21 janv. 2016

La défense de l’illisible

1C’est de « plaisanterie immense et médiocre » qu’est qualifiée l’accusation de Proust, en septembre 1896, dans l’article que lui adresse Mallarmé en une forme de riposte étonnamment agressive, très peu amène à l’égard de contemporains qui, assène-t-il, « ne savent pas lire1 ». Lorsque le tout jeune chroniqueur entreprend en effet de dénoncer « l’obscurité » des symbolistes2, le poète, qui jusque-là n’avait pas cru bon de répondre aux critiques lui reprochant son illisibilité, renonce pour une fois à sa politesse légendaire et rédige « Le Mystère dans les Lettres », sur un ton pour le moins ambivalent : si Mallarmé prend la plume et qu’il entre dans le débat ouvert par Proust, c’est en commençant pourtant par indiquer que le « Contre l’obscurité » de ce dernier n’y invite guère. Les mots du billettiste, dont Mallarmé souligne plutôt la futilité, ne risquent pas selon lui de menacer le mystère poétique, puisque les « pures prérogatives » du poète, son droit au « blanc quirevient », ne sont en réalité qu’« à la merci des bas farceurs3 ». On le voit, la défense est toute rhétorique : c’est bien parce que l’article de Proust touche un point sensible que Mallarmé y répond, mais le point est si sensible que sa réponse paraît se déployer davantage sur le mode de l’émotion que sur celui de la réflexion.
2L’article que Mallarmé publie en septembre 1896 dans La Revue blanche et qu’il reproduit l’année suivante dans les Divagations n’est donc pas issu comme tant d’autres de la commande d’un éditeur : il s’agit bel et bien d’un billet d’humeur, d’autant plus piquant aux yeux du lecteur actuel qu’il met aux prises non seulement deux des noms les plus emblématiques de notre littérature, mais aussi deux de ses théoriciens les plus importants. Or, pourquoi Mallarmé réagit-il ici précisément aux déclarations de Proust, alors qu’il reste muet face aux acharnements presque mensuels, à peu près à la même époque, d’un Adolphe Retté par exemple, qui lui reproche nommément – ce que Proust ne fait pas – une « fausse profondeur » et de la « pédanterie4 », quelque « bistournage5 », même, dont ne sortiraient que de « mystérieux charivaris6 » ? Cela fait bien longtemps que Mallarmé s’entend qualifier de poète obscur, depuis la réception des années 1860 et 1870 à vrai dire. Jusque-là, les réserves des chroniqueurs ne semblent guère l’affecter, pas suffisamment pour qu’il renonce, lorsqu’il s’agit de rédiger son sonnet en –yx, en 1868, à « rechercher la bizarrerie7 » ; pas assez non plus, dans un article de 1895, pour l’empêcher de se représenter lui-même, malicieusement, en train d’« ajouter un peu d’obscurité » à l’une de ses phrases8.
3Pourquoi Mallarmé se laisse-t-il troubler, en cette occasion plutôt qu’en toute autre, par le plaidoyer d’un jeune auteur dont il est encore impossible de savoir ce qu’il deviendra ? Puisque, singulièrement, le poète ne s’indigne pas contre ceux qui accusent son illisibilité comme un fait exprès, pourquoi réagit-il au contraire, avec une virulence qui ne lui ressemble pas, contre le propos plus abstrait, et plus mesuré, de Proust ? Il est vrai que ce dernier récuse à son tour l’obscurité vouluedes poètes contemporains, mais il exalte aussi un mystère naturel, « une obscurité d’un tout autre genre » dont il ne faudrait surtout pas, ajoute-t-il, « rendre l’accès impossible par l’obscurité de la langue et du style ». L’article de Proust oppose ainsi le mystère des lettres à celui du monde et suggère de ne tolérer que le second : la littérature, plaide-t-il, devrait compenser une obscurité de fond par la clarté de sa forme, « exprimer clairement  les mystères les plus profonds de la vie et de la mort9 ».
4C’est ce transfert d’un mystère littéraire vers un mystère de la nature qui, selon moi, dérange Mallarmé au point de le conduire non seulement à prendre la parole, mais à durcir le ton. Ce qu’il ne peut pas accepter dans l’article de Proust, ce n’est pas tant que ses amis les symbolistes s’y trouvent incriminés, mais que les rôles – de la lettre et du monde, des mots et des choses – y soient intervertis à ses yeux. Le discours du romancier à venir, en effet, prend l’exact contre-pied d’une théorie que Mallarmé avait investie depuis plusieurs dizaines d’années et qui préside à toute son œuvre. Il la rappelle succinctement, et sans doute obscurément, dans sa réponse à Proust : le poète, qui deux ans plus tôt avait déclaré dans La Musique et les Lettres que « la Nature a lieu » et qu’« on n’y ajoutera pas », ou que « n’est que ce qui est10 », prétend ici « exposer notre Dame et Patronne la nature à montrer sa déhiscence ou sa lacune, à l’égard de quelques rêves, comme la mesure à quoi tout se réduit11 » ; ce geste, qui démystifie le divin, constitue de fait tout le jeu poétique. En donnant à voir un hiatus entre la matière et l’idéal, entre les choses et les « rêves », Mallarmé désenchante aussi une certaine utopie littéraire qui consisterait à identifier la tâche du poète à un travail de révélation, qu’il prenne la forme de l’éclaircissement d’un mystère ou de la découverte d’une essence.
5On le voit, le poète monte au créneau pour défendre une illisibilité qui serait propre à l’activité littéraire et dont elle ne pourrait pas se passer ; un mystère qu’il serait tout bonnement absurde de vouloir retirer des Lettres et qu’il n’est donc pas très sérieux de leur reprocher. L’obscurité semble participer d’une stratégie qui, si le poète y renonçait, mettrait en péril son activité. Mais reste à savoir en quoi consiste le mystère : on verra, par le biais de quelques actes de lecture, empruntés à un petit nombre de critiques qui se sont penchés ces dernières années sur l’obscurité de Mallarmé, qu’on peut décrire celle-ci d’au moins trois manières différentes, et peut-être même quatre. C’est en particulier à la lisibilité problématique du sonnet en –yx de Mallarmé que je voudrais m’intéresser ici, car elle me semble relever, plus que toute autre, non de la compétence de ses lecteurs mais d’un programme que le poète s’était fixé dès les premières esquisses du projet. Ne se met-il pas en quête, au printemps 1868, non seulement « d’une rime », mais surtout d’un mot qui « n’existe dans aucune langue12 » – le fameux ptyx sur lequel la critique a tant glosé – qui lui garantit de ce fait qu’un terme au moins, dans le sonnet, restera incompris ? Et lorsqu’il transmet à Cazalis une première version du poème, l’été de la même année, ne se montre-t-il pas plutôt heureux de constater qu’il pourrait bien ne pas avoir de sens ? « Je m’enconsolerais  grâce à la dose de poësie qu’il renferme », explique-t-il, comme si au-delà d’une certaine quantité, la « sensation » que procurent les vers quand on se « laisse aller à les murmurer plusieurs fois » pouvait se substituer au sens13. La lisibilité serait ainsi exclusivement quantitative, à défaut d’être qualitative : plutôt que de se laisser lire, le sonnet séduirait en se faisant dire et répéter, sollicitant de fait des lectures toujours plus nombreuses, que les critiques, des années 1950 à aujourd’hui, se sont empressés de nous fournir. Il est certain que Mallarmé avait conscience d’un paradoxe, d’une tension entre la négation, d’une part, de la compréhension, et la multiplication, d’autre part, des actes de lecture et d’interprétation. On peut supposer qu’il s’amusait de son poème comme d’une tentative expérimentale, pas suffisamment tenable pour qu’on ose la publier en revue – le sonnet ne paraît que dans les recueils du poète, en 1887, 1893 et 1899, et c’est le seul auquel un pareil traitement est réservé – mais assez excitante pour qu’on la fasse circuler parmi quelques pairs, Cazalis, comme on le sait, mais aussi Emmanuel des Essarts, qui avouera « ne l’avoir pu comprendre14 », ou Catulle Mendès auquel il inspirera peut-être, au moment de décrire le style de Mallarmé dans un article pourtant bienveillant, les qualificatifs de « volontairement excessif et maniéré, parfois obscur15 ».
6Le poncif qui consiste à rappeler, au moment d’entamer l’exégèse d’un sonnet infiniment commenté, qu’on en a déjà tout dit, révèle sans doute l’embarras des critiques. Certes, il n’est pas impossible de le lire de façon littérale, en s’en remettant aux suggestions du poète lui-même dans sa lettre du 18 juillet 1868 à Cazalis. On y voit alors,
par exemple, une fenêtre nocturne ouverte, les deux volets attachés ; une chambre avec personne dedans, malgré l’air stable que présentent les volets attachés, et dans une nuit faite d’absence et d’interrogation, sans meubles, sinon l’ébauche plausible de vagues consoles, un cadre, belliqueux et agonisant, de miroir appendu au fond, avec sa réflexion, stellaire et incompréhensible, de la grande Ourse, qui relie au ciel seul ce logis abandonné du monde16.
7Mais une telle lecture littérale, qui vise moins en fait à établir le sens du poème qu’à suggérer de quelle manière il pourrait être illustré, par une eau-forte notamment, ne convainc guère les lecteurs. Ils continuent d’y chercher autre chose, qu’il s’agisse d’un terme absent ou d’un sens symbolique, comme Pierre Citron en 196917 ou Jean-Pierre Richard en 197518. Bien que les mots clés du sonnet permettent de planter un décor, celui-ci est à la fois si réflexif et si négatif qu’on éprouve quelque mal à s’en contenter. Si « Ses purs ongles… » a donné lieu à de remarquables lectures, j’aimerais suggérer qu’il les a activement sollicitées, et qu’en donnant à voir pour toute référence lisible une chambre ou un salon, il a surtout représenté l’espace dans lequel s’accomplit, pour Mallarmé, la lecture19. Se pourrait-il ainsi que le sonnet la représente – plutôt que l’écriture, conformément à ce qu’a pensé jusqu’ici la majorité des critiques ? L’hypothèse a déjà été formulée par Claude Abastado en 197220, puis par Bertrand Marchal en 198521.
8Comme l’a relevé Marchal, « Ses purs ongles… » demande à son lecteur de se prononcer quant à ce qu’il attend en termes de signification. Les lecteurs de Mallarmé sont par conséquent scindés en deux groupes, soit qu’ils continuent de croire en la lisibilité du poème, soit qu’ils y renoncent, cherchant du coup à produire du sens sans passer par un référent, en s’appuyant par exemple sur les sonorités ou la structure des vers. Or, selon Marchal, les deux camps se rejoignent sur un même parti pris, puisqu’ils considèrent l’un et l’autre que l’obscurité doit être vaincue et que derrière la texture des mots se dissimule quelque chose comme une vérité, ou, plus modestement, une idée. Quant à lui, Marchal plaide pour une troisième option, suggérant que le sonnet pourrait manifester non pas un sens, mais « l’engendrement même de la signification22 » ; l’obscurité passerait alors du statut d’obstacle à celui d’expérience. Claude Abastado, sans parvenir à proposer ensuite une lecture aussi ambitieuse, s’était déjà exprimé en des termes à peu près similaires : il disait renoncer à « l’adéquation de l’expression à telle signification » et s’en remettre à « une lecture montrant l’engendrement du sens23 ».
9C’est la voie ouverte par ces deux critiques que j’aimerais suivre à nouveau ici, m’interrogeant sur ce que l’on peut tirer d’un sonnet dont on admettrait avec son auteur qu’il n’a pas de sens. Mallarmé l’indiquait aussi clairement que possible à ses premiers lecteurs dans la version qu’il adressait à Cazalis en 1868 : en donnant au poème le titre de « sonnet allégorique de lui-même », il ne le vouait pas seulement à une clôture toute moderne, il mettait surtout en péril la projection, dans son au-delà, d’un message qui pourrait exister en tant que tel, et condamnait en somme le sonnet à une sempiternelle et forcément peu ambitieuse représentation de lui-même. Dès lors, si l’on concède que « Ses purs ongles… » ne donne pas lieu à une herméneutique mais à une pragmatique, que le poème vise moins un direqu’un faire, qu’au lieu de produire une représentation il engage son lecteur dans une expérience – si l’on admet tout cela, peut-on dès lors décrire un usage de l’obscurité qui serait spécifique à la littérature que défend Mallarmé ? En d’autres termes, quelle stratégie de l’illisible son sonnet en –yx met-il en œuvre ?

Vers une stratégie de l’illisible

10On l’a dit, la plupart des critiques se sont lancé le défi de lire malgré tout. La poésie de Mallarmé, et le sonnet en –yx en particulier, a ainsi suscité quelques actes de lecture paradoxaux, où le lecteur s’interroge moins sur le sens du poème que sur les raisons pour lesquelles il n’y accède pas, ou seulement de justesse. J’aimerais présenter ici trois manières de ressaisir l’illisibilité du poète, qui sont à chaque fois idéologiques mais respectent trois idéologies différentes, selon qu’elles assignent à l’obscurité le rôle d’un filtre, celui d’un instrument de résistance ou celui d’un indice, qui mettrait le lecteur sur la voie de propositions à la fois poétiques et épistémologiques. Chez Pascal Durand et Patrick Thériault, pour commencer, on verra que l’obscurité permet surtout de faire le tri entre les bons et les mauvais lecteurs24. Chez Alain Vaillant, qui la confronte à l’avènement d’un « système de communication publique » impersonnel et contraignant auquel les écrivains obscurs s’efforceraient d’échapper, l’illisibilité fonctionne comme « une parade à la réification sociale25 ». C’est chez Bertrand Marchal, enfin, que l’obscurité signe le plus radicalement l’échec de toute lecture, y compris celle du spécialiste : car l’illisibilité a une vertu en soi, celle de se convertir en un discours qui porte non seulement sur le poème, mais aussi sur notre rapport au savoir, ou pour s’en tenir à un mot plus mallarméen, à nos « idées26 ». Ce qui lie toutefois les trois propositions, c’est le rôle qu’elles accordent, chacune à sa manière et le définissant parfois de façons divergentes, au contexte poétique dans lequel Mallarmé écrit. L’obscurité du poète, nous disent-elles toutes trois, est la réponse qu’il adresse à un moment, crépusculaire. La fin du siècle approchant, on le sait, le vers subit une crise, et bien que Mallarmé ait lui-même tendance à la trouver « exquise27 », il lui faut bien admettre qu’elle est tout à la fois le signe et le corollaire d’une perte d’aura de la poésie, au profit d’autres formes de discours, réunies sous la désignation générale d’un « universel reportage 28 ».
11Certes, Durand et Thériault proposent d’attribuer l’illisibilité de Mallarmé à un contexte socio-littéraire précis, mais ils ajoutent qu’elle n’en est pas que le simple résultat : en régime d’autonomie, suivant volontiers les règles d’un nouveau jeu poétique, celui du retrait, le texte obscur tire de son opacité une véritable « puissance pragmatique29 ». Le poème reproduit en miniature une situation dont la société donne la peinture en grand, celle de l’élection de l’artiste et de ceux qui le comprennent – c’est-à-dire qui l’admirent, mais aussi dans un premier temps, tout simplement, qui savent voir dans son œuvre ce qu’il y a mis. Pour Durand, ainsi, le poème moderne n’est illisible que pour le « plus grand nombre » ; il demeure accessible aux « poètes et lettrés socialisés dans un même univers de savoir et de croyance30 ». Autrement dit, l’œuvre de Mallarmé n’est obscure que pour le vaste milieu extra-littéraire ; elle s’adresse à un autre public, lui « circonscrit », constitué des pairs de l’auteur – et reste encore à désigner parmi ceux-ci lesquels méritent ou au contraire usurpent un tel titre. On rappellera en effet avec Thériault que l’hermétisme est aussi une sorte de religion, dont l’obscurité tire à elle ses « initiés », ceux que le critique appelle aussi les « amis-admis », s’en référant au poème liminaire des Poésies, « Salut ». L’œuvre illisible sélectionne donc son lectorat, elle l’élit, et c’est pour mieux se l’attacher : Thériault parle de la séduction du texte obscur, et même de la passion qu’il éveille dans le cœur de celui qui se croit « choisi31 ». Plus dense est l’opacité et plus ceux qui la percent donnent alors de prix au mystère soudain révélé. Thériault va plus loin encore : selon lui, le poème obscur joue le rôle d’un rite d’initiation, il constitue « une épreuve éliminatoire destinée à séparer lecteurs vulgaires et véritables lecteurs32 ».
12On comprend que le jugement de valeur est tout subjectif et que l’« admis » ne l’est que parce qu’il se croit tel, mais reste que la stratégie de l’illisible, ici, prend une coloration élitiste et presque morale. L’obscurité a-t-elle de fait pour vertu de séparer le bon grain de l’ivraie ? Les travaux de Durand et de Thériault, marqués notamment par la sociologie de la littérature, ont fait beaucoup ces dernières années pour redonner aux études mallarméennes le sens, la rigueur et le dynamisme dont elles semblaient manquer ; or, il est piquant que les deux critiques ne soient pas eux-mêmes des herméneutes, et qu’ils aient tendance à repousser, à la faveur de mises en contexte aussi éclairantes que passionnantes, la lecture en tant que telle. À force de s’intéresser à la société dans laquelle Mallarmé s’inscrit de manière fondamentale, la critique sociologique est étrangement amenée à ne justifier la stratégie de l’illisibilité qu’en restreignant son commentaire à unemicro-société, hors de laquelle il semble qu’on ne puisse plus envisager de communication littéraire. Le phénomène de « l’adresse », que Thériault a étudié longuement et de manière convaincante, ne devrait-il pas pourtant viser plus loin que le cercle des « admis » ? Et si l’on renonce déjà au but – « l’acte poétique ne vise pas tant à faire sens » – au profit du moyen – « qu’à faire signe33 » –, faut-il admettre que son champ d’action rétrécisse lui aussi, jusqu’à ne toucher qu’une poignée de lecteurs, soit qu’ils soient plus intelligents ou meilleurs, soit qu’ils se croient simplement tels ?
13Avant d’être un caractère définitoire de la poésie moderne, l’obscurité serait un réflexe défensif, légèrement orgueilleux, dont on comprend la logique ; celle-ci est objective, bien sûr, mais elle apparaît aussi ici comme psychologisée. Puisque le monde la rejette – c’est le temps de la fameuse « hégémonie » du roman et de l’information dans le champ des représentations sociales, comme le note Durand –, la poésie fera mine d’avoir rejeté le monde, et se donnera des airs, non plus de « jardin d’Éden retrouvé » comme chez les romantiques, mais de « parc privé » où n’entre pas qui veut, pour reprendre une métaphore que Durand emprunte à Mallarmé34. On le voit, la défense se retourne en attaque et l’opacité devient à la fois le « produit et l’affiche » de l’autonomie littéraire35. C’est ce que nous, contemporains, avons tendance à oublier, prétend Alain Vaillant, qui tout en s’accordant avec Durand et Thériault sur la cause sociale de l’obscurité des modernes, lui assigne une visée différente, qui n’est plus de sélection, suivant une logique de l’élitisme, mais de résistance, de façon plus conforme à une pensée de la diffusion littéraire, qu’il prend d’ailleurs en charge lui-même en endossant le rôle de l’herméneute – et plus précisément, d’un herméneute idéal, capable de décrypter les manies latinistes de Mallarmé, les désirs érotiques inavouables de Rimbaud et le chiffrage biographique sophistiqué que Victor Hugo met en œuvre dans Les Misérables. Dans un article qui, en 1997, rassemblait trois gestes d’interprétation virtuoses, lors d’une discussion qui mettait donc gravement à mal la sainte obscurité des trois auteurs susnommés, Vaillant, pour conclure, ne se contentait pas de ressaisir la notion ; il la revalorisait36. L’obscurité, selon lui, sert bien à quelque chose, et son usage, par ailleurs, n’est pas indifférent au « grand public ». En quelques paragraphes denses et lumineux, l’article donne en effet à la stratégie de l’illisibilité une complexité stimulante : l’acte poétique obscur ne relève plus d’un mouvement de dépit, mais d’un engagement en faveur de valeurs qui sont menacées et méritent d’être défendues, au bénéfice, donc, de la sauvegarde du « geste littéraire ».
14Le contexte qu’évoque Vaillant est à peu près le même que celui de Durand – emprunté à Bourdieu –, mais il est moins évoqué du point de vue de ses acteurs et de leurs statuts que de celui de la circulation de la parole écrite, dont le régime est complètement bouleversé au cours du xixe siècle. On passe, nous explique le critique, d’une littérature qui relevait de la « communication interpersonnelle » à un acte littéraire désincarné et objectivé, qui perd sa dimension dialogique. Le discours, qui n’a plus désormais de « voix » à faire entendre, devient texte37. Vaillant relève en somme au xixe siècle non une « crise de vers », mais une crise de la diffusion littéraire, à laquelle les écrivains répondent par la ruse : en introduisant de l’obscurité dans l’œuvre, ils réinstaurent une scène de partage entre l’auteur et son lecteur. En effet, et le paradoxe est séduisant, « ce que l’énoncé perd en intelligibilité exhausse d’autant la figure de l’énonciateur » ; le texte opaque accueille ainsi « la présence rémanente de la parole38 ». La réaction des écrivains modernes, on le voit, n’est plus ni d’amertume ni de hauteur, mais témoigne du désir, noble s’il en est, de faire tenir, dans un contexte qui ne l’encourage guère, la relation intellectuelle et humaine. Le mystère dans les lettres, selon Vaillant, n’a pas pour fonction d’écarter les lecteurs les moins méritants, mais au contraire d’attacher plus fortement l’auteur à un lectorat au sein duquel on n’opère plus de distinction de statut ou de compétence, puisque la relation s’établit d’autant mieux que le texte demeure illisible.
15Pourtant, Vaillant ne résiste pas à se soustraire lui-même au règne de l’obscur : herméneute aussi et avant tout, il donne à voir, avec brio, ce sens auquel les contemporains de l’auteur n’ont pas eu accès. Ainsi le texte obscur ne programme-t-il son illisibilité que jusqu’à un certain point. Comme assorti d’une date de péremption, il se réserve le droit – et le plaisir, peut-être –, à la faveur de quelques indices ténus, d’être décrypté bien plus tard, par un lecteur particulièrement astucieux. C’est aussi la « bouteille à la mer » que Mallarmé lançait peut-être, lorsqu’il jetait – ou ne jetait pas – les dés, jusqu’au philosophe contemporain Quentin Meillassoux, qui prétendait décoder enfin, en 2011, le véritable « chiffre » du Coup de dés, nous découvrant tardivement son sens et rédimant dès lors sa lisibilité39. On peut être plus ou moins séduit par la démonstration, et choisir ou non d’y croire ; il me semble important surtout qu’on s’interroge sur les conséquences poétiques de cette déchirure définitive du voile. Certes, il est très possible que la proposition de Vaillant, reconduite en quelque sorte par Meillassoux, soit applicable à une bonne partie de la production de Mallarmé, en vers et en prose, mais je gagerais que le sonnet en –yx au moins continue de lui résister, puisque dans son cas, comme on va le voir, le discours même du poème consiste à dire que la bonne lecture, la vraie lecture – pas seulement celle des non-admis, de ceux qui ne pourront pas revendiquer de décryptage – se nourrit d’obscurité. Le texte le plus éminemment lisible, ainsi, ne cesserait jamais de flirter avec l’illisible.
16S’il est vrai que Durand, Thériault et Vaillant donnent à l’obscurité un usage et une fonction, s’ils font du mystère une stratégie, ils renoncent pourtant à lui donner un sens, ce à quoi s’emploie en revanche Bertrand Marchal, dont la lecture m’accompagnera désormais jusqu’à la conclusion de cet article. Marchal associe, en effet, l’illisibilité du sonnet à un propos à la fois théorique et idéologique, dans un contexte culturel précis, celui de la mort des dieux d’une part, et de la mythologie comparée de Max Müller d’autre part. Parce qu’il met en échec toute lecture transcendante, nous explique Marchal, le poème donne à voir la nullité d’un double mystère, poétique mais aussi divin. « Ses purs ongles… », poème opaque par excellence, n’autorise plus seulement le retour d’un discours transmis de l’auteur à son lecteur, comme le suggérait Vaillant, mais il constitue lui-même ce discours, désenchanté, que Mallarmé avait déjà formulé deux ans plus tôt dans une lettre célèbre à Cazalis – il y admettait que « nous ne sommes que de vaines formes de la matière, – mais bien sublimes pour avoir inventé Dieu et notre âme40 » – et qu’il reprendra encore quelque vingt-cinq ans plus tard dans La Musique et les Lettres, opérant cette fois littéralement « le démontage impie de la fiction et conséquemment du mécanisme littéraire41 ». Ce que le sonnet nous dit, par conséquent, à la fois en ne se laissant pas lire et dans la mise en scène de ses vers, c’est que « le poème n’est plus une voie d’accès à l’absolu42 » ou qu’« il n’y a pas, pour le poète, d’au-delà des mots43 ». Quand bien même on parviendrait à le décoder, on y lirait toujours le même message : la lecture – ou du moins, faut-il le préciser, une certaine lecture qui s’identifierait à la transformation transcendante de mots, disposés dans des vers, en un petit nombre d’idées – est impossible.
17C’est à cette proposition que j’aimerais réagir à mon tour, afin de réfléchir à une autre stratégie de l’illisible encore, proche des précédentes, mais qui saisirait de façon un peu différente la scène de lecture idéale de Mallarmé, mille fois incarnée par ses lecteurs avec l’espoir, toujours, que ce soit enfin la bonne. Partant de l’idée, puisée chez Marchal, que l’obscurité pourrait servir une stratégie du désenchantement, j’aimerais montrer qu’il s’agit d’un désenchantement ambigu – si ambigu, même, qu’il n’a véritablement lieu qu’accompagné de son exact opposé, l’enchantement ou le ré-enchantement. Mallarmé, il me semble, est passé maître dans l’art d’accommoder les deux gestes, et son habileté stratégique, là encore, vient répondre à un moment précis de l’histoire littéraire.

L’alternative

18Il est certain que le contexte dans lequel Mallarmé écrit et fait carrière est critique à plusieurs égards : c’est le temps d’un retour de la poésie sur elle-même, sa remise en question étant liée à la défaveur dans laquelle elle tombe, à la fin du siècle, à un moment où, bel et bien, on ne la lit plus que très confidentiellement. Deux phénomènes semblent se produire en même temps et l’on suppose qu’ils sont cause et effet l’un de l’autre, de façon réciproque : non seulement la poésie ne paraît plus jouer de rôle social mais elle s’approprie aussi un tel isolement et l’érige en principe esthétique fondamental44. C’est le temps de l’art pour l’art, en 1868 déjà, lorsque le poète rédige la première version de son sonnet en –yx ; dominent alors les « parnassiens » et une certaine préciosité poétique, que le sonnet semble d’ailleurs reproduire, comme l’a montré Bertrand Marchal, qui l’affilie à une « tradition » allant de Ronsard à Heredia. Un premier coup d’œil au sonnet révèle d’emblée, en effet, « la rareté de la rime et la constance de la référence mythologique ou simplement exotique45 » :
    Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
   L’Angoisse ce minuit, soutient, lampadophore,
   Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
4   Que ne recueille pas de cinéraire amphore

   Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
   Aboli bibelot d’inanité sonore,
   (Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
8   Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)

   Mais proche la croisée au nord vacante, un or
   Agonise selon peut-être le décor
11 Des licornes ruant du feu contre une nixe,

   Elle, défunte nue en le miroir, encor
   Que, dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe
14  De scintillations sitôt le septuor46.
 Le sonnet, selon Marchal, est « délibérément peint aux couleurs parnassiennes47 », et il est très possible que ce soit pour parodier le mouvement, pour tourner en dérision en particulier sa tendance à envisager le poème comme une accumulation de procédés rhétorico-poétiques, ici excessivement mobilisés. Mais il est peut-être encore plus probable qu’au-delà de toute intention parodique, le sonnet cherche simplement à se faire reconnaître comme poème – parnassien de préférence, puisque c’est celui qu’on identifie le mieux à l’époque – afin d’accomplir un certain geste. Tout se passerait ici comme dans « La Déclaration foraine », quelque vingt ans plus tard : la première fonction du sonnet consisterait à se donner l’apparence éclatante d’un poème, s’assurant par la surenchère que personne ne s’y trompe48. Il faut en effet souligner que « Ses purs ongles… », dans sa seconde version, attribue un rôle décisif au « cadre » du miroir sur lequel la vision du sonnet se clôt ; le « cadre » y remplace même la deuxième mention, dans la version ancienne du poème, de cette « glace » sur laquelle « le septuor » finit par « se fixer » contre toute attente (v. 12-14)49. Si l’ultime tercet donne à voir, à la faveur d’une concessive – « encor que », clairement mis en évidence par le contre-rejet du vers 12 au vers 13 –, un retournement de situation pour le moins spectaculaire, et qu’il oppose à l’avalanche de négations des trois premières strophes une proposition enfin positive, la stabilité d’une constellation qui s’inscrit définitivement devant les yeux du lecteur, c’est dans une large mesure grâce au « cadre » qui « ferme » « l’oubli » (v. 13). En d’autres termes, quelque chose se passe dans le sonnet grâce au dispositif poétique auquel il a massivement recours, de la même manière qu’un tableau s’appuierait sur son cadre pour se faire reconnaître comme tel, à plus forte raison si celui-ci est déjà, comme dans le sonnet, surchargé d’ornements : c’est reconnaître ici l’importance de ce qui se trouve à la surface de l’œuvre d’art ou à son entour, et qui bien souvent suffit à garantir la communication esthétique.
20Rappelons qu’en guise d’hypothèse de départ, j’ai supposé que le sonnet en –yx était « allégorique de lui-même » en ce qu’il représentait – la reproduisant littéralement et l’imposant à l’expérience du lecteur – le processus de la lecture, mais d’une lecture bien particulière, conforme à cette pensée sur la littérature que Mallarmé déploie dans toute son œuvre ; une lecture, par ailleurs, qui ne viendrait pas nécessairement à bout du mystère. On a vu, rapidement, que le sonnet donnait à voir deux moments opposés, l’un caractérisé par le « vide » et le « néant » (v. 5 et 8), l’autre par l’image majestueuse d’un « septuor » « scintillant » (v. 14). En termes de proportion, le poème ne les traite pas du tout de la même manière, laissant le premier s’étendre sur trois strophes et ne réservant au second que la dernière, ou pour être plus précis, limitant son évocation aux deux ultimes vers du sonnet. Ces deux moments, Bertrand Marchal les interprète dans leur successivité : l’espace dans lequel s’élargit l’absence, en un « jeu de négation » perpétuel ou un éloge paradoxal de l’« inanité sonore », est tout à coup (« sitôt », au vers 14) remplacé par « la logique d’un sens qui installe dans le ciel une chiffration stellaire50 ». Autrement dit, à la confusion nihiliste et angoissée des premières strophes se substitue in extremis le réconfort d’un sens lumineux, même encore codé. Or la successivité invite naturellement à postuler la causalité : pour Marchal, c’est par conséquent « du pur artifice apparent » de l’« inanité sonore » que « naît » l’apparition miraculeuse de la signification ; c’est ainsi du jeu horizontal des mots se réfléchissant les uns sur les autres, en la « disparition élocutoire du poète51 » – puisque « le Maître est allé puiser des pleurs au Styx » (v. 7) –, qu’est bizarrement issue la signification du poème moderne, quand bien même celle-ci serait entièrement circulaire ou tautologique.   
21Est-ce à dire qu’il y aurait, contrairement à ce que suggérait la lettre de Mallarmé commentée plus haut, quelque chose comme un sens malgré tout, au bout du long processus, laborieux entre tous, de la lecture minutieuse ? Ce n’est pas si sûr, à mon avis, car les travaux que Mallarmé mène à l’époque de la rédaction de « Ses purs ongles… », dans lesquels revient spécifiquement le motif de l’alternative, nous invitent à considérer les deux moments opposés du sonnet non comme successifs, mais comme simultanés. À la fin des années 1860, en effet, le poète est surtout occupé par la rédaction des brouillons d’Igitur et compose aussi, notamment, deux versions non publiées d’un poème qui deviendra plus tard « Quelle soie au baume de temps ». La parenté du sonnet en –yx et d’Igitur, déjà relevée par nombre de commentateurs, saute aux yeux, mais les deux petits poèmes, l’un sans titre (« De l’orient passé des Temps »), l’autre intitulé justement « Alternative52 », ne sont pas non plus sans rapport avec lui. En particulier, ils sont composés eux aussi de deux parties et contrastent deux effets, si l’on peut dire, que produit sur le « je » lyrique une chevelure tantôt adorée, tantôt haïe. Celle-ci apporterait face à la menace du « Néant » (v. 6 pour la première version, v. 8 pour la seconde) une solution ambiguë, soit qu’elle procure un bien-être sensuel – le poète y « enfouitses yeux contents » (v. 7 dans la seconde version) –, soit, plus mystérieusement, qu’elle fasse « luxueusement renaître / La lueur parjure de l’Être » ; et cette seconde option constituerait pour le « je » lyrique « son horreur et ses désaveux » (v. 12-14). Ainsi la chevelure permettrait-elle à la fois de supporter le « néant » en tant que tel et de le convertir en « être », et il s’avère qu’elle tendrait en fait plus volontiers ou plus souvent vers la seconde de ces deux consolations, à l’égard de laquelle le poète montre un dégoût que l’on a d’abord quelque mal à comprendre. Il faut y insister : la « lueur » que produit l’« être », ici, et qu’on serait tenté d’apparenter au « septuor » du sonnet en –yx, est « parjure », c’est-à-dire illusoire ou trompeuse. L’alternative dont il est question ne produit pas d’oscillation entre l’être et le néant, entre le sens et sa négation, mais entre deux attitudes possibles face à cette « inanité » qui est aussi l’objet des atermoiements d’Igitur, soit qu’on l’admette, soit qu’on la nie.
22Une chose ne varie pas, dans les textes que Mallarmé rédige à la fin des années 1860, c’est la présence du néant, écrasante et inacceptable, mais contre laquelle on ne peut rien. Or, encore une fois, deux options s’offrent à celui qui s’efforcerait simplement de le supporter, deux actions entre lesquelles Igitur hésite et que le texte représente sous plusieurs formes, jeter ou ne pas jeter les dés, boire ou ne pas boire la fiole, souffler ou ne pas souffler sur la bougie ; deux gestes, enfin, qu’il ne départage pas, laissant planer le doute quant à savoir lequel est accompli, suggérant tout au plus que l’un d’entre eux est préféré, sans être nécessairement préférable, comme dans « Alternative ». Sur l’exemple de ces textes contemporains, « Ses purs ongles… » pourrait-il être la scène non pas d’un « et… et » linéaire, mais d’un « ou… ou » toujours potentiellement réversible ? Strictement parlant, en effet, la concessive « encor que », à peu près équivalente à « quoique », n’annule pas la principale dont elle introduit la subordonnée, mais y applique simplement une restriction. Déployant le néant sur trois strophes, le sonnet s’acharnerait ainsi à prouver qu’il n’y a rien malgré que « scintille » le sens et, pour ainsi dire, quoi qu’on en ait. De plus, le référent auquel renvoie le « septuor » est à son tour incertain, soit constellation, comme on l’a admis jusqu’ici, soit aussi, comme l’ont noté plusieurs critiques, sonnet constitué de sept couples de rimes. Réitérée à l’issue du poème, l’alternative s’exprimait déjà en son ouverture, car « l’onyx » que « dédiaient » « ses purs ongles » (v. 1) pouvait évoquer soit une pierre précieuse, soit les ongles eux-mêmes, le mot grec dont le terme français provient renvoyant à la fois aux deux objets. Force est de constater par conséquent que le sonnet accumule, comme Igitur, plusieurs formulations du même dilemme. Il nous fait à chaque fois osciller entre une option transcendante – les étoiles, la pierre précieuse offerte « très haut » – et une option tautologique – le poème ne faisant « scintiller » que ses propres vers, les ongles ne se « dédiant » qu’eux-mêmes. Igitur exprimait en des termes éloquents, qui rappellent le vers 13 du sonnet, l’ineptie d’une telle double conclusion : « quant à l’Acte, il est parfaitement absurde : mais  l’infini est enfin fixé 53 ».
23Si l’alternative est forcément maintenue, c’est toujours le même de ses deux termes qui me semble privilégié, toutefois, et pas celui que la critique a généralement porté aux nues. Avant de conclure trop vite à la tautologie absolue du poème, à sa négation désenchantée d’un au-delà du langage, il faudrait rappeler que l’option transcendante est tout de même plus évidemment affichée : l’onyx n’est un ongle qu’aux yeux du lecteur savant, au prix d’une recherche étymologique, et le septuor ne désigne le poème que si l’on a l’astuce de diviser le nombre de ses vers par deux. Ce qui apparaît en premier, c’est donc d’une part un geste dédicatoire, quand bien même se dissimulerait derrière lui un acte vain, et d’autre part une projection spectaculaire, verticale, quoique elle puisse être ramenée à la structure horizontale du vers54. S’il est vrai que Mallarmé identifie le poème à un « glorieux mensonge » et qu’il dénonce l’illusion d’absolu dont il tire son prestige, s’il le donne même parfois pour une mystification, rappelant, comme on l’a vu, que le cadre qui entoure le tableau suffit bien souvent à le faire signifier comme tel, il exprime aussi toujours, dans le même temps, la volonté de se laisser prendre malgré tout dans les griffes « parjures » de la poésie, pour reprendre le mot d’« Alternative » (v. 13) :
Oui, je le sais, nous ne sommes que de vaines formes de la matière, – mais bien sublimes pour avoir inventé Dieu et notre âme. Si sublimes, mon ami ! que je veux me donner ce spectacle de la matière, ayant conscience d’elle, et, cependant, s’élançant forcenément dans le Rêve qu’elle sait n’être pas, chantant l’Âme et toutes les divines impressions pareilles qui se sont amassées en nous depuis les premiers âges, et proclamant, devant le Rien qui est la vérité, ces glorieux mensonges ! Tel est le plan de mon volume Lyrique, et tel sera peut-être son titre, LaGloire du Mensonge, ou Le Glorieux Mensonge55.
24De même, le passage désormais célèbre sur le « démontage impie de la fiction » est aussitôt suivi de la profession de foi suivante : « Mais, je vénère comment, par une supercherie, on projette, à quelque élévation défendue et de foudre ! le conscient manque chez nous de ce qui là-haut éclate56 ».
25Le sonnet en –yx dit à la fois la soustraction perpétuelle du sens, accumulant les négations jusqu’à ce que chacun de ses référents soit définitivement neutralisé, et sa sublime fixation dans un ciel pour une fois lumineux. Le sens y est en même temps insaisissable et déployé avec certitude, aussi visible que lisible. Mais le paradoxe n’est qu’apparent et la lettre à Cazalis, citée à l’instant, suffit à le dissiper : bien qu’il reconnaisse que toute transcendance est utopique – encore une fois, « n’est que ce qui est » –, Mallarmé admet choisir de faire comme si la pensée existait vraiment, et ce faisant, il lui assure bel et bien une certaine existence, au moins virtuelle et subjective, en un mot, fictive. On touche ici à la fonction même de la poésie, « instituer l’Idée57 », en donner les « preuves nuptiales58 ». Formulée tardivement dans deux discours dont Mallarmé connaît et maîtrise l’impact limité – il est important, que ce soit pour La Musique et les Lettres en 1894 ou pour la conférence sur Villiers de l’Isle-Adam en 1890, que les auditeurs ne comprennent pas, du moins pas complètement, et que ce qui compte vraiment leur demeure obscur – cette proposition capitale me semble déjà présente dans le sonnet en –yx. Je ne m’étonne pas par conséquent de retrouver dans Villiers de l’Isle-Adam, en un clin d’œil malicieux du poète à son lecteur, des « bibelots abolis, sans usage quelquefois ». Dans le décor bourgeois qu’évoque la conférence, la présence d’un livre suffit à donner vie et caractère aux objets, meubles et tentures. Comme dans le sonnet, sa concrétude inutile, l’irréductible matérialité du langage qui le compose se convertissent, à la faveur de l’investissement d’un sujet, une décoratrice dans la conférence, et dans le poème, chaque lecteur, en une « atmosphère mentale59 ».
*
26Au bout du compte, quelle stratégie de l’illisible un tel commentaire de « Ses purs ongles… » conduit-il à définir ? Le fait que le poème résiste indéfiniment à la lecture ne permet pas seulement de prouver qu’il n’y a pas d’au-delà, hors le langage ; au contraire, l’obscurité excite chez le lecteur l’envie de produire des idées, et d’y croire. Postuler la transcendance suffit à l’accomplir, nous enseigne Mallarmé, qui, tandis qu’il désenchante la lecture – « strictement j’envisage  la lecture comme une pratique désespérée », écrit-il dans La Musique et les Lettres –, la ré-enchante aussitôt60. Grâce à une stratégie de l’illisible, Mallarmé réinjecte dans la poésie la dose de fiction qui lui manquait ; il en fait une affaire de croyance61.


Bibliographie finale
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NOTES
1 Stéphane Mallarmé, « Le Mystère dans les lettres », Œuvres complètes, éd. Bertrand Marchal, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1998-2003, t. II, p. 229 et 234.
2 Marcel Proust, « Contre l’obscurité », La Revue blanche, 15 juillet 1896, repris dans Contre Sainte-Beuve, précédé de Pastiches et Mélanges et suivi de Essais et Articles, éd. Pierre Clarac et Yves Sandre, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, p. 390-395.
3 Stéphane Mallarmé, « Le Mystère dans les lettres », Œuvres complètes, op. cit., p. 229.
4 Adolphe Retté, « Chronique des livres. M. Stéphane Mallarmé, La Musique et les Lettres, (I vol. chez Perrin) », La Plume, janvier 1895, repris dans Stéphane Mallarmé. Mémoire de la critique, éd. Bertrand Marchal, Paris, PUPS, 1998, p. 323.
5 Adolphe Retté, « Oripeaux académiques », La Plume, 1er juin 1895, repris dansibid., p. 347.
6 Id., « Le Décadent », La Plume, 1er mai 1896, repris dans ibid., p. 376.
7 Stéphane Mallarmé, lettre à Henri Cazalis, 18 juillet 1868, Correspondance complète 1862-1871 suivi de Lettres sur la poésie 1872-1898, éd. Bertrand Marchal, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1995, p. 393.
8 Stéphane Mallarmé, « Solitude », Œuvres complètes, op. cit., t. II, p. 259.
9 Marcel Proust, « Contre l’obscurité », Contre Sainte-Beuve, op. cit., p. 392 et 394.
10 Stéphane Mallarmé, La Musique et les Lettres, dans Œuvres complètes, op. cit., t. II, p. 67.
11 Id., « Le Mystère dans les lettres », Œuvres complètes, op. cit., p. 230.
12 Id., lettre à Eugène Lefébure, 3 mai 1868, Correspondance complète 1862-1871,op. cit., p. 386.
13 Id., lettre à Henri Cazalis, 18 juillet 1868, ibid., p. 392.
14 Lettre d’Emmanuel des Essarts à Mallarmé, 13 octobre 1868, citée par Émilie Noulet, Vingt poèmes de Stéphane Mallarmé, Genève, Droz, 1967, p. 180.
15 Catulle Mendès, « Figurines de poètes. Stéphane Mallarmé », La Vogue parisienne, 22 janvier 1869, repris dans Stéphane Mallarmé. Mémoire de la critique,op. cit., p. 31.
16 Stéphane Mallarmé, lettre à Henri Cazalis, 18 juillet 1868, Correspondance complète 1862-1871, op. cit., p. 392.
17 Pierre Citron, « Sur le sonnet en –yx de Mallarmé », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 69, n° 1, janvier-février 1969, p. 113-116 : selon le critique, le sonnet dissimule, pour « laisser au lecteur la peine et la joie de le découvrir », le mot « oryx », quatrième mot possible à la rime, que Mallarmé aurait pu s’il l’avait voulu substituer à « ptyx ».
18 Jean-Pierre Richard, « Feu rué, feu scintillé. Note sur Mallarmé, le fantasme et l’écriture », Littérature, n° 17, 1975, p. 84-104 : le poème, pour le critique, est « fasciné » par une scène primitive, qu’il représente sous la forme d’une lutte amoureuse et haineuse, celle de « l’amour parental surpris, soit effectivement, soit imaginairement ».
19 Dans plusieurs textes de Mallarmé, en effet, le livre apparaît comme l’objet à la fois central et problématique du salon contemporain : voir par exemple les Notes sur le langage, dans Œuvres complètes, op. cit., t. I, p. 511, Villiers de l’Isle-Adam,ibid., t. II, p. 41, « Tennyson vu d’ici », ibid., t. II, p. 139.
20 Voir Claude Abastado, « Lecture inverse d’un sonnet nul », Littérature, n° 6, 1972, p. 78-85.
21 Voir Bertrand Marchal, Lecture de Mallarmé, Paris, José Corti, 1985, p. 165-189.
22 Ibid., p. 166.
23 Claude Abastado, « Lecture inverse d’un sonnet nul », art. cit., p. 78.
24 Voir en particulier Pascal Durand, Mallarmé. Du sens des formes au sens des formalités, Paris, Éditions du Seuil, 2008, p. 172-183 et Patrick Thériault, « L’Adresse à communiquer. Le motif herméneutique de l’adresse en contexte de modernité poétique. L’exemple du salut mallarméen » dans Thierry Roger (dir.),Mallarmé herméneute, Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloque et journées d’étude », 10, 2014. URL : http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?l-adresse-a-communiquer-le-motif.html.
25 Alain Vaillant, « Verba Hermetica. Mallarmé, Rimbaud, Hugo », Romantisme, n° 95, 1997, p. 97.
26 Voir la notice que Bertrand Marchal consacre à « Ses purs ongles très haut… » dans son édition des Œuvres complètes de Mallarmé, op. cit., t. I, p. 1189-1191.
27 Stéphane Mallarmé, « Crise de vers », Œuvres complètes, op. cit., t. II, p. 204.
28 Ibid., p. 212.
29 Patrick Thériault, Le (Dé)montage de la Fiction. La révélation moderne de Mallarmé, Paris, Honoré Champion, 2010, p. 77.
30 Pascal Durand, Mallarmé. Du sens des formes au sens des formalités, op. cit., p. 183.
31 Patrick Thériault, « L’Adresse à communiquer. Le motif herméneutique de l’adresse en contexte de modernité poétique. L’exemple du salut mallarméen »,op. cit., p. 8-9.
32 Ibid., p. 13.
33 Ibid., p. 11.
34 Pascal Durand, Mallarmé. Du sens des formes au sens des formalités, op. cit., p. 172-173.
35 Ibid., p. 174.
36 Voir Alain Vaillant, « Verba Hermetica. Mallarmé, Rimbaud, Hugo », art. cit., p. 96-97.
37 Ibid., p. 96.
38 Ibid., p. 97.
39 Voir Quentin Meillassoux, Le Nombre et la Sirène. Un déchiffrage du Coup de désde Mallarmé, Paris, Fayard, 2011.
40 Stéphane Mallarmé, lettre à Henri Cazalis, 28 avril 1866, Correspondance complète 1862-1871, op. cit., p. 297. 
41 Id., La Musique et les Lettres, op. cit., p. 67.
42 Bertrand Marchal, notice de « Ses purs ongles… » dans Stéphane Mallarmé,Œuvres complètes, op. cit., t. I, p. 1190.
43 Id., Lecture de Mallarmé, op. cit., p. 173.
44 C’est ce redoublement que commente William Marx dans son essai polémique,L’Adieu à la littérature. Histoire d’une dévalorisation xviiie- xxe siècle, Paris, Minuit, coll. « Paradoxe », 2005.
45 Bertrand Marchal, Lecture de Mallarmé, op. cit., p. 169.
46 Stéphane Mallarmé, « Ses purs ongles très haut… », Œuvres complètes, op. cit., t. I, p. 37-38. Je cite et commente ici la version retravaillée du sonnet, publiée pour la première fois dans le recueil des Poésies de 1887 – on ne sait pas exactement de quand datent les modifications qu’y a apportées Mallarmé. Certes sensibles, ces modifications n’affectent pourtant que très peu ma lecture, et mes commentaires valent ici généralement pour les deux versions du poème.
47 Bertrand Marchal, Lecture de Mallarmé, op. cit., p. 183.
48 À ce sujet, voir Annick Ettlin, « Éloge de la non-lecture. Mallarmé et le mythe littéraire » dans Thierry Roger (dir.), Mallarmé herméneute, Publications numériques du CÉRÉdI, « Actes de colloque et journées d’étude », 10, 2014, p. 3-4. URL : http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?eloge-de-la-non-lecture-mallarme.html.
49 Pour la version ancienne du sonnet, voir Stéphane Mallarmé, Œuvres complètes,op. cit., t. I, p. 131.
50 Bertrand Marchal, Lecture de Mallarmé, op. cit., p. 186-187. Dans un ouvrage récent, Joshua Landy considère à son tour que le désenchantement des premières strophes est suivi d’un ré-enchantement tardivement exposé (How to Do Things with Fictions, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 79-82).
51 Stéphane Mallarmé, « Crise de vers », op. cit., p. 211.
52 Les deux variantes sont reproduites sur la même p. 132 dans le tome I desŒuvres complètes éditées par Bertrand Marchal (op. cit.).
53 Stéphane Mallarmé, Igitur, dans Œuvres complètes, op. cit., t. I, p. 477.
54 Dans un article de 1990, Deirdre Reynolds insiste elle aussi sur le caractère sublime de l’expérience que le sonnet donne à vivre à son lecteur (« Mallarmé et la transformation esthétique du langage, à l’exemple de « Ses purs ongles… », French Forum, vol. 15, n° 2, 1990, p. 203-220).
55 Stéphane Mallarmé, lettre à Henri Cazalis, 28 avril 1866, Correspondance complète 1862-1871, op. cit., p. 297-298.
56 Id., La Musique et les Lettres, op. cit., p. 67.
57 Ibid., p. 68.
58 Id., « Le Mystère dans les lettres », op. cit., p. 234.
59 Id., Villiers de l’Isle-Adam, dans Œuvres complètes, op. cit., t. II, p. 41.
60 L’œuvre de Mallarmé mériterait ainsi d’être relue à la lumière des travaux récents de plusieurs chercheurs, en Europe et Outre-Atlantique, sur la notion de ré-enchantement, qu’ils établissent comme Simon During le rôle de l’enchantement dans l’émergence d’une pensée moderne (Modern Enchantments. The Cultural Power of Secular Magic, Cambridge, Harvard University Press, 2002) ou qu’ils en déploient les formes comme Jane Bennett (The Enchantment of Modern Life.Attachments, Crossings, and Ethics, Princeton, Princeton University Press, 2001), qu’ils exploitent la notion pour penser une autre manière de faire de la théorie littéraire comme Rita Felski (Uses of Literature, Malden, Blackwell, 2008) ou qu’ils se penchent, sur la sollicitation d’Angela Braito et Yves Citton, sur les artefacts qui produisent de l’illusion, interrogeant les raisons pour lesquelles on se met à croire à ce qu’on ne voit pas, et surtout, mesurant le profit qui peut être trouvé en la « suspension volontaire de l’incrédulité » (Technologies de l’enchantement. Pour une histoire multidisciplinaire de l’illusion, Grenoble, ELLUG, 2014).
61 Cet article a été rédigé dans le cadre de ma participation au projet Affective Dynamics and Æsthetic Emotions, au sein du Pôle national de recherche en sciences affectives, financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique.





ANNICK ETTLIN:  
Le sublime illisible : 
« Ses purs ongles… » de Mallarmé 

Crises de lisibilité 

15 janv. 2016

 
D’une manière ou d’une autre à tergiverser il faut à la fin quelque chose comme un totémisme si l’on veut que l’existence ne soit en rétrospection une inanité, une brève illusion dont le sens se perdra entièrement avec soi-même comme elle l’est aujourd’hui, à nous en troubler si intimement – quelque chose incarnant ce qui ne meurt pas, le transmissible d’une justification d’être là, qu’on aura perpétuée et remis en d’autres mains : une justification d’avoir été là. (Je m’excuse de cette affirmation auprès des individus, n’y pouvant rien si c’est ainsi, et eux non plus). Patrie et Révolution le furent en dernières formes très étendues, à relier encore nos sentiments expansifs au monde sensible, aux réalités communes d’une suite des générations, à pouvoir inspirer ainsi de ces dévouements. Le règne de l’instrumentalité en a dissous tout le substantiel et puis nous a reclus dans l’effervescence de son présent perpétuel où l’on est à se débattre chacun pour soi. Et aujourd’hui ce quelque chose nous justifiant d’avoir été là il faudrait se l’inventer tout seul, et ce serait en apparté avec soi seul – de n’avoir rien à remettre aux affectataires suivants, pas même un nom, pas même un monde pour eux encore envisageable.  
 
Qui était pourtant notre monde, nous en portions la responsabilité. Que nous avons abandonné aux appétits bizarres et déréglés de l’hybris de croissance, à ses prédations et déprédations sans aucun souci d’âge ultérieurs ni aucune considération de nos jours actuels (nous n’en aurons pas d’autres), et dont nous ne tentons même pas de sauver le peu qu’il en reste, si occupés d’en profiter ; quand ce peu, plutôt que d’aller en ultime combustible de la machinerie dévoratrice, devrait nous être bois sacré, sanctuaires inviolables de notre patrie terrestre, absolument tabou (et non « écosystème intéressant », non pas « réserve de riche biodiversité ») ; (et nous en deviendrions immédiatement plus intelligents, de nous-même comme du mauvais cas où l’on s’est mis, peut-être aussi du moyen d’en sortir, si ce qui a été transformé en conscience n’appartient plus aux puissances ennemies.) Au point où nous en sommes, où « l’ombre de la grande catastrophe qu’on redoute frappe de vanité tous les projets qu’on eût faits à une époque plus tranquille », si loin avons-nous été tirés hors de chez nous, si complétement avons-nous été arrachés de tous nos liens, que reste-t-il en justification d’être là, en signification plus grande que soi et imposant des devoirs, en attachement qui serait inconditionnel, en enthousiasme imprévu, qui de se déterminer à le sauver ?  
 
Baudoin de Bodinat, Au fond de la couche gazeuse, 2011-2015, éditions Fario, 2015, pp. 

232 et 233.






note de lecture 
poezibao

éditions fario
 

6 janv. 2016



WRITING PHILOSOPHY AS POETRY :
LITTERARY FORM IN WITTGENSTEIN




His disposition,” Bertrand Russell wrote of the young Wittgenstein in 1912 , “is that of an artist, intuitive and moody” (cited in Monk 1990 , 43 ). A similar judgment was made some fifteen years later by Rudolf Carnap in Vienna: His point of view and his attitude toward people and problems . . . were much more similar to those of a creative artist than to those of a scientist; one might almost say similar to those of a religious prophet or a seer. When he started to formulate his view on some specific philosophical problem, we often felt the internal struggle that occurred in him at that very moment, a struggle by which he tried to penetrate from darkness to light under an intense and painful strain.... When finally, sometimes after a prolonged and arduous effort, his answer came forth, his statement stood before us like a newly created piece of art or a divine revelation. (Monk 1990 , 244) And Wittgenstein himself, hoping, in 1919, to persuade Ludwig von Ficker, the editor of the literary journal Der Brenner, to publish his controversial Tractatus Logico-Philosophicus , remarked, “The work is strictly philosophical and at the same time literary” ( Monk 1990 , 177 ). What is it that makes Wittgenstein’s philosophical writing also—or perhaps even primarily— literary ? “What is it,” asks Terry Eagleton in the introduction to his own screenplay about the philosopher, “about this man, whose philosophy can be taxing and technical enough, which so fascinates the artistic imagination?” (Eagleton 1993, 5) The appeal is especially remarkable, given that Wittgenstein’s writing, in the Tractatus, as well as in the Philosophical Investigations and the various posthumously published collections of notes and lectures, is known primarily in English translation—translation that for those of us who are native Austrian German-speakers often seems to distort what are in the original colloquial speech patterns and conversational rhythms. This is especially true of Wittgenstein’s most obviously “poetic” work, Culture and Value , a collection of aphorisms and meditations on literary, religious, and anthropological topics, assembled from the philosopher’s notes by G. H. von Wright in 1977. In the translator’s note to the 1998 edition, Peter Winch admits that his original translation (1980 ) was problematic enough to warrant extensive revision.1 ( Winch 1998 , xviii–xix) But even this new version is characterized by translations like the following: Die Tragödie besteht darin daß sich der Baum nicht biegt sondern bricht. You get tragedy where the tree, instead of bending, breaks. (CV, 3) More accurately, this would read, “Tragedy occurs when the tree doesn’t bend, but breaks.” Or again, Die Religion ist sozusagen der tiefste ruhige Meeresgrund, der ruhig bleibt, wie hoch auch die Wellen oben gehen. Religion is as it were the calm sea bottom at its deepest, remaining calm, however high the waves rise on the surface. (CV, 61) But “sozusagen” literally means “so to speak,” not the coy “as it were,” and the “Meeresgrund” would not today be designated as the “sea bottom” but rather as the ocean floor, the stillness at whose deepest point is compared by Wittgenstein to the unshakability of true faith, impervious as that faith is to the passing religious fashions (the waves) of everyday life. Elizabeth (G. E. M.) Anscombe, the translator of the Investigations and much of the later work, is more faithful to the original but similarly misleading when it comes to Wittgenstein’s vernacular phrasing.2 The adjective “herrlich,” as in “Ist das Wetter heute nicht herrlich?” (“Isn’t the weather beautiful today?”) for example, is regularly rendered by the rather prissy “glorious.” “Reigenspiele” is oddly translated as “games like ringa-ring-a roses,” a name that overspecifies, since there are many other circle games (e.g. “A tisket, a tasket”) (PI §§21, 32). Or again, the proposition “Es ist uns, als müßten wir die Erscheinungen durchschauen ” (PI §90), “We feel as if we had to see through outward appearances”—a common enough state of mind—becomes the more abstract “We feel as if we had to penetrate phenomena.” Even in such ungainly translation, however, Wittgenstein’s writing has impressed its readers as decidedly “poetic.” But in what sense? In a well-known journal entry of 1934, reproduced in Culture and Value , Wittgenstein remarks: Ich glaube meine Stellung zur Philosophie dadurch zusammengefaßt zu haben indem ich sagte: Philosophie dürfte man eigentlich nur dichten. I think I summed up my position vis-а-vis philosophy when I said: philosophy should really be written only as one would write poetry. (CV, 28) These words, so difficult to render in English,3 accord with the frequent links made in Culture and Value between philosophy and aesthetics, for example, “The strange resemblance between a philosophical investigation (perhaps especially in mathematics<)> and an aesthetic one. (e.g., what’s wrong with this dress, what it should look like, etc . . . .” (CV, 29). But how the two are related, how philosophy is to be written only as poetry: this remains a puzzle, not just for Wittgenstein’s reader, but for the philosopher himself. Indeed, no sooner has he made the statement above than Wittgenstein adds somewhat sheepishly, “With these words, I was also acknowledging myself to be someone who cannot quite do what he would like to do” (CV, 28). And a few years later: “I squander untold effort to make an arrangement of my thoughts that may have no value whatever.” (CV, 33) This is not just false modesty. In its first “poetic” forays, Wittgenstein’s writing has a predilection for aphorisms—terse and often gnomic utterances—modeled, it has been suggested, on those of Schopenhauer (see for example Glock 2000), and, more immediately, on the maxims of Heraclitus. In Guy Davenport’s words: “The limits of my language are the limits of my world.” “The most beautiful order of the world is still a random gathering of things insignificant in themselves.” Which is Heraclitus, which Wittgenstein? “The philosopher,” says one of the Zettel, “is not a citizen of any community of ideas. That is what makes him a philosopher.” And: “What about the sentence— Wie ist es mit dem Satz —‘One cannot step in the same river twice’?” That Heraclitean perception has always been admired for its hidden second meaning. One cannot step. . . . it is not only the flux of the river that makes the statement true. But is it true? No, Wittgenstein would smile (or glare), but it is wise and interesting. It can be examined. It is harmonious and poetic.” (Davenport 1981 , 334)4 But unlike Heraclitus, Wittgenstein embedded his philosophical aphorisms into a network of “dry” logical and mathematical propositions of the sort “If p follows from q , the sense of ‘ p ’ is contained in that of ‘ q ’ ” (TLP 5.123). How to reconcile these two seemingly unlike modes of discourse? This was the problem the young Wittgenstein posed for himself, as we can see in the Notebooks 1914–1916 , composed during the First World War, sometimes in the midst of battle. On 6 July 1916, for example, Wittgenstein confided in his diary, “Colossal strain this last month. Have thought a lot about all sorts of things, but oddly enough, can’t make the connection with my mathematical train of thought.” (GT, 68)5 The very next day, however, he notes, “But the connection will be made! What cannot be said, can be not said.” (GT, 69) And a few weeks later, “Yes, my work has expanded from the foundations of logic to the nature of the world.” (NB, 79) How does such expansion work? In §4.46 and its sequelae in the Tractatus , Wittgenstein concerns himself with tautology : “the tautology [e.g., either it rains or it does not rain] has no truth-conditions, for it is unconditionally true” (TLP 4.461). Again (§6.12), “The fact that the propositions of logic are tautologies shows the formal— logical—properties of language, of the world.” Now consider the implications of the role of tautology in logic for a discussion of the word happy (glücklich). In the Notebooks , the word first appears in the entry of 8, July 1916 as part of a meditation on belief in God: I am either happy or unhappy, that’s all. It can be said: good or evil do not exist. He who is happy must have no fear. Not even of death. Only someone who lives not in time but in the present is happy. (NB, 74) The first sentence above is a tautology, although of a seemingly different kind from the mathematical and logical tautologies Wittgenstein has been discussing in earlier sections. And now tautology gives way to judgment: to be happy is to have no fear of death, in other words to live in the present, not the future. And so, after insisting that “Death is not an event in life. It is not a fact of the world,” Wittgenstein posits: In order to live happily I must be in agreement with the world. And that is what “being happy” means. . . . The fear of death is the best sign of a false, i.e. a bad, life. When my conscience upsets my equilibrium, then I am not in agreement with something. But what is this? Is it the world ? Certainly it is right to say: Conscience is the voice of God. For example: it makes me unhappy to think that I have offended this or that man. Is that my conscience? Can one say: “Act according to your conscience whatever it may be”? (NB, 75) But the meaning of “conscience” turns out to be as elusive as that of “happiness.” Indeed, the final line of this sequence suggests that all one can say is “Lebe glücklich” (Be happy!). And this bit of non-advice leads, in its turn, to the formulation of 29 July 1916, that “the world of the happy is a different world from the world of the unhappy”—a return to the tautological mode of 8 July 1916 that is picked up verbatim in Tractatus 6.43. The discourse now turns to good and evil and once again the issue of the will, but at the end of this section (NB, 78), we read yet again: The world of the happy is a different world from that of the unhappy. The world of the happy is a happy world. Can there then be a world that is neither happy nor unhappy? Can one transcend tautology? In his next entry (30 July 1916), Wittgenstein writes: Again and again I come back to this! Simply the happy life is good, the unhappy bad. And if I now ask myself: But why should I be happy , then this of itself seems to me to be a tautological question; the happy life seems to be justified, of itself, it seems that it is the only right life. (NB, 78) There seems, indeed, to be no further explanation of the happy life—only its assertion: But one could say: the happy life seems in some sense to be more harmonious than the unhappy. But in what sense? What is the objective sign of the happy, harmonious life? Here it is again clear that no such sign, one that can be described, can exist. This sign cannot be a physical, but only a metaphysical, a transcendental one. (NB, 78) There we have it. In circling round and round the word happy , the text cannot reach conclusion. When, some entries later (29 October 1916), Wittgenstein declares, “For there is certainly something in the conception that the end of art is the beautiful. And the beautiful is what makes happy” (NB, 86), we have not really gotten anywhere, for beauty, as he well knows, is just as elusive as happiness —it is here called “transcendent,” which is to say, indefinable. “What cannot be said, can be not said.” The Notebook entries on “happy” were made over a three-month period, and the reader may well wonder why variations on the original distinction between “happy” and “unhappy” are made again and again, both here and in the Tractatus . But repetition with slight permutation—a form of repetition reminiscent of Gertrude Stein or Samuel Beckett rather than of Plato or Heraclitus—is the key to Wittgenstein’s method here.6 Only by beginning again and again, to use Stein’s phrase, by reformulating a particular notion until it gradually manifests or reveals itself, can philosophy make any sort of progress. And “progress” is too strong a word here, for, as Wittgenstein puts it in a 1930 Lecture, “Philosophical analysis does not tell us anything new about thought (and if it did it would not interest us).” Rather, “Philosophy is the attempt to be rid of a particular kind of puzzlement.” (WL, 35, 1) In this case, it is only by circling round the proposition “The world of the happy is a happy world” that we begin to understand that happiness, man’s most persistent goal, cannot be defined or even specified. Nor is definition or specification necessary. When, for example, we read the famous opening sentence of Tolstoy’s Anna Karenina —“Happy families are all alike. Each unhappy family is unhappy in its own way”—we don’t stop to ask what Tolstoy means by the words “happy” and unhappy.” We know very well what is at stake; we also know that this novel is not going to be about happy families. But what makes a sentence like “The world of the happy is a happy world” an instance of Dichtung ? In a 1931 entry in Culture and Value , we read: Die Grenze der Sprache zeight sich in der Unmöglichkeit die Tatsache zu beschreiben, die einem Satz entspricht (seine Ubersetzung ist) ohne eben den Satz zu wiederholen. The limit of language manifests itself in the impossibility of describing the reality that corresponds to (is the translation of) a sentence without simply repeating the sentence. (CV, 13) And in Zettel, we read, “Knowledge is actually not translated into words when it is expressed. The words are not a translation of something else that was there before they were.” (Z §191)7 Poeticity , these statements suggest, depends upon the conviction that “language is not contiguous to anything else. We cannot speak of the use of language as opposed to anything else.” (WL, 112) For if one begins with the actual words spoken or written, word choice and grammar are seen to be everything. The variations on the proposition “The world of the happy is a different world from the world of the unhappy” are essential, not because they say anything “new”—they don’t—but because the very act of repetition and qualification, repetition and variation brings home to the reader, as to the philosopher-poet himself, the impossibility of defining happiness, even as its central function in our lives is clearly demonstrated. Indeed, unlike traditional aphorisms, Wittgenstein’s short propositions don’t really “say” anything. Or, to put it another way, what they “say” is enigmatic. “Death is not an event in life,” (TLP 6.4311), for example, is an arresting aphorism but not because it is true. For death (someone else’s) could certainly be an event in my life. And even the specter of my own death determines how I live, what I do. Wittgenstein’s sentences are thus characterized, not by their metaphorical force or their use of the rhetorical figures like antithesis and parallelism, but by what I would call their opaque literalism. The sentences say just what they say—no difficult words to look up!— but they remain mysterious, endlessly puzzling, enigmatic. In what context and to whom is it meaningful to say “The world of the happy is a happy world”? Isn’t it rather like saying, to quote a famous little poem, “So much depends / upon / a red wheel / barrow / glazed with rain / water / beside the white/ chickens”? And how do we move from one proposition to the next, the decimal system of the Tractatus constituting, as David Antin has so convincingly demonstrated (Antin 1998 , 151–6) , a framework that defies the very logic it claims to put forward? No Gaps in Grammar In Wittgenstein’s later writings, the propositional-aphoristic mode of the Notebooks and the Tractatus gives way to a rather different style. To begin with a representative passage, consider the famous analogy, early in the Investigations , between the language game and the game of chess (PI §30–§31): [End of §30.] One must already know something (or do something with it) in order to be able to ask its name. But what must one know? 31.When you show someone the king in a game of chess and say, “This is the king”, you are not explaining to him how the piece is used—unless he already knows the rules of the game, except for this last identification: the shape of the king. It is possible that he learned the rules of the game without ever having been shown an actual chess piece. The form of the piece here corresponds to the sound or the physical appearance of a word. But it is also possible that someone has learned the game without ever having learned or formulated the rules. Perhaps first he learned by watching quite simple board games and advanced to increasingly complicated ones. Here again one could give him the explanation “This is the king”—if, for example, one were showing him chess pieces of an unfamiliar design. But again, this explanation teaches him the use of the chess piece only because, as we might say, the place for it had already been prepared. Or even: we might say explanation only teaches him the use of the piece, when its place has been prepared. And in this case, it happens, not because the person to whom we give the explanation already knows the rules, but because, from another perspective, he already has command of the game.... Consider this further case: I am explaining chess to someone and begin by pointing to a chess piece and saying “This is the king. It can move like this, etc. etc.” In this case, we’ll say that the words, “This is the king” (or this one is called “king”) only provide a definition if the learner already “knows what a piece in a board game is.” That is, if he has already played other games or watched other people playing “with understanding”—and so on. Again, only then would he be able to ask the relevant question, “What is this called?”—that is, this piece in a game. We can say: only someone who already knows how to do something with it can meaningfully ask for its name. And we can also imagine a situation in which the person questioned answers, “You choose the name”, and so the questioner would have to take the responsibility for the whole thing. In this passage, the terse and enigmatic propositions of the Tractatus are replaced by what looks like a much more casual, free-wheeling discourse. Its central figure is the analogy between a given word and a chess piece: just as the meaning of the various chess figures—king, queen, pawn—depends entirely on their use in the game itself, so, Wittgenstein asserts in §43, contra the Augustinian theory of language as pointing system where “Every word in the language signifies something” (PI §13), that “ the meaning of a word is its use in the language .” Commentary on Wittgenstein’s passage often refers to the “chess metaphor” in the Investigations , but it is important to note that here and elsewhere, Wittgenstein’s figures are not full-fledged metaphors or even similes. Metaphor is by definition a figure of transference in which a can be substituted for b . In Shakespeare’s sonnet #73, for example, we read: That time of year thou mayst in me behold Where yellow leaves, or none, or few, do hang Upon the boughs that shake against the cold, Bare, ruin’d choirs were late the sweet birds sang. Here the identity of old age and the autumn of the year is complete; the metaphor, moreover, doubles over in line 4 as the bare branches “where late the sweet birds sang” become the “bare, ruin’d choirs” of medieval churches—perhaps the Gothic vaults of monasteries destroyed during the Reformation. The choristers (sweet birds) no longer sing in the empty church stalls (the tree branches). Wittgenstein’s figures of speech, on the other hand, always begin with the assumption that the analogy between a and b is only that—an analogy, useful for exemplifying one’s points in a philosophical discussion. The chess piece called the king cannot be substituted for a particular word or phrase in a discussion of language: we all know, in other words, that language is not really chess. Or consider the following locutions in Culture and Value : A new word is like fresh seed thrown on the ground of the discussion.(CV, 4) Compare the solution of philosophical problems to the gift in the fairytale that magically appears in the enchanted castle and when one looks at it outside in daylight, it is nothing but an ordinary piece of iron (or something similar).(CV, 13–14) Talent is a spring from which fresh water is constantly flowing. But this spring loses its value if it is not used in the right way.(CV, 20) The idea is worn out by now & no longer usable... in the way silver paper, once crumpled, can never quite be smoothed out again. Nearly all my ideas are a bit crumpled.(CV, 24) Language sets everyone the same traps; it is an immense network of well kept wrong turnings. . . . So what I should do is erect signposts at all the junctions where there are wrong turnings, to help people past the danger points.(CV, 25) My thinking, like everyone’s, has sticking to it the shriveled husks of my earlier dead thoughts.(CV, 27) Such proverbial statements, as Wittgenstein students have long remarked, are characterized by their homely, everyday wisdom, their common sense. Old ideas can’t be recycled any more than silver foil can be smoothed out again; outmoded thoughts are like shriveled husks; seemingly brilliant solutions to philosophical problems are like those fairy tale gift s that emerge in the harsh light of day as pieces of junk. Wittgenstein knows very well that the items compared are discrete, that words and phrases function only in specific language games. Now let us return to the chess passage in §31. Here, as throughout the Investigations, the author presents himself dialogically—as someone having a conversation with someone else. Typically, he begins with a question: here, at the end of §30, “But what does one have to know?” Question, exclamation, interruption, interpellation: even when, as in the Investigations , there is a written text, not a series of lecture notes recorded by others, Wittgenstein “does” philosophy by setting up everyday dialogues or interviews, as enigmatic as they are childlike. In the chess discussion, for example, Wittgenstein begins by positing that the explanatory sentence “This is the king” makes no sense unless the player already knows the rules of the game. But there are other possibilities. The interlocutor might have learned chess by watching, first simple board games and then more difficult ones. “This is the king” might refer to an unusual chess piece, one that doesn’t have the usual shape of the king. Or again, the sentence “This is the king” may be spoken by a master of the game to explain what move he is about to make. Or a non-native speaker who knows how to play chess may ask what this particular piece is called in the foreign country he is visiting. Is it all common sense? Yes and no. Each example appeals to our actual practices, to our reference to how we do things in everyday life. But precisely because we are so familiar with these practices, it is difficult to understand what they mean. It seems as if the exempla in §31 work up to the authoritative generalization in the penultimate sentence, “ We can say: only someone who already knows how to do something with a given piece can meaningfully ask for its name ”—a generalization that actually repeats the final proposition of §30 cited above, “One must already know something (or do something with it) in order to be able to ask its name.” Has the interim passage with its chess examples then made no difference in understanding, especially given that the final sentence— And we can also imagine a situation in which the person questioned answers, “You choose the name”, and so the questioner would have to take the responsibility for the whole thing —far from providing closure, opens up the debate for further possibilities? Consider what happens in §32: Someone coming into a foreign country will sometimes learn the language of the natives from ostensive definitions that they give him; and he will often have to guess the meaning of these definitions; and will guess sometimes right, sometimes wrong. And now, I think, we can say: Augustine describes the learning of human language as if the child came into a foreign country and did not understand the language of that country; that is, as if the child already had a language, only not this one. Or again: as if the child could already think , only not yet speak. And “think” would here mean something like “talk to oneself.” The continuity between §31 and §32 is at first elusive. Just when we think we understand that the word “king” in chess is meaningless unless we know how to play the game, Wittgenstein shifts ground and attacks the Augustinian theory of language as pointing system from a different angle. The new analogy—wonderfully absurd—is between a stranger in a foreign country and a child communicating within its own not-yet-learned language system. Is the child’s “thought” then like the foreigner’s native language, prior to the “new” language to be learned? The posited analogy is patently absurd, for what could that prior language possibly look and sound like? How does one talk to oneself without talking? As Wittgenstein puts it frequently, does a young child hope before it has learned the word “hope”? Analogies thus provide sometimes positive, sometimes negative reinforcement: in either case, they lead us to revise our previous understanding of this or that fixed notion. It is this processive, self-corrective, and even self-canceling nature of Wittgenstein’s propositions—their deployment of language as “a labyrinth of paths” (PI §82), their use of countless examples, anecdotes, narratives, and analogies—that gives the text its poetic edge. For the “naturalness” of its talk, its colloquial, everyday language and story-telling is everywhere held in tension with a set of larger assumptions that are as fixed and formally perfect as is the architectural design of the severely modern house Wittgenstein designed for his sister in Vienna. However much the individual exempla in the text are open for discussion and debate, the unstated axiom governing them is that “language is not contiguous to anything else,” and that accordingly, the meaning of a word is its use in the language. And the text enacts that theorem, presented as a non-theorem, at every turn. Showing , not telling , is the mode. Here the testimony of Wittgenstein’s Cambridge students is apposite. “His lectures,” Norman Malcolm recalls, “were given without preparation and without notes. He told me once he had tried to lecture from notes but was disgusted with the result; the thoughts that came out were ‘stale,’ or, as he put it to another friend, the words looked like ‘corpses’ when he began to read them.” (Malcolm 1984 , 23) Two other Cambridge students describe the performance as follows: At first one didn’t see where all the talking was leading. One didn’t see, or saw only very vaguely, the point of the numerous examples. And then, sometimes one did, suddenly. All at once, sometimes, the solution to one’s problems became clear and everything fell into place. In these exciting moments one realized something of what mathematicians mean when they speak of the beauty of an elegant proof. The solution, once seen, seemed so simple and obvious, such an inevitable and simple key to unlock so many doors so long battered against in vain. One wondered how one could fail to see it. But if one tried to explain to someone else who had not seen it one couldn’t get it across without going through the whole long story. (Gasking and Jackson 1967 , 50)8 In a literary context, the “exciting moments” described here are known as epiphanies. Suddenly, in such Wordsworthian “spots of time,” the object of contemplation becomes radiant, and we see into the life of things. Consider Wittgenstein’s late notebook entries published under the title On Certainty (Über Gewissheit).9 The basic subject of this little book is what one knows and how one knows it: the paragraphs numbered 300–676, written in the last months of Wittgenstein’s life, try to define the point when doubt becomes senseless—a question that is answerable only by referring it to actual practice. And here Wittgenstein’s examples are especially imaginative. 332. Suppose that someone, without wanting to philosophize , were to say, “I don’t know if I have ever been on the moon; I don’t remember ever having been there”. (Why would this person be so alien from us?). In the first place: how would he know that he was on the moon? How does he picture it to himself? Compare: “I don’t know if I was ever in the village of X.” But I couldn’t say this either if X were in Turkey, because I know that I have never been to Turkey. 333. I ask someone, “Have you ever been to China?” He answers, “I don’t know.” Here one would surely say, “You don’t know ? Do you have any reason to believe that perhaps you have ever been there? Have you for example ever been near the Chinese border? Or were your parents there at the time you were about to be born?”— Normally, Europeans do know whether they have been to China or not. 334. In other words; the reasonable person doubts such a thing only under such-and-such circumstances... 341... the questions that we raise and our doubts depend on the fact that some propositions are exempt from doubt, like the hinges on which these turn... 343. But it isn’t that we just can’t investigate everything and are therefore forced to be satisfied with assumptions. If I want the door to move, the hinges must be intact. 343. My life consists in that there are certain things I am content to accept. Here is the negative capability of the late Wittgenstein—the capacity, in Keats’s words, “of being in uncertainties, Mysteries, doubts without any irritable reaching after fact & reason”10 —a mental state closely allied to the moment of poetry. Of course, Wittgenstein suggests, one can always demand specification of a proposition to the point where there could be certainty, as in “2 X 2 = 4,” but, even in this case, “the spoken or written sentence ‘2 X 2 = 4’ might in Chinese have a different meaning or be pure nonsense” (OC §10). Not what a statement is but what one does with it is what matters. So, to use the hinge analogy above, if you want the door to move, the hinges must work. In everyday life we know quite well whether or not we have been to China or on the moon, just as we know that we have two hands and two feet without looking at them to check out the truth. “Ordinary language is alright.” (BB, 28) But Wittgenstein’s “ordinary language” is of course extraordinary. In the passage above (§§332–43) and throughout On Certainty , persuasion depends on the poet-philosopher’s astonishing rhetorical skill. Examples must be short and concrete; they must speak to the interlocutor’s everyday experience, using conversational speech patterns, reinforced by vivid analogies like that of words turned to corpses or worn-out ideas like crumpled silver foil. The exempla must meet the test of common sense; indeed, they must be so literal that they make us laugh. Even in our own age of moon exploration, the response “I don’t know” to the question, “Have you ever been on the moon?” is absurd. Indeed, the absurdity of many of Wittgenstein’s propositions shows their affinity to the joke, the riddle, or the tall tale, as these variants appear in the language game itself: “Imagine a language-game ‘When I call you, come in through the door’. In an ordinary case, it will be impossible to doubt that there really is a door” (OC §391). A child, presented with such a possibility, would either laugh or put forward an alternate game—for example, “Let’s pretend none of the things in this room exist.” And therein would lie a different language game, a different poetic act. The Right Tempo In the much-cited Preface to the Philosophical Investigations , Wittgenstein describes the method whereby he ordered the “remarks, short paragraphs, of which there is sometimes a fairly long chain about the same subject” into the larger structure of the book: After several unsuccessful attempts to weld my results together into such a whole, I realized I should never succeed. The best that I could write would never be more than philosophical remarks; my thoughts were soon crippled if I tried to force them on in any single direction against their natural inclination.—And this was of course connected with the very nature of the investigation. Namely, it forces us to travel over a wide range of thoughts, criss-cross [kreuz und quer], in all directions. . . . Thus this book is really only an album. (PI, Preface) An album is most typically a medley, a commonplace book or loose collection of disparate items, collaged together kreuz und quer , without much thought of the controlling structure. But despite this disclaimer, Wittgenstein’s “remarks” are the result of much more intensive dichten than is usually thought. Etymologically, the verb dichten comes from the adjective dicht (thick, dense, packed): dichten originally meant “to make airtight, watertight; to seal the cracks (in a window, roof, etc.)”—in other words, something like the Zen phrase “to thicken the plot.” Poets, indeed fiction-makers of all stripes, are those that make thick or dense, that pack it in. Again and again, in Culture and Value and related texts, Wittgenstein talks of the need for slow reading: Sometimes a sentence can be understood only if it is read at the right tempo. My sentences are all to be read slowly . (CV, 65) Thoughts rise to the surface slowly, like bubbles. (CV, 72) Of the sentences that I write down here, only the occasional one represents a step forward; the others are like the snip of the barber’s scissors, which must be kept in motion so as to make a cut with them at the right moment. (CV, 76) Raisins may be the best part of a cake; but a bag of raisins is no better than a cake; and he who is in a position to give us a bag full of raisins, cannot necessarily bake a cake with them, let alone do something better. I am thinking of [Karl] Kraus & his aphorisms, but of myself too & my philosophical remarks. A cake is not, as it were, thinned out raisins (CV, 76) The last remark here is especially telling. Aphorisms, so central to the Tractatus and earlier work, cannot in themselves make a poetic-philosophical discourse. If they remain discrete, like so many separate raisins in a bag, they fail to cohere into a fully-formed “cake.” But coherence, in this instance, is not a matter of linearity, of logical or temporal movement from a to b to c. For Wittgenstein, the criss-crossing of threads must be dicht—thick and dense—and, as in the case of lyric poetry, only slow reading can unpack the meanings in question. “My sentences must be read slowly .” The necessity, in an information age, of slowing down the reading process, was central to the thinking of many of Wittgenstein’s contemporaries—for example, the Russian avant-gardists Velimir Khlebnikov and Alexeii Kruchenykh: the term ostranenie (estrangement, defamiliarization) was always associated with slowing down the reading (or viewing) process in art. Duchamp’s concept of the delay, as in calling his Large Glass (The Bride Stripped Bare by her Bachelors, Even) a “delay in glass,” is another instance. To say “Philosophy must be written only as one would write poetry” is to be aware of the need for density and resonance—rather than logic and sequential argument—in the verbal construct. One of Wittgenstein’s most intriguing works in this regard is the “Remarks on Frazer’s Golden Bough ” (1936), first edited and published in 1967 by Rush Rhees.11 On the surface, this seems to be a rather loosely organized set of scattered “remarks”: it begins “One must start out with error and convert it into truth,” and then contains the isolated lyric line, “I must plunge into the water of doubt again and again” (PO, 119). Again and again is the key here: in what follows, Wittgenstein repeats, questions, challenges, exclaims, circling round and round the issue of Frazer’s misunderstanding of “primitive” religious practices in The Golden Bough. “One would like to say: This and that incident have taken place; laugh if you can” (PO, 123). Or, “What a narrow spiritual life on Frazer’s part! As a result: how impossible it was for him to conceive of a life different from that of the England of his time!” (PO, 125). And even more scathingly, “Why shouldn’t it be possible for a person to regard his name as sacred? It is certainly, on the one hand, the most important instrument which is given to him, and, on the other, like a piece of jewelry hung around his neck at birth.” (PO, 126–7) Only after pages of such “criss-cross” emotional commentary does Wittgenstein zero in on what is his central case: that if the vegetation ceremonies of the peoples in question are understood, not as opinions or beliefs, but as practices , their behavior will emerge as not so “primitive” after all: I read among many similar examples, of a Rain-King in Africa to whom the people pray for rain when the rainy period comes. But surely that means that they do not really believe that he can make it rain, otherwise they would do it in the dry periods of the year in which the land is “a parched and arid desert.” For if one assumes that the people formerly instituted this office of Rain-King out of stupidity, it is nevertheless certainly clear that they had previously experienced that the rains begin in March, and then they would have had the Rain-King function for the other part of the year. Or again, toward morning, when the sun is about to rise, rites of daybreak are celebrated, but not during the night, when they simply burn lamps. (PO, 137). And the essay now multiplies examples of similar misunderstandings on Frazer’s part, culminating in the assertion, “If they [the primitive people Frazer talks of] were to write it down, their knowledge of nature would not differ fundamentally from ours. Only their magic is different.” (PO, 141) “Remarks on Frazer’s Golden Bough ” was, of course, not intended for publication, at least not in the present form, and so our expectations of it are different from those we have of the Investigations . But when we remember that even the latter, his most “finished” work, was undergoing continual change between the time of its “completion” and Wittgenstein’s death in 1951,12 we can see that the formal constraints are quite similar. To insure that the reader will absorb them “slowly,” Wittgenstein’s sentences are paratactic and metonymic; they circle around a “point,” at first quietly, even casually, then with increasing deliberation, until the “meaning” of this or that argument suddenly crystallizes. From the gnomic aphorisms of the Tractatus to the “common-sense” analogies that multiply and spill over into the next paragraph in the Investigations and On Certainty , Wittgenstein’s writings enact their central motive: words and phrases can be understood only in their particular context, their use. Not what one says but how one says it is the key to doing philosophy. And that, of course, is what makes it poetry as well.




Marjorie Perloff, Stanford

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References
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Wittgenstein’s own last stay in Vienna (December 1949–March 1950), on the occasion of his sister Hermine’s death, coincided with Anscombe’s, and they evidently met two or three times a week, but he was himself so ill he may not have paid much attention to the actual translation process (see Monk 1990 , 562) . 3 Wittgenstein’s proposition, as I have noted elsewhere (Perloff 2004 , 53 n. 12) is all but untranslatable, because there is no precise English equivalent of the German verb dichten —a verb that means to create poetry but also, in the wider sense, to produce something fictional, as in Goethe’s Dichtung und Wahrheit , where fiction is opposed to truth. My own earlier translation: “Philosophy ought really to be written as a form of poetry ” ( Perloff 1996 , xviii and passim) is not quite accurate, since there is no reference to form of writing here. Peter Winch, whose first edition of CV renders Wittgenstein’s sentence as “Philosophy ought really to be written only as a poetic composition ,” revises it for the 1998 edition to read “Really one should write philosophy only as one writes a poem .” The word “poem” is misleading—Wittgenstein did not, after all, write poems—and perhaps the most accurate translation is David Schalkwyk’s: “Philosophy should be written only as one would write poetry” (2004 , 56). Or, to be even more colloquial, one can follow David Antin’s “One should really only do philosophy as poetry” (1998, 161). 4 The reference is to Wittgenstein’s 1933 note: “The man who said that one cannot step into the same river twice said something wrong; one can step into the same river twice” (PO, 167). 5 My translation: there is not yet an English translation of the Geheime Tagebücher. The methodological importance of this and subsequent passages in the GT was first noted by Antin ( 1998 , 154–5). 6 I discuss in Perloff 2002 Lyn Hejinian’s Wittgensteinian long poem “Happily” (Hejinian 2000 ), which plays further variations on the word happy and its cognates and shows how this kind of conceptual poetry works. 7 In German, this reads, “Das Wissen wird eben nicht in Worte übersetzt , wenn es sich äußert. Die Worte sind keine Ubersetzung eines Andern, welches vor ihnen da war.” 8 I owe my knowledge of this and related passages to David Antin ( 1998 , 160) . Antin’s own “talk pieces” are later instances of this Wittgensteinian paradigm. 9 The selection of notes and their numbering was made posthumously by the editors, not the author. 10 Keats 1982 , 43 . 11 In Philosophical Occasions . In their head note, the editors point out that the first bilingual book edition of this text (Retford: Brynmilll 1979) left out a considerable number of the remarks; “the extant editions disagree about what to include and what to leave out of Wittgenstein’s remarks” (PO, 116). There is, then, no definitive text of this essay. 12 See especially Last Writings on the Philosophy of Psychology , vols. 1 and 2. In these volumes, Part II of the Investigations is heavily revised and expanded.






Marjorie Perloff teaches courses and writes on twentieth and now twenty-first century poetry and poetics, both Anglo-American and from a Comparatist perspective, as well as on intermedia and the visual arts. She is Professor Emerita of English at Stanford University and Florence R. Scott Professor of English Emerita at the University of Southern California. She is an elected fellow of the American Academy of Arts and Sciences and the American Philosophical Society.