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24 juin 2020

Interprétation
de Michelstaedter






MASSIMO CACCIARI DRÂN




Dans la culture d'Europe Centrale du début de ce siècle, l'œuvre de Carlo Michelstaedter représente un des pôles ou plutôt une des lignes-frontière qui la circonscrivent entièrement. En effet, il ne s'agit pas d'une simple expérience dans le cadre de cette culture, mais précisément de son acmé : tout aussi profondément enracinée dans les problèmes qui la travaillent, qu'elle est extraordinaire par la forme et la radicalité avec laquelle elle affronte ces problèmes et les «combat». Une affinité profonde — presque une «harmonie cachée» — relie — au-delà des différences récurrentes de contenu et de méthode de recherche — toutes ces voix de la génération des années quatre-vingt qui, au cours de la décennie précèdant la Grande Guerre, s'expriment en des œuvres où se mêlent l'enthousiasme de la jeunesse, la géniale solitude dont elle est seule capable quelquefois, au douloureux désenchantement, à l'adieu, au renoncement propre à une maturité plus sobre et plus lucide. Ce «ton» suffirait déjà à expliquer leur prédilection commune pour cet archétype de toute «métaphysique de la jeunesse» contemporaine que représente Le Monde de Schopenhauer. Amitié, oui, philotès, de fait, entre l'Ibsen de Slataper et L'Ame et les formes de Lukács, entre Wittgenstein et Michelstaedter, mais aussi profonde inimitié, neikos ; sur une trame analogue de rapports, de références, et plus encore: sur la base d'un ethos commun, libre de tout compromis, de toute mesotès, se font jour des choix irréductibles, des positions théorétiques violemment contrastées (qui par elles seules suffiraient à liquider cette image d'opérette de la finis Austriae commercialisée au cours de ces dernières années par d'innombrables «spectacles»). Amitié, oui, mais amitié stellaire.
Trois œuvres, selon moi, émergent de ce contexte comme œuvres-frontière, capables d'en «orienter» l'interprétation globale: L'Ame et les formes du jeune Lukács, qui paraît à Budapest en 1910 et l'année suivante en traduction allemande à Berlin; La persuasion et la rhétorique de Michelstaedter, dont les appendices critiques furent achevées le 16 octobre 1910, la veille même du suicide de l'auteur; le Tractatus de Wittgenstein, terminé, comme on le sait, à Vienne en 1918, et publié seulement en 1922 (l'année même de la première édition complète de la Persuasion), mais dont les idées fondamentales semblent être définies dès 1912-1913. Années qui coïncident avec les premiers livres de Kafka. Commune, l'origine juive: un judaïsme qui, bien qu'«assimilé», pose encore problème, est encore interrogé, et n'apparaît pas comme une donnée biographique, mais plutôt comme une «puissance» de l'œuvre. Et comme on le verra, nous pouvons même déjà entrevoir à proximité, l'Étoile de la rédemption de Rosenzweig. OEuvres en tension, en opposition — mais qui justement grâce à une telle opposition réciproque peuvent être pleinement comprises dans leur irréductible individualité.
Commun, le refus de la «culture esthétique» que Lukács, en 1910, définit ainsi dans l'essai portant ce même titre: «Il existait un centre: le caractère périphérique du tout. Toute chose avait acquis une valeur symbolique: le fait même que rien n'était symbolique, que tout n'était que ce qu'il semblait être dans l'instant où il avait été vécu (...) rien en effet n'existait qui ne puisse s'élever au-delà des instants singulièrement vécus. Il existait un rapport entre les hommes: l'entière solitude, l'absence totale de tout rapport». L'unité de la «culture esthétique» consiste en son manque d'unité. Où qu'il porte le regard, l'esthète n'est frappé que par sa propre impression. Aucune chose n'est véritablement res pour lui, rien qui n'ait une existence propre, une vie propre. Pour l'esthète — tout comme pour la vana curiositas du spécialiste — le monde et le moi oscillent dans l'éternelle insecuritas de la Stimmung, de l'état d'âme, de l'Einfühlung. Dans l'idée de «culture esthétique» convergent des courants multiples et dominants de la culture européenne de cette fin de siècle: si l'impressionnisme s'avère en être quasiment l'origine (et Lukács, tout comme d'autres, opposera à l'impressionnisme, un Cézanne, un Van Gogh ou un Gauguin), trouvent place en son sein tant le psychologisme d'inspiration machienne (contre lequel réagira puissamment la phénoménologie de Husserl), que toute forme de «naturalisme de l'âme» (fût-elle de caractère symboliste ou, plus tard, expressionniste), et l'interminable cortège des déformations vitalistes de la dura lectio nietzschéenne. C'est surtout à ces dernières que semble se référer Michelstaedter lorsque, dans le Dialogue de la morale et de l'esthétique héroïque, il pose la «question esthétique»: devant la décadence glorifiant l'«élan éternel», «les forces vives de la nature», la «beauté» de l'«orgie dionysiaque», Michelstaedter prend le masque du «consciencieux employé de Dame raison» pour démontrer l'infranchissable aporie de cette prétendue «vie supérieure», de sa prétendue «autonomie» par rapport aux schémas éculés de la tradition. Dans le grand Dialogue de la santé (1910) le monde de l'esthétique apparaît comme le monde de l'insatiabilité et du manque: ce n'est pas toi qui possèdes les choses en lui, mais les choses (que tu crois avoir pleinement «consommé» dans ton impression, dans la puissance «dionysiaque» de ta vie) qui te possèdent. Constamment tu en dépends : tu t'affirmes seulement dans la mesure où insatiablement tu en fais consommation. Celui qui élève au statut de vérité l'absence de vérité et à celui de centre la disparition du centre; celui qui, sur aucune chose peut fixer son regard, et par aucune chose peut être regardé, n'est pas l'homme libre, mais l'esclave entre tous: il dépend à chaque instant du jeu des apparences et des événements dans leur être fugitif, il ne peut qu'en suivre les «insatiables» transformations. Un profond pathos de la vérité, le sens d'une responsabilité absolue de la pensée et de l'écriture, unissent Lukács, Michelstaedter et Wittgenstein. Comme l'Ibsen, ou le Tolstoï dont parle Michelstaedter (tout comme Slataper à cette même époque; sans oublier que Tolstoï est aussi l'«étoile fixe» de Wittgenstein), ils ne se contentent pas d'«exprimer les sensations superficielles de leur âme» mais crient au visage de la foule: «Vérité! Vérité!» (O., p. 653-654).
Mais quelle Vérité? A ce point, les voies divergent. Ici la «métaphysique de la jeunesse» s'avère complexio oppositorum; et surgit alors le caractère extraordinaire de l'œuvre de Michelstaedter. La réponse du jeune Lukács à la crise de toute Kultur unitaire se concentre sur le problème de la forme de l'essai. L'écrit qui lui est consacré — la fameuse «lettre» à son ami Leo Popper, écrite justement à Florence, l'année même de la mort de Michelstaedter — sert d'introduction au recueil de L'Ame et les formes. Nous pourrions définir l'essai lukácsien comme une version «trauerspiel», dramatico-douloureuse, de l'essai simmelien (théorisé en particulier dans le bref et lumineux écrit de 1909: Pont et porte): pour ce dernier, l'impossibilité de reconstituer le cadre d'une culture «symbolique» ressort encore, «positivement», dans la relativisation réciproque — et donc, l'inséparabilité — du moment de l'union et de celui de la dissolution ou de la «crise». L'essai simmelien est encore pensé dialectiquement, comme la forme contemporaine spécifique de la pensée dialectique, comme forme non systématique de cette même dialectique. Au contraire, l'inspiration fondamentale de l'essai lukácsien semble plutôt kantienne — pleine de cette paradoxale radicalisation de la dimension éthique, déjà dominante dans l'œuvre d'un Weininger, qu'il serait nécessaire d'intégrer au cadre de notre recherche. L'essai ne représente pas ici l'équilibre inquiet entre «solve» et «conjunge», mais la position de celui qui «possède» le centre sous la forme de l'éloignement infranchissable: l'essai qui «tourne» autour de son feu, le comprend dans la mesure même où il en est inexorablement séparé. La vérité c'est l'idée (justement au sens kantien) de l'essai. Il ne «simulera» pas pour autant une composition, une union, mais devra de manière accomplie montrer justement l'infranchissable distance qui sépare de la vérité — en se faisant, par cela même, le gardien de l'idée. L'essai ne s'apaise pas dans quelqu'impressionnisme ou relativisme que ce soit — il montre la vérité, mais précisément comme absence. L'essai ne «renonce» pas à ce qui lui est propre — mais justement parce qu'il l'aime absolument, il ne pourra jamais objectivement le posséder.
La position de Michelstaedter est, au contraire, métaphysiquement opposée à toute idée d'essai (et, de ce point de vue, elle est analogue à celle de Wittgenstein). Les raisons de cette opposition ne pourront s'éclairer qu'en avançant dans l'interprétation de la Persuasion et la Rhétorique, en ce qu'elles coïncident avec les fondements mêmes de la pensée de Michelstaedter. Par essence, l'essai, quelque forme d'essai que ce soit, est une interminable interprétation, jamais persuadée ; l'essai est éternelle «attente» du feu du texte, qu'il garde pourtant, mais jamais, en son temps, ne pourra se donner le kairos qui fait «demeurer stable», «résister» (PR, p. 70 [71]), le kairos11 de l'«actuelle possession» (PR, p. 71 [72]) du présent, «ergôn akmé» (selon les mots de Sophocle, cités par Michelstaedter, p. 72 [id.]): point culminant de toutes les œuvres et dans lequel tout dis-courir se tait.
Comment exprimer une telle acmé? C'est vers la parole de la sophia que Michelstaedter se tourne. Ce «retour» à la Grécité présente des traits extraordinaires — il est absolument aux antipodes de celui de l'idéalisme classique, mais apparaît aussi radicalement «polémique» au regard de la vision nietzschéenne du classique. Le premier a un «texte sacré» (l'expression est de Hegel): le Parménide de Platon, lequel est le texte «maudit» de Michelstaedter. Le second (qui maintient des rapports essentiels avec le premier: il suffirait de penser à l'interprétation presque commune de Héraclite) dissout dans la forme tragique de sa dialectique à la fois le problème de la Vérité et de la Persuasion. L'acmé de Michelstaedter s'exprime au nom d'une sophia parménidienne, dont la vérité contredit tragiquement la voie des mortels à deux têtes, des mortels qui dis-courent dans l'onomazein, qui dépendent de ce temps-chronos de la succession, celui-là même du discours et de ses noms. Il s'agit — je le répète — d'un «retour au classique» in-ouï pour la culture européenne de l'entre-deux siècles (et toto caelo différent de celui implicite dans l'essayisme, fut-il lukácsien, qui porte sur l'idée platonicienne d'Eros, et tient le Banquet pour son «texte» en propre). Ce qui chez Parménide «foudroie» Michelstaedter est l'affirmation nette, dépourvue de clair-obscur, immobile (»la nécessité pour les hommes est justement le déplacement: ni blanc, ni noir, mais gris, ils sont et ils ne sont pas, ils connaissent et ne connaissent pas: la pensée devient «. PR, p. 99 [102]), du caractère in-intentionnel de la vérité. Ceci distingue Michelstaedter aussi de la «Philosophie als strenge Wissenschaft» de Husserl (notons que le «programme» husserlien qui porte ce titre paraît dans «Logos» en 1910-1911), «remémorisation» radicale, par contre, de la tradition cartésienne. La rigueur de la philosophie ne peut être définie sur la base du fundamentum inconcussum du Cogito — car Cogito ne signifie pas je sais, mais «je cherche à savoir: autrement dit, le savoir me fait défaut: je ne sais pas « (PR, p. 99 [102]). Le Cogito caractérise l'être amphibie de la philosophie, en tant que devenir connaissance et donc toujours vide dans le présent, toujours attention du futur. Si Cogito est ce penser qui attend, qui est attentionné, qui ne possède vraiment aucun présent, je ne pourrai jamais en conclure, me fondant sur lui, que je suis (cogito, ergo sum), mais, tout au plus seulement que j'ai été ou que je serai. Le «fondement» du Cogito (sur lequel on prétend édifier une philosophie «rigoureuse») apparaît en réalité comme le processus même qui dis-trait dans le temps de la succession, où tout oscille entre être et non-être, où rien n'est véritablement présent.
Le nihilisme constitutif du Cogito est à la base de la dimension de la Rhétorique. Ceci doit être bien compris pour liquider les différentes interprétations simplement éthiques ou, a fortiori, littéraires de l'idée michelstaedterienne de rhétorique. Cette idée est rigoureusement philosophique: est rhétorique toute conception intentionnelle de la vérité, c'est-à-dire toute conception pour laquelle la vérité est réduite à l'ordre de l'interprétation, à la forme du discours, au problème de sa cohérence interne. Est rhétorique la prétention de posséder le savoir à travers la conventionnalité de l'onomazein, est rhétorique le fait de prétendre que la connaissance puisse être formée par un «système de noms» (PR, p. 98 [101]). L'idée de rhétorique ne reflète donc pas une simple phénoménologie des comportements, autrement dit, n'est en rien descriptive — mais entend attaquer la structure même du discours philosophique, tel qu'il émerge de la «grande crise», entre le Platon des derniers dialogues et Aristote. Ici la philosophie se transforme, pour Michelstaedter, en enquête sur les mots et les modes de la langue, en une cristallisation de ses termes: on simule une classification systématique des modes de parler qui soit la classification de la chose elle-même ; on simule une correspondance «naturelle» entre l'appellation et la chose — cette «voie» justement qui, pour Parménide, représente un délire radical hors du cœur qui ne tremble pas d'Alethèia.
Oeuvre époquale, œuvre qui détermine en grande mesure tout le développement successif de cette pensée «dé-lirante» de l'Occident, que le Parménide de Platon — où, pour Michelstaedter, un Parménide vieilli, qui a perdu ou oublié tout «enthousiasme» (cette divine mania qui l'avait ravi à la présence de l'auguste déesse), s'efforce par une monstrueuse intelligence de montrer dans les mots la connexion possible, la symplokè, le métaxy, entre la rhétorique du quotidien, du temps dis-courant et la Persuasion, la Vérité. Dans le Parménide, serait formulé le projet même de la pensée occidentale, en tant que volonté de compréhender-concevoir le devenir: à savoir volonté d'être-dans-le-temps, d'«appartenir» au devenir et en même temps de le «théoriser», de le dominer conceptuellement. Le concept de rhétorique chez Michelstaedter, compris selon son inspiration la plus radicale, désigne cette volonté de «confusion», de «compromis» (possible uniquement dans le jeu des mots) entre devenir-discourir (il est «nécessaire» de se le concilier — comme on dit) et le présent compos sui de la Persuasion. Il faut se forcer à identifier quels composants théorétiques fondamentaux alimentent cette critique désespérée michelstaedterienne de toute forme de dialectique (donc, aussi de cette forme de dialectique propre à l'essayisme — et qui aura à jouer un rôle tout à fait central dans le «style» de la pensée du xxe siècle). Ce que Michelstaedter entend par Philopsychia, par l'«amour» inauthentique pour la vie dissipée dans le temps où «panta reî», fille de Penia, toujours en attente, toujours déficiente, toujours en corrélation-dépendante, jamais déterminée — ne peut être rattaché, aussi facilement qu'on pourrait le croire, à ce «climat» culturel (auquel appartient certainement aussi le jeune Lukács) qui va de la crise des «fondements» du rationalisme positiviste du XIXe à Sein und Zeit. Les analogies entre le thème de la vie inauthentique, distraite dans le temps de la succession chrono-logique, développé dans la Persuasion et la Rhétorique, et dans certaines parties de l'analytique heideggérienne, sont sans aucun doute impressionnantes — mais la différence n'en apparaît que plus clairement. Il n'est pas qu'une forme du langage (celle du «On», du Man, de l'impersonnel: le langage présupposé, hérité, déjà-dit) qui soit inauthentique, radicalement, pour Michelstaedter, mais la constitution même du langage en tant que tel, qui ne peut correspondre au programme, déjà énoncé par Novalis, d'une parfaite émancipation par rapport à l'esthétique, par rapport à la dépendance du sens. Le langage ne peut pas ne pas servir à signifier — ne peut pas ne pas s'avérer, par effet de gravitation, être attiré vers un «autre» que soi. Pas une de ses logicisations, pas une de ses catharsis philosophiques, qui puisse le racheter de ce péché originel. La philosophie ne sera que la «mise en ordre» de ce langage, ainsi structuré, du devenir de ses modes et termes structurellement inadéquats pour toucher la chose même. La question de la Vérité et de la Persuasion ne peut donc pas se poser dans les termes de l'expression linguistico-discursive.
Cette idée rappelle fortement l'intuition-base de la critique brouwerienne des fondements de la théorie classique des ensembles et, plus généralement, de toute tentative de fondement logique de la mathématique. A la même époque, paraît la grande œuvre du mathématicien hollandais sur les Fondements (1907), précédée par un petit volume tout à fait négligé par les historiens de la pensée du xxe, Leven Kunst en Mystiek (1905), dans lequel, à travers une confrontation serrée avec les mêmes textes que Michelstaedter, Lukács ou Wittgenstein (De Schopenhauer à Eckhart — jusqu'à certaines influences de l'ancienne mystique indienne), au langage intrinsèquement expression de la philopsychia, instrument-véhicule de l'empaysement, de la domestication, de la communication-aliénation, s'oppose la forme persuadée en soi, l'ou-topia éradiquée de tout rapport de dépendance, de l'intuition mathématique et du grand art. Il ne me semble pas hasardeux d'affirmer que Michelstaedter, cherchant à montrer la dimension de la Persuasion, pense justement à ces formes. S'il retrouve surtout chez les poètes (des Tragiques grecs, à Pétrarque, à Leopardi), chez les grands «denkende Dichter», la dénonciation du «dieu que tous honorent» (PR, p. 56 [55]), à savoir celui de la philopsychia, c'est justement parce que dans l'art se montre au plus haut point cette vérité «qui soulève l'individu de ses racines et déchaîne en lui la question d'un présent plus rempli» (O., p. 157), c'est parce que l'art lui apparaît, parmi toutes les autres formes d'expression, celle la plus étrangère à toute «dis-cursivité» gratuite, libre du schéma de finalité et de projet qui domine les autres. C'est dans ce contexte que devront aussi être comprises les images continues, dans l'œuvre de Michelstaedter, de solitude et de désert; elles veulent indiquer l'ou-topia, littéralement: le non-lieu d'une expression qui ne discourt pas, qui ne «dépend» pas (ainsi, pour Brouwer, la mathématique est «sans mots aucun»). Il est certainement juste de saisir aussi dans ces images le sens de l'origine juive de Michelstaedter (persuadé est celui qui est «seul dans le désert», et ce n'est que dans une telle solitude qu'il «vit une vie d'une profondeur et d'une étendue vertigineuse» (PR, pp. 70, 87 [70, 88]) — que ce soit dans le désert, libéré de l'«esthétique» des relations particulières (PR, p. 81 [82]), que l'individu puisse s'affirmer dans sa plus profonde et invincible liberté, est une idée qui rappelle fortement le Moïse et Aaron de Schönberg) — mais il ne faut pas oublier que l'œuvre de Michelstaedter traite d'un problème éminemment philosophique (justement dans sa prétention à valoir comme critique radicale de la tradition philosophique) et ne peut donc être lue comme un ensemble de motifs disparates, tantôt théoriques, tantôt littéraires, tantôt religieux. Est solitaire «la possession de soi» — totalement déracinée du flux de l'onomazein, dont la philosophie n'est autre que la tentative récurrente de mise en ordre, de système; solitaire la «divine persuasion» de l'intuition unifiée à son propre «objet», de la pensée identique à l'être-pensé et qui, de fait, dans son exercice, ne tend pas à autre chose que soi, ne s'«aliène» pas, mais persiste dans son présent même, demeure. Est solitaire l'expression, épurée de toute mimesis, qui crée d'elle-même sa propre vie, qui est son propre monde, «maître et non esclave chez lui» (PR, p. 73 [75]) (chez Michelstaedter abondent des expressions qui pourraient rappeler de thèmes gnostiques — mais nous verrons bientôt comment ils sont absolument privés de leur dimension sotériologique originelle. En des termes analogues, des thèmes gnostiques affleurent chez Leopardi, véritable «auteur» de Michelstaedter).
Que le langage reste inexorablement en-deçà d'une telle solitude, et donc d'une telle vie — et qu'en même temps, la philosophie ne soit essentiellement que classification-logicisation des termes du langage, et donc essentiellement inadéquate à «toucher» la vie — tel est le trait qui rapproche véritablement Michelstaedter de Wittgenstein. Pas seulement du Wittgenstein du Tractatus, puisque la conscience du caractère arbitraire des limites de la signification, de la différence métaphysique entre le signifier et le fait de «donner la raison» (O., pp. 294-295), accompagne Wittgenstein au cours de toute son œuvre. Son long travail tout entier, tout comme la flamme instantanée de celui de Michelstaedter, résonnent comme une critique radicale de l'illusion du sujet parlant de s'ériger comme Sujet absolu, et donc de simuler [fingere] que ses propres mots soient le mouvement même de la vie, autrement dit que les limites de la puissance des mots coïncident avec les limites de la réalité (O., p. 143). Cette critique fonde le refus commun et intransigeant de toute forme d'idéalisme (qu'on se reporte, chez Michelstaedter, aux traits «féroces» sur Croce, par exemple).
Que la philosophie — en tant qu'«organisme syntaxique», en tant qu'elle est fondée sur la valeur des relations et des «dépendances» réciproques — ne puisse avoir l'intuition de la chose elle-même, ne puisse posséder une parole vivante pour exprimer ce que l'homme a «à cœur» dans sa vie, et donc n'ait aucun pouvoir de persuasion authentique (O., p. 287) — que son argumentation puisse seulement «vaincre», mais non pas «convaincre» — c'est exactement le contenu des dernières propositions du Tractatus. Une «haine» identique à l'égard des mots qui prétendent être la vie, les anime tous deux — un même sens désespéré de la limite tautologique de l'argumentation philosophique (O., p. 236) (mais qu'on y prenne garde: de l'argumentation philosophique rigoureuse). Toutefois Wittgenstein ne risque pas un mot au-delà de cette limite: le seul moyen de désigner ce qui la dépasse — la vie — c'est le silence. La position de Michelstaedter défie, au contraire, le paradoxe: il cherche le chemin des mots dans lesquels résonne aussi le timbre de la persuasion. Qu'il soit bien conscient du caractère plus que paradoxal, antinomique, de sa tentative, est évident si l'on en juge par la Préface à la Persuasion et la rhétorique: «Moi je sais que je parle parce que je parle, mais que je ne persuaderai personne: et c'est une malhonnêteté — mais la rhétorique anankazei me tauta drân bia — [me contraint à faire cela...] « (Sophocle). Donc la Persuasion et la rhétorique aussi est rhétorique! Puisque, comme nous l'avons vu, la rhétorique n'est pas une forme du langage, mais le langage dans son essence. Toute tentative de «parler» de la persuasion se révèle intrinsèquement antinomique. Et pourtant cela doit être fait: drân, faire, — verbe tragique, par excellence, qui indique non pas le faire dans sa dis-cursivité quotidienne, mais l'instant, l'acmé suprême de la décision, le comble de l'action, où le caractère du héros émerge pleinement, irréversiblement. Cela doit être fait, malgré tout : soulever le langage de l'intérieur en le forçant, bia, à sortir de soi, comme s'il pouvait se dépasser. Ou, pour paraphraser Wittgenstein: cela doit être fait: se taper la tête contre ses limites, contre sa cage, jusqu'à ce que ça saigne. Ce faire-malgré-tout marque la tonalité tragique de l'œuvre de Michelstaedter et la différencie en cela nettement du Tractatus. Le logos de la Persuasion et la Rhétorique est «double»: rhétorique qui veut se supprimer (et en sait l'impossibilité), rhétorique «infidèle» à l'égard d'elle-même — infidélité sacrée, pourrions-nous dire avec Hölderlin, comme celle qui anime le héros tragique à l'égard du monde divin. Durant toute sa vie Wittgenstein lutte contre le démon de la tragédie — réussit à «lui survivre» — mais sans jamais s'en consoler, sans jamais le croire vaincu, sans jamais véritablement s'apprivoiser dans la rhétorique. A l'honnêteté ascétique de Wittgenstein s'«oppose» la «malhonnêteté» tragique de Michelstaedter.
Mais le caractère tragique de la pensée de Michelstaedter contraste aussi avec la position de Brouwer, qui voit dans l'intuition mathématique, opposée à la discursivité logique justement le dépassement accompli de la forme tragique. (Dans l'idée de la mathématique comme absoute [assoluta] du langage, Brouwer est aussi, évidement, aux antipodes du «second» Wittgenstein). Pas même la «persuasion mathématique» (étant admis que la forme mathématique puisse apparaître en elle-même persuadée — ce que Wittgenstein niera) ne peut représenter la vie persuadée. Son «jeu sérieux» se fonde même, tout comme l'intuitionnisme de Brouwer le démontre, sur l'a priori du temps: la possibilité transcendantale du jeu mathématique consiste dans la bissection originelle de l'unité: l'un, en se disant, est deux, est uni-duité. Mais ceci n'est pas autre chose que le mouvement fondamental du Parménide de Platon! Un désespoir analogue à l'égard de la parole unit donc la mania philosophique de ces trois auteurs (et, en cela, ils apparaissent véritablement tous trois comme l'expression du Lord Chandos hofmannsthalien). Ils vivent avec la même intensité — mais pour les raisons que nous venons d'exposer, et non à cause d'une vague Stimmung ! — la condition des sans-patrie dans cette «antique demeure du langage» krausienne. Mais Brouwer pense à l'intuition mathématique comme réelle ou-topia par rapport à cette demeure; Wittgenstein, au contraire, s'y installe, s'interdisant toute image «dépassante», mais s'y installe, insistant toujours sur le fait que ce qui véritablement compte, ne peut être affirmé dans ses limites, il s'y installe, en vérité, comme une «âme étrangère» ; Michelstaedter tente la voie — certainement «malhonnête» aux yeux d'un Brouwer ou d'un Wittgenstein — du «double logos», du discours tragique qui, en se disant, se nie presque en tant que tel, de la rhétorique qui s'acharne contre elle-même, qui «implose». Et par ce fait il rencontre l'aporie de la «voie intérieure» schopenhauerienne: l'aporie de la volonté qui veut le non-vouloir, de la volonté qui devrait se retourner contre elle-même — mais, qui ne se voulant pas, en cela se réaffirme elle-même justement. L'aporie du « deseando nada» de Saint Jean de la Croix.
Les critiques qui reconnaissent chez Michelstaedter la présence «victorieuse» de la volonté dans la dimension même de la Persuasion ont donc certainement de bonnes raisons pour cela. Et si la volonté implique — comme justement déjà chez Schopenhauer — la volonté-de-la-vie, si volonté signifie représentation, alors un lien inextricable en relie la dimension à celle de la rhétorique. L'aporie se manifeste jusque dans l'écriture de Michelstaedter: il parle de « s'approprier le présent», de devoir perdurer, résister, «être maître « (PR, pp. 69 sqq., [n.s.]). Un impératif insistant scande le monde de la Persuasion (cf. O., pp. 149-150). Mais comment un présent authentique, accompli, peut-il naître des formes du vouloir, du devoir, de l'impératif? Comment distinguer cette appropriation (du présent) des formes du pro-jet, de l'en-à-venir [infuturamento], de l'«esprit vagabond, jusqu'en fin toujours à jeun» ? Les critiques ont raison, certes — mais jamais comme en ce cas n'a été vraie la boutade qui dit que rien au monde n'est en vente à meilleur prix que le fait d'«avoir raison». Comme le montrent ces mots déjà cités de la Préface à la Persuasion et la Rhétorique, Michelstaedter est parfaitement conscient du caractère antinomique constitutif de son œuvre. Mais littéralement anti-nomique, c'est-à-dire opposée au nomos du langage discursif, à la loi qui domine tous les «sujets» de la communication et de la relation, telle est cette expression qui cherche à persuader «l'humaine existence», les «misérables mortels», «tout à fait malades» du «il est» seul, du présent. Anti-nomique, par rapport au nomos de la dialectique qui veut «vaincre» l'autre, «s'approprier» ses mots, telle est l'expression qui l'«aime» et veut le constituer en tant que personne (O., p. 297). Une vie persuadée ne peut être donnée dans les limites du langage, et pourtant justement l'affrontement absolument désespéré contre de telles limites, est un signe anti-nomique: il est un signe irréductible par rapport à ce système de signes qui informent du monde «commun». Il ne dit pas, comme ces derniers — mais n'est pas pour autant simple silence, non-dire négatif. Il se montre, dans le naufrage même du dire «commun», quand il prétend dire la vie. La «poésie pensante», que Michelstaedter interprète comme unique témoignage de la persuasion, est ce faire-signe: en elle justement le désespoir du dire, le désespoir qui saisit le dire à son acmé, indique, «montre» la vie indicible — la vie libérée de la volonté «en aucun point satisfaite» (PR, p. 42 [43]), la vie non plus «survie», non plus simple «crainte de la mort» (PR, p. 69 [id.]). Car c'est justement à la vie que doit mener le chemin ascendant du bouleversement désespéré de la rhétorique. Chez Wittgenstein, prenons-y garde, il n'y «conduit» point — au terme du Tractatus, il n'est pas vrai que nous soyons plus «proches» de la vie qu'au début. Chez Schopenhauer, le problème se pose en des termes précisément opposés: la volonté qui se tourne contre elle-même, se tourne contre la vie qu'elle reproduit continûment. Depuis la mort, au contraire, depuis la peur de la mort, qui pousse l'homme à vouloir continuer, depuis l'impersonnelle philopsychia qui fait survivre, justement dans la mesure où elle nous manifeste continûment «déjà morts dans le présent» (PR, p. 69 [id.]), le semainein paradoxal-antinomique de Michelstaedter veut «conduire» à la vie. Ce qu'aucun dire, aucune imagination [fantasia], fût-elle «haute», ne peut véritablement toucher-comprendre-intuitivement, ce dont aucune «puissance» [possa] du langage ne peut être vérité (dans le sens de l'alethèuein : du dévoilement), c'est la vie même. La voie de Rosenzweig a une forme identique: vom Tode ... zum Leben: de la mort ... à la vie» — c'est là, «parvenus» à la vie, que le livre se tait. Mais la vie de Rosenzweig est intrinsèquement connotée par l'être-là effectif du peuple juif — c'est la vie du judaïsme qui, dans son déroulement dans le temps, est plus que temporelle. Chez Michelstaedter, au contraire, c'est la parfaite ou-topia de la vie persuadée, de l'idée de Persuasion en général. Mais l'absence de toute racine — fût-elle même cette racine «errante» qui constitue la vie d'Israël — ne produit, dans le langage paradoxal-antinomique conscient de Michelstaedter, aucun pessimisme. Tous les auteurs à l'aune desquels nous avons affronté le «problème Michelstaedter» sont parfaitement étrangers à l'aura pesante du pessimisme — mais Michelstaedter (précisément lui, qui se suicide à vingt-trois ans) l'est avec plus de force, avec plus de conviction. Tout pessimisme déclaré (telle est la thèse fondamentale du Dialogue de la Santé) n'est qu'un pessimisme imparfait. Si la vie est (au sens schopenhauerien) volonté de vie, et donc déficience et douleur, il faut «porter tout le poids de la douleur et tirer de ce poids la joie et la vie». La «parole joyeuse de la santé» n'est pas prononcée ici, comme ce peut être le cas chez Schopenhauer, en opposition à la vie, elle n'est pas la parole de la négation de la vie, mais s'affirme comme la force parfaite pour en porter le poids, sans vanité, sans illusion et sans flatterie. Les parfaits pessimistes sont ceux qui en ont déjà dépassé le signe: ils ne demandent pas à la vie de dépasser la douleur qui lui est inhérente, ni ne s'en lamentent (ni n'accusent, ni ne pleurent) mais demeurent en elle, établissent en elle leur œuvre, sont en-ergoi dans la douleur et demeurent en-arghia précisément dans son embrassement. La vie persuadée n'apparaît pas abstraitement autre par rapport à celle «malade» de l'attendre et du prétendre, mais comme la coïncidence en acte entre l'être-là de la personne et l'endurance radicale de la douleur liée à l'exister. Le présent de la persuasion signifie l'être en-arghia dans la douleur, non au-delà d'elle. C'est donc la possibilité de cette vie, persuadée, autonome, pacifiée dans le présent de son propre «mal» (n'aspirant à aucune dimension transcendante de salut — ce qui justement en annulerait le présent et nous ferait replonger dans le nihilisme de la rhétorique), qui constitue l'ou-topia indicible de la parole de Michelstaedter.
Cet aspect est essentiel à la compréhension de l'œuvre de Michelstaedter. La dimension de la persuasion n'annule pas la douleur — en tant qu'idée marquée par une intention radicalement anti-nihiliste, elle ne peut se présenter non plus comme négation de la douleur. C'est la rhétorique qui cherche en vain à tromper, illusionner [in-ludere] ou se jouer de la douleur. C'est la philosophie — comme le dira Rosenzweig — qui veut se donner l'illusion de «jouer», par ses mots qui prétendent se faire vie, l'angoisse de l'individu devant la mort (»Abschaffung des Todes»). La persuasion ne vaut pas comme un énième «refoulement» — mais comme l'acceptation parfaite d'une telle angoisse. N'est pas persuadée, la vie qui la «dépasse» (la figure de dépassement est la quintessence du nihilisme, comme nous l'apprendra Canetti), mais la vie qui en elle demeure et, demeurant en elle, agit — la vie, en somme, maîtresse de son propre présent, là où tout semblerait inciter à un en-à-venir, à la recherche de salut dans l'«ailleurs», ou à la simple résignation du «weiterleben». La vie persuadée n'est pas ek-statique par rapport au devenir, au dis-courir du temps et du logos, mais constitue en quelque sorte l'instant qui les interrompt, l'instant de leur arrêt. Telle est la vraie «pensée abyssale» de Michelstaedter (et la citation nietzschéenne, comme nous le verrons, n'est point due au hasard: là véritablement Michelstaedter rencontre le Nietzsche encore parfaitement «inactuel», le Nietzsche posthume — pour lequel non pas le cercle, non pas l'anneau de l'éternel retour, est une figure de la négation de l'«esprit de gravité», mais l'instant, l'Augenblick, qui suspend la domination de Chronos, qui en dé-cide le continuum. Tel est le présent dont parle Michelstaedter): dans le temps-chronos peut s'ouvrir l'instant de la décision, l'instant qui met en crise radicalement l'aller-au-delà, le flux, l'anxieuse attente d'un futur qui annule le présent. La vie persuadée se concentre dans le feu de l'instant: elle ne voit pas dans son présent le non-plus du passé, le non-encore du futur, elle ne saisit pas son présent comme un point indifférent dans la succession des nyn (sur le fond, nous retrouverons dans Etre et Temps de Heidegger une critique de la conception aristotélicienne du temps, parfaitement analogue), mais voit chaque présent comme le dernier (PR, pp. 69-70 [id.]).
La persuasion ne se donne que dans l'instant; l'idée de persuasion coïncide avec l'a-discursivité et in-intentionnalité de l'instant, compris eschatologiquement. A la lumière d'une telle idée semblent «s'éteindre» ces possessifs-impératifs connotés qui imprègnent aussi de nécessité tout vouloir signifier la Persuasion. Dans l'instant, opposé au simple moment-nyn, dans l'instant comme présent extrême, arrêtant toute volonté de pro-jet, toute forme d'en-à-venir, règne la pure Justice. Gerechtigkeit — dirait-on avec Nietzsche — non das Recht. Le droit appartient à la rhétorique de l'échange, de la communication, du survivre: dans le règne du droit «tous ont raison, personne n'est juste» (PR, p. 76 [77]). C'est le règne des droits et des devoirs, du recevoir et du donner, de la demande réciproque. Dans la persuasion, dans l'instant de la vie persuadée, rien ne se demande ou ne s'attend; la pensée acquérante-impositive ne trouve pas, littéralement, espace dans l'instant. La vie persuadée est pur don, absolue dépense (on peut trouver des images et des motifs analogues dans quelques-unes des œuvres les plus intenses du jeune Lukács, comme le dialogue Sur la pauvreté d'esprit). L'affirmation n'admet pas de pluriel: « tout donner et ne rien demander, tel est le devoir — mais où sont les devoirs et où sont les droits, moi je ne le sais pas» (PR, p. 79 [80]).
Violence de la rhétorique et du droit. Est violent le nomos qui oblige au langage et au temps communs. Violent l'arrachement pro-jetant, l'idée d'interminable dépassement que ce logos «commun» exprime. Violente la nature la plus intime du Cogito, comme co(a)giter des mots et des termes pour réduire la vie à eux, pour la subsumer en eux. La persuasion, au contraire, est en paix, en-arghia — elle est l'énergie actuelle qui déracine la violence, en tant qu'ici-maintenant-entière (PR, p. 80 [80-81]) elle n'attend rien, elle ne prétend à rien. Dans la rhétorique «l'enjeu est un savoir subordonné à la puissance» (pour vaincre l'adversaire-interlocuteur), dans la Persuasion il n'y a pas de course, ni de «prix» (O., p. 365): ce en quoi elle consiste instantanément ne «vainc» rien — l'hallucination de la puissance s'est ici dissoute comme brume au soleil. Pour celui qui ne demande pas la vie et ne craint pas la mort, vie et mort sont «sans armes» (O., p. 366). Et c'est cela le bonheur et la santé.
Mais c'est aussi bien l'impossible. La voie de la Persuasion (qui n'en est pas une, puisque sont «voies» le flux et la contradiction des choses et des mots) n'est pas ardue ou difficile ou encore, comme nous l'avons dit jusqu'à présent, «inimaginable» dans la parole. Elle est aplòs, impossible. Se sauver de l'«agonisme» du logos, consister dans l'instant de la persuasion est l'impossible au sens propre, rigoureusement: car toute la dimension du possible appartient à ce qui est donné (PR, p. 81 [id.]). Entre ce que l'on affirme «possible» (même dans la plus grand improbabilité) et ce qui, de fait, existe, il n'y a aucune différence de principe. On dit qu'est possible ce qui peut être réel, et donc ce qui appartient principalement à la timé de la philopsychia. Seul l'absolument impossible s'y soustrait. «Le possible ce sont les besoins, les nécessités de la continuation, ce qui appartient à la puissance limitée vouée à la continuation, à la peur de la mort» — si la persuasion est un radical arrêt de cela, la persuasion est l'impossible. Impossible la pure Justice du donner-pour-donner, la parfaite gratuité du donner; impossible la «parole vivante» qui persuade sans vaincre, qui donne la vie persuadée sans trace de violence; impossible l'amour exempt de toute philopsychia que ces images évoquent. Affirmer que cela est impossible ne signifie pas décréter la faillite de l'idée de persuasion, mais en indiquer, à l'opposé, la dimension propre. On ne peut faire-signe véritablement d'une telle idée, si l'on n'en saisit pas l'impossibilité. Et bien évidemment: pour celui qui connaît seulement le possible, aucune persuasion n'est «possible». La persuasion est un fruit du jardin de l'impossible et de l'inutile.
La «passion» pour cet impossible domine, d'un bout à l'autre, les pages de Michelstaedter. Sa solitude, son désert n'expriment que cet impossible. C'est celui-là même qui «se montre» à la fin du Tractatus. Celui qui ne sent pas dans le silence de Wittgenstein ce tenter-de-dire désespéré de Michelstaedter (et Augustin n'était il pas un auteur de Wittgenstein lui-même?) mériterait véritablement un monument équestre dans cette «philosophie des universités» sur la porte de laquelle est gravé l'adage: «ici il est interdit de penser».



   éditions de l'éclat

11 juin 2018

Carlo Michelstaedter

POESIE


Se camminando vado solitario
per campagne deserte e abbandonate
se parlo con gli amici, di risate
ebbri, e di vita,
 

se studio, o sogno, se lavoro o rido
o se uno slancio d'arte mi trasporta
se miro la natura ora risorta
a vita nuova,
 

Te sola, del mio cor dominatrice
te sola penso, a te freme ogni fibra
a te il pensiero unicamente vibra
a te adorata.
 

A te mi spinge con crescente furia
una forza che pria non m'era nota,
senza di te la vita mi par vuota
triste ed oscura.
 

Ogni energia latente in me si sveglia
all'appello possente dell'amore,
vorrei che tu vedessi entro al mio cuore
la fiamma ardente.
 

Vorrei levarmi verso l'infinito
etere e a lui gridar la mia passione,
vorrei comunicar la ribellione
all'universo.
 

Vorrei che la natura palpitasse
del palpito che l'animo mi scuote...
vorrei che nelle tue pupille immote
splendesse amore. -
 

Ma dimmi, perché sfuggi tu il mio sguardo
fanciulla? O tu non lo comprendi ancora
il fuoco che possente mi divora?...
e tu l'accendi...
 

Non trovo pace che se a te vicino:
io ti vorrei seguir per ogni dove
e bever l'aria che da te si muove
né mai lasciarti. -
 

 31 marzo 1905

 


* * *
 

Poiché il dolore l'animo m'infranse
per me non ebbe più la vita un fiore...
e pure inconscio iva cercando amore
l'animo offeso.
 

Ahi ti vidi e a te il pensier rivolsi
a te che pura sei siccome un giglio...
... Le lacrime mi sgorgano dal ciglio
invirilmente.
 

Oh mia fanciulla, oh tu non hai compreso
di quanto amore io t'ami. Ed un dolore
nuovo, più intenso mi attanaglia il cuore
che tu feristi.
 

Se m'ami Elsa a che mi fai soffrire?
Tu della vita mia unico raggio
tu che sola m'infondi quel coraggio
che mi fa vivo!
 

Lo sguardo mio non t'ha saputo dire
non t'han saputo dir le mie parole
quello che dice all'universo il sole,
amore! amore!?
 

 3 aprile 1905

 



 Alba. Il canto del gallo
 

Salve, o vita! dal cielo illuminato
dai primi raggi del sorgente sole
all'azzurra campagna!
 

Salve, o vita! potenza misteriosa
fiume selvaggio, poderoso eterno
ragione e forza a tutto l'universo
salve o superba!
 

Te nel silenzio gravido di suoni
te nel piano profondo o palpitante
cui nuovi germi agitano il seno
te nel canto lontano degli uccelli
nel frusciar delle nascenti piante;
te nell'astro che sorge trionfante
ed in fra muti sconsolati avelli
sento vibrare
E ribollir ti sento nel mio sangue
mentre il sole m'illumina la faccia
e dalle labbra mi prorompe il grido:
 

viva la vita!
 

 1° giugno 1905

 



 La notte
 

Tace la notte intorno a me solenne
le ore vanno e sfilan le memorie
siccome un nero e funebre convoglio.
 

Del cielo nelle oscurità remote
nell'ombra amica che con man soave
le grevi forme della chiesa lambe,
nell'ombra amica che gl'uomini culla
col lento canto della pace eterna
vedo di forme strane scatenarsi
una ridda veloce e affascinante
vedo la mente umana abbacinata
chinar la fronte...
 

Ma il mio pensiero innalzasi sdegnoso
e squarcia il manto della notte bruna
libero, e vola, -
vola alla luce pura trionfante
vola al sole del vero, dove i forti
stan combattendo l'immortale agone
cinti le terapie d'agili corone,
vola esultante.
 




 La scuola è finita!
 

È giunta l'ora del distacco, è giunta;
io vi lascio sedili riscaldati
aule sapienti portici affollati
ora e per sempre!
 

Ansie e battaglie e faticose veglie
liete sconfitte e facili vittorie
e voi quaderni carchi di memorie
io v'abbandono.
 

Libero sono dalla tirannia
d'ogni minuto; sono rotti i ceppi
che per lunghi anni rallentar non seppi.
Libero sono!
 

Libero, e innanzi a me s'apre la vita
con gli orizzonti vasti ed intentati
e coi premi lontani ed agognati
nei sogni antichi.
 

Freme nel petto l'animo convulso:
sete di gloria e sete di sapere
desiderio d'azione e di piacere
in me ribolle.
 

In un amplesso solo poderoso
vorrei legare a me tutta la terra
vincere il fato e la fortuna ch'erra
cieca nel mondo.
 

* * * 

Ma un brivido mi corre per le membra,
la vita è fredda e piena di sgomento,
triste isolato debole mi sento
vo' ritornare.
 

Vo' ritornare ai banchi della scuola
alla diuturna noia, alle catene
a quel fetore che facea sì bene,
ai professori.
 

Amici, or vedo quanto abbiam perduto;
della nostra esistenza, calda un'onda
nel buio del passato si sprofonda
inesorato.
 

Con quel legame che ci die' comuni
ore di gioia ed ore di sconforto
anche un periodo della vita è morto
in quest'istante.
 

Ma non dobbiam però chinar la fronte.
Col ferro in pugno verso l'ideale
ci batterem con animo leale!
In alto i cuori!
 

E se fra le battaglie della vita
saremo vinti forse, da lontano
ci volgeremo a stringerci la mano
... addio compagni!
 

 Gorizia, 25 giugno 1905
 



Sibila il legno nel camino antico
e par che tristi rimembranze chiami
mentre filtra sottil pei suoi forami
vena di fumo.
 

O caminetto antico quanto è triste
che nella nera bocca tua rimanga
la legna che non arde e par che pianga
di desiderio,
 

ma dal profondo della sua poltrona
socchiusi gli occhi, il biondo capo chino
stese le mani al fuoco del camino
Nadia ride.


 



I
 

Cade la pioggia triste senza posa
a stilla a stilla
e si dissolve. Trema
la luce d'ogni cosa. Ed ogni cosa
sembra che debba
nell'ombra densa dileguare e quasi
nebbia bianchiccia perdersi e morire
mentre filtri voluttuosamente
oltre i diafani fili di pioggia
come lame d'acciaio vibranti.
Così l'anima mia si discolora
e si dissolve indefinitamente
che fra le tenui spire l'universo
volle abbracciare.
Ahi! che svanita come nebbia bianca
nell'ombra folta della notte eterna
è la natura e l'anima smarrita
palpita e soffre orribilmente sola
sola e cerca l'oblio.
 

II
 

«Guardi dove cammina! o 'che 'gli è cieco?».
M'erutta in faccia con fetor di vino
un popolano dondolando l'anca.
In vasta curva costeggiando il fiume
tremola ancor la luce dei fanali
e l'Arno scorre sonnacchioso e grigio,
l'acque melmose.
Spicca dei colli ancor la massa oscura
e San Miniato avvolto nella nebbia
ombra nell'ombra, -
fiaccola rossa dai camini neri
batte nell'aria, e l'alito affannoso
ferve di vita.
E risponde dall'anima mia triste
un'ansiosa brama di vittoria
ed un bisogno amaro di carezze:
forza incosciente - fiaccola fumosa.
 

III
 

O vita, o vita ancor mi tieni, indarno
l'anima si divincola, ed indarno
cerca di penetrar il tuo mistero
cerca abbracciare in un amplesso immenso
ogni tuo aspetto. -
Amore e morte, l'universo e '1 nulla
necessità crudele della vita
tu mi rifiuti.
 

 Febbraio 1907

 



I
 

A che mi guardi fanciulla con gli occhi pieni di luce,
con gli occhi azzurri profondi ed al volto ti sale una fiamma?
Non ha sole la mia giovinezza, non conta gli anni il mio core
l'anima mia dolorosa non sa le primavere.
Fanciulla perché ti soffermi? perché t'avvicini al mio core?
perché o fanciulla l'avvolgi nel fuoco tuo giovanile?
Fanciulla è freddo il mio core, è freddo il mio core e lontano,
non sente l'alito ardente della tua giovane vita.
 

II
 

Quando pei blandi tramonti, per gli ampi meriggi infocati
sui pallidi volti sussurra amor violente lusinghe,
e quando maggio riarde il petto all'uomo che vive
il core mio tace o fanciulla. -
E quando pel fosco piano cui plumbeo il cielo incombe
divampa la fiamma ribelle sospinta dal vento dell'odio
dell'odio doloroso delle moltitudini vinte
ed arde ogni giovane core e piange nell'aria fumosa
lo spasimo disperato, e suona l'urlo più alto
quando frementi si tendono gli archi di tutte le vite
esso tace o fanciulla.
E quando la mamma mi trae dalle aride ciglia una stilla
e quando la morte mi tocca, mi stringe il core convulso
e caldo m'ottenebra gli occhi il sangue di quanti ho amato
esso tace ancora o fanciulla.
E quando m'irride la folla e quando m'innalza la lode
e quando sfacciata mi sento la forza dei giovani anni
il cor mio tace o fanciulla un superbo infinito silenzio.
 

 Pasqua 1907

 




Senti Iolanda come è triste il sole
e come stride l'alito del vento -
passa radendo i vertici fioriti
un nembo irresistibile.
 

Senti, è sinistro il grido degli uccelli
vedi che oscura è l'aria
ed è fuliggine
nel raggio d'ogni luce e dal profondo
sembra levarsi tutto quanto è triste
e doloroso nel passato e tutte
le forze brute in fremito ribelle
contaminarsi irreparabilmente.
 

Scompose il nembo irreparabilmente
il tuo sorriso,
Iolanda, e mi percorse
con ignoto terrore il core altero. -
Che è questo che s'attarda insidioso
nel nostro sguardo allor che senza fine
immoto intenso dalle nere ciglia
arde di vicendevole calore?
Perché di fosca fiamma la pupilla
s'accende nel languore disperato?
Perché non ride amore
come rideva amico nelle tenui
sere di maggio?
È più forte, più forte
questa torbida fiamma di desio
e mentre tutto intorno a me precipita
mentre crolla nel vortice funesto
ogni affetto, ogni fede, ogni speranza
sbatte le rosse lingue e s'attorciglia
inestinguibile.
 

E più, e più, e più nel cielo tumido
arde l'ansia selvaggia e dolorosa
purché io sugga dai tuoi occhi il fascino
purché io senta le tue mani fremere
purché io colga alla tua bocca fervida
la voluttà infinita del tuo bacio
Ïolanda, e l'ebbrezza infinita. -
 

 Giugno 1907

 



Che ti valse la forte speranza, che ti valse la fede che non crolla
che ti valse la dura disciplina, l'ansia che t'arse il core
o mortale che chiedi la tua sorte, se dopo il tormento diuturno
se dopo la rinuncia estrema - non muore la brama insaziata
la forza bruta e selvaggia, se ancora nel tedio muto
insiste e vivo ti tiene; - perché tu senta la morte
tua ogni istante nell'ora che lenta scorre e mai finita
perché tu speri disperando e attenda ciò che non può venire
perché il dolore cieco più forte sia del dolore che vide
la stessa vanità di sé stesso? - Tu sei come colui nella notte
vide l'oscurità vana ed attese da dio chiedendo la divina luce
e d'ora in ora il fiero cuor nutrendo
di più forte volere e la speranza
esaltando più viva, quando il giorno
con la luce pietosa
alla vita mortale
ogni cosa mortale riadulava
non ei si scosse che con l'occhio fiso
vedeva pur la notte senza stelle. -
Come il tuo corpo che il sole accarezza
gode ed accoglie avido la luce
perché non anche l'animo rivolgi
ai lieti e cari giochi? Vedi intorno
fin dove giunge il guardo, la campagna
ride alla luce amica
 




Amico - mi circonda il vasto mare
con mille luci - io guardo all'orizzonte
dove il cielo ed il mare
lor vita fondon infinitamente. -
Ma altrove la natura aneddotizza
la terra spiega le sue lunghe dita
ed il sole racconta a forti tratti
le coste cui il mare rode ai piedi
ed i verdi vigneti su coronano.
E giù: alle coste in seno accende il sole
bianchi paesi intorno ai campanili
e giù nel mare bianche vele erranti
alla ventura. -
 

A me d'accanto, sullo stesso scoglio
sta la fanciulla e vibra come un'alga,
siccome un'alga all'onda varia e infida
φιλοβαθεία. -
S'avviva al sole il bronzo dei capelli
ed i suoi occhi di colomba tremuli
guardano il mare e guardano la costa
illuminata. -
Ma sotto il velo dell'aria serena
sente il mistero eterno d'ogni cosa
costretta a divenire senza posa
nell'infinito.
Sente nel sol la voce dolorosa
dell'universo, - e l'abisso l'attira
l'agita con un brivido d'orrore
siccome l'onda suol l'alga marina
che le tenaci aggrappa
radici nell'abisso e ride al sole. -
 

Amico io guardo ancora all'orizzonte
dove il cielo ed il mare
la vita fondon infinitamente.
Guardo e chiedo la vita
la vita della mia forza selvaggia
perch'io plasmi il mio mondo e perché il sole
di me possa narrar l'ombra e le luci -
la vita che mi dia pace sicura
nella pienezza dell'essere.
 

E gli occhi tremuli della colomba
vedranno nella gioia e nella pace
l'abisso della mia forza selvaggia -
e le onde varie della mia esistenza
l'agiteranno or lievi or tempestose
come l'onda del mar l'alga marina
che le tenaci aggrappa
radici nell'abisso e ride al sole. -
 

 Pirano, agosto 1908

 



Il canto delle crisalidi 
Vita, morte,
la vita nella morte;
morte, vita,
la morte nella vita.
 

Noi col filo
col filo della vita
nostra sorte
filammo a questa morte.
 

E più forte
è il sogno della vita -
se la morte
a vivere ci aita
 

ma la vita
la vita non è vita
se la morte
la morte è nella vita
 

e la morte
morte non è finita
se più forte
per lei vive la vita.
 

Ma se vita
sarà la nostra morte
nella vita
viviam solo la morte
 

morte, vita,
la morte nella vita;
vita, morte,
la vita nella morte. -

 



 Dicembre
 

Scende e sale senza posa
nebbia e pioggia greve e scura,
nella nebbia la natura
si distende accidiosa.
 

Goccia, goccia lieve chiara
va sicura al suo destin
scende e spera, e vanno a gara
altre gocce senza fin.
 

Giù l'attende terra molle
dove all'altre unita va
a formar le pozze putride
per i campi e le città.
 

Nella pozza riflettete
gocce unite in società
grigio in grigio terra e cielo
per i campi e le città.
 

Ma la noia il disinganno
fa le gocce sollevar
ed il bene che non sanno
van col vento a ricercar.
 

Dalle pozze dalle valli
sale il velo e in alto va,
non ha forma né colore
l'affannosa umidità.
 

Nella nebbia la natura
si distende accidiosa,
scende e sale senza posa
pioggia e nebbia fastidiosa.
 

 Vigilia di Natale 1909

 



 Nostalgia
 

Ma un vento lieto giù dalla montagna
invade la natura senza luce
che per pioggia e per nebbia si dissolve
e delle nubi oscure la continua
trama dirompe, e la diffusa nebbia
leva ed in lembi bianchi la sospinge
giocosamente;
e ride il sole volto ad occidente
ed i monti lontani e le colline
boscose e la pianura
risuscita ugualmente illuminando
nella lor gloria varia
delle ben note forme all'abitante.
Ma splendono più chiare e più serene
festevolmente,
poiché più luminosi si rimandan
i generosi a lor raggi del sole.
Riluce il monte e il piano
e il ciel riluce
di verde luce presso all'orizzonte,
e in alto nell'azzurro
l'ultime nubi fuggono ed il sole
con lieto riso
tinge di rosa gli orli alle fuggenti.
 

Ahi! come tutta la natura in breve
si rasserena
nella pacata luce,
e la pena passata e il lungo tedio
dei giorni grigi oblia: ché solo a gioco
s'era offuscata: ed or con nuovo gioco
si rinnovella
e rifulge più pura.
Ma il cor mi punge con tristezza amara
che il dì ripensa della gioia
e l'alba luminosa e la speranza
folle e sicura, quando
con lieto viso incontro al nuovo sole
levai il primo canto, e la sua luce
era certa promessa alla mia speme
- e le dolci figure del mio sogno
che appena avvicinate dileguaro
tristi, perch'io ver lor fervidamente
mi protendessi
e in me le volessi, me stesso in loro
tutto esaurire.
Voler e non voler per più volere
mi trattenne sull'orlo della vita
ad angosciarmi in aspettar mia volta
ed ai giucchi d'amore ed alle imprese
giovanili mi fece disdegnoso.
- A qual pro? Ma alla veglia dolorosa
una fiamma splendeva e la nutriva
una speme più forte.
Ché se al lieto commercio e del piacere
al giocondo convito l'imperioso
battere mi togliea del mio volere
impaziente, e mi togliea '1 fatale
precipitar dell'ora, nel futuro
pur m'indicava la mia ferma fede
un giorno ed una gioia senza fine
e l'affrettava.
Ahi, quanto pur m'illuse la mortal
mia vista che di fuor ci finge certo
quanto ci manca sol perché ci manca -
«vuoto il presente, vuoto nel futuro
senza confini ogni presente, placa
il voler tuo affannoso!
non chieder più che non possa natura!».
Ma il cor vive, e vuole, e chiede e aspetta
pur senza speme, aspetta e giorno ed ora
e giorno ed ora né sa che s'aspetta
e inesorabilmente
passano l'ore lente.
Così è fuggita e fugge giovinezza
ed i miei sogni e la speranza antica
nel mio cupo aspettar ancor ritrovo
insoddisfatti.
 

Che mi giova o natura luminosa
l'armonia del tuo gioco senza cure?
Ahi, chi il tuo ritmo volle preoccupare
rientrar non può nei tuoi eterni giri
ad ozïare
nel lavoro giocondo ed oblioso.
È suo destino attender senza speme
né mutamento,
vegliando, il passar de l'ore lente.
 

 Dicembre 1909 
 (antivigilia dell'anno nuovo)

 



 Marzo
 

Marzo ventoso
mese adolescente
marzo luminoso
marzo impenitente.
 

Marzo che fai tuoi giochi
con le nuvole in alto
e con l'ombra e le luci
dài mutevol risalto
alla terra stupita
 

alla terra intorpidita,
mentre dal seno le strappi
e le primole e le rose
e fresch'acque rigogliose
lieto fai rigorgogliare.
 

Ed il passero riscuoti
con la tua folle ventata
nella sua grondaia secca
nella siepe denudata.
 

Spazzi i portici e le calli
e la nebbia nelle valli
e la polvere degli avi
e i propositi dei savi
rompi e l'ombra delle chiese.
 

Ed il pavido borghese
che nell'essa porta il gelo
dell'inverno trapassato
e col corpo imbarazzato
geme il reuma ed il torpore,
che nel volto porta il velo
della noia ed il pallore
della diuturna morte,
si rinchiude frettoloso
si rinvoltola accidioso
e rincardina le porte.
 

Se lo scuoti e lo palesi,
marzo giovane pazzia,
la sua trista nostalgia
sogna il sonno di sei mesi.
 

Ei ti teme, dolce frate
marzo, terrore giocoso
ma tu passi vittorioso
sbatti gli usci e le impannate
con le tue folli ventate.
 

E la densa polve sveli
nel tuo raggio popolato
e sul legno affumicato
i vetusti ragnateli.
 

Poich'il termine al riposo
canti, marzo adolescente,
t'odia questa buona gente,
marzo luminoso.
 

Ma se t'odiano addormiti
nelle coltri riscaldate
ed i passeri impauriti
nelle siepi denudate,
t'ama il falco su nell'aria
che più agile si libra
nella tua ventata varia
e la sente in ogni fibra
lieto nella tua procella,
ché per lei si fa più bella
ché per lei si fa più pura
ai suoi occhi la natura.
 

Marzo mese luminoso
marzo adolescente
marzo mese irriverente
marzo ventoso.
 

 1° marzo 1910

 



  Aprile
 

 Che più d'un giorno è la vita mortale?
 Nubil'e brev'e freddo e pien di noia,
 die pò bella parer ma nulla vale. 

   PETRARCA, Triumphus Temporis
 

Il brivido invernale e il dubbio cielo
e i nembi oscuri che al novello amore
han fatto schermo della terra antica
dispersi a un tratto, al sol ride la terra
che d'erbe e fiori ancor s'è ricoperta
- se pur il ciel di nubi ancora svarii,
onde occhieggian le stelle nelle notti,
e nere fra il lor vario scintillare
traggan le lunghe dita pel sereno
che al piano oscuro ed ai profili neri
degli alberi dei monti si congiungono.
Ma nel cielo e nel piano, ma nell'aria,
ma nello sguardo della tua compagna
e nel pallido viso,
ma nel tuo corpo, ma per la tua bocca
canta ciò che non sai: la primavera.
 

Così mi tragge a me stesso diverso
e amor m'induce e desiderio, ancora
ch'io non sappia per che, pur fiduciosi.
Ché pur in me natura si nasconde
insidiosa e ignaro me sospinge.
Ahi, che mi vale, se pur fugge l'ora
e mi toglie da me sì ch'io non possa
saziar la mia fame ora qui tutta?
Ma solo e miserabile mi struggo
lontano e solo, anco s'a te vicino
parlo ed ascolto, o mia sola compagna.
Mentre di tra le dita delle nubi
a che occhieggian le stelle nel sereno?
Già trapassa la notte e nuove fiamme
leverà il sole ch'ei rispenga tosto:
passano i giorni e già sarà qui '1 verno
e il sol sorgendo pallido e incurante
farà fiorire il fango per le strade.
A che occhieggian le stelle nel sereno?
Qui bulica la terra e qui si muore,
cantano i galli e stridon le civette.
O gioia del novello nascimento,
o nuovo amore e antico!
O vita, chi ti vive e chi ti gode
che per te nasce e vive ed ama e muore?
Ma ogni cosa sospingi senza posa
che la tua fame tiene, e che nel vario
desiderar continua si trasmuta.
Di sé ignara e del mondo desiosa
si volge a questo e a quello che nemico
le amica il vicendevole disio,
nemica a quelli pur quando li ami
e ancora a sé per più voler nemica.
Così nel giorno grigio si continua
ogni cosa che nasce moritura,
che in vari aspetti pur la vita tiene -
ed il tempo travolge - e mentre viva
vivendo muor la diuturna morte.
 

Ed ancor io così perennemente
e vivo e mi tramuto e mi dissolvo
e mentre assisto al mio dissolvimento
ad ogni istante soffro la mia morte.
E così attendo la mia primavera
una ed intera ed una gioia e un sole.
Voglio e non posso e spero senza fede.
Ahi, non c'è sole a romper questa nebbia,
ma senza fine e senza mutamento
sta in ogni tempo intero ed infinito
l'indifferente tramutar del tutto.
 

Pur tu permani, o morte, e tu m'attendi
o sano o tristo, ferma ed immutata,
morte benevolo porto sicuro.
Che ai vivi morti quando pur sia vano
quanto la vita il pallido tuo aspetto
e se morir non sia che continuar
la nebbia maledetta
e l'affanno agli schiavi della vita -
- purché alla mia pupilla questa luce
che pur guarda la tenebra si spenga
e più non sappia questo ch'ora soffro
vano tormento senza via né speme,
tu mi sei cara mille volte, o morte,
che il sonno verserai senza risveglio
su quest'occhio che sa di non vedere,
sì che l'oscurità per me sia spenta.
 

 Notte 16-17 aprile 1910

 



 Giugno
 

Tutta la forza dal tuo seno, o terra,
il sole ha tratto che salendo avvampa,
e l'estate trionfa.
Due volte l'erba ti recise avaro
il prudente bifolco, e già le fronde
onde tutta t'ammanti,
per il continuo ardor si fan perdute.
Ed alla notte gli astri all'orizzonte
per i vapor rosseggiano più grandi
quasi la vita per più forza gravi
come un'aura di morte.
Ma se i fiori onde prossima l'aurora
del giorno estremo
anelava l'adolescente Aprile
vento estivo ha dispersi,
sotto le fronde si matura il frutto
e il bifolco gioisce.
Ahi, la promessa della primavera
in questo picciol frutto si rinserra
ed il tempo procede per il giro
d'altri inverni e di nuove primavere.
 

Ma alla notte sui vertici ricolmi
passa il nembo e pel cielo s'accavalla
la nera massa delle nubi, e lungi
livida luce rompe la tenèbra
e pei piani rivela in nuovo aspetto
messi ondeggianti ed alberi ricurvi
e pei monti corruschi nuove forme
ed in cielo più mondi e nuova vita
ogni volta diversa, mentre lungi
nuova voce rimbomba e intorno e in alto
si spande e ancor dai monti riecheggia.
E a destra e a manca e presso e da lontano
riappar la nuova luce, e come il cielo
nel diverso bagliore si trasmuta,
così la terra la livida faccia
in nuova congiunzion sembra mutare,
mentre presso e lontano, oscuro o chiaro
romba il nuovo fragore senza posa.
 

Qual nuova speme, anima solitaria,
qual si ridesta
al diffuso baglior speme sopita?
Dal diffuso baglior verrà la Luce
mai veduta? e dal rombo vorticoso
la Voce squillerà che non udisti?
Ecco la terra ancora si congiunge
coi nuovi mondi in alto,
e la striscia di fuoco ecco dirompe
la tenebra, ed io stesso abbacinato
nel vortice di fuoco sono avvolto.
Sospesa a quella luce è la mia vita
un attimo od un tempo senza fine,
che fra il lampo ed il tuono non si vive.
- Ora scoppia la vita e s'apre il frutto
del mio tanto aspettar, ora la gioia
intera e il possesso dell'universo,
ora la libertà ch'io non conosco,
ora il Dio si rivela, ora è la fine.
Ma scroscia il tuono che m'assorda... io vivo
e famelico aspetto ancor la vita.
Altri lampi, altri tuoni, ed il mistero
in benefica pioggia si dissolve.


 



 Risveglio
 

Giaccio fra l'erbe
sulla schiena del monte, e beve il sole
il mio corpo che il vento m'accarezza
e sfiorano il mio capo i fiori e l'erbe
ch'agita il vento
e lo sciame ronzante degli insetti. -
Delle rondini il volo affaccendato
segna di curve rotte il cielo azzurro
e trae nell'alto vasti cerchi il largo
volo dei falchi...
Vita?! Vita?! qui l'erbe, qui la terra,
qui il vento, qui gl'insetti, qui gli uccelli,
e pur fra questi sente vede gode
sta sotto il vento a farsi vellicare
sta sotto il sole a suggere il calore
sta sotto il cielo sulla buona terra
questo ch'io chiamo «io», ma ch'io non sono.
No, non son questo corpo, queste membra
prostrate qui fra l'erbe sulla terra,
più ch'io non sia gli insetti o l'erbe o i fiori
o i falchi su nell'aria o il vento o il sole.
Io son solo, lontano, io son diverso -
altro sole, altro vento e più superbo
volo per altri cieli è la mia vita...
Ma ora qui che aspetto, e la mia vita
perché non vive, perché non avviene?
Che è questa luce, che è questo calore,
questo ronzar confuso, questa terra,
questo cielo che incombe? M'è straniero
l'aspetto d'ogni cosa, m'è nemica
questa natura! basta! voglio uscire
da questa trama d'incubi! la vita!
la mia vita! il mio sole!
 

 Ma pel cielo
montan le nubi su dall'orizzonte,
già lambiscono il sole, già alla terra
invidiano la luce ed il calore.
Un brivido percorre la natura
e rigido mi corre per le membra
al soffiare del vento. Ma che faccio
schiacciato sulla terra qui fra l'erbe?
Ora mi levo, che ora ho un fine certo,
ora ho freddo, ora ho fame, ora m'affretto,
ora so la mia vita,
che la stessa ignoranza m'è sapere -
la natura inimica ora m'è cara
che mi darà riparo e nutrimento,
ora vado a ronzar come gl'insetti. -
 

 Sul S. Valentin, giugno 1910

 



 [Alla sorella Paula]
 

Come le rondinelle anno per anno
tornano al nido che le vide implumi,
così l'uomo nel giro dei suoi giorni
torna e ritorna al pensier della culla.
Ed ogni anno quel dì rifesteggiando
che alla fame, alla sete, che al dolore,
che alla vita mortale l'ha svegliato,
ogni anno in quel dì si riconforta
ad amar la sua vita.
E i parenti - che allor nel neonato,
nella creatura fragile impotente,
della speranza lor videro il frutto,
e con pavido amore a lui porgendo
quanto la vita dona a chi la chiede
del suo pianto si fecer velo agli occhi,
confidando che vesti e nutrimento
gli potessero far viver la vita,
- anno per anno poi rinnovellando
la speranza lontana ed il dolore
si fanno velo ancora agli occhi stanchi,
grazie porgendo a lui dell'esser nato,
perch'ei sia grato a lor della sua vita,
perché il muto dolore sia obliato
e la promessa vana ogni presente.
Ma l'augurio che ciò ch'ei mai non ebbe
pur un istante
promette in lunghi anni luminosi
dia la sua luce presa dal futuro
al giorno natalizio, e l'illusione
moltiplicando gli finga la fame
esser un bene e vita sufficiente
la diuturna morte.
E baci e doni e la mensa imbandita,
dolci parole in copia e dolci cose,
liete promesse e guardi fiduciosi
faccian chiara la stanza famigliare
facciano schermo alla notte paurosa...
 

Paula, non ti so dir dolci parole,
cose non so che possan esser care,
poiché il muto dolore a me ha parlato
e m'ha narrato quello che ogni cuore
soffre e non sa - che a sé non lo confessa.
Ed oltre il vetro della chiara stanza
che le consuete imagini riflette
vedo l'oscurità pur minacciosa
- e sostare non posso nel deserto.
Lasciami andare, Paula, nella notte
a crearmi la luce da me stesso,
lasciami andar oltre il deserto, al mare
perch'io ti porti il dono luminoso
... molto più che non credi mi sei cara.
 

 2 agosto 1910

 



Onda per onda batte sullo scoglio
- passan le vele bianche all'orizzonte;
monta rimonta, or dolce or tempestosa
l'agitata marea senza riposo.
Ma onda e sole e vento e vele e scogli,
questa è la terra, quello l'orizzonte
del mar lontano, il mar senza confini.
Non è il libero mare senza sponde,
il mare dove l'onda non arriva,
il mare che da sé genera il vento,
manda la luce e in seno la riprende,
il mar che di sua vita mille vite
suscita e cresce in una sola vita.
 

Ahi, non c'è mare cui presso o lontano
varia sponda non gravi, e vario vento
non tolga dalla solitaria pace,
mare non è che non sia un dei mari.
Anche il mare è un deserto senza vita,
arido triste fermo affaticato.
Ed il giro dei giorni e delle lune,
il variar dei venti e delle coste,
il vario giogo sì lo lega e preme
- il mar che non è mare s'anche è mare.
Ritrova il vento l'onda affaticata,
e la mia chiglia solca il vecchio solco.
E se fra il vento e il mare la mia mano
regge il timone e dirizza la vela,
non è più la mia mano che la mano
di quel vento e quell'onda che non posa...
Ché senza posa come batte l'onda
ché senza posa come vola il nembo,
sì la travaglia l'anima solitaria
a varcar nuove onde, e senza fine
nuovi confini sotto nuove stelle
fingere all'occhio fisso all'orizzonte,
dove per tramontar pur sorga il sole.
Al mio sole, al mio mar per queste strade
della terra o del mar mi volgo invano,
vana è la pena e vana la speranza,
tutta è la vita arida e deserta,
finché in un punto si raccolga in porto,
di sé stessa in un punto faccia fiamma.
 

 Pirano, agosto 1910

 



Ognuno vede quanto l'altro falla
quando crede passar filo per cruna,
pur spera ognuno d'infilar sua cruna,
né perché più s'avveda dell'inganno
meno ritenta ancora la fortuna.
Che tale è la sua sorte:
col suo filo sperar vita tramare
e con la speme giungere alla morte.
 




Non è la patria
il comodo giaciglio
per la cura e la noia e la stanchezza;
ma nel suo petto, ma pel suo periglio
chi ne voglia parlar
deve crearla. -
 





È il piacere un dio pudico,
fugge da chi l'invocò;
ai piaceri egli è nemico,
fugge da chi lo cercò.
 

Egli ama quei che non lo invoca,
egli ama quei che non lo sa;
e dona la sua luce fioca
a chi per altra luce va. -
 

Chi lo cerca non lo trova,
chi lo trova non lo sa;
il suo nome mette a prova
questa fiacca umanità. -
 

È il piacere l'Iddio pudico
ch'ama quello che non lo sa:
se lo cerchi se' già mendico,
t'ha già vinto l'oscurità. -
 





Per ora a bordo non è lavorare
che inerte pende la vela
e il vento tace sul mare
e il mar è a specchio del cielo
Per ora - a bordo non è lavorare
 

A sera il sole calerà nel mare
che senza nubi è il cielo
e giù ai confini del mare
l'orizzonte è senza velo
A sera - il sole calerà nel mare
 

Oggi sul ponte dolce riposare
che senza moto la nave
riposa il riposo del mare
e non si può camminare
Oggi sul ponte dolce riposare
 

Sola sul dorso del mare
nel mezzo del cerchio lontano
sta sotto il ciel meridiano
la nave a galleggiare
 



 [I figli del mare]
 

Dalla pace del mare lontano
dalle verdi trasparenze dell'onde
dalle lucenti grotte profonde
dal silenzio senza richiami -
Itti e Senia dal regno del mare
sul suolo triste sotto il sole avaro
Itti e Senia si risvegliaro
dei mortali a vivere la morte.
Fra le grigie lagune palustri
al vario trasmutar senza riposo
al faticare sordo ansioso
per le umide vie ritorte
alle mille voci d'affanno
ai mille fantasmi di gioia
alla sete alla fame allo spavento
all'inconfessato tormento -
alla cura che pensa il domani
che all'ieri aggrappa le mani
che ognor paventa il presente più forte
al vano terrore della morte
fra i mortali ricurvi alla terra
Itti e Senia i principi del mare
sul suolo triste sotto il sole avaro
Itti e Senia si risvegliaro. -
 

Ebbero padre ed ebbero madre
e fratelli ed amici e parenti
e conobbero i dolci sentimenti
la pietà e gli affetti e il pudore
e conobbero le parole
che conviene venerare
Itti e Senia i figli del mare
e credettero d'amare.
E lontani dal loro mare
sotto il pallido sole avaro
per il dovere facile ed amaro
impararono a camminare.
Impararono a camminare
per le vie che la siepe rinserra
e stretti alle bisogna della terra
si curvarono a faticare.
Sulle pallide facce il timore
delle piccole cose umane
e le tante speranze vane
e l'ansia che stringe il core.
 

Ma nel fondo dell'occhio nero
pur viveva il lontano dolore
e parlava la voce del mistero
per l'ignoto lontano amore.
E una sera alla sponda sonante
quando il sole calava nel mare
e gli uomini cercavano riposo
al lor ozio laborioso
Itti e Senia alla sponda del mare
l'anima solitaria al suono dell'onde
per le sue corde più profonde
intendevano vibrare.
E la vasta voce del mare
al loro cuore soffocato
lontane suscitava ignote voci,
altra patria altra casa un altro altare
un'altra pace nel lontano mare.
Si sentirono soli ed estrani
nelle tristi dimore dell'uomo
si sentirono più lontani
fra le cose più dolci e care.
E bevendo lo sguardo oscuro
l'uno all'altra dall'occhio nero
videro la fiamma del mistero
per doppia face battere più forte.
Senia disse: «Vorrei morire»
e mirava l'ultimo sole.
Itti tacque, che dalla morte
nuova vita vedeva salire.
E scorrendo l'occhio lontano
sulle sponde che serrano il mare
sulle case tristi ammucchiate
dalle trepide cure avare
«Questo è morte, Senia» - egli disse -
«questa triste nebbia oscura
dove geme la torbida luce
dell'angoscia, della paura.
 

Altra voce dal profondo
ho sentito risonare
altra luce e più giocondo
ho veduto un altro mare.
Vedo il mar senza confini
senza sponde faticate
vedo l'onde illuminate
che carena non varcò.
Vedo il sole che non cala
lento e stanco a sera in mare
ma la luce sfolgorare
vedo sopra il vasto mar.
Senia, il porto non è la terra
dove a ogni brivido del mare
corre pavido a riparare
la stanca vita il pescator.
Senia, il porto è la furia del mare,
è la furia del nembo più forte,
quando libera ride la morte
a chi libero la sfidò».
 

Così disse nell'ora del vespro
Itti a Senia con voce lontana;
dalla torre batteva la campana
del domestico focolare:
«Ritornate alle case tranquille
alla pace del tetto sicuro,
che cercate un cammino più duro?
che volete dal perfido mare?
Passa la gioia, passa il dolore,
accettate la vostra sorte,
ogni cosa che vive muore
e nessuna cosa vince la morte.
Ritornate alla via consueta
e godete di ciò che v'è dato:
non v'è un fine, non v'è una meta
per chi è preda del passato.
Ritornate al noto giaciglio
alle dolci e care cose
ritornate alle mani amorose
allo sguardo che trema per voi
a coloro che il primo passo
vi mossero e il primo accento,
che vi diedero il nutrimento
che vi crebbe le membra e il cor.
Adattatevi, ritornate,
siate utili a chi vi ama
e spegnete l'infausta brama
che vi trae dal retto sentier.
Passa la gioia, passa il dolore,
accettate la vostra sorte,
ogni cosa che vive muore
nessuna forza vince la morte».
 

Soffocata nell'onda sonora
con l'anima gonfia di pianto
ascoltava l'eco del canto
nell'oscurità del cor,
e con l'occhio all'orizzonte
dove il ciel si fondeva col mare
si sentiva vacillare
Senia, e disse: «Vorrei morire».
Ma più forte sullo scoglio
l'onda lontana s'infranse
e nel fondo una nota pianse
pei perduti figli del mare.
«No, la morte non è abbandono»
disse Itti con voce più forte
«ma è il coraggio della morte
onde la luce sorgerà.
Il coraggio di sopportare
tutto il peso del dolore,
il coraggio di navigare
verso il nostro libero mare,
il coraggio di non sostare
nella cura dell'avvenire,
il coraggio di non languire
per godere le cose care.
Nel tuo occhio sotto la pena
arde ancora la fiamma selvaggia,
abbandona la triste spiaggia
e nel mare sarai la sirena.
Se t'affidi senza timore
ben più forte saprò navigare,
se non copri la faccia al dolore
giungeremo al nostro mare.
 

Senia, il porto è la furia del mare,
è la furia del nembo più forte,
quando libera ride la morte
a chi libero la sfidò». -
 

 Carsia, 2 settembre 1910

 


 [A Senia]
 

I
 

Le cose ch'io vidi nel fondo del mare,
i baratri oscuri, le luci lontane
e grovigli d'alghe e creature strane,
Senia, a te sola lo voglio narrare.
Ché a brevi fiate nel tempo passato
nel fondo del mare mi sono tuffato.
A dare or la patria all'esule sirena,
la patria a me stesso e all'uomo abbattuto
svelare la via del suo regno perduto,
mi voglio tuffare con più forte lena,
che ogni uom manifeste le tenebre arcane
conosca e vicine le cose lontane.
 

Ma quel che già vidi nel fondo del mare,
i baratri oscuri, le luci lontane
e grovigli d'alghe e creature strane,
Senia, a te sola lo voglio narrare.
 


II
 

Da te lontano, nelle notti insonni,
innanzi agli occhi dove anche io miri,
sempre ho lo slancio della tua persona
come il vento la trae della passione
e la faccia raccolta che la fiamma
nel tempo stesso vela e manifesta.
Ma se l'occhio distolgo dalla strada
arida e sola che percorro oscura
e alla diafana luce lo rivolgo
dell'imagine tua cara e lontana,
invano cerco a me farla vicina,
invano cerco trattenerla, invano
tendo le braccia: nella notte oscura
non anche io l'ho mirata ed è svanita.
E l'occhio stanco e ardente la tenèbra
pur mira densa e inesorata quale
si chiuse innanzi all'antico cantore
che a Euridice si volse ed Euridice
nella notte infernale risospinse.
Spenta ogni luce allora ed ogni via
sbarrata, allor più presso la tenèbra
mi stringe sì che il cuor ignoto orrore
m'invade, non per me se nella notte
solo io soccomba, ma per te, o compagna
forte e sicura - che pel mio piacer,
per la mia debolezza, il mio sostare
non t'abbia risospinta nella stretta
della diuturna sofferenza inerte.
 

Perciò se freddo e ruvido io ti sembri,
ma tu lo sai: è per vieppiù andare,
è per nutrir più vivida la fiamma,
perché un giorno risplenda nella notte,
perché possiamo un giorno fiammeggiar
liberi e uniti al porto della pace.
 

 9 settembre 1910
 


III
 

Non sorridente sotto il sole estivo,
la faccia luminosa e gli occhi chiari
nel doppio raggio del sole e del mare -
non melodiosa in tutta la persona
nel ritmo della danza, o fiduciosa
nell'infuriar dell'onde, come quando
a me che ti chiedevo rispondevi:
«Per me non è mai tempo di tornare,
chi va sicuro non potrà affogare»,
né sbattuta dall'onda musicale
quando senza velami dai tuoi occhi
l'anima fiammeggiava e la tua vita
nelle dita sicure era raccolta -
non più così la creatura del sole,
il fiore della vita, la sorgente
ond'io le labbra asciutte dissetava,
la giovinezza quale altrove invano
per le vie della terra ho ricercata -
non più così ti vidi nel mio sonno,
quando la trama più si fa sottile
e all'anima più pura inverso l'alba
rivela il sogno le cose lontane.
Ma ripiegata in piccolo sedile,
come un uccello che ferito a morte
l'ultima vita con l'ali ripara,
d'un velo bianco ti facevi schermo
al freddo e alla vicina fredda morte;
e in faccia era svanito ogni colore,
ogni scintilla spenta, e nelle occhiaie
oscure gli occhi t'eran fatti cavi.
Io ti parlavo e tu non rispondevi,
ma pur col bianco vel t'adoperavi
di riparare l'ultimo calore.
T'ero vicino e tu non mi vedevi,
ma nella morte già eri raccolta
ed alla morte come ad un riposo
stanca le membra e i veli disponevi,
con moto lento, come di chi ascolta
d'una squilla lontana il misterioso
annunzio noto, ch'altri non intende.
 

Così m'eri distolta e la mia vita
invano sanguinava per ridare
a te la vita che s'era partita:
con le mani non ti potea scaldare,
con la voce non ti potea svegliare.
Come da lungi nel plumbeo mare
che si fonde col cielo vela bianca
non più in mare che in cielo navigare
sembra, così pur l'anima tua stanca
era già della morte ed era in vita,
t'era fatta la vita sol dolore,
poiché in te la passione era svanita,
ma sulla faccia il pallido terrore
t'era dipinto e t'era chiuso il core.
 

Ahi, non questa sognammo amara morte
nel suo pallido aspetto pauroso,
questa che va a picchiar tutte le porte
e ai morti dalla nascita il riposo
finge nel tempo eterno e tenebroso,
ma la giovane morte che sorride
a chi per la sua cura non la teme,
la morte che congiunge e non divide
la compagna e il compagno e non li preme
con l'oscuro dolore - ma che insieme
li accoglie nel suo seno, come il porto
di pace chi ha saputo navigare
nel mar selvaggio, nel deserto mare,
che a terra non s'è vòlto per conforto.
 

Rimprovero m'è il sogno e non spavento,
perch'io m'attardo mentre tu languisci;
s'io vinco certo così non perisci.
Questo sogno m'è sferza all'ardimento.
 

 10 settembre 1910
 


IV
 

Dato ho la vela al vento e in mezzo all'onde
del mar selvaggio, nella notte oscura,
solo, in fragile nave ho abbandonato
il porto della sicurezza inerte.
Al mare aperto drizzata ho la prora
per navigare, ed alla sorte oscura
la forza del mio braccio ho contrapposta.
Non ho temuto il vento avverso e l'onda
canuta, né la mensa famigliare
e l'usato giaciglio
ho rimpianto o il commercio delle care
e dolci cose. Né deserto e triste
m'è apparso il mar sonante nella notte,
anzi la voce sua come un appello
mi sonò in cor della mia stessa vita;
mi parve dolce cosa naufragare
nel seno ondoso che col ciel confina,
né temuta ho la morte...
 

Alla punta del golfo donde il mare
s'apre libero e vasto senza fine
tu m'attendi sicura e fiduciosa,
le vesti al vento, ritta sullo scoglio.
Costeggiar mi conviene la scogliera
per uscire dal golfo, quindi uniti
navigheremo, poiché a me t'affidi:
sì breve tratto da te mi divide
e dal libero mar sì breve tratto!
- Ma perch'io tenti la bordata e tenda
la vela al vento, pur l'inerte chiglia
non fende l'onda, ch'ora sulle creste
spumanti, or negli abissi, or sur un bordo
or sull'altro la trae senza riposo.
E se l'albero gema, se la scotta
a spezzarsi si tenda, e nella vela
ingolfandosi il vento il mio naviglio
minacci di sommergere, pur sempre
alla stessa distanza io mi ritrovo
dalla punta agognata. Col timone
io m'adopero invano al mare aperto
dirizzare la prora: a chiglia inerte
il timone non giova.
 

Il vento e l'onde intanto lentamente
come un rottame verso la scogliera
mi spingono a rovina senza scampo.
Ch'io debba naufragar senza lottare
fra la miseria dei battuti scogli,
presso al porto esecrato, come un vile,
senza esser giunto al mare, e te lasciando
sola e distrutta dopo il sogno infranto
fra le stesse miserie?
 

 Gorizia, 15 settembre 1910

 

V

Se mi trovo fra gli uomini talvolta,
qualunque cosa io parli, la mia voce
mi par che solo il nome tuo richiami.
Io taccio allora e aspetto trepidando
ch'altri con bocca impura a questa voce
risponda, e del mio bene ascoso mi discorra;
e se pur d'altre cose memorando
mi parlano con voce indifferente,
ma nel loro sorriso, ma negli occhi
mi par d'intravedere ch'altra cosa
vogliono dire, che nel cor profondo
sì mi ferisce. Che da ogni mio gesto,
che dal volto mi par ch'altri mi legga
il pensiero di te che sei lontana.
Dal commercio degli uomini rifuggo
allora alla campagna solitaria
o alla mia stanza solitaria e solo
tutto in me mi raccolgo; ma nell'aria,
nel canto degli uccelli e nell'uguale
mormorare dell'acqua, dalle ripe
alte del fiume e pur dalle pareti
della mia ignuda stanza, a piena voce
il tuo nome riecheggia al mio silenzio,
sì che palese a ognuno e manifesta
del tutto, al volgo preda senza schermo,
parmi l'anima mia nel suo segreto.
Ed il sogno che nasce palpitante,
la «storia» che non soffre le parole
ma vuol esser vissuta, il più profondo
e caro senso della nostra vita,
che pur uniti e soli sotto il velo
di parole comuni nascondiamo,
d'atti comuni, con gelosa cura
nascondiamo a noi stessi, ora del volgo
mi par fatto preda contaminata.
 

Nei giorni del dolore e nelle notti
senza riposo, nella valle triste
della sorda fatica e del tormento
senza speranza, nel mio dubitare
cieco, quando l'abisso dell'inerzia,
dell'abbandono m'era aperto ai piedi,
allor fioca scintilla io l'allevava
il mio sogno lontano, ancor ch'io fossi
d'ogni certa speranza privo al tutto;
ma da quello una vena mi fluiva
di forza che nel mezzo delle cose
vane e volgari, delle ottuse cure,
indifferente mi facea e sicuro,
e al dolor mi temprava e ogni timore
del mio stesso soffrir, ogni ricerca
di premi, di riposo, di conforto
ogni viltà dal cuore mi toglieva.
Dal più profondo della mia distretta,
nella mente più oscura quella fiamma
mi era sorta, caduta ogni speranza,
e la risposta al tanto faticare
di richieste alla vita per lei chiara
mi rifulgeva: «Non chieder più nulla,
sappi goder del tuo stesso dolore,
non adattarti per fuggir la morte;
anzi da te la vita nel deserto
fatti - che sia per gli altri nuova vita;
non disperare, ma rinuncia ai vani
aspetti della vita, e nel deserto
sarai tranquillo: dalla tua rinuncia
rifulgerà il tuo atto vittorioso,
ΑΡΓΙΑ sarà il tuo porto Ι'ΕΝΕΡΓΕΙΑΣ».
 

E sentii la mia vita fiammeggiare
ed il deserto farsi popoloso,
credetti fosse giunto il luminoso
mio giorno nella notte e consumare
quella fiamma mi parve la mia vita.
Ma per più lunga strada il mio destino
mi volse a far cammino: e vivo ancora
mi trovai nel fittizio riposo,
ma a te vicino per più forte andare;
in te concreta vidi la mia fiamma,
in te il mio sogno fatto era vicino
e la mia vita più certa: ogni ritorno,
ogni vile riposo, ogni timore
era morto per me. - Nel mare ondoso,
sulla brulla costiera solitaria,
sotto la forte quercia, a me vicina
io t'ho sentita siccome nel sogno. -
Non Argia ma Senia io t'ho chiamata,
per non sostar nel facile riposo,
e la lingua la fiamma consacrata
con le parole non contaminò.
Pur or mi trovo ancora nella nebbia
e il camminar m'è vano e la fatica
novellamente mi si fa penosa.
Io sento me da me fatto diverso,
se pur vicina ti sento lontana
ancora come un tempo, e la mia fiamma
geme che pur rifulse nella notte
per sua forza, sicura. Nelle tante
piccole e vane cose nuovamente
io mi dissolvo; nell'oscuro giro
della diuturna noia il nostro sogno
parmi tradito e per ignote voci
con parole di scherno messo a nudo,
pesato, misurato, confrontato…
Come se ignote mani il focolare
andassero scrutando ingordamente,
e alle ceneri insieme le faville
disperdessero al vento...
 

L'angoscia di non giungere alla vita
e di perire dell'oscura morte
te trascinando nell'abisso, Senia,
mi prende forte sì che dubitoso
mi son fatto di me, che non sopporto
le mie stesse parole, e di me stesso
invincibile nausea m'opprime.
 

 Gorizia, 19 settembre 1910
 


VI
 

Ti son vicino e tu mi sei lontana,
mi guardi e non mi vedi, o s'io ti parlo,
pur amando ascolti, non però m'intendi;
ti sono questo corpo e questi suoni,
ti sono un nome, ti son un dei tanti,
come un altro sarebbe
che per nome e per vista conoscessi.
Io non sono per te «io», la mia vita,
io, questa mia volontà più forte,
Il mio sogno, il mio mondo, il mio destino.
Io non sono per te: questo mio amore
disperato e lontano e doloroso
- gli passi accanto e non lo senti amare.
Ma ancor fra gli altri uomini t'aggiri,
con questo parli ed a quello t'affidi,
fra lor vivi e per lor, s'anco a nessuno
dai la tua speme intera e la fiducia.
Ma fra l'oggi e il domani e questo e quello
ti dissolvi, e trapassi senza sole
la tua selvaggia e forte giovinezza,
e la tua speme consumando ignara
sei di te stessa - ed io mi struggo invano.
Mentre mi vince gelosia crudele
non pur di questo giovane e di quello
cui lo sguardo concedi o la parola,
ma d'ogni cosa che ti sia vicina,
ma del sole, dell'aria, ma del pane,
ché di loro ti nutri e a me sei tolta;
gelosia d'ogni giorno, d'ogni istante,
che vivi, che non vivi di me solo,
che l'aria e il pane e il sole, che ogni cosa,
che il mondo intero, che la vita stessa
vorrei esser per te - ma tu l'ignori.
 


VII

Parlarti? e pria che tolta per la vita
mi sii, del tutto prenderti? - che giova?
che giova, se del tutto io t'ho perduta
quando mia tu non fosti il giorno stesso
che c'incontrammo? Che se pur t'avessi
ora, vincendo, mia per il futuro,
mia per diritto, mia per tuo volere,
mia non saresti più che non sei ora,
mia non saresti più che s'altra mano
ti possedesse. Che pur del mio corpo
sarei geloso come or son d'altrui.
Non più sarei per te la vita intera
ch'ora non sono, se già in me non l'ami:
ma se in me non l'ami, se tua vita
crear non so della mia vita stessa,
che più giova sperar, che più volere,
che mi giova la vita e il mio dolore
e questo amor lontano e disperato?
Fatto sono da me stesso diverso
che centra il fato mi dicevo forte,
poiché ho esperta e ancor vivo ad ogni istante
nella tua indifferenza la mia morte.
Né più mi giova mendicare i giorni
né chieder altro più dal dio nemico,
se non che faccia mia morte finita.



 


All'Isonzo

Dalle nevose gole, dai torbidi
monti lontani con lena rabida,
con aspro sibilo soffia la raffica,
rompe la densa greve nebbia,
stringe le basse grigie nubi
e le respinge in onde gravide.


Passa radendo sui pioppi tremoli
- sul nero piano incombe il peso
della ciclopica lotta dell'etere.
Ma a lei più forte risponde l'impeto
selvaggio e giovine del fiume rapido
cui le corrose ripe trattengono:
il suo possente muggito al sibilo
della procella commesce e il vivido
chiaror del lontano sereno
riflette livido, nell'onda torbida.


E al mar l'annuncio porta della lotta
che nebbia e vento nel ciel combattono,
al mar l'annuncio porta del tumulto
che in cor m'infuria quando la nausea,
quando il torpore, il dubbio, l'abbandono
per la tua vista, Argia, più fervido
l'ardir combatte e sogna il mare libero.


 Notte del 22 settembre 1910