2 janv. 2016



Mon coeur mis à nu
JOURNAL INTIME
par
Charles Baudelaire

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De la vaporisation et de la centralisation du Moi. Tout est là. D'une certaine jouissance sensuelle dans la société des extravagants.
(Je pense commencer Mon coeur mis à nu n'importe où, n'importe comment, et le continuer au jour le jour, suivant l'inspiration du jour et de la circonstance, pourvu que l'inspiration soit vive).
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Le premier venu, pourvu qu'il sache amuser, a le droit de parler de lui-même.
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Je comprends qu'on déserte une cause pour savoir ce qu'on éprouvera à en servir une autre.
Il serait peut-être doux d'être alternativement victime et bourreau.
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Sottises de Girardin :
«Notre habitude est de prendre le taureau par les cornes. Prenons donc le discours par la fin». (7 novembre 1863).
Donc, Girardin croit que les cornes des taureaux sont plantées sur leur derrière. Il confond les cornes avec la queue.
«Qu'avant d'imiter les Ptolémées du journalisme français, les journalistes belges se donnent la peine de réfléchir sur la question que j'étudie depuis trente ans sous toutes ses faces, ainsi que le prouvera le volume qui paraîtra prochainement, sous ce titre : Questions de presse ; qu'ils ne se hâtent pas de traiter de souverainement ridicule (1) une opinion qui est aussi vraie qu'il est vrai que la terre tourne et que le soleil ne tourne pas».
Émile de Girardin.
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La femme est le contraire du Dandy. Donc elle doit faire horreur.
La femme a faim, et elle veut manger ; soif, et elle veut boire.
Elle est en rut, et elle veut être f...
Le beau mérite !
La femme est naturelle, c'est-à-dire abominable.
Aussi est-elle toujours vulgaire, c'est-à-dire le contraire du Dandy.
Relativement à la Légion d'Honneur. - Celui qui demande la croix a l'air de dire : Si l'on ne me décore pas pour avoir fait mon devoir, je ne recommencerai plus. Si un homme a du mérite, à quoi bon le décorer ? S'il n'en a pas, on peut le décorer, parce que cela lui donnera un lustre.
Consentir à être décoré, c'est reconnaître à l'État ou au prince le droit de vous juger, de vous illustrer, et caetera.
D'ailleurs, si ce n'est l'orgueil, l'humilité chrétienne défend la croix.
Calcul en faveur de Dieu. - Rien n'existe sans but.
Donc mon existence a un but.
Quel but ? Je l'ignore.
Ce n'est donc pas moi qui l'ai marqué. C'est donc quelqu'un plus savant que moi.
Il faut donc prier ce quelqu'un de m'éclairer. C'est le parti le plus sage.
Le Dandy doit aspirer à être sublime, sans interruption. Il doit vivre et dormir devant un miroir.
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Analyse des contre-religions : exemple la prostitution sacrée.
Qu'est-ce que la prostitution sacrée ?
Excitation nerveuse.
Mysticité du paganisme. Le mysticisme, trait d'union entre le paganisme et le christianisme.
Le paganisme et le christianisme se prouvent réciproquement.
La Révolution et le culte de la Raison prouvent l'idée du sacrifice.
La superstition est le réservoir de toutes les vérités.
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Il y a dans tout changement quelque chose d'infâme et d'agréable à la fois, quelque chose qui tient de l'infidélité et du déménagement. Cela suffit à expliquer la Révolution française.
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Mon ivresse en 1848.
De quelle nature était cette ivresse ? Goût de la vengeance. Plaisir naturel de la démolition. Ivresse littéraire ; souvenir des lectures.
Le 15 mai. Toujours le goût de la destruction. Goût légitime, si tout ce qui est naturel est légitime.
Les horreurs de Juin. Folie du peuple et folie de la bourgeoisie. Amour naturel du crime.
Ma fureur au coup d'État. Combien j'ai essuyé de coups de fusil ! Encore un Bonaparte ! Quelle honte !
Et cependant tout s'est pacifié. Le Président n'a-t-il pas un droit à invoquer ?
Ce qu'est l'Empereur Napoléon III. Ce qu'il vaut. Trouver l'explication de sa nature, et sa providentialité.
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Être un homme utile m'a paru toujours quelque chose de bien hideux.
1848 ne fut amusant que parce que chacun y faisait des utopies comme des châteaux en Espagne.
1848 ne fut charmant que par l'excès même du ridicule.
Robespierre n'est estimable que parce qu'il a fait quelques belles phrases.
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La Révolution, par le sacrifice, confirme la Superstition.
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Politique. - Je n'ai pas de convictions, comme l'entendent les gens de mon siècle, parce que je n'ai pas d'ambition.
Il n'y a pas en moi de base pour une conviction.
Il y a une certaine lâcheté, ou plutôt une certaine mollesse chez les honnêtes gens.
Les brigands seuls sont convaincus, - de quoi ? - Qu'il leur faut réussir. Aussi, ils réussissent.
Pourquoi réussirais-je, puisque je n'ai même pas envie d'essayer ?
On peut fonder des empires glorieux sur le crime, et de nobles religions sur l'imposture.
Cependant j'ai quelques convictions, dans un sens plus élevé, et qui ne peut pas être compris par les gens de mon temps.
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Sentiment de solitude, dès mon enfance. Malgré la famille, et au milieu des camarades, surtout, - sentiment de destinée éternellement solitaire.
Cependant, goût très vif de la vie et du plaisir.
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Presque toute notre vie est employée à des curiosités niaises. En revanche, il y a des choses qui devraient exciter la curiosité des hommes au plus haut degré, et qui, à en juger par leur train de vie ordinaire, ne leur en inspirent aucune.
Où sont nos amis morts ?
Pourquoi sommes-nous ici ?
Venons-nous de quelque part ?
Qu'est-ce que la liberté ?
Peut-elle s'accorder avec la loi providentielle ?
Le nombre des âmes est-il fini ou infini ?
Et le nombre des terres habitables ?
Etc., etc.
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Les nations n'ont de grands hommes que malgré elles. Donc, le grand homme est vainqueur de toute sa nation.
Les religions modernes ridicules :
Molière,
Béranger,
Garibaldi.
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La croyance au progrès est une doctrine de paresseux, une doctrine de Belges.
C'est l'individu qui compte sur ses voisins pour faire sa besogne.
Il ne peut y avoir de progrès (vrai, c'est-à-dire moral) que dans l'individu et par l'individu lui-même.
Mais le monde est fait de gens qui ne peuvent penser qu'en commun, en bandes. Ainsi les Sociétés belges.
Il y a aussi des gens qui ne peuvent s'amuser qu'en troupe. Le vrai héros s'amuse tout seul.
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Éternelle supériorité du dandy.
Qu'est-ce que le Dandy ?
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Mes opinions sur le théâtre. Ce que j'ai toujours trouvé de plus beau dans un théâtre, dans mon enfance, et encore maintenant c'est le lustre, - un bel objet lumineux, cristallin, compliqué, circulaire et symétrique.
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Cependant, je ne nie pas absolument la valeur de la littérature dramatique. Seulement, je voudrais que les comédiens fussent montés sur des patins très hauts, portassent des masques plus expressifs que le visage humain, et parlassent à travers des porte-voix ; enfin que les rôles de femmes fussent joués par des hommes.
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Après tout, le lustre m'a toujours paru l'acteur principal, vu à travers le gros bout ou le petit bout de la lorgnette.
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Il faut travailler, sinon par goût, au moins par désespoir, puisque, tout bien vérifié, travailler est moins ennuyeux que s'amuser.
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Il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l'une vers Dieu, l'autre vers Satan.
L'invocation à Dieu, ou spiritualité, est un désir de monter en grade ; celle de Satan, ou animalité, est une joie de descendre. C'est à cette dernière que doivent être rapportées les amours pour les femmes et les conversations intimes avec les animaux, chiens, chats, etc. Les joies qui dérivent de ces deux amours sont adaptées à la nature de ces deux amours.
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Ivresse d'humanité ; grand tableau à faire ;
Dans le sens de la charité ;
Dans le sens du libertinage ;
Dans le sens littéraire, ou du Comédien.
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La question (torture) est, comme art de découvrir la vérité, une niaiserie barbare ; c'est l'application d'un moyen matériel à un but spirituel.
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La peine de mort est le résultat d'une idée mystique, totalement incomprise aujourd'hui. La peine de mort n'a pas pour but de sauver la société, matériellement du moins. Elle a pour but de sauver (spirituellement) la société et le coupable. Pour que le sacrifice soit parfait, il faut qu'il y ait assentiment et joie, de la part de la victime. Donner du chloroforme à un condamné à mort serait une impiété, car ce serait lui enlever la conscience de sa grandeur comme victime et lui supprimer les chances de gagner le Paradis.
Dandies.
L'envers de Claude Gueux. Théorie du sacrifice. Légitimation de la peine de mort. Le sacrifice n'est complet que par le sponte sua de la victime.
Un condamné à mort, raté par le bourreau, délivré par le peuple, retournerait au bourreau. Nouvelle justification de la peine de mort.
Quant à la torture, elle est née de la partie infâme du coeur de l'homme, assoiffé de voluptés. Cruauté et volupté, sensations identiques, comme l'extrême chaud et l'extrême froid.
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Ce que je pense du vote et du droit d'élection. Des droits de l'homme.
Ce qu'il y a de vil dans une fonction quelconque.
Un Dandy ne fait rien. Vous figurez-vous un dandy parlant au peuple, excepté pour le bafouer ?
Il n'y a de gouvernement raisonnable et assuré que l'aristocratique.
Monarchie ou république, basées sur la démocratie, sont également absurdes et faibles.
Immense nausée des affiches.
Il n'existe que trois êtres respectables : le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer et créer.
Les autres hommes sont taillables et corvéables, faits pour l'écurie, c'est-à-dire pour exercer ce qu'on appelle des professions.
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Observons que les abolisseurs de la peine de mort doivent être plus ou moins intéressés à l'abolir.
Souvent, ce sont des guillotineurs. Cela peut se résumer ainsi : «Je veux pouvoir couper ta tête, mais tu ne toucheras pas à la mienne».
Les abolisseurs d'âmes (matérialistes) sont nécessairement des abolisseurs d'enfer ; ils y sont, à coup sûr, intéressés.
Tout au moins, ce sont des gens qui ont peur de revivre, - des paresseux.
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Madame de Metternich, quoique princesse, a oublié de me répondre, à propos de ce que j'ai dit d'elle et de Wagner.
Moeurs du XIXe siècle.
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Histoire de ma traduction d'Edgar Poe.
Histoire des Fleurs du Mal. Humiliation par le malentendu, et mon procès.
Histoire de mes rapports avec tous les hommes célèbres de ce temps.
Jolis portraits de quelques imbéciles :
Clément de Ris.
Castagnary.
Portraits de magistrats, de fonctionnaires, de directeurs de journaux, etc.
Portrait de l'artiste, en général.
Du rédacteur en chef et de la pionnerie. Immense goût de tout le peuple français pour la pionnerie et pour la dictature. C'est le Si j'étais roi !
Portraits et anecdotes.
François Buloz, Houssaye, le fameux Rouy, de Calonne.
Charpentier, qui corrige ses auteurs, en vertu de l'égalité donnée à tous les hommes par les immortels principes de 1789.
Chevalier, véritable rédacteur en chef selon l'Empire.
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Sur George Sand. - La femme Sand est le Prudhomme de l'immoralité.
Elle a toujours été moraliste.
Seulement elle faisait autrefois de la contre-morale.
Aussi elle n'a jamais été artiste. Elle a le fameux style coulant, cher aux bourgeois.
Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde. Elle a, dans les idées morales, la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues. Ce qu'elle dit de sa mère. Ce qu'elle dit de la poésie. Son amour pour les ouvriers. Que quelques hommes aient pu s'amouracher de cette latrine, c'est bien la preuve de l'abaissement des hommes de ce siècle. Voir la préface de Mademoiselle La Quintinie, où elle prétend que les vrais chrétiens ne croient pas à l'Enfer. La Sand est pour le Dieu des bonnes gens, le dieu des concierges et des domestiques filous. Elle a de bonnes raisons pour vouloir supprimer l'Enfer.
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Le Diable et George Sand. - Il ne faut pas croire que le diable ne tente que les hommes de génie. Il méprise sans doute les imbéciles, mais il ne dédaigne pas leur concours. Bien au contraire, il fonde ses grands espoirs sur ceux-là.
Voyez George Sand. Elle est surtout, et plus que toute autre chose, une grosse bête ; mais elle est possédée. C'est le diable qui lui a persuadé de se fier à son bon coeur et à son bon sens, afin qu'elle persuadât toutes les autres grosses bêtes de se fier à leur bon coeur et à leur bon sens.
Je ne puis penser à cette stupide créature, sans un certain frémissement d'horreur. Si je la rencontrais, je ne pourrais m'empêcher de lui jeter un bénitier à la tête.
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George Sand est une de ces vieilles ingénues qui ne veulent jamais quitter les planches. J'ai lu dernièrement une préface (la préface de Mademoiselle La Quintinie) où elle prétend qu'un vrai chrétien ne peut pas croire à l'Enfer. Elle a de bonnes raisons pour vouloir supprimer l'Enfer.
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Je m'ennuie en France, surtout parce que tout le monde y ressemble à Voltaire.
Emerson a oublié Voltaire dans ses Représentants de l'humanité. Il aurait pu faire un joli chapitre intitulé : Voltaire, ou l'anti-poète, le roi des badauds, le prince des superficiels, l'anti-artiste, le prédicateur des concierges, le père Gigogne des rédacteurs du Siècle.
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Dans Les Oreilles du Comte de Chesterfield, Voltaire plaisante sur cette âme immortelle qui a résidé, pendant neuf mois, entre des excréments et des urines. Voltaire, comme tous les paresseux, haïssait le mystère.
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Au moins aurait-il pu deviner dans cette localisation une malice ou une satire de la Providence contre l'amour, et, dans le mode de la génération, un signe du péché originel. De fait, nous ne pouvons faire l'amour qu'avec des organes excrémentiels.
Ne pouvant supprimer l'amour, l'Église a voulu au moins le désinfecter, et elle a fait le mariage.
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Portrait de la Canaille littéraire.
Doctor Estaminetus Crapulosus Pedantissimus. Son portrait fait à la manière de Praxitèle.
Sa pipe,
Ses opinions,
Son hégélianisme,
Sa crasse,
Ses idées en art,
Son fiel,
Sa jalousie.
Un joli tableau de la jeunesse moderne.
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Farmaxotridhq ånÓr xaÁ tvn toÊq øfeiq ®q tå uaÊmata treføntvn
ELIEN (?)
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La Théologie.
Qu'est-ce que la chute ?
Si c'est l'unité devenue dualité, c'est Dieu qui a chuté.
En d'autres termes, la création ne serait-elle pas la chute de Dieu ?
Dandysme. - Qu'est-ce que l'homme supérieur ?
Ce n'est pas le spécialiste.
C'est l'homme de loisir et d'Éducation générale.
Être riche et aimer le travail.
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Pourquoi l'homme d'esprit aime les filles plus que les femmes du monde, malgré qu'elles soient également bêtes ? A trouver.
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Il y a de certaines femmes qui ressemblent au ruban de la Légion d'honneur. On n'en veut plus parce qu'elles se sont salies à de certains hommes.
C'est par la même raison que je ne chausserais pas les culottes d'un galeux.
Ce qu'il y a d'ennuyeux dans l'amour, c'est que c'est un crime où l'on ne peut pas se passer d'un complice.
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Étude de la grande maladie de l'horreur du domicile. Raisons de la maladie. Accroissement progressif de la maladie.
Indignation causée par la fatuité universelle de toutes les classes, de tous les êtres, dans les deux sexes, dans tous les âges.
L'homme aime tant l'homme que, quand il fuit la ville, c'est encore pour chercher la foule, c'est-à-dire pour refaire la ville à la campagne.
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Discours de Durandeau sur les Japonais. (Moi, je suis Français avant tout). Les Japonais sont des singes, c'est Darjon qui me l'a dit.
Discours du médecin, l'ami de Mathieu, sur l'art de ne pas faire d'enfants, sur Moïse, et sur l'immortalité de l'âme.
L'art est un agent civilisateur (Castagnary).
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Physionomie d'un sage et de sa famille au cinquième étage, buvant le café au lait.
Le sieur Nacquart père et le sieur Nacquart fils.
Comment le Nacquart fils est devenu conseiller en Cour d'appel.
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De l'amour, de la prédilection des Français pour les métaphores militaires. Toute métaphore ici porte des moustaches.
Littérature militante.
Rester sur la brèche.
Porter haut le drapeau.
Tenir le drapeau haut et ferme.
Se jeter dans la mêlée.
Un des vétérans. - Toutes ces glorieuses phraséologies s'appliquent généralement à des cuistres et à des fainéants d'estaminet.
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Métaphore française.
Soldat de la presse judiciaire (Bertin).
La presse militante.
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A ajouter aux métaphores militaires :
Les poètes de combat.
Les littérateurs d'avant-garde.
Ces habitudes de métaphores militaires dénotent des esprits non pas militants, mais faits pour la discipline, c'est-à-dire pour la conformité, des esprits nés domestiques, des esprits belges, qui ne peuvent penser qu'en société.
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Le goût du plaisir nous attache au présent. Le soin de notre salut nous suspend à l'avenir.
Celui qui s'attache au plaisir, c'est-à-dire au présent, me fait l'effet d'un homme roulant sur une pente, et qui, voulant se raccrocher aux arbustes, les arracherait et les emporterait dans sa chute.
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Avant tout, être un grand homme et un saint pour soi-même.
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De la haine du peuple contre la beauté. Des exemples : Jeanne et Mme Muller.
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Politique. - En somme, devant l'histoire et devant le peuple français, la grande gloire de Napoléon III aura été de prouver que le premier venu peut, en s'emparant du télégraphe et de l'Imprimerie nationale, gouverner une grande nation.
Imbéciles sont ceux qui croient que de pareilles choses peuvent s'accomplir sans la permission du peuple, - et ceux qui croient que la gloire ne peut être appuyée que sur la vertu !
Les dictateurs sont les domestiques du peuple, - rien de plus, un foutu rôle d'ailleurs, et la gloire est le résultat de l'adaptation d'un esprit avec la sottise nationale.
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Qu'est-ce que l'amour ?
Le besoin de sortir de soi.
L'homme est un animal adorateur.
Adorer, c'est se sacrifier et se prostituer. Aussi tout amour est-il prostitution.
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L'être le plus prostitué, c'est l'être par excellence, c'est Dieu, puisqu'il est l'ami suprême pour chaque individu, puisqu'il est le réservoir commun, inépuisable, de l'amour.
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PRIÈRE
Ne me châtiez pas dans ma mère et ne châtiez pas ma mère à cause de moi. - Je vous recommande les âmes de mon père et de Mariette. - Donnez-moi la force de faire immédiatement mon devoir tous les jours et de devenir ainsi un héros et un saint.
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Un chapitre sur l'indestructible, éternelle, universelle et ingénieuse férocité humaine.
De l'amour du sang.
De l'ivresse du sang.
De l'ivresse des foules.
De l'ivresse du supplicié (Damiens).
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Il n'y a de grand parmi les hommes que le poète, le prêtre et le soldat.
L'homme qui chante, l'homme qui sacrifie et se sacrifie.
Le reste est fait pour le fouet.
Défions-nous du peuple, du bon sens, du coeur, de l'inspiration et de l'évidence.
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J'ai toujours été étonné qu'on laissât les femmes entrer dans les églises. Quelle conversation peuvent-elles avoir avec Dieu ?
L'éternelle Vénus (caprice, hystérie, fantaisie) est une des formes séduisantes du diable.
Le jour où le jeune écrivain corrige sa première épreuve, il est fier comme un écolier qui vient de gagner sa première vérole.
Ne pas oublier un grand chapitre sur l'art de la divination par l'eau, les cartes, l'inspection de la main, etc.
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La femme ne sait pas séparer l'âme du corps. Elle est simpliste, comme les animaux. - Un satirique dirait que c'est parce qu'elle n'a que le corps.
Un chapitre sur la toilette.
Moralité de la toilette, les bonheurs de la toilette.
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De la cuistrerie,
des professeurs,
des juges,
des prêtres
et des ministres.
Les jolis grands hommes du jour.
Renan.
Feydeau. 
Octave Feuillet.
Scholl.
Les directeurs de journaux, François Buloz, Houssaye, Rouy, Girardin, Texier, de Calonne, Solar, Turgan, Dalloz.
Liste de canailles, Solar en tête.
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**
Être un grand homme et un saint pour soi-même, voilà l'unique chose importante.
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Nadar, c'est la plus étonnante expression de vitalité. Adrien me disait que son frère Félix avait tous les viscères en double. J'ai été jaloux de lui à le voir si bien réussir dans toute ce qui n'est pas l'abstrait.
Veuillot est si grossier et si ennemi des arts qu'on dirait que toute le démocratie du monde s'est réfugié dans son sein.
Développement du portrait. Suprématie de l'idée pure chez le chrétien comme chez le communiste babouviste.
Fanatisme de l'humilité. Ne pas même aspirer à comprendre la religion.
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Musique.
De l'esclavage. 
Des femmes du monde.
Des filles.
Des magistrats.
Des sacrements.
L'homme de lettres est l'ennemi du monde.
Des bureaucrates.
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Dans l'amour, comme dans presque toutes les affaires humaines, l'entente cordiale est le résultat d'un malentendu. Ce malentendu, c'est le plaisir. L'homme crie : O mon ange ! La femme roucoule : Maman ! maman ! Et ces deux imbéciles sont persuadés qu'ils pensent de concert. - Le gouffre infranchissable, qui fait l'incommunicabilité, reste infranchi.
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Pourquoi le spectacle de la mer est-il si infiniment et si éternellement agréable ? 
Parce que la mer offre à la fois l'idée de l'immensité et du mouvement. Six ou sept lieues représentent pour l'homme le rayon de l'infini. Voilà un infini diminutif. Qu'importe, s'il suffit à suggérer l'idée de l'infini total ? Douze ou quatorze lieues de liquide en mouvement suffisent pour donner la plus haute idée de beauté qui soit offerte à l'homme sur son habitacle transitoire.
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Il n'y a rien d'intéressant sur la terre que les religions.
Qu'est-ce que la religion universelle ? (Chateaubriand, de Maistre, les Alexandrins, Capé).
Il y a une religion universelle faite pour les achimistes de la pensée, une religion qui se dégage de l'homme, considéré comme mémento divin.
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Saint-Marc Girardin a dit un mot qui restera : «Soyons médiocres !»
Rapprochons ce mot de celui de Robespierre : «Ceux qui ne croient pas à l'immortalité de leur être se rendent justice».
Le mot de Saint-Marc Girardin implique une immense haine contre le sublime.
Qui a vu Saint-Marc Girardin marcher dans la rue a conçu tout de suite l'idée d'une grande oie infatuée d'elle-même, mais effarée et courant sur la grande route, devant la diligence.
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Théorie de la vraie civilisation. Elle n'est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes. Elle est dans la diminution des traces du péché originel. Peuples nomades, pasteurs, chasseurs, agricoles et même anthropophages, tous peuvent être supérieurs par l'énergie, par la dignité personnelle, à nos races d'Occident.
Celles-ci peut-être seront détruites.
Théocratie et communisme.
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C'est par le loisir que j'ai, en partie, grandi.
A mon grand détriment ; car le loisir, sans fortune, augmente les dettes, les avanies résultant des dettes.
Mais, à mon grand profit, relativement à la sensibilité, à la méditation et à la faculté du dandysme et du dilettantisme.
Les autres hommes de lettres sont, pour la plupart, de vils piocheurs très ignorants.
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La jeune fille des éditeurs.
La jeune fille des rédacteurs en chef.
La jeune fille épouvantail, monstre, assassin de l'art.
La jeune fille, ce qu'elle est en réalité.
Une petite sotte et une petite salope ; la plus grande imbécile unie à la plus grande dépravation.
Il y a dans la jeune fille toute l'abjection du voyou et du collégien.
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Avis aux non-communistes : 
Tout est commun, même Dieu.
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Le Français est un animal de basse-cour si bien domestiqué qu'il n'ose franchir aucune palissade. Voir ses goûts en art et en littérature.
C'est un animal de race latine ; l'ordure ne lui déplaît pas, dans son domicile, et, en littérature, il est scatophage. Il raffole des excréments. Les littérateurs d'estaminet appellent cela le sol gaulois.
Bel exemple de la bassesse française, de la nation qui se prétend indépendante avant toutes les autres.
(A cet endroit est collé, sur le manuscrit, l'entrefilet suivant découpé dans un journal) :
«L'extrait suivant du beau livre de M. de Vaulabelle suffira pour donner une idée de l'impression que fit l'évasion de Lavalette sur la portion la moins éclairée du parti royaliste :
«L'emportement royaliste, à ce moment de la seconde Restauration, allait, pour ainsi dire, jusqu'à la folie. La jeune Joséphine de Lavalette faisait son éducation dans l'un des principaux couvents de Paris (l'Abbaye-aux-Bois) ; elle ne l'avait quitté que pour venir embrasser son père. Lorsqu'elle y rentra après l'évasion et que l'on connut la part bien modeste qu'elle y avait prise, une immense clameur s'éleva contre cette enfant ; les religieuses et ses compagnes la fuyaient, et bon nombre de parents déclarèrent qu'ils retireraient leurs filles si on la gardait. Ils ne voulaient pas, disaient-ils, laisser leurs enfants en contact avec une jeune personne qui avait tenu une pareille conduite et donné un pareil exemple. Quand Mme de Lavalette, six semaines après, recouvra la liberté, elle fut obligée de reprendre sa fille».
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Princes et générations. - Il y a une égale injustice à attribuer aux princes régnants les mérites et les vices du peuple actuel qu'ils gouvernent. Ces mérites et ces vices sont presque toujours, comme la statistique et la logique le pourraient démontrer, attribuables à l'atmosphère du gouvernement précédent.
Louis XIV hérite des hommes de Louis XIII : gloire. Napoléon Ier hérite des hommes de la République : gloire. Louis-Philippe hérite des hommes de Charles X : gloire. Napoléon III hérite des hommes de Louis-Philippe : déshonneur.
C'est toujours le gouvernement précédent qui est responsable des moeurs du suivant, en tant qu'un gouvernement puisse être responsable de quoi que ce soit. Les coupures brusques que les circonstances font dans les règnes ne permettent pas que cette loi soit absolument exacte, relativement au temps. On ne peut pas marquer exactement où finit une influence, mais cette influence subsistera dans toute la génération qui l'a subie dans sa jeunesse.
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De la haine de la jeunesse contre les citateurs. Le citateur est pour eux un ennemi.
«Je mettrais l'orthographe même sous la main du bourreau».
Théophile Gautier.
Beau tableau à faire : la canaille littéraire.
Ne pas oublier un portrait de Forgues, le pirate, l'écumeur de lettres.
Goût inamovible de la prostitution dans le coeur de l'homme, d'où naît son horreur de la solitude. - Il veut être deux. L'homme de génie veut être un, donc solitaire.
La gloire, c'est rester un, et se prostituer d'une manière particulière.
C'est cette horreur de la solitude, le besoin d'oublier son moi dans la chair extérieure, que l'homme appelle noblement besoin d'aimer.
Deux belles religions, immortelles sur les murs, éternelles obsessions du Peuple : une p... (le phallus antique) et «Vive Barbès !» ou «A bas Philippe !» ou «Vive la République !».
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Étudier dans tous ses modes, dans les oeuvres de la nature et dans les oeuvres de l'homme, l'universelle et éternelle loi de la gradation, des peu à peu, du petit à petit, avec les forces progressivement croissantes, comme les intérêts composés, en matière de finances.
Il en est de même dans l'habileté artistique et littéraire ; il en est de même dans le trésor variable de la volonté.
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La cohue des petits littérateurs, qu'on voit aux enterrements, distribuant des poignées de mains et se recommandant à la mémoire du faiseur de courriers. De l'enterrement des hommes célèbres.
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Molière. - Mon opinion sur Tartuffe est que ce n'est pas une comédie, mais un pamphlet. Un athée, s'il est simplement un homme bien élevé, pensera, à propos de cette pièce, qu'il ne faut jamais livrer certaines questions graves à la canaille.
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Glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion).
Glorifier le vagabondage et ce qu'on peut appeler le bohémianisme. Culte de la sensation multipliée et s'exprimant par la musique. En référer à Liszt.
De la nécessité de battre les femmes.
On peut châtier ce que l'on aime. Ainsi les enfants. Mais cela implique la douleur de mépriser ce que l'on aime.
Du cocuage et des cocus.
La douleur du cocu.
Elle naît de son orgueil, d'un raisonnement faux sur l'honneur et sur le bonheur et d'un amour niaisement détourné de Dieu pour être attribué aux créatures.
C'est toujours l'animal adorateur se trompant d'idole.
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Analyse de l'imbécillité insolente. Clément de Ris et Paul Pérignon.
Plus l'homme cultive les arts, moins il b..de.
Il se fait un divorce de plus en plus sensible entre l'esprit et la brute.
La brute seule b..de bien, et la fouterie est le lyrisme du peuple.
F....., c'est aspirer à entrer dans un autre, et l'artiste ne sort jamais de lui-même.
J'ai oublié le nom de cette salope... Ah ! bah ! je le retrouverai au jugement dernier.
La musique donne l'idée de l'espace.
Tous les arts, plus ou moins ; puisqu'ils sont nombre et que le nombre est une traduction de l'espace.
Vouloir tous les jours être le plus grand des hommes !
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Étant enfant, je voulais être tantôt pape, mais pape militaire, tantôt comédien.
Jouissances que je tirais de ces deux hallucinations.
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Tout enfant, j'ai senti dans mon coeur deux sentiments contradictoires : l'horreur de la vie et l'extase de la vie. C'est bien le fait d'un paresseux nerveux.
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Les nations n'ont de grands hommes que malgré elles.
A propos du comédien et de mes rêves d'enfance, un chapitre sur ce qui constitue, dans l'âme humaine, la vocation du comédien, la gloire du comédien, l'art du comédien et sa situation dans le monde.
La théorie de Legouvé. Legouvé est-il un farceur froid, un Swift, qui a essayé si la France pouvait avaler une nouvelle absurdité ?
Son choix. Bon en ce sens que Samson n'est pas un comédien.
De la vraie grandeur des parias.
Peut-être même, la vertu nuit-elle aux talents des parias.
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Le commerce est, par son essence, satanique.
Le commerce, c'est le prêté-rendu, c'est le prêt avec le sous-entendu : Rends-moi plus que je ne te donne.
L'esprit de tout commerçant est complètement vicié.
Le commerce est naturel, donc il est infâme.
Le moins infâme de tous les commerçants, c'est celui qui dit : «Soyons vertueux pour gagner beaucoup plus d'argent que les sots qui sont vicieux».
Pour le commerçant, l'honnêteté elle-même est une spéculation de lucre.
Le commerce est satanique, parce qu'il est une des formes de l'égoïsme, et la plus basse, et la plus vile.
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Quand Jésus-Christ dit :
«Heureux ceux qui sont affamés, car ils seront rassasiés !» Jésus-Christ fait un calcul de probabilités.
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Le monde ne marche que par le malentendu.
C'est par le malentendu universel que tout le monde s'accorde.
Car si, par malheur, on se comprenait, on ne pourrait jamais s'accorder.
L'homme d'esprit, celui qui ne s'accordera jamais avec personne, doit s'appliquer à aimer la conversation des imbéciles et la lecture des mauvais livres. Il en tirera des jouissances amères qui compenseront largement sa fatigue.
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Un fonctionnaire quelconque, un ministre, un directeur de théâtre ou de journal, peuvent être quelquefois des êtres estimables ; mais ils ne sont jamais divins. Ce sont des personnes sans personnalité, des êtres sans originalité, nés pour la fonction, c'est-à-dire pour la domesticité publique.
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Dieu et sa profondeur. - On peut ne pas manquer d'esprit et chercher dans Dieu le complice et l'ami qui manquent toujours. Dieu est l'éternel confident dans cette tragédie dont chacun est le héros. Il y a peut-être des usuriers et des assassins qui disent à Dieu : Seigneur, faites que ma prochaine opération réussisse !» Mais la prière de ces vilaines gens ne gâte pas l'honneur et le plaisir de la mienne.
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Toute idée est, par elle-même, douée d'une vie immortelle, comme une personne.
Toute forme créée, même par l'homme, est immortelle. Car la forme est indépendante de la matière, et ce ne sont pas les molécules qui constituent la forme.
Anecdotes relatives à Émile Douay et à Constantin Guys détruisant ou plutôt croyant détruire leurs oeuvres.
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Il est impossible de parcourir une gazette quelconque, de n'importe quel jour, ou quel mois, ou quelle année, sans y trouver, à chaque ligne, les signes de la perversité humaine la plus épouvantable, en même temps que les vanteries les plus surprenantes de probité, de bonté, de charité, et les affirmations les plus effrontées, relatives au progrès et à la civilisation.
Tout journal, de la première ligne à la dernière, n'est qu'un tissu d'horreurs. Guerres, crimes, vols, impudicités, tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une ivresse d'atrocité universelle.
Et c'est de ce dégoûtant apéritif que l'homme civilisé accompagne son repas de chaque matin. Tout, en ce monde, sue le crime : le journal, la muraille et le visage de l'homme.
Je ne comprends pas qu'une main puisse toucher un journal sans une convulsion de dégoût.
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La force de l'amulette démontrée par la philosophie. Les sols percés, les talismans, les souvenirs de chacun.
Traité de dynamique morale. De la vertu des sacrements.
Dès mon enfance, tendance à la mysticité. Mes conversations avec Dieu.
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De l'Obsession, de la Possession, de la Prière et de la Foi.
Dynamique morale de Jésus.
Renan trouve ridicule que Jésus croie à la toute-puissance, même matérielle, de la Prière et de la Foi.
Les sacrements sont des moyens de cette dynamique.
De l'infamie de l'imprimerie, grand obstacle au développement du Beau.
Belle conspiration à organiser pour l'extermination de la race juive.
Les juifs Bibliothécaires et témoins de la Rédemption.
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Tous les imbéciles de la Bourgeoisie qui prononcent sans cesse les mots : immoral, immoralité, moralité dans l'art et autres bêtises me font penser à Louise Villedieu, putain à cinq francs, qui m'accompagnant une fois au louvre, où elle n'était jamais allée, se mit à rougir, à se couvrir le visage, et me tirant à chaque instant par la manche, me demandait devant les statues et les tableaux immortels comment on pouvait étaler publiquement de pareilles indécences. Les feuilles de vigne du sieur Nieuwerkerke.
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Pour que la loi du progrès existât, il faudrait que chacun voulût la créer ; c'est-à-dire que, quand tous les individus s'appliqueront à progresser, alors, l'humanité sera en progrès.
Cette hypothèse peut servir à expliquer l'identité des deux idées contradictoires, liberté et fatalité. - Non seulement il y aura, dans le cas de progrès, identité entre la liberté et la fatalité, mais cette identité a toujours existé. Cette identité c'est l'histoire, histoire des nations et des individus.
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Sonnet à citer dans Mon coeur mis à nu. Citer également la pièce sur Roland.
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Je songeais cette nuit que Philis revenue,
Belle comme elle était à la clarté du jour,
Voulait que son fantôme encore fît l'amour,
Et que, comme Ixion, j'embrassasse une nue.
Son ombre dans mon lit se glisse toute nue,
Et me dit : «Cher Damon, me voici de retour ;
Je n'ai fait qu'embellir en ce triste séjour
Où depuis mon départ le sort m'a retenue.
«Je viens pour rebaiser le plus beau des amants ;
Je viens pour remourir dans tes embrassements !»
Alors, quand cette idole eut abusé ma flamme,
Elle me dit : «Adieu ! Je m'en vais chez les morts.
Comme tu t'es vanté d'avoir f... mon corps,
Tu pourras te vanter d'avoir f... mon âme»
Parnasse satyrique.
Je crois que ce sonnet est de Maynard. Malassis prétend qu'il est de Théophile.
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BAUDELAIRE, Charles (1821-1867) : Mon coeur mis à nu : journal intime, (1887).

Saisie du texte : Sylvie Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (04.III.1999)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Bibliothèque municipale, B.P. 7216, 14107 Lisieux cedex 
-Tél. : 02.31.48.66.50.- Minitel : 02.31.48.66.55. - Fax : 02.31.48.66.56.
Mél : bmlisieux@mail.cpod.fr, [Olivier Bogros] bib_lisieux@compuserve.com
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)

Texte établi sur l'édition donnée à Paris par Maximilien Vox en 1945 dans la collection Brins de plume (n°10).

En deux endroits ce texte requiert la présence dans votre système d'exploitation d'une police de caractères grecs.

31 déc. 2015

Gilbert Sorrentino Interview

The Oulipo has come into focus in the past ten years. What is your own interest in this group concerned mainly with formalism? Under The Shadow seems to point in that direction of structures and constraints.
GS: I've always been interested in the formal, despite the fact that the word "formalism" as it is now used to describe a certain kind of mummified poetry, is not what I have in mind. My sense of the formal is that of a structure or series of structures that can, if one is lucky enough, generate "content," or, if you please, the wholeness of the work itself. Almost all of my books are written under the influence of some sort of preconceived constraint or set of rules. Some of these are loose and flexible, like the time scheme in Steelwork, and others are quite rigorous, like the alphabetical framework in Misterioso. My interest in Oulipo dates back maybe 10 years or so, when I became aware of what they were up to - I had, quite mistakenly, thought it a group somewhat involved with surrealism. But their concern with formal structures as permissive of and conducive to compositional freedom was right up my alley. Under the Shadow has a structure based upon the drawings done for Raymond Roussel's Nouvelles Impressions D'Afrique by H. A. Zo, drawings that, incidentally, have nothing to do with the text, but which, oddly enough, make a text of their own, a fragmented and discontinuous one, but a text nonetheless. Under the Shadow is Zo's "story" as it can be pulled out of his pedestrian but really haunting drawings.

In the wake of the media overload and the Joycean overlap, how does art compete with popular culture? What is exactly the position of novel writing in such a cultural situation?
GS: I think that art has always existed with, if not competed with popular culture. When the court was reading "The Canterbury Tales," the illiterates in the street were singing folk tales and watching jugglers and clowns and God knows what. It's always been this way and probably always will be--the novel has somehow been posited for us as a kind of "mass item" and if it sells only 1500 copies is seen as a failure. I don't know if that's even a reasonably intelligent way of thinking. A novel, even a lousy novel, can't command the audience of the least successful TV sitcom, and yet such a form is "supposed to." Outside of the dreary rubbish that is churned out by god knows how many hacks of varying degrees of talent, the novel is, it seems to me, a very special and rarefied kind of literary form, and was, for a brief moment only, wide-ranging in its sociocultural influence. For the most part, it has always been an acquired taste and it asks a good deal from its audience. Our great contemporary problem is in separating that which is really serious from that which is either frivolously and fashionably "radical" and that which is a kind of literary analogy to the Letterman show. It's not that there is pop culture around, it's that so few people can see the difference between it and the high culture, if you will. Morton Feldman is not Stephen Sondheim. The latter is a wonderful what-he-is, but he is not what-he-is-not. To pretend that he is is to insult Feldman and embarrass Sondheim, to enact a process of homogenization that is something like pretending that David Mamet, say, breathes the same air as Samuel Beckett. People used to understand, it seems to me, that there is, at any given time, a handful of superb writers or painters or whatever--and then there are all the rest. Nothing wrong with that. But it now makes people very uncomfortable, very edgy, as if the very idea of a Matisse or a Charles Ives or a Thelonious Monk is an affront to the notion of "ain't everything just great!" We have the spectacle, then, of perfectly nice, respectable, harmless writers, etc., being accorded the status of important artists. I saw, for instance, maybe a year ago or so, a long piece in The New York Times on the writers who worked on some hero-with-guns movie. Essentially a pleasant bunch of middle-class professionals, with the aspirations of, I'd guess, very successful cardiac surgeons. Workmen, in a sense, who do what they're told to make a very good living. Not a shred of imaginative power left in them. But the piece dealt with them in the same way that the paper deals with Sharon Stone, Leonard Bernstein, Mark Rothko, Merce Cunningham, etc., etc. It's sort of all swell! My point, if I haven't yet made it, is that while it's all right to think of something as delicious as Dallas or Dynasty as, well, delicious, it's not a good idea to confuse them with Jean Genet. Essentially, the novelist, the serious novelist, should do what he can do and simply forgo the idea of a substantial audience.

Do the ideas of William S. Burroughs translate into literature, or are they just tools for popular culture?
GS: Burroughs has translated his ideas into his own literature, but they seem to stop there. As far as Burroughs and pop culture go, I really have no clear idea of how they mesh or how one influences the other. Burroughs is a legitimate artist, but he is not as good as his admirers think and he is nowhere near as bad as the people who have never read him believe. Of course, Naked Lunch, is the text that most people read, while the rest of Burroughs more or less languishes, even though his trilogy, The Soft Machine, The Ticket That Exploded, and Nova Express are his best books. But Naked Lunch appeals to the juvenile mind that wants to think of it as the crazy work of a really crazy guy full of smack and writing in a daze--Burroughs as Rimbaud on heroin! Then there's the school that thinks of Naked Lunch as a "satire" on authoritarianism and the state. But the text of Naked Lunch presents the reader with a classic aporia: it does not quite mean to say what we mean it to say. There is something vaguely "insincere" about it. By that I mean that Naked Lunch sends a number of conflicting messages, the most salient of which can be phrased--simplistically and reductively, I grant you--"Oh, how terrifying and horrible and impossible to tolerate is this destructive addiction to heroin ... you dumb squares!" So the referential function of the text works one way and metalingual function another. Naked Lunch, however,succeeds because of this conflict, i.e., Burroughs as good as tells the reader that the latter is in the hands of a con man, he is a mark. And what is the role of a mark? To believe the con, to think himself, as a matter of fact, superior to the con. That's precisely how he gets conned. The ideal specimen of the reader revealed as a mark is seen in the biography of Burroughs by Ted Morgan, Literary Outlaw. You can see Morgan figuratively handing over his money.

What is your impression of the term "postmodernism?"


GS: It's a really imprecise term, despite the work of Lyotard, Jameson, Guattari, etc., etc. I tend to think of it as an extension of the problems of unresolvability, indeterminacy and fragmentation proffered in the texts of high modernism. What is more "postmodern" than Finnegans Wake or Watt or At Swim-Two-Birds? Yet they are all arguably modern texts. Borrowings, quotations, inter- and intratextualities, references, collage, fragmentation, indeterminacies, ambiguities--they're all present in these texts. Yet they are all present in "postmodern" texts as well. One can't even mention irony, since modernist texts are full of it and some postmodern texts, like Creeley's late prose, reveal no irony at all. Maybe a better term would be late-late modernism, or contemporary modernism. You know that you're in terminological trouble when you hear clothing styles being described as "postmodern" and movie reviewers blather about "deconstruction" when you realize that they mean satire.

Why were the elements of Black Mountain available to writers in the 1950s and not now? I don't want to suggest the notion of "the good old days" which just blurs the actuality, but were there stronger talents in that time, or has economics ruined the state of today's art?
GS: Hard to answer this question. I was on a panel a little while ago with Robert Creeley, and we were both being asked versions of your question. Apparently, young people are enormously interested in "how things were" in the Fifties. Creeley said something much to the point, to the effect that we all took art very seriously in those days, we were absolutely committed. He's right, of course, there was a sense then among young artists that we were writing for our lives--but maybe more importantly, there was a really drab "establishment" in place at that time--artistic and social and political--and young artists felt, rightly or wrongly, that they were destroying it, "deforming the ideogram," as Jakobson says.

Experimental writing has been undermined by lazy readers and corporate tendencies of editors and publishers. How accurate is the previous statement?
GS: Absolutely accurate. But it's always been absolutely accurate. Joyce, Pound, and Williams commanded the smallest of audiences and were shunned by what we now think of as "major" publishing houses. Publishers have always been craven when the odds are not in their favor, it's just enhanced nowadays because there is so much money to be made if the publisher can hit the shit machine. What is most surprising to me is the number of--what can I call them?-- "absent" books published. These are books that have no literary merit, no spirit of aesthetic adventure, no rough but interesting formal design, and--this is most important--no chance of commercial success! That's what is so amazing to me--not the number of Judith Krantz-like novels published, nor the Calvin Trillin-Garrison Keillor warm and wise and witty and wonderful malarkey, but the novels that just lie there: life and love in a small town in Northern California, sexual awakening in a Baptist family in Pennsylvania--daughter flees to Greenwich Village, meets bum who makes her pregnant, discovers feminism--and on and on. Were I running these houses, I'd can all these editors in a minute. If they can't make millions, would be my thinking, I'll be God damned if they're going to put out excrement that will only break even, i.e., if we want to break even, I'd say, let's publish BOOKS. But, of course, the chances are that the people who own these houses would not know a book if it buggered them.

Mulligan Stew is a parody of several literary cultures. Can this process have any meaning for readers who don't understand what's going on before their eyes? Can this sort of book still be written today?
GS: A parody only works if the reader or viewer is aware of the model that is being parodied. Sure, a book like this can be written today, but since there seem to be fewer readers, there will be fewer people who get the parody. Literature feeds on itself and people have to learn to read if they want to be readers. You can only learn to read by reading, but you can read only if you've learn how.

How has your writing process changed? Since you moved to California in 1982, have you mellowed out and become an ornament of the university?
GS: I work the same way that I've always worked, or so I think, that is, I try to set aside a certain amount of time each day, if I can manage it, to write in. I'd like very much to be an "ornament of the university" by which I assume you mean that I would be a kind of sage and wondrous presence on campus, teaching no classes, advising no students, reading no papers, but more or less there as resident Old Artist. Unfortunately, it's not the case. Stanford requires the same teaching load to be borne by everybody, scholar, artist, or nitwit, so that's too bad. But I still have enough time to work. As for mellowing out, as you put it, California--at least the Bay Area--is so utterly antithetical to me that I find myself, at all times, struggling against its cuteness, its apathy, its general air of paralysis, its relentless small-townishness, so that it's hard to imagine being mellowed out while in the throes of battle. I don't quite know what it is about the place but the entire Bay Area, with the source of infection being, of course, that citadel of provincialism, San Francisco, has the air of an amateur stage production set in sinister natural surroundings. I had a student some time ago who said that the sun out here gave her the creeps. I'd agree, but with elaboration, that is, the sun shining on a street crafts-exhibition, complete with wine and local "performers." Now that is hell on earth.

How does music influence you as a writer? You have made many references to jazz and classical music. Are you a musician yourself?
GS: It doesn't influence me at all, that is, any references to music in my work are just that, references, and my work is not musically structured in any way. I'm not a musician, but have fooled around, emphasis on the "fooled," with the tenor saxophone when I was in my late teens, and I have been a listener to jazz since I was 14. Classical music came later. It's hard for me to make any kind of useful remarks about music in other writers' work, although it is quite clearly an important structural element of Zukofsky's A.

How do you see the relation of high art to popular culture? Does Mulligan Stew have any relevance for a society where literature doesn't influence the culture?
GS: I think I've more or less answered this already. They are both quite certainly present, and, as such, can be seen and talked about and so on and so forth. But it is bad news to confuse one with the another or to think that to know about one is to know about the other. If you only know the British poets of the 18th century and you've never watched TV, you don't "see" certain things in the culture of the society--and if you have memorized lines from lots of movies and you've never read The Iliad you are lacking in general education as a Western person. That is just that. As far as Mulligan Stew goes, its relevance to this essentially letterless society is the relevance of any and all literature to this society. Of course, "society" is a catchall word and includes everybody, the whole shebang, that is, the ill-educated person in the famous "inner city" (what a phrase, and how it indicates the contempt in which city living is and was held by the pitiful suburbs!) is no more distant from literature than a professor of electrical engineering, say, or a corporate attorney. Literature is there for those who want it and for those who don't want it there are dozen of substitutes. That is simply life, as they say, and there's no use wringing one's hands about it. The greatest problem, if it is a problem at all in this huge amusement park in which we live, is that the so-called educated stratum of society comprises people who are not in possession of the same materials, so that Mulligan Stew may not speak at all to people who are highly educated in one specific field--for instance, I cannot imagine it being read by Michael Milken, although I could very wrong. But I don't think I'd be wrong to say that it would not be read by Teddy Kennedy or Newt Gingrich or Jack Kevorkian or the chief of marketing at Coca-cola.

What is one to make of the success/failure of the writings of Edward Dahlberg?
GS: Dahlberg is a writer whose work cannot be tamed or reduced or assimilated. He is a subversive and destructive master of prose, who is, at his best, so good that he takes your breath away. He is also zany, goofy, loopy, misogynistic, deeply prejudiced, bitter, nasty, paranoid and absolutely unfair. He has no politics that any politician could possibly find useful, and he is a great agent of the truth that only art can purvey. He is a great American writer, astonishingly original, a virtuoso without peers, and probably much too good for us. That he is hardly known and hardly read, that he is virtually ignored by academics, that he is still rather regularly mocked and patronized by literary scum, all testifies to our unerring vulgarity as a people--our vulgarity and stupidity. The circumstances of his life turned him into a desolate, half-crazed misanthrope, but as an artist he is the very definition of integrity and purity. Ten or fifteen pages of Because I Was Flesh or Can These Bones Live is a terrific antidote to the utterly fake prose that one is liable to bump into in the pages of The New Yorker, say, that "well-written" prose of the nightmare market. He will not play ball.

Can you re-evaluate the beats? Are they nothing now but a cultural pose of rebellion?
GS: The beats can only be understood as a single manifestation, in the fifties, of the general dissatisfaction, among young, unknown artists, with the given norms of art then in ascendance. They have been distorted out of all reality by the popular media, probably because they make "good copy," but they were no less distorted at the time they emerged. Some of them did good work, some not, but that is the case with all "movements." That they were especially iconoclastic is an idea that will not wash, when one considers the remarkable innovations, the formal attacks on the norms of literature present at the time, by such writers as Olson, Creeley, O'Hara, Spicer, and so on. Strangely enough, some of the most compelling beat writers are more or less forgotten now--Ray Bremser for one, and then, of course, there is Irving Rosenthal, whose single book, long out of print and almost impossible to find, Sheeper, is perhaps the most elegant single work to emerge from that era. To talk about the beats without acknowledging these writers is to assume that the propaganda about that era is the truth about that era. This is all further complicated by the historical blurring that occurs when non-beat writers are lumped in with beat writers, when we are told that such writers as Amiri Baraka, William Burroughs, Michael McClure, even Gary Snyder, are beat writers. That's like saying that Raymond Roussel was a surrealist. Again, to understand the beats, you have understand the general cultural ferment that was going on in the arts in the fifties, the restlessness, the boredom, the unintentional comedy of an era that proffered Randall Jarrell as a very important poet and that valorized Robert Frost to the detriment of William Carlos Williams.

What is your opinion of creative writing workshops?
GS: Creative writing workshops are useful in that they tend to bring together young writers who have nobody to talk to. Otherwise, I can say only that in my own experience of them, it is rare that bad writers can be helped or that good writers could not do as well without ever seeing a workshop. Of course, bad writers can often be helped to make marketable products by sheer dint of dogged revision and the mastery of certain modes of "craft," and good writers can be so regularly assailed--by instructors, colleagues, or both and/or mature, become dejected and confused as to the quality of their writing.

Can satire still be written in the age of multi-culturalism, political correctness, and respect for women and minorities?
GS: If a writer worries about political correctness, it's probable that he won't be able to write satire, since satire, by its very nature, offends somebody or something. In our time, satire, in all media, tends to be very tame. The targets are almost always predictable--idiots of the right or left--or stars and celebrities. We are given satirical treatments of people like Madonna or Prince Charles or Teddy Kennedy or Clarence Thomas! You see the sickening spectacle of the victims of the satire laughing it up with those who satirize them--this is surely a dead giveaway that the satire has no teeth. Satire should wound, draw blood, even destroy. Some guy on Saturday Night Live, I understand, used to "satirize" George Bush, and Bush invited him to the White House! Sure, satire can indeed be written now, but the satirist must be willing to be despised and assaulted. Satire is heartless and anarchic. If it's not it's just another mode of entertainment in the great world of entertainment that the United States has become. This kind of juvenile "fun-poking" used to be the province of Mad magazine--fun for the kiddies. Now we have David Letterman "satirizing" his "guests" before they all run down to the bank en masse. On the other hand, maybe we're too far gone for satire, too corrupt, too Goddamned dumb.

Joseph McElroy and Harry Mathews seem to be writers that are the most similar to you. All of you are unclassifiable and difficult. There are no real labels for writers outside of black comedy, post-modern, or post-post schools.
GS: No comment, really. I don't much understand groupings and I don't even know if they're legitimate. I do what I feel like doing when I feel like doing it. My new book, for instance, Red The Fiend, is not only unlike anything that any of the writers you mention has done, it's not like anything that I have done. One of the very best things about being as artist is that you don't have to care about anybody's expectations. If people don't like what you've done, they can, to paraphrase Edward Dahlberg, go read another book.

Lita Hornick called you "a literary hitman" or "a Mafioso." What was that about? I am guessing that it had something to do with the situation surrounding Kulchur?
GS: I've told my side of the story in reference to Kulchur and Lita Hornick has told hers in the 1978 volume, The Little Magazine in America: A Modern Documentary History, so there's no point in rehearsing it again. I wasn't aware of the "literary hit man" or "literary mafioso" business, but the best-kept secret in America is that Italian-Americans may be insulted and maligned at will, any time, and in all strata of society, by the uneducated, the semi-educated, the highly educated and the over-educated. Italian-Americans don't, as a rule, care much, save for a few halfhearted attempts at official complaint by scattered organizations, probably because they have always viewed American society at large with a suspicious eye. Here's a society that gives lip service to children, women and the family, yet despises all these things--this is very un-Italian. It may also have to do with Italian-Americans' sense of their own past, I don't know. Italians have been around for a long time and the sense that society is, in essence, a kind of bust, permeates their lives. My father's family comes from a town in Sicily, Sciacca, that has been there since about 750 B.C. I'm not implying that this fact has anything to do with my "primary" makeup, since I'm absolutely American in every way, but such a heritage is given one in unspoken ways, and American culture seems oddly ephemeral when set against such an instance of fact. I mean to say that Italian-Americans somehow know who they are, without much to-do about it, and the Mafia gags seem, to most of them--of us--evidence of a supreme vulgarity. But Lita Hornick was not, in my recollection, what one would consider socially adept.

What is the main concern of a writer?
GS: The main concern of a writer, if you mean a writer as artist, is to make art. He must have the luxury of being permitted to do this, just as the physicist is permitted to do physics and the surgeon to operate. An artist makes things. All else that he does, in his role as an artist, is incidental, accidental, or peripheral. If he worries about being an anachronism then he should quit writing and do something else.

You spoke of Edward Dahlberg as "clearing the ground." Attacking what needed to be attacked. In a similar way, have you felt that you've cleared the ground with your own work, and are saying what you want to say?
GS: I don't have that sort of view of my own work, and I don't know whether I've "cleared the ground" at all. I've done what I've done best I could given the circumstances granted me and although I sometimes wish that I'd been better at what I attempted to do I can't imagine doing anything other than what I've done. Donald Barthelme says in one of his stories that the function of an artist is to fail. He is, of course, right. No artist ever conceptualizes his vision and he knows that this is the fact as he begins the process of conceptualization, since the vision that serves as the impetus of the work is changed, reformed, corrupted, dissolved, and so on in the act of making the work. As the work is made, the vision is transformed, and the final work is that which has been made despite the vision. So all is really a drive against an ideal, and the artist knows this as it occurs--he fails as he works and the failure is apparent to him.

Are there any writers that you approve of?
GS: I don't much like to make lists of writers I like or dislike, but at this stage of my life I can say that the writers I like are usually writers who are nothing at all like me. And I usually say, "This writer can really write, I wonder why I don't write this way?" In the back of my mind I know that were I to write this way, I wouldn't really be writing, but exercising my intelligence in a display of self-betrayal.



by Alexander Laurence
(c) 1994






27 déc. 2015


Giorgio Agamben :
 « De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité » 


On ne comprend pas l’enjeu véritable de la prolongation de l’état d’urgence [jusqu’à la fin février] en France, si on ne le situe pas dans le contexte d’une transformation radicale du modèle étatique qui nous est familier. Il faut avant tout démentir le propos des femmes et hommes politiques irresponsables, selon lesquels l’état d’urgence serait un bouclier pour la démocratie.

Les historiens savent parfaitement que c’est le contraire qui est vrai. L’état d’urgence est justement le dispositif par lequel les pouvoirs totalitaires se sont installés enEurope. Ainsi, dans les années qui ont précédé la prise du pouvoir par Hitler, les gouvernements sociaux-démocrates de Weimar avaient eu si souvent recours à l’état d’urgence (état d’exception, comme on le nomme en allemand), qu’on a pu dire que l’Allemagne avait déjà cessé, avant 1933, d’être une démocratie parlementaire.

Or le premier acte d’Hitler, après sa nomination, a été de proclamer un état d’urgence, qui n’a jamais été révoqué. Lorsqu’on s’étonne des crimes qui ont pu êtrecommis impunément en Allemagne par les nazis, on oublie que ces actes étaient parfaitement légaux, car le pays était soumis à l’état d’exception et que les libertés individuelles étaient suspendues.

On ne voit pas pourquoi un pareil scénario ne pourrait pas se répéter en France  : on imagine sans difficulté un gouvernement d’extrême droite se servir à ses fins d’un état d’urgence auquel les gouvernements socialistes ont désormais habitué les citoyens. Dans un pays qui vit dans un état d’urgence prolongé, et dans lequel les opérations de police se substituent progressivement au pouvoir judiciaire, il faut s’attendre à une dégradation rapide et irréversible des institutions publiques.

Entretenir la peur
Cela est d’autant plus vrai que l’état d’urgence s’inscrit, aujourd’hui, dans le processus qui est en train de faire évoluer les démocraties occidentales vers quelque chose qu’il faut, d’ores et déjà, appeler Etat de sécurité (« Security State », comme disent les politologues américains). Le mot « sécurité » est tellement entré dans le discours politique que l’on peut dire, sans crainte de se tromper, que les « raisons de sécurité » ont pris la place de ce qu’on appelait, autrefois, la « raison d’Etat ». Une analyse de cette nouvelle forme de gouvernement fait, cependant, défaut. Comme l’Etat de sécurité ne relève ni de l’Etat de droit ni de ce que Michel Foucault appelait les « sociétés de discipline », il convient de poser ici quelques jalons en vue d’une possible définition.

Dans le modèle du Britannique Thomas Hobbes, qui a si profondément influencé notre philosophie politique, le contrat qui transfère les pouvoirs au souverain présuppose la peur réciproque et la guerre de tous contre tous : l’Etat est ce qui vient justement mettre fin à la peur. Dans l’Etat de sécurité, ce schéma se renverse : l’Etat se fonde durablement sur la peur et doit, à tout prix, l’entretenir, car il tire d’elle sa fonction essentielle et sa légitimité.

Foucault avait déjà montré que, lorsque le mot « sécurité » apparaît pour la première fois en France dans le discours politique avec les gouvernements physiocrates avant la Révolution, il ne s’agissait pas de prévenir les catastrophes et les famines, mais de les laisser advenir pour pouvoir ensuite les gouverner et les orienterdans une direction qu’on estimait profitable.

Aucun sens juridique
De même, la sécurité dont il est question aujourd’hui ne vise pas à prévenir les actes de terrorisme (ce qui est d’ailleurs extrêmement difficile, sinon impossible, puisque les mesures de sécurité ne sont efficaces qu’après coup, et que le terrorisme est, par définition, une série des premiers coups), mais à établir une nouvelle relation avec les hommes, qui est celle d’un contrôle généralisé et sans limites – d’où l’insistance particulière sur les dispositifs qui permettent le contrôle total des données informatiques et communicationnelles des citoyens, y compris le prélèvement intégral du contenu des ordinateurs.

Le risque, le premier que nous relevons, est la dérive vers la création d’une relation systémique entre terrorisme et Etat de sécurité : si l’Etat a besoin de la peur pour se légitimer, il faut alors, à la limite, produire la terreur ou, au moins, ne pas empêcher qu’elle se produise. On voit ainsi les pays poursuivre une politique étrangère qui alimente le terrorisme qu’on doit combattre à l’intérieur et entretenir des relations cordiales et même vendre des armes à des Etats dont on sait qu’ils financent les organisations terroristes.

Dans un pays qui vit dans un état d’urgence prolongé, et dans lequel les opérations de police se substituent progressivement au pouvoir judiciaire, il faut s’attendre à une dégradation rapide et irréversible des institutions publiques

Un deuxième point, qu’il est important de saisir, est le changement du statut politique des citoyens et du peuple, qui était censé être le titulaire de la souveraineté. Dans l’Etat de sécurité, on voit se produire une tendance irrépressible vers ce qu’il faut bien appeler une dépolitisation progressive des citoyens, dont la participation à la vie politique se réduit aux sondages électoraux. Cette tendance est d’autant plus inquiétante qu’elle avait été théorisée par les juristes nazis, qui définissent le peuple comme un élément essentiellement impolitique, dont l’Etat doit assurer la protection et la croissance.

Or, selon ces juristes, il y a une seule façon de rendre politique cet élément impolitique : par l’égalité de souche et de race, qui va le distinguer de l’étranger et de l’ennemi. Il ne s’agit pas ici de confondre l’Etat nazi et l’Etat de sécurité contemporain : ce qu’il faut comprendre, c’est que, si on dépolitise les citoyens, ils ne peuvent sortir de leur passivité que si on les mobilise par la peur contre un ennemi étranger qui ne leur soit pas seulement extérieur (c’étaient les juifs en Allemagne, ce sont les musulmans en France aujourd’hui).

Incertitude et terreur
C’est dans ce cadre qu’il faut considérer le sinistre projet de déchéance de la nationalité pour les citoyens binationaux, qui rappelle la loi fasciste de 1926 sur la dénationalisation des « citoyens indignes de la citoyenneté italienne » et les lois nazies sur la dénationalisation des juifs.

Un troisième point, dont il ne faut pas sous-évaluer l’importance, est la transformation radicale des critères qui établissent la vérité et la certitude dans la sphère publique. Ce qui frappe avant tout un observateur attentif dans les comptes rendus des crimes terroristes, c’est le renoncement intégral à l’établissement de la certitude judiciaire.

Alors qu’il est entendu dans un Etat de droit qu’un crime ne peut être certifié que par une enquête judiciaire, sous le paradigme sécuritaire, on doit se contenter de ce qu’en disent la police et les médias qui en dépendent – c’est-à-dire deux instances qui ont toujours été considérées comme peu fiables. D’où le vague incroyable et les contradictions patentes dans les reconstructions hâtives des événements, qui éludent sciemment toute possibilité de vérification et de falsification et qui ressemblent davantage à des commérages qu’à des enquêtes. Cela signifie que l’Etat de sécurité a intérêt à ce que les citoyens – dont il doit assurer la protection – restent dans l’incertitude sur ce qui les menace, car l’incertitude et la terreur vont de pair.

C’est la même incertitude que l’on retrouve dans le texte de la loi du 20 novembre sur l’état d’urgence, qui se réfère à « toute personne à l’égard de laquelle il existe de sérieuses raisons de penser que son comportement constitue une menace pour l’ordre public et la sécurité ». Il est tout à fait évident que la formule « sérieuses raisons de penser » n’a aucun sens juridique et, en tant qu’elle renvoie à l’arbitraire de celui qui « pense », peut s’appliquer à tout moment à n’importe qui. Or, dans l’Etat de sécurité, ces formules indéterminées, qui ont toujours été considérées par les juristes comme contraires au principe de la certitude du droit, deviennent la norme.

Dépolitisation des citoyens
La même imprécision et les mêmes équivoques reviennent dans les déclarations des femmes et hommes politiques, selon lesquelles la France serait en guerre contre le terrorisme. Une guerre contre le terrorisme est une contradiction dans les termes, car l’état de guerre se définit précisément par la possibilité d’identifier de façon certaine l’ennemi qu’on doit combattre. Dans la perspective sécuritaire, l’ennemi doit – au contraire – rester dans le vague, pour que n’importe qui – à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur – puisse être identifié en tant que tel.

Maintien d’un état de peur généralisé, dépolitisation des citoyens, renoncement à toute certitude du droit : voilà trois caractères de l’Etat de sécurité, qui ont de quoitroubler les esprits. Car cela signifie, d’une part, que l’Etat de sécurité dans lequel nous sommes en train de glisser fait le contraire de ce qu’il promet, puisque – si sécurité veut dire absence de souci (sine cura) – il entretient, en revanche, la peur et la terreur. L’Etat de sécurité est, d’autre part, un Etat policier, car, par l’éclipse du pouvoir judiciaire, il généralise la marge discrétionnaire de la police qui, dans un état d’urgence devenu normal, agit de plus en plus en souverain.

Par la dépolitisation progressive du citoyen, devenu en quelque sorte un terroriste en puissance, l’Etat de sécurité sort enfin du domaine connu de la politique, pour se diriger vers une zone incertaine, où le public et le privé se confondent, et dont on a du mal à définir les frontières.