la vie, ceux-là n’ont pu dire alors en quoi ce sens consistait ?)
La réponse est de n’avoir alors aucune « réponse ». Et la solution de tout problème est ainsi de le faire disparaître. Ici, l’observation du paragraphe 6.521 entre parenthèses pourrait nous faire croire que la solution est acquise de manière tout à fait inattendue, ou bien que l’arrêt pur et simple de la recherche pourrait nous donner tout d’un coup et intégralement le sens de la vie. Pourtant, comme on verra dans la section suivante, ce n’est pas le cas. L’arrêt de la quête n’entraîne pas forcément la clarté de la solution, puisqu’il ne s’agit pas là d’une conséquence fortuite, ni même à proprement parler d’une « conséquence ». Or, dit Wittgenstein dans les Carnets 1914-1916, « l’homme ne peut se rendre heureux sans plus » (14.7.16) : il s’agit de comprendre et de considérer la dissolution d’emblée comme la vraie solution, en comprenant par là le « contenu éthique » impliqué dans une telle vision de la vie. Dans ce sens, la dissolution du problème de la vie demande un changement à part entière. Il ne suffit pas ainsi d’arrêter de poser des questions illégitimes, – simplement parce qu’on ne trouve pas des réponses – mais d’accepter cela comme une partie essentielle de la manière de vivre qui est proprement non-problématique.
Ce n’est pas autrement pour le domaine de la philosophie – quoique celle-ci soit distincte de la science[10]. Pour Wittgenstein la philosophie ne peut être dorénavant qu’une activité de clarification du langage – une critique du langage (4.0031)[11]. En fait, le rôle qui lui a toujours été attribué n’était dû qu’à l’incompréhension des limites de notre langage et, on pourrait aussi dire, en suivant déjà la critique faite également par Tolstoï, que cela tient à une prétention vaine et chimérique de vérité et de légitimité (plus que) scientifique. En ce sens, les « problèmes les plus profonds » auxquels la philosophie était supposé répondre – y compris le « problème de la vie » – ne sont pas à proprement parler des « problèmes » :
4.003 – La plupart des propositions et des questions qui on été écrites touchant les matières philosophiques ne sont pas fausses, mais sont insensées. Nous ne pouvons donc en aucune façon répondre à de telles questions, mais seulement établir leur non-sens. La plupart des propositions et questions des philosophes découlent de notre incompréhension de la logique du notre langage.
(Elles sont du même type que la question : le Bien est-il plus ou moins identique que le Beau?)
Et ce n’est pas merveille si les problèmes les plus profonds ne sont, à proprement parler, pas des problèmes. (Traduction modifiée).
Ce ne peut donc pas être une quelconque théorie ou une explication métaphysique qui peut rendre compte du sens de la vie, de la raison de l’existence du monde, de la souffrance de l’âme. Comme dans le cas de la science, la « question philosophique » est mal posée, et ce n’est pas ce genre de conclusion recherchée. D’où le refus et le mépris de Wittgenstein pour toute tentative d’explication de ce qu’est l’éthique. Une dizaine d’années après le Tractatus, c’est encore la même raison qui l’amène à affirmer qu’une « théorie éthique »  ne peut aucunement l’intéresser[12] :
La valeur est-elle un état d’esprit déterminé? Ou une forme, qui s’attache à n’importe quelle donnée de la conscience? Je répondrais : quoi que l’on puisse me dire, je le refuserai, non pas parce que l’explication serait fausse, mais parce que c’est une explication.
Quoi que l’on me dise, du moment que c’est une théorie, je répondrai : non, non! Cela ne m’intéresse pas. Même si la théorie était vraie, elle ne m’intéresserait pas – elle ne serait en aucun cas ce que je cherche.
Ce qui est l’éthique, on ne peut l’enseigner. Si je ne pouvais expliquer à quelqu’un l’essence de ce qui est éthique que par une théorie, alors ce qui est l’éthique n’aurait absolument aucune valeur. (…) Pour moi la théorie n’a aucune valeur. Une théorie ne me donne rien[13].
Effectivement, en étant en quête du sens, et plus encore en faisant face à ce qui peut rendre manifeste le manque de sens de la vie, une théorie ne peut apporter aucun apaisement ni réconfort. Outre le refus catégorique de toute « théorie éthique » ou de toute « philosophie morale », Wittgenstein exprime cette impossibilité de manière très personnelle dans les Carnets secrets à propos de l’incident survenu pendant la Première Guerre à son frère Paul, le pianiste qui a perdu sa main droite : « Quelle est la philosophie qui permettra jamais de surmonter un fait de ce genre ? » (CS 28.10.14).
C’est précisément l’absence de réponse à cette question spécifique ce qui amène Tolstoï à la même conclusion : le problème de la vie n’obtient aucune explication sensée, aucune justification théorique possible qui ne soit elle-même d’emblée absurde. Parce que l’absurdité demeure dans le désir de trouver la paix dans « une superstition » quelconque, tel que, par exemple, le progrès. Devant la mort de son frère, Tolstoï semble affirmer la même chose que Wittgenstein, c’est-à-dire qu’une théorie ne lui apporte rien :
Une autre fois, l’insuffisance de cette superstition du progrès me fut révélée par la mort de mon frère. Intelligent, bon, sérieux il tomba malade jeune, souffrit plus d’un an et mourut dans de grands tourments sans comprendre pourquoi il avait vécu. Aucune théorie ne pouvait donner de réponse a ces questions ni a moi, ni a lui, durant sa lente et pénible agonie[14].
Ce sont dans les questions posées par Wittgenstein dans les Carnets 1914-1916 qu’on trouve le rapprochement le plus manifeste avec le récit de Ma Confession concernant le chemin parcouru par Tolstoï et Wittgenstein jusqu’à la « réponse » souhaitée. Si pour Tolstoï le « problème de la vie » se pose à travers les questions suivantes, pour Wittgenstein la « vie problématique » est elle-même mise en question : « ‘Que sert de vivre, de désirer quelque chose, de faire quelque chose?’ Et l’on pouvait donner a cette question une autre expression encore : ‘Est-il dans ma vie un sens qui ne soit détruit par l’inévitable mort qui m’attend ?’ »[15]; « Mais peut-on vivre de telle sorte que la vie cesse d’être problématique ? » (6.7.16). Certes, la réponse à cette question, qui entraîne en même temps la réponse au sens de la vie, exige en même temps la compréhension d’autres questions encore : Que sais-je de Dieu et du but de la vie ? (11.6.16); N’est-ce pas la raison pour laquelle les hommes à qui, après de longues périodes de doute, le sens de la vie était devenu clair, ne pouvaient dire alors en quoi consistait ce sens ? (7.7.16) Comment l’homme peut-il seulement être heureux, puisqu’il ne peut se défendre de la misère du monde ? (13.8.16) Quelle sorte de statut a proprement la volonté humaine ? (21.7.16) Peut-on désirer, et cependant ne pas être malheureux si le désir n’est pas exaucé ? (29.7.16) La volonté est-elle une prise de position à l’égard du monde ? (4.11.16)[16]. Peut-on toutefois chercher leurs réponses dans les tentatives d’explication les plus ambitieuses de la raison humaine, ou faut-il penser que leurs réponses suivent plutôt une certaine manière de vivre qui porte déjà en elle-même la pleine signification de la vie?
Or, cette quête amène Tolstoï – de façon apparemment encore plus pénible que pour Wittgenstein – à chercher dans chaque petit coin de la connaissance humaine, pour ne rien y trouver. Ou bien, pour ne trouver qu’encore la même conclusion désespérée, que la vie n’a pas de sens et que ce « problème » n’a pas de solution :
Longtemps, je ne pus croire que la science ne répondait rien d’autre que ce qu’elle répond à la question de la vie. Longtemps, il me sembla, au vu du ton important et sérieux avec lequel la science affirmait ses postulats n’ayant rien à voir avec les questions de la vie humaine, que quelque chose m’échappait. Longtemps, intimidé par la science, je crus que l’absence de correspondance entre ses réponses et mes questions venait non pas d’une défaillance de la science, mais de mon ignorance ; il ne s’agissait pas d’une plaisanterie, ni d’un amusement, toute ma vie était en jeu, et bon gré mal gré je dus me rendre à l’évidence que mes questions étaient les seules questions légitimes, qui posaient la base de toute science, et que ce n’était pas moi avec mes questions qui étais en cause mais la science, dans la mesure où elle prétendait répondre à ces questions[17].
Ce n’est alors qu’en s’apercevant que la quête elle-même est insensée, ou bien que les domaines de recherche n’apportent rien d’autre chose qu’illusion et vanité, que Tolstoï parvient à comprendre la nature même de sa question et l’exigence faite par là, maintenant, à sa propre attitude :
Aussi, j’aurais beau tourner dans tous les sens les réponses spéculatives de la philosophie, je n’obtiendrais rien qui ressemble à une réponse ; non pas, comme c’est le cas des domaines empiriques, parce que leurs réponses ne concernent pas ma question, mais parce que, bien que tout le travail de l’esprit soit précisément centré sur ma question , il n’y a pas de réponse, et qu’à la place de la réponse, on obtient toujours la même question, mais sous une forme plus complexe[18].
Pour Wittgenstein, une « vraie réponse » se heurte inévitablement contre l’impossibilité définitive de son expression[19] :
De toute évidence, la solution de toutes les questions de la vie possible ne pouvait me satisfaire, car aussi simple que semblât ma question au début, elle impliquait que l’on expliquât le fini par l’infini et inversement.
J’avais demandé quel était le sens non temporel, non causal, non spatial de ma vie ; or j’avais répondu à la question : « Quel est le sens temporel, causal, spatial de ma vie ? »  Il en résulta qu’après un long travail de la pensée je répondis : aucun[20].
Bien sûr, pour Tolstoï le « problème de la vie » se dissipe avec l’affirmation de la foi chrétienne – et c’est là où réside pour lui ce qui pour Wittgenstein est la manière non-problématique de vivre. Pourtant, même là cette réponse ne peut être que la vie elle-même, la vie vécue de manière correcte selon la volonté du Père. Après le parcours de Ma Confession, le sens est trouvé dans la leçon du Christ, laquelle est présentée de façon limpide dans l’Abrégé comme constituant la seule vie véritable. Le statut de ce dernier n’est pas un statut théorique, théologique, métaphysique ou argumentatif. Tolstoï y insiste sur le fait que l’enseignement du Christ tel qu’il est montré tout au long du livre n’est pas identique à la doctrine « chrétienne »  ordinairement conçue par les savants de l’Église, laquelle contiendrait ainsi des erreurs grossières et des éléments superflus. L’auteur l’affirme :
Je cherchais une réponse au problème de la vie, mais non pas une réponse théologique ou historique. (…) Ce qui m’importe, c’est cette lumière qui, voilà 1800 ans, éclaira l’humanité, qui m’a éclairé et m’éclaire encore; quant à savoir quel nom donner à la source de cette lumière, quels en sont les éléments et par qui elle a été allumé, cela m’importe peu[21].
Et en outre :
Il ne s’agit pas de démontrer que Jésus-Christ n’était pas Dieu et que c’est la raison pour laquelle sa doctrine n’est pas d’origine divine; il ne s’agit pas non plus de démontrer qu’il n’était pas catholique, mais il s’agit de comprendre en quoi consiste cette doctrine qui fut si grande et si chère aux hommes qu’ils ont reconnus et reconnaissent comme Dieu l’homme qui a prêché cette doctrine[22].
C’est donc la lumière – dans la vie elle-même – de l’enseignement du Christ que Tolstoï prétend montrer, et non la prétendue clarté ecclésiastique d’un Christianisme qui n’est fait pour personne.
La vie véritable – La vie heureuse I
Mais en quoi une manière correcte de vivre consiste-t-elle?
Dans ce qui suit, je voudrais montrer que pour Wittgenstein la manière non-problématique de vivre peut être comprise à la lumière de certains éléments qui composent aussi chez Tolstoï la vie véritable[23]. Le but même de l’existence humaine est évidemment une telle vie apaisée, et les termes « vie heureuse » (la vie de la tranquillité de l’âme), « vie correcte »  et « vie véritable »  sont en ce sens employés de manière presque synonyme.
Remarquons d’emblée qu’en dépit de l’opposition des auteurs à toute position théorique, métaphysique ou « théologique », l’affirmation de la vie heureuse est une affirmation positive et « dogmatique » d’un point à l’autre : elle est la vraie vie de l’esprit ou la seule vie correcte à vivre. Si la vie heureuse se justifie par elle-même, une vie malheureuse n’a aucune justification possible et ne peut être que mauvaise. C’est en ces termes que Wittgenstein parle dans les Carnets 1914-1916 des « raisons » pour le bonheur :
30.7.16 – J’en reviens toujours à ceci : que, simplement, la vie heureuse est bonne, et mauvaise la vie malheureuse. Et si maintenant je me demande pourquoi je devrais être heureux, la question m’apparaît de soi-même être tautologique; il semble que la vie heureuse se justifie par elle-même, qu’elle est l’unique vie correcte.
Or, les traits qui caractérisent ici le bonheur et le malheur aboutissent à un contraste incontestablement absolu : on ne peut pas être « plus ou moins » heureux, comme on ne peut pas voir la vie comme « plus ou moins » problématique. Une vraie vie est définitivement libre du malheur ou bien elle est une fausse vie. En des termes tolstoïens par excellence, l’opposition faite ici n’est toutefois pas une simple affirmation des faits tels qu’ils sont, mais porte en elle une valeur normative. Il semble qu’on ne puisse pas être malheureux sans conséquence. Peut-on vraiment choisir d’être malheureux sans blâme ? S’agirait-il réellement là d’un choix indifférent ? Il semble en effet que non : Wittgenstein non seulement qualifie la vie heureuse comme vraie et la vie malheureuse comme fausse, mais aussi respectivement comme bonne et mauvaise[24]. Ces qualificatifs ne sont pas axiologiquement neutres et ne décrivent pas un simple état de choses parmi d’autres, mais expriment eux-mêmes un jugement de valeur. Quoiqu’une expression telle que « je suis heureux ou malheureux, c’est tout » (8.7.16) pourrait nous suggérer que l’opposition est optionnelle et que rien n’est à faire concernant notre propre disposition d’esprit, « bon » et « mauvais » caractérisent chez Wittgenstein le sujet du vouloir, celui qui est le porteur de la valeur morale (le bien et le mal). Et dans ce sens, « bon » et « mauvais » doivent être compris comme moralement bon ou mauvais[25]. L’opposition engendre par conséquent une rectitude et une obligation morale envers le bonheur : vouloir être heureux ou bien avoir une bonne volonté est dans ce sens moralement obligatoire, et toute infraction tombe alors dans ce que Wittgenstein nomme à plusieurs reprises, dans l’esprit de l’Abrégé, comme le « péché ». C’est donc d’une condamnation et d’un blâme moral dont il s’agit ici :
CS 20.2.15 – Les pensées lâches, les fluctuations craintives, l’indécision angoissée, les gémissements féminins ne changent rien à la détresse et ne te rendent pas libre!
CS 7.3.15 – Je me sens, pour ainsi dire, spirituellement las, très las. Qui y faire? Je suis consumé par les circonstances contraires. La vie extérieure toute entière fond sur moi, de toute sa vulgarité. Je suis intérieurement plein de haine, incapable d’accueillir l’esprit en moi.
CS 11.8.16 – Je continue à vivre dans le péché, ce qui veut dire dans le malheur. Je suis las et sans joie. Je vis en discorde avec tous ceux qui m’entourent.
Une vie malheureuse pèche dans ce sens contre la signification (on pourrait aussi dire « justification ») de la vie elle-même : elle est absolument injustifiable vis-à-vis du but de l’existence. Dans les Carnets 1914-1916 ce but est explicité comme suit :
6.7.16 – Et en ce sens Dostoïevski a parfaitement raison, qui dit que l’homme heureux parvient au but de l’existence.
On pourrait encore dire que celui-là parvient au but de l’existence qui n’a plus besoin de buts hors de la vie. C’est-à-dire celui qui est apaisé.
La solution du problème de la vie se marque par la disparition du problème.
Mais peut-on vivre de telle sorte que la vie cesse d’être problématique?
Si la « définition » ici offerte par Wittgenstein se fait par le biais de Dostoïevski, le « contenu »  de cette existence ainsi accomplie est bien pourtant celui de la vie de l’esprit telle que dessinée dans l’Abrégé : la vraie vie de celui qui suit la leçon du Christ telle que tirée de l’étude (non-théologique et non-historique) des Évangiles. Selon Tolstoï lui-même, cet enseignement peut être condensé de la façon suivante à travers les titres des douze chapitres de son œuvre :
1. L’homme est le fils d’un principe infini, fils de ce Père, non par la chair, mais par l’esprit.
2. Aussi, c’est en esprit que l’homme doit servir ce principe.
3. La vie de tous les hommes a un principe divin, qui seul est saint.
4. C’est pourquoi l’homme doit servir ce principe dans la vie des tous les hommes, car telle est la volonté du Père.
5. Seul le service de la volonté du Père de vie donne la vie authentique, c’est-à-dire raisonnable.
6. Aussi, pour avoir la vie véritable, point n’est besoin de satisfaire à sa propre volonté.
7. La vie temporelle (charnelle), est la nourriture de la vie véritable, le matériau qui permet la vie raisonnable.
8. Aussi la vie authentique est-elle en dehors du temps, elle (n’) est (que) dans l’authentique réel.
9. Le mensonge de la vie est dans le temps ; la vie passée et a venir cache aux hommes la vie véritable du réel authentique.
10. C’est pourquoi l’homme doit tendre à réduire le mensonge de la vie temporelle du passé et du futur.
11. La vie véritable est la vie de l’authentique réel, commune à tous les hommes et se manifeste par l’Amour.
12. Aussi, celui qui vit par l’amour dans le réel authentique, qui vit de la vie commune à tous les hommes, s’unit-il au Père, principe et fondement de la vie[26].
Étant donné que l’Abrégé est le dénouement de la quête de Tolstoï lui-même pour le sens de la vie et que la réponse à toute question demeure uniquement dans la foi de la leçon du Christ, l’interprétation des Évangiles aboutit ainsi à une sorte de doctrine d’apaisement et de conviction à la fois morale et religieuse selon laquelle la seule vie véritable est la vie qui accomplit la volonté du Dieu Père qui nous a donné le monde et la vie telle qu’elle est ; cet accomplissement se trouve à son tour dans l’esprit de celui qui le partage avec l’esprit de Dieu :
Celui qui fait la volonté du Père, il est toujours content et ne connaît ni faim ni soif. L’accomplissement de la volonté de Dieu satisfait toujours, portant sa récompense en lui-même. On ne peut pas dire : je ferai la volonté du Père plus tard. Tant qu’il y a la vie on peut et l’on doit accomplir la volonté du Père. (…) Ce qui est véritable, c’est que nous ne nous donnons pas la vie à nous-mêmes, mais c’est quelqu’un d’autre qui nous la donne[27].
Et pour que les gens ne croient pas que le royaume des cieux est quelque chose de visible mais pour qu’ils comprennent que le royaume de Dieu consiste dans l’accomplissement de la volonté du Père, et que l’accomplissement de la volonté du Père dépend de l’effort de tout homme; pour que les gens comprennent que la vie ne leur est pas donnée pour accomplir leur volonté propre, mais celle du Père, et que le seul accomplissement de la volonté du Père sauve de la mort et donne la vie (…)[28].
Si le but de l’existence est ainsi l’apaisement de la vie de l’esprit telle que déterminée par la volonté du Père, une « fausse conception de la vie » penche pour ce qui Wittgenstein appelle l’« animalité ». Cette vie animale, dit Wittgenstein, est déraisonnable, et c’est précisément en cela que consiste, encore une fois, « le péché » :
CS 29.7.16 – Hier on nous a tiré dessus. J’étais découragé. J’avais peur de la mort. Maintenant, mon seul souhait est de vivre! Et il est difficile de renoncer à la vie lorsqu’on en a goûté le plaisir. C’est en cela, précisément, que consiste le « péché », la vie déraisonnable, la fausse conception de la vie. De temps en temps, je penche vers l’animalité. Dans ces moments-là, je ne peux penser à rien d’autre qu’à manger, boire, dormir. Horrible! Et alors, je souffre aussi comme une bête, sans la possibilité d’une délivrance intérieure. Je suis à la merci de mes désirs et de mes penchants. Une vraie vie devient alors impensable. [Je souligne].
C’est en effet pour ne pas se perdre dans l’« animalité »  que Wittgenstein prie dans les Carnets secrets. Ici, l’accomplissement de la vraie vie en tant que but propre de l’existence humaine est lié à une sorte de dignité personnelle qui ne se distingue pas d’une obligation morale envers soi-même. Et c’est la raison pour laquelle cette obligation est aussi une obligation morale envers le bonheur : tout péché est avant tout un péché contre soi-même. Dans ce sens, une vie « dépourvue de sens »  n’est pas simplement « désagréable » parce que malheureuse, mais malheureuse aussi parce qu’« indigne » :
CS 8.12.14 – Mais qu’advient-il dans l’hypothèse où l’on refuse ce type de bonheur? Ne vaudrait-il pas mieux périr dans le malheur, en s’opposant désespérément au monde extérieur? Mais une telle vie est dépourvue de sens. Pourquoi, cependant, ne pourrait-on pas vivre une vie dépourvue de sens? Est-ce une chose indigne? Comment cela s’accorde-t-il avec le point de vue rigoureusement solipsiste? Mais que faut-il faire pour que ma vie ne soit pas perdue? Je dois toujours être conscient de l’esprit – en être toujours conscient[29].
Or, le « type de bonheur » souligné ici est justement le bonheur offert par le biais du Christianisme : « Il est clair que le Christianisme est la seule voie certaine vers le bonheur ». C’est la raison pour laquelle la remarque finale de cette citation peut être interprétée depuis un double point de vue : que l’on doive être conscient de l’esprit signifie d’une part que l’on doive « être conscient de son propre esprit », être celui qui s’oppose à la simple « animalité » , c’est-à-dire (en des termes stoïciens) que l’on doive « être conscient » d’être « ni chair ni poils, mais une personne morale »[30] ; cela signifie, d’autre part, qu’on doit « être conscient de l’esprit du Père », dont la volonté est précisément ce qui donne sens et raison à la vie. D’où le fait que les prières de Wittgenstein ne soient pas seulement faites « pour ne pas se perdre », mais aussi pour que la volonté du Père soit faite. C’est donc de l’accord de l’esprit avec l’esprit du Père dont on « doit être conscient » ; et c’est également par là qu’on ne doit pas s’opposer au monde extérieur : ce serait ne pas comprendre qu’il n’y a de liberté que celle donnée par la volonté du Père – ce n’est que Lui qui donne la vie. Voilà pourquoi, selon Wittgenstein, le désaccord avec le monde tel qu’il est « ne rend pas libre » (CS 20.2.15) : puisque la volonté du Père est le principe à partir duquel il y a un monde et il y a la vie, il n’est même pas « nécessaire » à l’être humain d’avoir une volonté propre (conformément au sixième chapitre de l’Abrégé).
C’est donc une chose « indigne » que de vivre une vie dépourvue de sens ou une vie malheureuse. On pourrait ajouter : cela est indigne vis-à-vis de l’existence humaine telle que déterminée par la volonté du Père. Et il est également indigne de se perdre et de ne pas être « conscient de l’esprit ». En refusant ce « type de bonheur » on refuserait cette conscience même, s’égarant par là hors de la sécurité offerte par la volonté du Père, en vivant à la merci du hasard. C’est précisément là la chose indigne : être à la merci du malheur, quand on est libre par la volonté du Père d’être heureux. C’est là aussi où réside la faiblesse et la lâcheté marquées par Wittgenstein : être toujours à la merci de ses désirs et de ses penchants sans possibilité d’autocontrôle. On inverse ainsi la résignation : au lieu de renoncer à toute influence sur les faits du monde (et vice-versa : des faits du monde sur l’âme), on renonce à la paix intérieure en vue d’un accomplissement tout à fait passager et périssable. Et pourtant cela n’est pas effectivement le but de la vie : le but propre à l’homme est de « devenir homme », de « devenir meilleur », de vivre dans la paix intérieure et non dans la simple animalité. Ainsi, dit Wittgenstein encore : « Je ne suis qu’un vers, mais grâce à Dieu, je deviendrai un homme » (CS 4.5.16); « Dieu fasse de moi un homme meilleur »  (CS 21.5.16).
Pour Wittgenstein ce perfectionnement de l’esprit est incontestablement un devoir envers soi-même, et un devoir qui ne prend donc pas une forme simplement abstraite, mais une forme tout à fait personnelle liée à une stricte rectitude morale ; ce n’est pas pour rien qu’on doit devenir « homme », mais parce que c’est un devoir vis-à-vis du but de l’existence humaine, une fonction propre à la vraie vie de l’esprit. Ce perfectionnement moral est somme toute la seule manière de parvenir à la paix intérieure :
CS 7.10.14 – Je ne parviens toujours pas à me convaincre de faire seulement mon devoir parce que c’est mon devoir, tout en préservant toute mon humanité pour la vie de l’esprit. Je peux mourir dans une heure, je peux mourir dans deux heures, je peux mourir dans un mois ou seulement dans deux ans. Cela, je ne peux le savoir et je ne peux rien faire ni pour ni contre : c’est la vie. Comment faut-il donc que je vive pour ne pas lâcher prise en chacun de ces moments? Vivre dans le bien et dans le beau jusqu’à ce que la vie s’arrête d’elle-même.
C’est dans ce sens particulier que Wittgenstein affirme que « seule la mort donne à la vie sa signification » (CS 9.5.16) : mais non pas dans le sens selon lequel la vie n’a de signification qu’« en opposition »  à la mort. La conscience de la mort – plus ou moins imminente – éclaire le fait que la vie est la seule occasion possible vis-à-vis de l’accomplissement de son but[31]. Ainsi, cette remarque des Carnets secrets ne doit pas être prise de manière isolée, mais doit être comprise en accord avec d’autres sur le même sujet :
CS 4.5.16 – Peut-être la proximité de la mort m’apportera-t-elle la lumière de la vie.
CS 13.9.14 – Si mon heure est venue, j’espère que j’aurai une belle mort et que je penserai à moi-même. J’espère ne jamais me perdre.
CS 15.9.14 – Maintenant, la possibilité me serait donnée d’être un homme décent, car je suis face à face avec la mort. Puisse l’esprit m’illuminer.
CS 28.5.16 – Je pense au but de la vie. C’est encore ce que tu peux faire de mieux. Je devrais être plus heureux. Ah, si mon esprit était plus fort!!!
CS 20.4.16 – Dieu, fais-moi meilleur. Ainsi je serai aussi plus gai.
La manière dont la mort rend signification à la vie se fait donc par rapport à la vie elle-même, lorsque celle-là montre que l’accomplissement de la vie véritable doit se faire dans la vie vécue dans le temps présent ou bien dans l’instant même qui nous est accordé par Dieu. Et parce qu’on est d’une certaine manière toujours « face à face avec la mort »  et qu’on ne sait pas combien de temps il nous reste, « devenir homme »  ou « devenir meilleur »  (et par là devenir heureux) doit être une tâche déjà accomplie en chacun des moments de la vie à travers la manière correcte de vivre. D’où l’importance de la question de Wittgenstein : « Comment faut-il donc que je vive pour ne pas lâcher prise en chacun de ces moments? » (CS 7.10.14).

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Janyne Sattler


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[1] Entrée du 2.9.14 des Carnets secrets. Les références à l’œuvre de Wittgenstein seront signalées par le numéro du paragraphe lorsqu’il s’agit du Tractatus, et par la date d’entrée pour ce qui est des Carnets 1914-1916. Dans le cas des Carnets secrets, la date sera précédée des initiales ‘CS’. Pour toute autre citation de Wittgenstein ou d’autres auteurs, les références seront données en notes de bas de page.
[2] Selon le récit de Russell dans une lettre envoyée à Lady Ottoline, Wittgenstein aurait acheté l’œuvre de Tolstoï dans une librairie de Tarnov, tout simplement parce que c’était le seul livre disponible à la vente : « Then during the war a curious thing happened. He went on duty to the town of Tarnov in Galicia, and happened to come upon a bookshop which however seemed to contain nothing but picture postcards. However, he went inside and found that it contained just one book: Tolstoy on The Gospels. He bought it merely because there was no other. He read it and re-read it, and thenceforth had it always with him, under fire and at all times ». (McGuinness, B. (ed.) Wittgenstein in Cambridge, Letters and Documents 1911-1951, Blackwell Publishing, 2008, p.112).
[3] Cf. Monk, R. Ludwig Wittgenstein: The Duty of Genius. New York: Free Press, 1990, p.116.
[4] Cf. Philip Shields pour qui l’« influence » non seulement de Tolstoï, mais aussi d’autres auteurs plus ou moins proches de la philosophie, n’est pas directe, mais d’« esprit »: « While the majority, like St. Augustine, Kierkegaard, Tolstoy and William James, were clearly read by Wittgenstein and in some sense deeply admired by him, there generally appears to be little direct influence. It is usually more the case that Wittgenstein admired these writers because he recognized them as kindred spirits; they each expressed something Wittgenstein had independently come to feel was important. No doubt there are some strands of influence in places, but, with the possible exception of Schopenhauer, Wittgenstein’s view of religious matters seem to be fairly well developed long before we have clear evidence of his having read particular writers. » (Shields, P. R. Logic and Sin in the Writings of Ludwig Wittgenstein. Chicago: University of Chicago Press, 1993, p.07). Une autre affirmation d’influence « périphérique » provident de Walter Kaufman: « Among philosophers, Ludwig Wittgenstein, whose influence on British and American philosophy after World War II far exceeded that of any other thinker, had the profoundest admiration for Tolstoy; and when he inherited his father’s fortune, he gave it away to live simply and austerely. But his philosophy and his academic influence do not reflect Tolstoy’s impact. » (Kaufman. W. Religion from Tolstoy to Camus. New York & Evanston: Harper & Row, 1961, p.07). Selon l’hypothèse de Caleb Thompson ce genre de conclusion de la part des commentateurs pourrait être dû, entre autres choses, au fait que Tolstoï n’est pas un « penseur » ou un philosophe – d’où, par exemple: « Commentators have hesitated, however, to extend Tolstoy’s influence to Wittgenstein’s philosophy. The view may arise out of a sense that Tolstoy is unworthy as a thinker to be an influence on a philosopher so original as Wittgenstein. » (Thompson, C. « Wittgenstein, Tolstoy and the Meaning of Life. » Philosophical Investigations 20:2 April 1997, p.98). Thompson lui-même n’est pas favorable à une telle affirmation. Il établit dans son texte une comparaison (structurelle) très intéressante entre le Tractatus et Ma Confession. – Même l’analyse attentive de Cometti ne semble attribuer une teneur personnelle et « spirituelle » à l’influence de l’Abrégé sur Wittgenstein: Cometti, J.-P. La maison de Wittgenstein. Paris: Presses Universitaires de France, 1998. – L’exception parmi les commentateurs est J. D. Woodruff qui établit dans son œuvre une analogie entre ce qu’est la vie hors du temps et ce qu’est la vie de connaissance chez Tolstoï et chez Wittgenstein : Woodruff, J.D. « Tolstoy and Wittgenstein: The Life Outside of Time ». The Southern Journal of Philosophy, 2002, vol. 40, No. 3, p.421-435.
[5] Évidement, il n’est pas unanime que le Tractatus ait un « contenu », et c’est la raison pour laquelle je mets le terme entre guillemets. D’après les critères de l’œuvre, il est manifeste que ce contenu ne peut pas être descriptif, mais qu’il peut certainement être montré.
[6] Dans le cas du Tractatus cela expliquerait le statut même de l’œuvre par rapport à la métaphore de l’échelle (6.54): le livre ne serait nécessaire que pour l’établissement de la manière (logiquement et moralement) correcte de voir de monde, après quoi il devrait être écarté comme n’importe qu’elle œuvre de la philosophie-métaphysique.
[7] C’est la raison pour laquelle, dit Wittgenstein, on se tourne plutôt vers le mystique: 25.5.15 – « La tendance vers le mystique vient de ce que la science laisse nos désirs insatisfaits. Nous sentons que, lors même que toutes les questions scientifiques possibles sont résolues, notre problème n’est pas encore abordé. »
[8] Et pour l’affirmation contraire: 6.44 – « Ce n’est pas comment est le monde qui est le mystique, mais qu’il soit. »
[9] Voir ci-dessus la version des Carnets 1914-1916 pour cet extrait à l’entrée du 25.5.15.
[10] 4.111 – « La philosophie n’est pas une science de la nature. (Le mot « philosophie » doit signifier quelque chose qui est au-dessus ou au-dessous de sciences de la nature, mais pas à leur côté.) »
[11] Cf. le paragraphe du Tractatus qui « définit » la tâche de la philosophie: 4.112 – « Le but de la philosophie est la clarification logique des pensées. La philosophie n’est pas une théorie mais une activité. Une œuvre philosophique se compose essentiellement d’éclaircissements. Le résultat de la philosophie n’est pas de produire des « propositions philosophiques », mais de rendre claires les propositions. La philosophie doit rendre claires, et nettement délimitées, les propositions qui autrement sont, pour ainsi dire, troubles et confuses. »
[12] On trouve de nouveau les mêmes raisons dans la Conférence sur l’éthique, également datée d’une dizaine d’années plus tard. Les deux métaphores suivantes montrent bien l’incapacité du langage à contenir une valeur absolue ou bien ce qui est « le plus haut » (6.432): « Il me semble évident que rien de ce que nous pourrions jamais penser ou dire ne pourrait être cette chose, l’éthique; que nous ne pouvons pas écrire un livre scientifique qui traiterait d’un sujet intrinsèquement sublime et d’un niveau supérieur à tous autres sujets. Je ne puis décrire mon sentiment à ce propos que par cette métaphore: si un homme pouvait écrire un livre sur l’éthique qui fût réellement un livre sur l’éthique, ce livre, comme une explosion, anéantirait tous les autres livres de ce monde. » (Wittgenstein, L. « Conférence sur l’éthique ». In Leçons et conversations sur l’esthétique, la psychologie et la croyance religieuse, Éditions Gallimard, 2000. p.147); « Nos mots, tels que nous les employons en science, sont des vaisseaux qui ne sont capables que de contenir et de transmettre signification et sens – signification et sens naturels. L’éthique, si elle existe, est surnaturelle, alors que nos mots ne veulent exprimer que des faits; comme une tasse à thé qui ne contiendra jamais d’eau que la valeur d’une tasse, quand bien même j’y verserais un litre d’eau. » (Ibid.) – Et on trouve la même teneur critique chez Tolstoï : « Et je compris que ces sciences étaient très intéressantes, très attirantes, mais que leur précision et leur clarté étaient inversement proportionnelles a leur possibilité de s’appliquer aux questions de la vie : moins elles étaient applicables aux questions de la vie, et plus elles étaient précises et claires, plus elles essayaient d’y répondre, et plus elles devenaient floues et dépourvues d’attrait. S’adressait-on aux disciplines qui tentaient de donner des réponses aux questions de la vie : physiologie, psychologie, biologie, sociologie – on y trouvait une indigence de pensée consternante, un total manque de clarté, des prétentions absolument injustifiées a résoudre des questions qui se trouvent hors de leur champ et des contradictions incessantes entre penseurs et dans les propos de chaque penseur ». (Tolstoï, L. Confession. Paris: Pygmalion, 1998, section V).
[13] Wittgenstein, L. Wittgenstein et le Cercle de Vienne. Mauvezin: Trans-Europ-Repress, 1991 p.90-91.
[14] Tolstoï, L. Confession. Paris: Pygmalion, 1998, section III.
[15] Idem, section V.
[16] Je n’ai pas ici la prétention de répondre à chacune de ces questions en détails (ce qui a été fait ailleurs: Sattler, J. Non-sens et stoïcisme dans le Tractatus Logico-Philosophicus, thèse de Doctorat, Université du Québec à Montréal, 2011), mais de ne donner qu’une réponse générale, et donc, brève, à l’ensemble de la discussion.
[17] Tolstoï, L. Confession. Paris: Pygmalion, 1998, section V.
[18] Tolstoï, L. Confession. Paris: Pygmalion, 1998, section V.
[19] Beaucoup plus que les « thèses positives » à l’égard de l’éthique et de la religion, c’est en effet là le point de contact souligné par certains commentateurs entre Wittgenstein et Tolstoï. Ainsi, pour Jeff Love, Tolstoï aurait inspiré chez Wittgenstein la même méfiance qu’envers la philosophie et le langage: « Tolstoy’s influence on Wittgenstein seems to have been pervasive. Wittgenstein carried Tolstoy’s Gospel in Brief with him everywhere during the First World War and credited it with “saving him.” But the exact contours of that influence are hard to define. Tolstoy’s ethical concerns and praise of simplicity seem to have made a deep impression on the young Wittgenstein, who belonged to a very wealthy Viennese family. Yet it is Tolstoy’s concern with the limits of language, with the possibility of achieving knowledge of the most important things through language, that seems to have had a more durable impact. Indeed, as I noted, Wittgenstein’s formidable mistrust of philosophy as a way of coming to terms with the world has much in common with Tolstoy: both Tolstoy and Wittgenstein cast doubt on the efficacy of philosophy, on the resources available to the latter to effect change, to address questions that may bring about a new orientation to the world. » (Love, J. A Guide for the Perplexed. London, New York: Continuum Publishing, 2008, p.151). – Thompson, pour sa part, met le Tractatus et Ma Confession en correspondence selon les traits communs suivants: « What we see then if we place the Tractatus and A Confession alongside of one another is a cluster of shared ideas. (1) Philosophy is not science. (2) Philosophy is an activity of clarification. (3) That clarification allows us to see what sentences have meaning, what sentences are coherent but contentless uses of symbolism (tautology) and what senses are constructions to which no clear meaning has been given (nonsense). And (4) this clarification does not depend upon any special technical knowledge; it simply engages our native abilities. » (Thompson, C. « Wittgenstein, Tolstoy and the Meaning of Life. » Philosophical Investigations 20:2 April 1997, p.98).
[20] Tolstoï, L. Confession. Paris: Pygmalion, 1998, section IX – Cf. dans ce sens le paragraphe 6.4312 du Tractatus: « La solution de l’énigme de la vie dans le temps et dans l’espace se trouve en dehors de l’espace et du temps. »
[21] Tolstoï, L. Abrégé de l’Évangile. Paris: Éditions Klincksieck, 1969, p.16.
[22] Idem, p.30.
[23] Sans pouvoir ici m’attarder à une approche détaillée de ce qu’est le « stoïcisme », je voudrais seulement souligner que le Christianisme de Tolstoï semble porter aussi une teneur stoïcienne dans sa quête de l’apaisement de l’âme. Cet aspect de la tranquillité de l’âme est ce qui le caractérise essentiellement à travers l’accomplissement d’une vie pleinement vertueuse. Dans ce qui suit une telle approche ne sera pourtant qu’implicite.
[24] Cf. aussi 8.7.16 – « La crainte de la mort est le meilleur signe d’une vie fausse, c’est-à-dire mauvaise. »
[25] Bonheur et malheur ne se rapportent alors au bien et au mal qu’en relation à la bonne ou à la mauvaise volonté, et c’est pour cette raison que Wittgenstein ajoute à « je suis heureux ou malheureux, c’est tout » la phrase: « il n’y a ni bien ni mal » (8.7.16). Certes, il n’y a ni bien ni mal « en soi » ou dans le monde. – Je ne peux pas ici trop m’attarder au concept (sans doute très important) de sujet du vouloir, mais on doit certainement le comprendre sous une influence schopenhauerienne: le sujet ne se trouve pas dans le monde, mais est limite du monde et en tant que tel tout ce qui peut vraiment être changé par l’attitude morale correcte vis-à-vis du monde (contingent) des faits.
[26] Tolstoï, L. Abrégé de l’Évangile. Paris: Éditions Klincksieck, 1969.
[27] Idem, p.124.
[28] Idem, p.132.
[29] C’est parce que Wittgenstein a une conception très particulière de Dieu et du « Christianisme », par le biais justement de Tolstoï, que le « Dieu Père » n’est pas moins identifié au « Destin » et au « monde en sa totalité ». Il ne s’agit donc pas d’une conception typique et traditionnelle – en conformité avec « les savants de l’Église » – de Dieu. C’est en effet par là que ce « type de bonheur » s’accorde finalement avec le point de vue solipsiste du Tractatus, vu que le sujet est ce point sans extension auquel s’accorde toute la réalité (5.64).
[30] Épictète, 2004, III, 1, 40. – Cela n’est pas sans rappeler la distinction faite par Wittgenstein entre la vie de l’esprit et la vie « physique ou psychologique »: « Le monde et la vie ne font qu’un. La vie physiologique n’est naturellement pas « la vie ». Pas plus que la vie psychologique. La vie est le monde. » (24.7.16). Ici, la « vie » qui s’identifie au monde est assurément la vie du sujet du vouloir en tant que limite; et « monde » ne signifie clairement pas le « monde des faits », mais précisément la « totalité du monde » (6.45).
[31] Une compréhension qui dépasse ainsi la mise en question de sa propre existence: il ne s’agit pas de tout considérer sous la menace de la mort. On dépasse donc la question même pour le sens de la vie telle que posée par Tolstoï: «  Est-il dans ma vie un sens qui ne soit détruit par l’inévitable mort qui m’attend ?  » (Tolstoï, L. Confession. Paris: Pygmalion, 1998, section V).



implications-philosophiques 

12 mai 2016



Dear God, I cannot love Thee the way I want to. You are the slim crescent of a moon that I see and my self is the earth’s shadow that keeps me from seeing all the moon. The crescent is very beautiful and perhaps that is all one like I am should or could see; but what I am afraid of, dear God, is that my self shadow will grow so large that it blocks the whole moon, and that I will judge myself by the shadow that is nothing.


I do not know you God because I am in the way. Please help me to push myself aside.

I want very much to succeed in the world with what I want to do. I have prayed to You about this with my mind and my nerves on it and strung my nerves into a tension over it and said, “oh God, please,” and “I must,” and “please, please.” I have not asked You, I feel, in the right way. Let me henceforth ask You with resignation—that not being or meant to be a slacking up in prayer but a less frenzied kind, realizing that the frenzy is caused by an eagerness for what I want and not a spiritual trust. I do not wish to presume. I want to love.

Oh God please make my mind clear.

Please make it clean.

I ask You for a greater love for my holy Mother and I ask her for a greater love for You.

Please help me to get down under things and find where You are.

I do not mean to deny the traditional prayers I have said all my life; but I have been saying them and not feeling them. My attention is always very fugitive. This way I have it every instant. I can feel a warmth of love heating me when I think & write this to You. Please do not let the explanations of the psychologists about this make it turn suddenly cold. My intellect is so limited, Lord, that I can only trust in You to preserve me as I should be.



Please let Christian principles permeate my writing and please let there be enough of my writing (published) for Christian principles to permeate. I dread, oh Lord, losing my faith. My mind is not strong. It is a prey to all sorts of intellectual quackery. I do not want it to be fear which keeps me in the Church. I don’t want to be a coward, staying with You because I fear hell. I should reason that if I fear hell, I can be assured of the author of it. But learned people can analyze for me why I fear hell and their implication is that there is no hell. But I believe in hell. Hell seems a great deal more feasible to my weak mind than heaven. No doubt because hell is a more earthly-seeming thing. I can fancy the tortures of the damned but I cannot imagine the disembodied souls hanging in a crystal for all eternity praising God. It is natural that I should not imagine this. If we could accurately map heaven some of our up-&-coming scientists would begin drawing blueprints for its improvement, and the bourgeois would sell guides 10¢ the copy to all over sixty-five. But I do not mean to be clever although I do mean to be clever on 2nd thought and like to be clever & want to be considered so. But the point more specifically here is, I don’t want to fear to be out, I want to love to be in; I don’t want to believe in hell but in heaven. Stating this does me no good. It is a matter of the gift of grace. Help me to feel that I will give up every earthly thing for this. I do not mean becoming a nun.



My dear God, how stupid we people are until You give us something. Even in praying it is You who have to pray in us. I would like to write a beautiful prayer but I have nothing to do it from. There is a whole sensible world around me that I should be able to turn to Your praise; but I cannot do it. Yet at some insipid moment when I may possibly be thinking of floor wax or pigeon eggs, the opening of a beautiful prayer may come up from my subconscious and lead me to write something exalted. I am not a philosopher or I could understand these things.


If I knew all of myself dear God, if I could discover everything in me pedantic egocentric, in any way insincere, what would I be then? But what would I do about those feelings that are now fear, now joy, that lie too deep to be touched by my understanding. I am afraid of insidious hands Oh Lord which grope into the darkness of my soul. Please be my guard against them. Please be the Cover at the top of the passage. Am I keeping my faith by laziness, dear God? But that is an idea that would appeal to someone who could only think.



My dear God, I do not want this to be a metaphysical exercise but something in praise of God. It is probably more liable to being therapeutical than metaphysical, with the element of self underlying its thoughts. Prayers should be composed I understand of adoration, contrition, thanksgiving, and supplication and I would like to see what I can do with each without writing an exegesis. It is the adoration of You, dear God, that most dismays me. I cannot comprehend the exaltation that must be due You. Intellectually, I assent: let us adore God. But can we do that without feeling? To feel, we must know. And for this, when it is practically impossible for us to get it ourselves, not completely, of course, but what we can, we are dependent on God. We are dependent on God for our adoration of Him, adoration, that is, in the fullest sense of the term. Give me the grace, dear God, to adore You, for even this I cannot do for myself. Give me the grace to adore You with the excitement of the old priests when they sacrificed a lamb to You. Give me the grace to adore You with the awe that fills Your priests when they sacrifice the Lamb on our altars. Give me the grace to be impatient for the time when I shall see You face to face and need no stimulus than that to adore You. Give me the grace, dear God, to see the bareness and the misery of the places where You are not adored but desecrated.



Dear God, I am so discouraged about my work. I have the feeling of discouragement that is. I realize I don’t know what I realize. Please help me dear God to be a good writer and to get something else accepted. That is so far from what I deserve, of course, that I am naturally struck with the nerve of it. Contrition in me is largely imperfect. I don’t know if I’ve ever been sorry for a sin because it hurt You. That kind of contrition is better than none but it is selfish. To have the other kind, it is necessary to have knowledge, faith extraordinary. All boils down to grace, I suppose. Again asking God to help us be sorry for having hurt Him. I am afraid of pain and I suppose that is what we have to have to get grace. Give me the courage to stand the pain to get the grace, Oh Lord. Help me with this life that seems so treacherous, so disappointing.



Dear God, tonight it is not disappointing because you have given me a story. Don’t let me ever think, dear God, that I was anything but the instrument for Your story—just like the typewriter was mine. Please let the story, dear God, in its revisions, be made too clear for any false & low interpretation because in it, I am not trying to disparage anybody’s religion although when it was coming out, I didn’t know exactly what I was trying to do or what it was going to mean. I don’t know now if it is consistent. Please don’t let me have to scrap the story because it turns out to mean more wrong than right—or any wrong. I want it to mean that the good in man sometimes shows through his commercialism but that it is not the fault of the commercialism that it does.

Perhaps the idea would be that good can show through even something that is cheap. I don’t know. But dear God, I wish you would take care of making it a sound story because I don’t know how, just like I didn’t know how to write it but it came. Anyway it all brings me to thanksgiving, the third thing to include in prayer. When I think of all I have to be thankful for I wonder that You don’t just kill me now because You’ve done so much for me already & I haven’t been particularly grateful. My thanksgiving is never in the form of self sacrifice—a few memorized prayers babbled once over lightly. All this disgusts me in myself but does not fill me with the poignant feeling I should have to adore You with, to be sorry with or to thank You with. Perhaps the feeling I keep asking for is something again selfish—something to help me to feel that everything with me is all right. And yet it seems only natural but maybe being thus natural is being thus selfish. My mind is a most insecure thing, not to be depended on. It gives me scruples at one minute & leaves me lax the next. If I must know all these things through the mind, dear Lord, please strengthen mine.



My dear God, Supplication. This is the only one of the four I am competent in. It takes no supernatural grace to ask for what one wants and I have asked You bountifully, oh Lord. I believe it is right to ask You too and to ask our Mother to ask You, but I don’t want to overemphasize this angle of my prayers. Help me to ask You, oh Lord, for what is good for me to have, for what I can have and do Your service by having.

I have been reading Mr. Kafka and I feel his problem of getting grace. But I see it doesn’t have to be that way for the Catholic who can go to Communion every day. The Msgr. today said it was the business of reason, not emotion—the love of God. The emotion would be a help. I realized last time that it would be a selfish one. Oh dear God, the reason is very empty. I suppose mine is also lazy. But I want to get near You. Yet it seems almost a sin to suggest such a thing even. Perhaps Communion doesn’t give the nearness I mean. The nearness I mean comes after death perhaps. It is what we are struggling for and if I found it either I would be dead or I would have seen it for a second and life would be intolerable. I don’t know about this or anything. It sounds puerile my saying anything so obvious.



My dear God, to keep myself on a course, I am going to consider Faith, Hope, and Charity. Now Faith. Of the three, this gives me the most mental pain. At every point in this educational process, we are told that it is ridiculous and the arguments sound so good it is hard not to fall into them. The arguments might not sound so good to someone with a better mind; but my mental trappings are as they are, and I am always on the brink of assenting—it is almost a subconscious assent. Now how am I to remain faithful without cowardice when these conditions influence me like they do. I can’t read the particular depths of myself that say something about this. There is something down there that is feeling—it is under the subconscious assent—in a certain way about this. It may be that which is holding me in. Dear God, please let it be that instead of that cowardice the psychologists would gloat so over & explain so glibly. And please don’t let it be what they so jubilantly call water-tight compartments. Dear Lord, please give the people like me who don’t have the brains to cope with that, please give us some kind of weapon, not to defend us from them but to defend us from ourselves after they have got through with us. Dear God, I don’t want to have invented my faith to satisfy my weakness. I don’t want to have created God to my own image as they’re so fond of saying. Please give me the necessary grace, oh Lord, and please don’t let it be as hard to get as Kafka made it.



Dear God, About hope, I am somewhat at a loss. It is so easy to say I hope to—the tongue slides over it. I think perhaps hope can only be realized by contrasting it with despair. And I am too lazy to despair. Please don’t visit me with it, dear Lord, I would be so miserable. Hope, however, must be something distinct from faith. I unconsciously put it in the faith department. It must be something positive that I have never felt. It must be a positive force, else why the distinction between it and faith? I would like to order things so that I can feel all of a piece spiritually. I don’t suppose I order things. But all my requests seem to melt down to one for grace—that supernatural grace that does what ever it does. My mind is in a little box, dear God, down inside other boxes inside other boxes and on and on. There is very little air in my box. Dear God, please give me as much air as it is not presumptuous to ask for. Please let some light shine out of all the things around me so that I can. What it amounts to I suppose is be selfish. Is there no getting around that, dear God? No escape from ourselves? Into something bigger? Oh dear God I want to write a novel, a good novel. I want to do this for a good feeling & for a bad one. The bad one is uppermost. The psychologists say it is the natural one. Let me get away dear God from all things thus “natural.” Help me to get what is more than natural into my work—help me to love & bear with my work on that account. If I have to sweat for it, dear God, let it be as in Your service. I would like to be intelligently holy. I am a presumptuous fool, but maybe the vague thing in me that keeps me in is hope.



Dear God, In a way I got a good punishment for my lack of charity to Mr. Rothburg [a fellow workshop student] last year. He came back at me today like a tornado which while it didn’t hurt me too much yet ruined my show. All this is about charity. Dear Lord please make my mind vigilant about that. I say many many too many uncharitable things about people everyday. I say them because they make me look clever. Please help me to realize practically how cheap this is. I have nothing to be proud of yet myself. I am stupid, quite as stupid as the people I ridicule. Please help me to stop this selfishness because I love you, dear God.



How can I live—how shall I live. Obviously the only way to live right is to give up everything. But I have no vocation & maybe that is wrong anyway. But how eliminate this picky fish bone kind of way I do things—I want so to love God all the way. At the same time I want all the things that seem opposed to it—I want to be a fine writer. Any success will tend to swell my head—unconsciously even. If I ever do get to be a fine writer, it will not be because I am a fine writer but because God has given me credit for a few of the things He kindly wrote for me. Right at present this does not seem to be His policy. I can’t write a thing. But I’ll continue to try—that is the point. And at every dry point I will be reminded Who is doing the work when it is done & Who is not doing it at that moment. Right now I wonder if God will ever do any more writing for me. He has promised His grace; I am not so sure about the other. Perhaps I have not been thankful enough for what has gone before.

The desires of the flesh—excluding the stomach—have been taken away from me. For how long I don’t know but I hope forever. It is a great peace to be rid of them.

Can’t anyone teach me how to pray?



No one can be an atheist who does not know all things. Only God is an atheist. The devil is the greatest believer & he has his reasons.



The majesty of my thoughts this evening! Do all these things read alike as they seem to? They all send a faint nausea through me—albeit they were sincere at the time & I recant none of my articles of faith. This evening I picture theoretically myself at seventy saying it’s done, it’s finished, it’s what it is, & being no nearer than I am. This moral turpitude at seventy won’t be tolerable. I want a revolution now, a mild revolution, something that will put an even 20th cen. asceticism into me at least when I pass the grocery.

The intellectual & artistic delights God gives us are visions & like visions we pay for them; & the thirst for the vision doesn’t necessarily carry with it a thirst for the attendant suffering. Looking back I have suffered, not my share, but enough to call it that but there’s a terrific balance due.



To maintain any thread in the novel there must be a view of the world behind it & the most important single item under this view of world is conception of love—divine, natural, & perverted. It is probably possible to say that when a view of love is present—a broad enough view—no more need be added to make the world view.

Freud, Proust, Lawrence have located love inside the human & there is no need to question their location; however, there is no need either to define love as they do—only as desire, since this precludes Divine love, which, while it too may be desire, is a different kind of desire—Divine desire—and is outside of man and capable of lifting him up to itself. Man’s desire for God is bedded in his unconscious & seeks to satisfy itself in physical possession of another human. This necessarily is a passing, fading attachment in its sensuous aspects since it is a poor substitute for what the unconscious is after. The more conscious the desire for God becomes, the more successful union with another becomes because the intelligence realizes the relation in its relation to a greater desire & if this intelligence is in both parties, the motive power in the desire for God becomes double & gains in becoming God-like. The modern man isolated from faith, from raising his desire for God into a conscious desire, is sunk into the position of seeing physical love as an end in itself. Thus his romanticizing it, wallowing in it, & then cynicizing it. Or in the case of the artist like Proust of his realizing that it is the only thing worth life but seeing it without purpose, accidental, and unsatisfying after desire has been fulfilled. Proust’s conception of desire could only be that way since he makes it the highest point of existence—which it is—but with nothing supernatural to end in. It sinks lower & lower in the unconscious, to the very pit of it, which is hell. Certainly hell is located in the unconscious even as the desire for God is. The desire for God may be in a superconsciousness which is unconscious. Satan fell into his libido or his id whichever is the more complete Freudian term.

Perversion is the end result of denying or revolting against supernatural love, descending from the unconscious superconscious to the id. Where perversion is disease or result of disease, this does not apply since no free will operates. The sex act is a religious act & when it occurs without God it is a mock act or at best an empty act. Proust is right that only a love which does not satisfy can continue. Two people can remain “in love”—a phrase made practically useless by stinking romanticism—only if their common desire for each other unites in a greater desire for God—i.e., they do not become satisfied but more desirous together of the supernatural love in union with God. My God, take these boils & blisters & warts of sick romanticism.



Dear Lord, please make me want You. It would be the greatest bliss. Not just to want You when I think about You but to want You all the time, to think about You all the time, to have the want driving in me, to have it like a cancer in me. It would kill me like a cancer and that would be the Fulfillment. It is easy for this writing to show a want. There is a want but it is abstract and cold, a dead want that goes well into writing because writing is dead. Writing is dead. Art is dead, dead by nature, not killed by unkindness. I bring my dead want into the place the dead place it shows up most easily, into writing. This has its purpose if by God’s grace it will wake another soul; but it does me no good. The “life” it receives in writing is dead to me, the more so in that it looks alive—a horrible deception. But not to me who knows this. Oh Lord please make this dead desire living, living in life, living as it will probably have to live in suffering. I feel too mediocre now to suffer. If suffering came to me I would not even recognize it. Lord keep me. Mother help me.



What I am asking for is really very ridiculous. Oh Lord, I am saying, at present I am a cheese, make me a mystic, immediately. But then God can do that—make a mystic out of cheeses. But why should He do it for an ingrate slothful & dirty creature like me. I can’t stay in the church to say a Thanksgiving even and as for preparing for Communion the night before—thoughts all elsewhere. The Rosary is mere rote for me while I think of other and usually impious things. But I would like to be a mystic and immediately. But dear God please give me some place, no matter how small, but let me know it and keep it. If I am the one to wash the second step everyday, let me know it and let me wash it and let my heart overflow with love washing it. God loves us, God needs us. My soul too. So then take it dear God because it knows that You are all it should want and if it were wise You would be all it would want and the times it thinks wise. You are all it does want, and it wants more and more to want You. Its demands are absurd. It’s a moth who would be king, a stupid slothful thing, a foolish thing, who wants God, who made the earth, to be its Lover. Immediately.

If I could only hold God in my mind. If I could only always just think of Him.



My thoughts are so far away from God. He might as well not have made me. And the feeling I egg up writing here lasts approximately a half hour and seems a sham. I don’t want any of this artificial superficial feeling stimulated by the choir. Today I have proved myself a glutton—for Scotch oatmeal cookies and erotic thought. There is nothing left to say of me.