29 déc. 2019

Le renouveau de l’enchantement

                                                                   Gilbert Durand 



L’on connaît le mot profond de Max Weber constatant que la modernité a couru depuis un siècle sur la lancée d’un « désenchantement » (Entzauberung) du monde et de la cité. Or, depuis un demi-siècle, l’on constate un vaste mouvement contraire, certes parallèle à la redécouverte des images par la psychanalyse, mais ne mêlant ses eaux ni à cette dernière, ni à la psycho-critique littéraire, fondée par Charles Mauron, ni même à la « mythocritique » dont nous avons, il y a vingt ans, exposé les fondements. La vieille panoplie de la sociologie positiviste, voire matérialiste, s’est émoussée pour faire place à toute une série — non concertée — de recherches sociologiques et socio-historiques qui ont pour fer de lance une véritable « mythanalyse », c’est-à-dire qui prennent d’abord appuis sur ces courants de représentations collectives plus profonds même que les idéologies et qui se calquent sur les immémoriaux récits — sermones mythici! — des mythologies.
Si l’on veut un acte fondateur à cette tradition de l’analyse en séquences et en figures mythiques du donné et du vécu social, il faut peut être se référer aux articles de C.G. Jung (collectés en français par Roland Cahen sous le titre Aspects du monde contemporain), dont certains datent de 1926 (sa critique du livre de Keyserling, Analyse spectrale de l’Europe) et dont un, capital et hélas prévisionnel, paru en 1936 dans la Neue Schweizer Rundschau, consacré à la résurgence nazie du mythe de Wotan, ainsi que la critique des ouvrages de penseurs nazis comme Martin Ninck ou Wilhelm Hauer (Lettre de 1932), constitue bien le premier travail de « mythanalyse ». Il faut signaler la contribution à cette méthode naissante, des collaborateurs philologues et anthropologues de C.G. Jung que furent l’ethnologue Paul Radin, l’indologue Henri Zimmer, l’islamologue Henry Corbin, le spécialiste de la mystique juive Gershom Scholem, et surtout l’helléniste K. Kérényi. Mais, à l’insu de ce courant fondateur que perpétuent et vérifient James Hillman que je salue ici, ou Pierre Solié, de multiples rivières coulent dans le même sens : Denis de Rougemont qui exhausse l’un des mythes fondateurs de l’Occident dès 1956, l’illustre Georges Dumezil dont on connaît l’attachement à sortir de l’ombre de l’histoire et des institutions les fondements de la « tripartition fonctionnelle » des sociétés indo-européennes, leçon qui ne sera pas perdue pour l’historien Georges Duby…
L’INFLUENCE DU MYTHIQUE
Et il faut penser aussi à ce marxisme en question que fut l’École de Francfort, qui culbutant avec Bloch, Mannheim, et finalement Marcuse, l’ordre sacro-saint de l’infrastructure, retrouvera avec plus ou moins d’audace la prégnance du mythique sur la démarche sociale. La vieille civilisation matérialiste sort certainement ébranlée des confrontations avec Éros ! Et que dire des travaux d’Henri Desroche, de Jean Servier (1963), de J.P. Sironneau (1978), du récent livre de Michel Cazenave (Les empereurs fous, Imago, 1981) et du livre aussi récent d’André Reszler (Mythes politiques modernes, P.U.F., 1981) ? Mon propos n’est pas ici de tenir les comptes de cette grande résurgence du mythe dans le champ et même les méthodes des Sciences Sociales, mais de m’interroger d’abord, trop rapidement certes, sur les référents épistémologiques qui marquent, accompagnent et peut-être permettent ce ré-enchantement d’une Science Sociologique depuis bien longtemps desséchée par l’exclusive méthode du comptage des « faits objectifs » et le mythologème — refoulé en tant que tel ! — du « sens de l’histoire » hérité des providentialismes et messianismes juifs et chrétiens.
ÉPISTÉMOLOGIE DU NOUVEL ENCHANTEMENT
Une telle résurgence des valeurs du mythe n’a été possible que sur le fond de la révolution épistémologique qui a donné le ton pendant les cinquante dernières années à l’épistème de pointe de l’Occident. L’on a vu s’intensifier le Nouvel Esprit Scientifique étudié par Bachelard vers les années 30 et issu de la microphysique de Planck, de la mécanique ondulatoire de Broglie, et de la relativité d’Einstein. Le Nouvel Esprit Scientifique des années 50 à 80 a poussé jusqu’à l’extrême avec Ferdinand Gonseth, René Thom et surtout Bernard d’Espagnat, David Bohm et Olivier Costa de Beauregard, les positions paradoxales de la fameuse « Philosophie du Non » chère à Gaston Bachelard. Non seulement les logiques non aristotéliciennes, dont Lupasco fut le théoricien, ont maintenant droit de cité, mais la théorisation expérimentale de la physique contemporaine s’est attaquée aux piliers fondamentaux de la démarche mentale la plus profonde de la psyché occidentale : le déterminisme causal et ses formes a priori que sont l’espace — euclidien ou riemannien — et le temps irréversible de Newton. L’extension à toute mécanique et à l’électronique appliquée de la notion de complexité cybernétique et systémique modifie l’axiome que l’on plaçait comme modèle de stabilité : « l’objet » lui-même. L’objectivité se nuance en degrés d’objectivité, l’ancienne objectivité « lourde » n’ayant plus guère d’application dans un univers physicien où — selon l’expression de Bernard d’Espagnat — le réel est toujours « voilé » . Cet allègement de l’objectivité, cette relativisation du réel, cette subversion du temps et du déterminisme causal à l’intérieur même du bastion du « fait » expérimental de la physique allait entrer en consonance avec ce que les sciences de l’homme — voire de l« âme » — avaient de tout temps constaté sans oser l’avouer dans un univers investi lentement par les certitudes péremptoires de vingt siècles de catégories aristotéliciennes. Le hiatus au cœur de notre civilisation qu’Henry Corbin plaçait emblématiquement au XIIe siècle à Cordoue, lorsqu’Ibn Arabi abandonnait à l’Occident la dépouille d’Averroës, sembla peu à peu se combler lorsqu’on vit à Cordoue même, comme en 1979 lors d’un colloque qui fit tant de bruit, les physiciens les plus éminents de ce temps converser avec les psychologues des profondeurs, les historiens des religions, les poètes et les gnostiques. La distance que Bachelard conservait encore entre les paradoxes de la nouvelle physique — devenus selon le mot de Costa de Beauregard « paradigmes — et les oxymores de la création poétique, diminue d’année en année depuis trente ans. Dès l’instant où le « réel » physique se fait « voile », et où, grâce à l’étude profonde de l’âme menée par Carl Gustav Jung, Henry Corbin, Mircea Eliade et leurs émules, l’irréel ou le surréel se dévoile et prend des structures explicites passibles d’expérimentation et de conceptualisation, les axes de la poétique de l’âme et ceux de la  « nouménotechnie » scientifique — comme Bachelard qualifiant la Science — ne sont plus si divergents qu’ils l’étaient au XIXe siècle finissant. L’ensemble de tous les savoirs s’organise et s’harmonise dans une sorte de « Musée imaginaire généralisé » .
Mais ce bouleversement, cette « subversion » épistémologique — comme l’écrit J.J. Wunenburger (La Galaxie de l’Imaginaire, Berg, 1979) — est riche d’un fort impact inconscient sur la science de l’homme. Sans nous arrêter dans ce no man’s land constitué par la parapsychologie et qui passionne tant les physiciens, mais en nous en tenant aux vieilles classifications épistémologiques des « Sciences de l’homme » qui distinguent psychologie, sociologie et histoire, disons que le changement profond des structures logiques, catégorielles et conceptuelles que promeut la science physicienne de notre temps, entraîne une révision complète des modèles (parterns) représentatifs, des grandes métaphores qui pilotent en un gigantesque « schématisme transcendantal » la recherche scientifique.
Les vieux mythèmes évocateurs d’un temps linéaire et inspiré par la croissance ou le déclin biologiques, tels l’Arbre de Jessé ou, au contraire, l’arbre mort et sec de l’hiver, qui ont hanté toutes les sciences sociales du siècle écoulé, n’ont plus leur efficacité prométhéenne ou apocalyptique. Pas plus que la physique de pointe n’utilise le train des « faits » qui accroche ses wagons derrière la locomotive de la cause en route sur la voie unique du progrès, la science de l’homme, et particulièrement la psychologie contemporaine, abandonne aux pédagogies de Piaget ou de Wallon la « croissance » du psychisme, à Marx et à Comte, le fameux messianique « sens de l’histoire » , et à Spengler le « ragna-rök » .
Parallèlement à la physique du « réel voilé » (Bernard d’Espagnat) ou de l« implication » (David Bohm), la science de l’homme se polarise sur le mythème de la profondeur. Que l’on se souvienne du fameux rêve de Jung en 1909, où les images du rêve conduisent le rêveur en des caves et souterrains de plus en plus profonds. Si le réel du physicien se « voile » , celui de l’anthropologue « s’épaissit » si l’on peut dire, prend une « épaisseur ». C’est ce que découvre l’historien qui, comme Fernand Braudel, aperçoit derrière la durée des événements et des jeux de surface, une « longue durée » — elle-même passible de degrés retenant en ses profondeurs une « durée quasi immobile » que Georges Dumezil identifie avec ces mythes fondateurs de toute société dans le sillage desquels s’engouffre toute histoire et se signent toutes les attitudes socio-culturelles. Glanant ces constantes mythiques à travers le territoire philologique des langues indo-européennes, la théorie de l’Urgrund anthropologique est passible d’amplification — comme nous l’avons tenté nous-mêmes dans un article de l’Eranos Jahrbuch de 1976 — comme Noam Chomsky l’a fait avec la notion de grammaire universelle. Mais les sociologues de notre temps, avec plus ou moins conscience de ce grave bouleversement, l’ont fait soit en cherchant, au fond, des morphologies, des structures peu apparentes mais décisives (Claude Levi-Strauss), soit en étageant l’objet de la sociologie en « paliers en profondeur » (Georges Gurvitch), soit même avec Lazarsfeld et Boudon, en complétant les linéaires analyses factorielles par « l’analyse multivariée ». Ou encore, pour mieux dire avec le sociologue le plus perspicace de la génération de l’après-guerre Roger Bastide, en discriminant le « coriace » derrière le flux et le reflux des incidences de surface.
Mais la métaphore de la profondeur, qui transforme l’espace homogène d’Euclide — sans épaisseur qualitative — en topos, c’est bien la psychanalyse qui le promeut. L’on sait la révolution qu’apporte la première « topique » freudienne étageant le conscient et l’inconscient. La seconde topique qui articule le moi sous la voûte du surmoi et sur le socle du « ça », tend à donner un aspect sinon plus systémique du moins plus organisationnel à l’appareil psychique. Toutefois, même dans la seconde topique, Freud reste tributaire d’un schéma causal linéaire et peu réversible — que vient seulement dramatiser la dialectique du moi — bien éloigné des connexions a-causales que met en place la physique moderne.
A cette qualification hétérogénéifiante de l’espace que constitue la topique, il faut ajouter une modification essentielle de notre conception newtonienne — et einsteinienne — du temps. Ce qu’un Costa de Beauregard a proposé de résoudre à partir du fameux paradoxe d’Einstein / Podolsky / Rosen en montrant que le temps de la microphysique était au fond séparable de l’entropie de la thermodynamique, modélisée dans notre imagerie par la linéarité fatale du temps mortel, Jung semble l’avoir réalisé dans la fameuse notion — tirée d’expériences multiples, soulignons-le bien ! — de la synchronicité. Dans la synchronicité comme dans la solution du « paradoxe  (devenu paradigme ! ) E.P.R. » il y a une sorte d’inversion des causalités ou des motivations : le fameux « scarabée » qui vient tomber aux pieds du psychothérapeute et de sa patiente n’est pas plus cause de la solution des difficultés phychiques qui se présentent à l’instant, que ces dernières ne sont cause de l’apparition du scarabée. A la notion de topos il faut joindre celle de synchronicité ou kairos, « moment favorable », moment « bouclé » dirait un mathématicien où l’effet renforce la causalité de la cause, où la cause devient effet de son effet, « fille qui est mère de sa mère » disaient les alchimistes… Le temps lui aussi se boucle sur un épaississement.
Or. la plupart des phénomènes humains qui ont une importance, c’est-à-dire une signification pour l’individu comme pour le groupe, s’inscrivent dans un tel kairos, Spengler avait déjà bien vu que les structures qui reposent sur les moments importants de l’histoire ne s’alignent pas sur l’entropie anthropologique : à des siècles de distance, des événements de structure homologue peuvent être dits « contemporains » (zeitgenössisch), instants d’intensification du sens — que retiennent histoire et biographie — où le « temps suspend son vol » … Comme Jung l’écrit au célèbre physicien Wolfgang Pauli, avec lequel il collabore et écrit son étude sur la synchronicité, l’on atteint par ces notions combinées d’espace qualitatif (topos) et de durée non déterminée (kairos), une sorte de relation d’incertitude familière aux physiciens : « Continuum omniprésent aussi bien que présent sans étendue »…
Notons au passage combien les schématisations diagrammatiques plus chères à Jung qu’à Freud de ce processus de « bouclage » — sous leur forme imagée de diagrammes cosmiques, de « ciels » astrologiques, de mandalas, etc. — conviennent mieux que les coordonnées cartésiennes à exprimer cette « épaisseur » de dévoilement de la réalité anthro-pologique. Mais ce qui est important et décisif c’est de constater que ce kairos et ce topos sont l’étendue et le temps spécifiques que tous les spécialistes ont reconnu être ceux du mythe. C’est le fameux « illud tempus » cher à Eliade, c’est la fameuse « synchronie » (à ne pas confondre avec la synchronicité jungienne) chère à Claude Lévi-Strauss, par laquelle l’espace prend une épaisseur, regroupe en « paquets » (« en grappes », disait Bachelard) homologues de sens des images dispersées par la diachronie inéluctable du discours, fût-il sermo mythicus. L’adoption des concepts épistémologiques de temps et de causalité « réversibles », de qualification morphologique de l’espace (René Thom), équivaut donc à focaliser l’attention de la recherche anthropologique sur l’importance fondamentale du mythe et de son cortège imaginaire. Fort de cette convergence de l’épistémologie de ce siècle écoulé et des conceptions nouvelles des phénomènes anthropologiques, l’on peut se demander si les conceptualisations nées de la psychanalyse et surtout de la psychologie des profondeurs ne pourraient pas s’appliquer, pour les éclairer, aux constats récents des Sciences Sociales, si le topos de la psyché ne pourrait pas inspirer un topos dans la cité, et également si le kairos de la synchronicité ne pourrait pas comporter les découvertes d’une « histoire profonde ». Bien plus, on peut entrevoir que le processus de mythification, la Bezauberung est le sensorium commune de cette démarche de l’anthropologie nouvelle.
MÉTHODOLOGIE DE LA « BEZAUBERUNG » : ESQUISSE D’UNE TOPIQUE DES SCIENCES SOCIALES
Que les limites des conceptualisations de la physique et de l’anthropologie nouvelles aillent en s’amenuisant, nécessite de reconnaître un champ de signification commun que Jung a appelé « psychoïde ». Sans entrer dans les détails de cette notion disons simplement que l’accord de l’objectivité du monde « extérieur » et de la subjectivité du monde psychique individuel est un des terrains où la notion de « psychoïde » est la plus évidente. Comme le dit Jung « l’âme d’un peuple n’est qu’une formation un peu plus complexe que celle de l’individu ». Cette « complexité », toutefois, nous dictera ici une précaution méthodologique : ce n’est que métaphoriquement que le plus simple peut devenir le modèle du plus complexe. Ou plus exactement ce n’est que « métonymiquement ». Car le système social ne reçoit pas justement les « simplifications » que comporte le système individuel lié à l’entropie biologique. C’est pour cela que la métaphore « psychique » du social nous paraît plus heuristique que la métaphore biologique. Mais elle n’en est pas moins métaphore : le système social, contrairement au système individuel psychique, est « à décideurs multiples ». La relation déterministe exprimée par le schéma cause /effet s’y estompe encore plus que dans l’écheveau des déterminations individuelles. Les sociologues ont toujours été frappés par le caractère « paradoxal » (Max Weber) voire « pervers » (René Boudon) de la « causalité » en sociologie. Très souvent, les « effets » produits sont inattendus, contradictoires avec les perspectives de la cause antécédente.
Aussi ne pourrons-nous pas prendre tel quel le schéma encore bien orthogonal — cartésien ! — des topiques freudiennes où la pulsion « verticale » du ça est comme coupée par l’horizontalité du surmoi. Ça, moi et surmoi ne seront ici que des repères métaphoriques. En vérité la « topique » socio-historique est bouclée en une sorte de diagramme où « l’implicant » général (le sermo mythicus et ses noyaux archétypiques) contient pour ainsi dire les explications, les déploiements que sont le « ça » social analysé par les mythologues, le « moi » social passible de la psychosociologie et le « surmoi », le « conscient collectif », domaine des analyses institutionnelles, des codifications juridiques, des réflexions pédagogiques. Notre théorie n’est cependant pas assez élaborée à ce point pour que nous puissions faire figurer dans un pur diagramme — avec équivalence de « pouvoir décideur » — le « ça » inconscient collectif, le « moi » social des rôles et le « surmoi » des institutions. C’est donc un schéma métaphorique bâtard que nous proposons, bien qu’il se décolle déjà de la pure orthogonalité freudienne. L’ordre de notre description peut paraître ainsi arbitraire : disons que, pour le justifier, nous avons commencé par décrire ce qui nous paraît justement être une innovation dans le champ épistémologique de la sociologie, traditionnellement attachée aux analyses du « surmoi » des institutions et des pédagogies épistémologiques.
Ce que l’on rencontre donc dans la première partie du diagramme — ou au plus profond de l’échelle topique ! — c’est donc le « ça » anthropologique. Cet Urgrund « quasi immobile » (Braudel), « qui ne se transforme jamais » (Carl Gustav Jung), et que Jung appelle « inconscient collectif » — mais qui répartit très tôt en deux séries : l’une spécifique, attachée à la structure de l’animal social qu’est l’homo sapiens, l’autre plus « lamarckienne » — comme l’écrit Michel Cazenave en un excellent article (cahier de Psychologie Jungienne n° 29. 1981) — et passible des vêtures culturelles. L’une du côté de l’archétype proprement dit, pure instance numineuse, l’autre du côté de « l’image archétype » déjà enrobée d’une présentation, donc « localisée » (René Thom).
Nous pourrions, quant à nous, parler d’un « inconscient collectif spécifique », émergeant à peine au niveau de la prise de conscience et repéré dans son abstraction par les linguistes et les structuralistes qui parlent du « toujours traductible » du mythe (Claude Lévi-Strauss), des « universaux » du langage (Mounin et de Mauro) ou de « base générative » (Noam Chomsky). Il s’agit bien là en effet d’un métalangage (Lévi-Strauss; cf. notre chapitre de Figures mythiques et visages de l’œuvre) qui n’apparaît — puisqu’il faut bien qu’il apparaisse pour être repéré et étudié ! — qu’au niveau des grandes synchronies, des grandes homologies d’images, de ces Urbilder que découvre l’éthologie du comportement animal (Lorenz, Portmann, Spitz, Keyla, etc.). Il émerge dans ces « mythes latents » qu’a bien repérés Georges Bastide dans le moment gidien (Anatomie d’André Gide — P.U.F., 1972), et qui n’arrivent pas nettement à s’ancrer dans des images précises, à se donner un nom fixe. Ils sont comme nous l’avons dit jadis, au niveau « verbal », à la rigueur au niveau « épithétique », non au niveau substantif. Flous quant à leur figure, ils n’en sont pas moins précis quant à leur structure. Tout comme ces divinités latines que Georges Dumézil dit pauvres en représentations figurées mais riches en cohérences structuro-fonctionnelles. Car cet inconscient spécifique n’a rien d’anomique : comme l’ont montré les travaux expérimentaux du psychologue Yves Durand, ils intègrent clairement les « paquets » d’images, les homologies dans des séries bien définies.
Mais un trait fondamental, attaché à la logique de toute « systémique », c’est que les archétypes sont pluriels : ils constituent à la fois le polythéisme foncier des valeurs imaginaires (Max Weber, Henry Corbin, David Miller, etc.) et le caractère dilemmatique (Lévi-Strauss) que revêt tout sermo mythicus. Dès son état naissant, les instances du mythe sont au pluriel. Elles sont absolument hétérogènes dans leur nomos irréductible. Le polythéisme fonctionnel qui transparaît dans les conflits de la psyché individuelle est encore plus vigoureux dans les instances de la psyché collective.
Mais cet « inconscient spécifique » se prend quasi immédiatement dans les images symboliques portées par l’environnement, et au premier chef l’environnement culturel. Le métalangage primordial vient se ranger dans la langue naturelle du groupe social. L’inconscient collectif se fait culturel. Les cités, les mouvements, les constructions de la société viennent capter et identifier pour ainsi dire dans la mémoire du groupe la pulsion des archétypes. La cité concrète vient modeler le désir de la cité idéale (Roger Mucchielli), car une utopie n’est jamais pure de sa niche socio-historique. Les verbes et les épithètes qui signalent la généralité de l’inconscient spécifique se substantifient. Les dieux de l’archaïque Latium prennent les visages et épousent les querelles du panthéon imagé des hellènes.
Au niveau de cette arché-sociologie, ce sont ces phénomènes de première imprégnation culturelle qu’ont repérés les Américains sous le nom de basic personality (Kardiner, Linton, etc.) et les Allemands sous le nom de « paysage culturel », Landschaft (Oswald Spengler). Mais ce niveau fondateur, sous l’impulsion même de la représentativité, entraîne ipso facto le niveau où ces substantifications s’attribuent à des rôles humains et se « théâtralisent » (cf. Jean Duvignaud, Michel Maffesoli). C’est cet ensemble « actantiel » (pour reprendre la terminologie de Greimas, de Souriau ou d’Yves Durand) qui constitue ce que l’on pourrait appeler métaphoriquement le « moi social ». Par une « capillarisation insidieuse », les instances hiérarchisées, conflictuelles, hétéronomes de la « cité idéale » mettent en scène les personae et les personnages du jeu social.
Comme leur origine fondamentale, les rôles sociaux — qu’étudient la sociologie de la relation et la psychologie sociale — sont pluriels. Les particularismes des « emplois » donnent des ségrégations et des jeux d’opposition et d’alliance entre castes, classes, sexes, rangs d’âges, en un mot entre « stratifications sociales ». Il nous semble d’ailleurs, et par les voies toutes différentes de celles purement structurelles empruntées par Propp, Greimas, Souriau, et expérimentales suivies par Yves Durand, que ces « emplois » actantiels n’excèdent pas le nombre de sept (six opposés deux à deux plus un). Quoiqu’il en soit il est important de souligner — comme le prouvent les travaux d’Yves Durand, et ceux d’Albert Yves Dauge sur le « barbare » — que dans cette constellation de rôles, non seulement se dessine une hiérarchie mais s’intègre la négativité de certains rôles cependant indispensables : hors castes, marginaux, barbares plus ou moins intégrés, etc. Cette négativité introduite systématiquement dans l’ensemble des rôles joue certainement une fonction importante dans les mouvements de ressourcement du mythe. Le monumental travail de Nicole Martinez sur les « tziganes » et les marginaux, montre que ces derniers sont le support d’un mythe très riche, très fécondant dans la psyché collective. Mais, de toute façon, le theatrum societatis implique des rôles diversifiés jusqu’à un certain antagonisme. Il est bien intéressant de constater que ce diagramme à 7 actants tel que le dessine Yves Durand dans des perspectives purement psychologiques, est semblable à celui dessiné par Baudouin pour « intégrer » les instances archétypes de l’individualisation, et que nous l’avons également retrouvé dans l’analyse que nous avons faite des « limites » d’un consensus social (Eranos Jahrbuch, 1980). Le lieu n’est pas ici de nous étendre sur les mécanismes qui régularisent et cohérent ces 7 instances actantielles du theatrum societatis. Ne retenons pour les commodités du fonctionnement que notre topique, que la classification des « rôles » en positif et négatif, ou comme l’avaient souligné les anciens — Grecs ou Latins — en divinités « extra-muros » et « intra-muros »… Disons très grossièrement que dans une société donnée, lorsque le mythe tend à expurger ses recours à l’imaginaire profond et que seuls les rôles les plus adéquats à la rationalisation et la conceptualisation du système sont honorés (c’est le cas des rôles « techniques » dans la technocratie, des rôles « administratifs et juridictionnels » dans la bureaucratie, etc.), ce sont les rôles négligés et « marginalisés » qui sont le réservoir des ressourcements mythologiques. Telle fut la condition d’une partie du Tiers État en 1790, telle fut celle des étudiants dans les mouvements de 1968. Il serait bien instructif d’étudier précisément la place des marginaux, dans le mouvement National Socialiste naissant et spécialement chez les S.A. Mais il faut insister sur ce point : il n’y a pas des rôles prédestinés à la conservation des institutions, et d’autres opposés. Dans tel cas ce sont les rôles guerriers qui sont conservateurs d’un pouvoir, dans tel autre ce sont eux qui promeuvent les pronunciamentos. Tout dépend des rôles qui sont marginalisés. Tantôt, dans l’histoire de l’Occident, ce furent ceux des rois et des nobles, tantôt ceux du sacerdoce et des clercs. Le recours contre les rationalisations sacerdotales fut l’empereur et le recours contre les prédictions sur l’empire fut le sacerdoce. Mais les marginalisés de tout ordre ont toujours plus de chance d’être les ferments de contestation. Enfin, au niveau institutionnel d’une société, l’ont peut placer une sorte de « surmoi » social passible d’une sociologie juridique et institutionnelle, à la fois conservateur et codificateur de l’épistème de la société à un « instant » (qui n’est pas instantané ! cet instant peut durer plusieurs siècles, et en aucun cas il n’est inférieur à la maturation — 25 à 30 ans — d’une génération donnée de son devenir). Ce surmoi est le réservoir des codes, des juridictions, mais aussi des idéologies courantes, des règles pédagogiques, des visées utopiques (les « plans », les « programmes », etc.), et des leçons que le génie de l’instant tire de l’histoire du groupe. A ce niveau le mythos se positive, si l’on peut dire, en épos et se logicise en logos.
Mais le lien qui relie ces trois « niveaux » métaphoriques de la topique sociale, la force de cohérence fondamentale qu’ « implique » le niveau fondateur archétypique, le niveau actantiel des rôles, et le niveau des entreprises rationnelles « logiques », aurait écrit Pareto, c’est le sermo mythicus. Par un paradoxe de plus, c’est à l’instant où le mythe se rationalise en visée utopique, en « méthodos » rationnel, à l’instant donc où il est le plus manifeste dans les institutions et les juridictions, qu’il est le mieux intégré à la « conscience collective » — ou pour parler comme Lupasco, à l’instant où il s'« actualise » — que le mythe devient latent en tant que force mythique, qu’il se démythologise en quelque sorte. Mais c’est alors qu’il y a « Malaise dans la civilisation », qu’il y a une occultation dangereuse qui — Jung l’a bien montré à propos de l’Aufklärung comme du Wotan nazi — renvoie la numinosité du mythique du côté du moi le plus exacerbé, du côté de l’égotisme individualiste. Alors l’on n’a plus affaire à une « société » — pas même à une Gemeinschaft — mais à une masse, une foule qui va faciliter les « capillarisations » du numen mythique, les regrouper en un torrent souvent subversif et quelquefois dévastateur.
Ainsi une société oscille, en des diastoles et des systoles plus ou moins rapides, n’excédant pas semble-t-il en deçà d’une génération humaine (Peyre, Matore ou Michaud) et au-delà d’un millénaire (Oswald Spengler) auteur d’un axe, ou si l’on préfère, au sein d’un « implicant » mythologique dont l’appréciation, sinon la mesure (on peut toujours « compter », comme l’on fait Sorokin ou le critique littéraire Trousson, les épiphanies d’un mythe), est selon nous l’indicateur principal de « l’état » d’une société.
Le mythe apparaît ainsi non seulement comme un indicateur fondamental pour l’observateur, mais dans un ensemble systémique, comme un « décideur » capital pour l’acteur politique. Non pas que la divinité intervienne de l’extérieur, par une spontanéité théologique comme dans le devenir hégélien, marxiste, ou spenglérien… Mais en ce sens que le numineux d’un mythe peut se trouver réactivé, retrempé, exacerbé, et faisant alors galoper l’histoire au travers d’une personnalité qui a l’intuition ou l’intelligence du mythe pertinent à la société et au kairos de l’instant. Tels furent en leur temps Alexandre, Auguste, Jeanne d’Arc, Napoléon, Lénine ou peut-être Hitler dans l’Allemagne vaincue des années 20. Certes ils le furent avec plus ou moins de bonheur. Je veux dire par là avec plus ou moins d’ouverture et d’intelligence à la pluralité des mythes constitutifs d’une société. A cet égard, l’étroitesse d’un Hitler, son obsession du mythe de la race, sa suspicion héritée du Kulturkampf à l’égard des religions en place, sa haine du juif, est aux antipodes de Napoléon Bonaparte qui, consul, a eu ce mot sublime d’intelligence : « Je veux vous assumer, de Clovis à Robespierre. »
C’est que, précisément, une société doit admettre le pluralisme des rôles — donc des valeurs — garant de la pluralité des mythes. Comme l’avait vu profondément Nietzsche, la Grèce n’est pas l’exclusive patrie d’Apollon : Dionysos veille dans l’ombre au bon équilibre de la psyché hellénique. Il y a dans toute société — et cela est sensible au niveau de l’antagonisme des rôles — une tension entre au moins deux mythes directeurs. Si la société ne veut pas reconnaître cette dualité, et si son « surmoi » refoule brutalement toute mythologisation antagoniste, alors il y a crise et dissidence violente. Tout totalitarisme naît de l’exclusive et de l’oppression — souvent de la meilleure foi du monde — d’une seule logique en place. C’est alors que les dieux se vengent en déchaînant obscurément, dans les ténèbres des inconscients égoïstes, la tempête des dieux adverses. Parmi les « causes » de l’hitlérisme et de la résurgence de Wotan — « l’ouragan dévastateur des steppes » comme l’appelle Jung — il y a le complexe : défaite humiliante du IIe Reich/ liquidation de l’extérieur de la dynastie impériale / décalque de la république de Weimar sur les institutions du vainqueur. La République de Weimar fut l’emblème de tout l’héritage de la défaite. Wotan/Hitler ne sort pas de la tombe de Wagner, mais des urnes anonymes de la République de Weimar. C’est dans le secret des isoloirs que se sont coalisés tous les ressentiments, les rêves les plus fous et les revanches les plus cruelles.
De plus, au sein de ce pluralisme, les mythes ne jouent pas tous au même niveau d’urgence politique : un groupe social est rarement nettement circonscrit, il s’inscrit généralement en un groupe plus vaste et circonscrit à son tour des particularismes plus restreints. Par exemple, les peuples latins et leurs particularismes s’inscrivent dans une vaste mais floue culture indo-européenne. Ou encore telle nation d’Europe s’inscrit dans les mouvances de la Réforme, telle autre de la Contre-réforme. Mais on ne peut dire à l’avance à quel niveau appartiendra à tel moment le mythe décideur. Il peut venir du mythe le plus fou, le moins rationalisé, mais le plus puissant comme ferment de la décision — tel l’Islam shiite dans l’Iran moderne ou l’Eglise dans la Pologne de « Solidarité » — il peut au contraire naître d’un mythe ancré dans une très particulière minorité, comme l’Etat d’Israël jaillit de quelques révoltés devant l’effroyable Shoa ou les Etats-Unis d’Amérique des réfugiés du May Flower… Encore une fois, la notion de « concours de circonstances » prend toute sa valeur dans une telle analyse. Il ne s’agit plus à proprement parler de « causalité », mais d’un concours d’éléments synchroniques très divers que le mythe vient soudain « impliquer ».
Un mot reste à dire du mouvement du mythique dans une société donnée. Nous avons déjà noté que ce mouvement appartient à la « longue durée » chère à Braudel et ne se réduit jamais à moins de la durée d’une génération humaine. L’on pourrait classer les mythes ou du moins les mythologènes qui impliquent une société selon l’ordre de leur durée : il est évident que le mythe chrétien soutend un bon millénaire de la sensibilité, des valeurs ou du discours de l’Europe. Il se métamorphose certes au gré des leaderships politiques et ethnoculturels des peuples de l’Europe, mais il garde jusqu’à nos jours de grands traits communs presque inchangés. A l’intérieur de ce mythologène « implicant général, se greffent des courants et des contre-courants qui viennent typifier, à peu près de siècle en siècle, de grandes images image mariale aux XIIe et XIIIe siècles, images de crucifixion aux XIVe et XVe siècles, stature d’Hercule à la Renaissance, images solaires du classicisme et de l’Aufklärung, images prométhéennes, etc. Mais ce qu’il importe de souligner — et qu’avait repéré Sorokin sans fonder son observation sur des processus imaginaires — c’est qu’une société, dans ses directives pédagogiques, dans ses « classes dirigeantes », passe par les systoles et les diastoles d’une rationalisation institutionnelle et, au contraire, d’une dégradation de cette rationalisation d’où résurgent les dissidences. Ce n’est pas tout à fait l’opposition entre « idéalistic » et « sensate » chère à Sorokin, mais opposition entre phases de désenchantement rationaliste et de réenchantement imaginaire.
En gros, l’imaginaire mythique fonctionne — comme nous l’avons représenté sur le diagramme ci-joint — comme une lente noria qui, pleine des énergies du mythe, se vide progressivement et se refoule automatiquement par les rationalisations et les conceptualisations, puis replonge lentement — à travers les rôles marginalisés, contraints souvent à la dissidence — dans les rêveries remythifiantes portées par les désirs, les ressentiments, les frustrations et se remplit à nouveau de l’eau vive des images. Il est vrai que certains mythes — les plus « coriaces » — peuvent victorieusement résister à ces épreuves historiques de l’usure scolastique et conceptuelle, et reprendre vie métamorphosés par quelque « réformation ». Mais la plupart du temps, le mythe originaire sort méconnaissable de ce traitement. Il perd des mythèmes en cours de route, il en intègre d’autres dans les cas les plus mitigés (comme par exemple Prométhée perd des mythèmes pour devenir Faust…). Enfin, le mythique peut entièrement changer de peau mythologique au cours de ce cycle : la dissidence est trop aiguë, son ironie et son doute à l’égard du mythe en place trop patents (comme celui de Gide dans son Prométhée), sa révolte trop indignée. Alors le mythique plonge aux sources d’un mythe qui restait en attente dans l’ombre et se régénère avec frénésie.
ENCHANTEMENT ET POLITIQUE
Cette résurgence consciente du mythique — dont l’engouement pour la psychologie est, selon Jung, la signature qui « montre combien est profond l’ébranlement de l’âme générale » — ce réenchantement qui s’est souvent fait de façon dramatique parce que tellement inattendue de nos sagesses positivistes en place, ne se fait plus fort heureusement aujourd’hui de façon sauvage. Dans l’énorme subversion épistémologique que vit notre temps, ce sont les savants qui prennent en main les puissances du mythe. Non plus les simples politiques, et non plus Rosenberg, Streicher ou Hitler. Le mythe du XXe siècle n’est plus dans les mains d’apprentis sorciers livrés à leur moi psychotique. Et si le politique ne peut pas produire le savant, le savant a peut-être le devoir de produire le politique. Le bilan de la science de l’homme, à l’aube du fameux — et mythique ! — an 2000, est d’une richesse telle qu’il permet de suggérer des conduites, de tirer des conclusions, sinon des leçons, du mouvement complexe et lent des sociétés et de leur réflexion historique. Le savant est pour le moins à même de donner des  « modèles » de société. Nous ne ferons qu’indiquer ici quelques directions. D’abord une société n’est pas un être « vivant » sur le modèle des vieilles métaphores biologiques chères à l’ancienne sociologie. Elle ne semble pas passible des lois de l’entropie. Comme le notait Jung, toute culture est un « arrêt » créé de main d’homme ; « remporté de haute lutte sur les transformations insensées et les métamorphoses continuelles de la nature » (Aspects du drame contemporain, p. 130). C’est du côté des vivants les plus primitifs, les plus proches de la dureté minérale (les plus « coriaces » aurait écrit Roger Bastide), de ceux qui ont résisté à l’entropie des siècles qu’il faudrait peut être chercher une comparaison. Une société est une sorte de madrépore qui persiste dans son être malgré et à cause du flux et du reflux de l’océan mythique. Elle apparaît comme un atoll avec ses récifs et ses lagunes…
Ensuite, et pour ce faire, une société sécrète toujours des mythèmes, sinon des mythes de rééquilibrage devant les aléas de la nature et des agressions ou pénétrations des autres ensembles socioculturels. La « vie » — c’est-à-dire la durée d’une société qui se reconnaît, s’individue en tant que telle — dépend de ces réajustements mythiques.
Il en résulte que toute société, pour « durer », doit être un ensemble pluraliste, un « système » au sens où l’entend la science moderne intégrant des « décideurs à objectifs multiples ». La règle de « vie » (= durée) d’une société est son degré de synarchie.
Enfin, l’on peut indiquer qu’une réflexion précise sur les boucles mythiques qui tissent l’histoire d’une société permet d’échapper aux illusions politiques des fausses oppositions. Un « choix de société » ne consiste pas à choisir entre des instances dirigeantes qui participent, malgré des oppositions de surface, au même césarisme. De nos jours, les partisans politiques à la vue mythique courte, ont trop tendance à vouloir le choix illusoire entre la satrapie des marchands et celle des producteurs. Toute une cléricature est en place pour faire apparaître des oppositions entre deux pouvoirs qui, au fond, participent à peu de chose près, au même mythe…
Quant au savant, isolé devant l’objet qu’il étudie, contraint à cette « conscience du présent qui rend solitaire » comme l’écrivait Jung en 1928, il ne peut jouer les Cassandre ou au mieux les Orphée chantant pour les Argonautes. Du moins a-t-il la satisfaction de constater que l’étude de la Bezauberung fondamentale de toute société dessille ses yeux de toute illusion. Dans le courant général que dessine l’épistème contemporain il a l’espoir secret d’être réuni fraternellement à tous ceux qui découvrent comme lui cette connaissance nouvelle…






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