19 juin 2015

 

POÉSIES

 

I

Les gémissements poétiques de ce siècle ne sont que des sophismes.
Les premiers principes doivent être hors de discussion.
J'accepte Euripide et Sophocle; mais je n'accepte pas Eschyle.
Ne faites pas preuve de manque des convenances les plus élémentaires et de mauvais goût envers le créateur.
Repoussez l'incrédulité: vous me ferez plaisir.
Il n'existe pas deux genres de poésies; il n'en est qu'une.
Il existe une convention peu tacite entre l'auteur et le lecteur, par laquelle le premier s'intitule malade, et accepte le second comme garde-malade. C'est le poète qui console l'humanité! Les rôles sont intervertis arbitrairement.
Je ne veux pas être flétri de la qualification de poseur.
Je ne laisserai pas des Mémoires.
La poésie n'est pas la tempête, pas plus que le cyclone. C'est un fleuve majestueux et fertile.
Ce n'est qu'en admettant la nuit physiquement, qu'on est parvenu à la faire passer moralement. O Nuits d'Young! vous m'avez causé beaucoup de migraines!
On ne rêve que lorsque l'on dort. Ce sont des mots comme celui de rêve, néant de la vie, passage terrestre, la préposition peut-être, le trépied désordonné, qui ont infiltré dans vos âmes cette poésie moite des langueurs, pareille à de la pourriture. Passer des mots aux idées, il n'y a qu'un pas.
Les perturbations, les anxiétés, les dépravations, la mort, les exceptions dans l'ordre physique ou moral, l'esprit de négation, les abrutissements, les hallucinations servies par la volonté, les tourments, la destruction, les renversements, les larmes, les insatiabilités, les asservissements, les imaginations creusantes, les romans, ce qui est inattendu, ce qu'il ne faut pas faire, les singularités chimiques de vautour mystérieux qui guette la charogne de quelque illusion morte, les expériences précoces et avortées, les obscurités à carapace de punaise, la monomanie terrible de l'orgueil, l'inoculation des stupeurs profondes, les oraisons funèbres, les envies, les trahisons, les tyrannies, les impiétés, les irritations, les acrimonies, les incartades agressives, la démence, le spleen, les épouvantements raisonnés, les inquiétudes étranges, que le lecteur préférerait ne pas éprouver, les grimaces, les névroses, les filières sanglantes par lesquelles on fait passer la logique aux abois, les exagérations, l'absence de sincérité, les scies, les platitudes, le sombre, le lugubre, les enfantements pires que les meurtres, les passions, le clan des romanciers de cours d'assises, les tragédies, les odes, les mélodrames, les extrêmes présentés à perpétuité, la raison impunément sifflée, les odeurs de poule mouillée, les affadissements, les grenouilles, les poulpes, les requins, le simoun des déserts, ce qui est somnambule, louche, nocturne, somnifère, noctambule, visqueux, phoque parlant, équivoque, poitrinaire, spasmodique, aphrodisiaque, anémique, borgne, hermaphrodite, bâtard, albinos, pédéraste, phénomène d'aquarium et femme à barbe, les heures soûles du découragement taciturne, les fantaisies, les Acrotés, les monstres, les syllogismes démoralisateurs, les ordures, ce qui ne réfléchit pas comme l'enfant, la désolation, ce mancenillier intellectuel, les chancres parfumés, les cuisses aux camélias, la culpabilité d'un écrivain qui roule sur la pente du néant et se méprise lui-même avec des cris joyeux, les remords, les hypocrisies, les perspectives vagues qui vous broient dans leurs engrenages imperceptibles, les crachats sérieux sur les axiomes sacrés, la vermine et ses chatouillements insinuants, les préfaces insensées, comme celles de Cromwell, de Mlle de Maupin et de Dumas fils, les caducités, les impuissances, les blasphèmes, les asphyxies, les étouffements, les rages, - devant ces charniers immondes, que je rougis de nommer, il est temps de réagir enfin contre ce qui nous choque et nous courbe si souverainement.
Votre esprit est entraîné perpétuellement hors de ses gonds, et surpris dans le piège de ténèbres construit avec un art grossier par l'égoïsme et l'amour-propre.
Le goût est la qualité fondamentale qui résume toutes les autres qualités. C'est le nec plus ultra de l'intelligence. Ce n'est que par lui seul que le génie est la santé suprême et l'équilibre de toutes les facultés. Villemain est trente-quatre fois plus intelligent qu'Eugène Sue et Frédéric Soulié. Sa préface du Dictionnaire de l'Académie verra la mort des romans de Walter Scott, de Fenimore Cooper, de tous les romans possibles et imaginables. Le roman est un genre faux, parce qu'il décrit les passions pour elles-mêmes: la conclusion morale est absente. Décrire les passions n'est rien; il suffit de naître un peu chacal, un peu vautour, un peu panthère. Nous n'y tenons pas. Les décrire, pour les soumettre à une haute moralité, comme Corneille, est autre chose. Celui qui s'abstiendra de faire la première choses tout en restant capable d'admirer et de comprendre ceux à qui il est donné de faire la deuxième, surpasse, de toute la supériorité des vertus sur les vices, celui qui fait la première.
Par cela seul qu'un professeur de seconde se dit: «Quand on me donnerait tous les trésors de l'univers, je ne voudrais pas avoir fait des romans pareils à ceux de Balzac et d'Alexandre Dumas,» par cela seul, il est plus intelligent qu'Alexandre Dumas et Balzac. Par cela seul qu'un élève de troisième s'est pénétré qu'il ne faut pas chanter les difformités physiques et intellectuelles, par cela seul, il est plus fort, plus capable, plus intelligent que Victor Hugo, s'il n'avait fait que des romans, des drames et des lettres.
Alexandre Dumas fils ne fera jamais, au grand jamais, un discours de distribution des prix pour un lycée. Il ne connaît pas ce que c'est que la morale. Elle ne transige pas. S'il le faisait, il devrait auparavant biffer d'un trait de plume tout ce qu'il a écrit jusqu'ici, en commençant par ses Préfaces absurdes. Réunissez un jury d'hommes compétents: je soutiens qu'un bon élève de seconde est plus fort que lui dans n'importe quoi, même dans la sale question des courtisanes.
Les chefs-d'oeuvre de la langue française sont les discours de distribution pour les lycées, et les discours académiques. En effet, l'instruction de la jeunesse est peut-être la plus belle expression pratique du devoir, et une bonne appréciation des ouvrages de Voltaire (creusez le mot appréciation) est préférable à ces ouvrages eux-mêmes. - Naturellement!
Les meilleurs auteurs de romans et de drames dénatureraient à la longue la fameuse idée du bien, si les corps enseignants, conservatoires du juste, ne retenaient les générations jeunes et vieilles dans la voie de l'honnêteté et du travail.
En son nom personnel, malgré elle, il le faut, je viens renier, avec une volonté indomptable, et une ténacité de fer, le passé hideux de l'humanité pleurarde. Oui: je veux proclamer le beau sur une lyre d'or, défalcation faite des tristesses goîtreuses et des fiertés stupides qui décomposent, à sa source, la poésie marécageuse de ce siècle. C'est avec les pieds que je foulerai les stances aigres du scepticisme, qui n'ont pas leur motif d'être. Le jugement, une fois entré dans l'efflorescence de son énergie, impérieux et résolu, sans balancer une seconde dans les incertitudes dérisoires d'une pitié mal placée, comme un procureur général, fatidiquement, les condamne. Il faut veiller sans relâche sur les insomnies purulentes et les cauchemars atrabilaires. Je méprise et j'exècre l'orgueil, et les voluptés infâmes d'une ironie, faite éteignoir, qui déplace la justesse de la pensée.
Quelques caractères, excessivement intelligents, il n'y a pas lieu que vous l'infirmiez par des palinodies d'un goût douteux, se sont jetés, à tête perdue, dans les bras du mal. C'est l'absinthe, savoureuse, je ne le crois pas, mais, nuisible, qui tua moralement l'auteur de Rolla. Malheur à ceux qui sont gourmands! A peine est-il entré dans l'âge mûr, l'aristocrate anglais, que sa harpe se brise sous les murs de Missolonghi, après n'avoir cueilli sur son passage que les fleurs qui couvent l'opium des mornes anéantissements.
Quoique plus grand que les génies ordinaires, s'il s'était trouvé de son temps un autre poète, doué, comme lui, à doses semblables, d'une intelligence exceptionnelle, et capable de se présenter comme son rival, il aurait avoué, le premier, l'inutilité de ses efforts pour produire des malédictions disparates; et que, le bien exclusif est, seul, déclaré digne, de par la voix de tous les mondes, de s'approprier notre estime. Le fait fut qu'il n'y eut personne pour le combattre avec avantage. Voilà ce qu'aucun n'a dit. Chose étrange! même en feuilletant les recueils et les livres de son époque, aucun critique n'a songé à mettre en relief le rigoureux syllogisme qui précède. Et ce n'est que celui qui le surpassera qui peut l'avoir inventé. Tant on était rempli de stupeur et d'inquiétude, plutôt que d'admiration réfléchie, devant des ouvrages écrits d'une main perfide, mais qui révélaient, cependant, les manifestations imposantes d'une âme qui n'appartient pas au vulgaire des hommes, et qui se trouvait à son aise dans les conséquences dernières d'un des deux moins obscurs problèmes qui intéressent les coeurs non-solitaires: le bien, le mal. Il n'est pas donné à quiconque d'aborder les extrêmes, soit dans un sens, soit dans un autre. C'est ce qui explique pourquoi, tout en louant, sans arrière-pensée, l'intelligence merveilleuse dont il dénote à chaque instant la preuve, lui, un des quatre ou cinq phares de l'humanité, l'on fait, en silence, ses nombreuses réserves sur les applications et l'emploi injustifiables qu'il en a faits sciemment. Il n'aurait pas dû parcourir les domaines sataniques.
La révolte féroce des Troppmann, des Napoléon Ier, des Papavoine, des Byron, des Victor Noir et des Charlotte Corday sera contenue à distance de mon regard sévère. Ces grands criminels, à des titres si divers, je les écarte d'un geste. Qui croit-on tromper ici, je le demande avec une lenteur qui s'interpose? O dadas de bagne! Bulles de savon! Pantins en baudruche! Ficelles usées! Qu'ils s'approchent, les Konrad, les Manfred, les Lara, les marins qui ressemblent au Corsaire, les Méphistophélès, les Werther, les Don Juan, les Faust, les Iago, les Rodin, les Caligula, les Caïu, les Iridion, les mégères à l'instar de Colomba, les Ahrimane, les manitous manichéens, barbouillés de cervelle, qui cuvent le sang de leurs victimes dans les pagodes sacrées de l'Hindoustan, le serpent, le crapaud et le crocodile, divinités, considérées comme anormales, de l'antique Égypte, les sorciers et les puissances démoniaques du moyen âge, les Prométhée, les Titans de la mythologie foudroyés par Jupiter, les Dieux Méchants vomis par l'imagination primitive des peuples barbares, - toute la série bruyante des diables en carton. Avec la certitude de les vaincre, je saisis la cravache de l'indignation et de la concentration qui soupèse, et j'attends ces monstres de pied ferme, comme leur dompteur prévu.
Il y a des écrivains ravalés, dangereux loustics, farceurs au quarteron, sombres mystificateurs, véritables aliénés, qui mériteraient de peupler Bicêtre. Leurs têtes crétinisantes, d'où une tuile a été enlevée, créent des fantômes gigantesques, qui descendent au lieu de monter. Exercice scabreux; gymnastique spécieuse. Passez donc, grotesque muscade. S'il vous plaît, retirez-vous de ma présence, fabricateurs, à la douzaine, de rébus défendus, dans lesquels je n'apercevais pas auparavant, du premier coup, comme aujourd'hui, le joint de la solution frivole. Cas pathologique d'un égoïsme formidable. Automates fantastiques: indiquez-vous du doigt, l'un à l'autre, mes enfants, l'épithète qui les remet à leur place.
S'ils existaient, sous la réalité plastique, quelque part, ils seraient, malgré leur intelligence avérée, mais fourbe, l'opprobre, le fiel, des planètes qu'ils habiteraient la honte. Figurez-vous les, un instant, réunis en société avec des substances qui seraient leurs semblables. C'est une succession non interrompue de combats, dont ne rêveront pas les boule-dogues, interdits en France, les requins et les macrocéphales-cachalots. Ce sont des torrents de sang, dans ces régions chaotiques pleines d'hydres et de minotaures, et d'où la colombe, effarée sans retour, s'enfuit à tire-d'aile. C'est un entassement de bêtes apocalyptiques, qui n'ignorent pas ce qu'elles font. Ce sont des chocs de passions, d'irréconciliabilités et d'ambitions, à travers les hurlements d'un orgueil qui ne se laisse pas lire, se contient, et dont personne ne peut, même approximativement, sonder les écueils et les bas-fonds.
Mais, ils ne m'en imposeront plus. Souffrir est une faiblesse, lorsqu'on peut s'en empêcher et faire quelque chose de mieux. Exhaler les souffrances d'une splendeur non équilibrée, c'est prouver, ô moribonds des maremmes perverses! moins de résistance et de courage, encore. Avec ma voix et ma solennité des grands jours, je te rappelle dans mes foyers déserts, glorieux espoir. Viens t'asseoir à mes côtés, enveloppé du manteau des illusions, sur le trépied raisonnable des apaisements. Comme un meuble de rebut, je t'ai chassé de ma demeure, avec un fouet aux cordes de scorpions. Si tu souhaites que je sois persuadé que tu as oublié, en revenant chez moi, les chagrins que, sous l'indice des repentirs, je t'ai causés autrefois, crebleu, ramène alors avec toi, cortège sublime, - soutenez-moi, je m'évanouis! - les vertus offensées, et leurs impérissables redressements.
Je constate, avec amertume, qu'il ne reste plus que quelques gouttes de sang dans les artères de nos époques phthisiques. Depuis les pleurnicheries odieuses et spéciales, brevetées sans garantie d'un point de repère, des Jean-Jacques Rousseau, des Chateaubriand et des nourrices en pantalon aux poupons Obermann, à travers les autres poètes qui se sont vautrés dans le limon impur, jusqu'au songe de Jean-Paul, le suicide de Dolorès de Veintemilla, le Corbeau d'Allan, la Comédie Infernale du Polonais, les yeux sanguinaires de Zorilla, et l'immortel cancer, Une Charogne, que peignit autrefois, avec amour, l'amant morbide de la Vénus hottentote, les douleurs invraisemblables que ce siècle s'est créées à lui-même, dans leur voulu monotone et dégoûtant, l'ont rendu poitrinaire. Larves absorbantes dans leurs engourdissements insupportables!
Allez, la musique.
Oui, bonnes gens, c'est moi qui vous ordonne de brûler, sur une pelle, rougie au feu, avec un peu de sucre jaune, le canard du doute, aux lèvres de vermouth, qui, répandant, dans une lutte mélancolique entre le bien et le mal, des larmes qui ne viennent pas du coeur, sans machine pneumatique, fait, partout, le vide universel. C'est ce que vous avez de mieux à faire.
Le désespoir, se nourrissant avec un parti pris, de ses fantasmagories, conduit imperturbablement le littérateur à l'abrogation en masse des lois divines et sociales, et à la méchanceté théorique et pratique. En un mot, fait prédominer le derrière humain dans les raisonnements. Allez, et passez-moi le mot! L'on devient méchant, je le répète, et les yeux prennent la teinte des condamnés à mort. Je ne retirerai pas ce que j'avance. Je veux que ma poésie puisse être lue par une jeune fille de quatorze ans.
La vraie douleur est incompatible avec l'espoir. Pour si grande que soit cette douleur, l'espoir, de cent coudées, s'élève plus haut encore. Donc, laissez-moi tranquille avec les chercheurs. A bas, les pattes, à bas, chiennes cocasses, faiseurs d'embarras, poseurs! Ce qui souffre, ce qui dissèque les mystères qui nous entourent, n'espère pas. La poésie qui discute les vérités nécessaires est moins belle que celle qui ne les discute pas. Indécisions à outrance, talent mal employé, perte de temps: rien ne sera plus facile à vérifier.
Chanter Adamastor, Jocelyn, Rocambole, c'est puéril. Ce n'est même que parce que l'auteur espère que le lecteur sous-entend qu'il pardonnera à ses héros fripons, qu'il se trahit lui-même et s'appuie sur le bien pour faire passer la description du mal. C'est au nom de ces mêmes vertus que Frank a méconnues, que nous voulons bien le supporter, ô saltimbanques des malaises incurables.
Ne faites pas comme ces explorateurs sans pudeur, magnifiques, à leurs yeux, de mélancolie, qui trouvent des choses inconnues dans leur esprit et dans leur corps!
La mélancolie et la tristesse sont déjà le commencement du doute; le doute est le commencement du désespoir; le désespoir est le commencement cruel des différents degrés de la méchanceté. Pour vous en convaincre, lisez la Confession d'un enfant du siècle. La pente est fatale, une fois qu'on s'y engage. Il est certain qu'on arrive à la méchanceté. Méfiez-vous de la pente. Extirpez le mal par la racine. Ne flattez pas le culte d'adjectifs tels que indescriptible, inénarrable, rutilant, incomparable, colossal, qui mentent sans vergogne aux substantifs qu'ils défigurent: ils sont poursuivis par la lubricité.
Les intelligences de deuxième ordre, comme Alfred de Musset, peuvent pousser rétivement une ou deux de leurs facultés beaucoup plus loin que les facultés correspondantes des intelligences de premier ordre, Lamartine, Hugo. Nous sommes en présence du déraillement d'une locomotive surmenée. C'est un cauchemar qui tient la plume. Apprenez que l'âme se compose d'une vingtaine de facultés. Parlez-moi de ces mendiants qui ont un chapeau grandiose, avec des haillons sordides!
Voici un moyen de constater l'infériorité de Musset sous les deux poètes. Lisez, devant une jeune fille, Rolla ou les Nuits, les Fous de Cobb, sinon les portraits de Gwynplaine et de Dea, ou le Récit de Théramène d'Euripide, traduit en vers français par Racine le père. Elle tressaille, fronce les sourcils, lève et abaisse les mains, sans but déterminé, comme un homme qui se noie; les yeux jetteront des lueurs verdàtres. Lisez-lui la Prière pour-tous, de Victor Hugo. Les effets sont diamétralement opposés. Le genre d'électricité n'est plus le même. Elle rit aux éclats, elle en demande davantage.
De Hugo, il ne restera que les poésies sur les enfants, où se trouve beaucoup de mauvais.
Paul et Virginie choque nos aspirations les plus profondes au bonheur. Autrefois, cet épisode qui broie du noir de la première à la dernière page, surtout le naufrage final, me faisait grincer des dents. Je me roulais sur le tapis et donnais des coups de pied à mon cheval en bois. La description de la douleur est un contre-sens. Il faut faire voir tout en beau. Si cette histoire était racontée dans une simple biographie, je ne l'attaquerais point. Elle change tout de suite de caractère. Le malheur devient auguste par la volonté impénétrable de Dieu qui le créa. Mais l'homme ne doit pas créer le malheur dans ses livres. C'est ne vouloir, à toutes forces, considérer qu'un seul côté des choses. O hurleurs maniaques que vous êtes!
Ne reniez pas l'immortalité de l'âme, la sagesse de Dieu, la grandeur de la vie, l'ordre qui se manifeste dans l'univers, la beauté corporelle, l'amour de la famille, le mariage, les institutions sociales. Laissez de côté les écrivassiers funestes: Sand, Balzac, Alexandre Dumas, Musset, Du Terrail, Féval, Flaubert, Baudelaire, Leconte et la Grève des Forgerons!
Ne transmettez à ceux qui vous lisent que l'expérience qui se dégage de la douleur, et qui n'est plus la douleur elle-même. Ne pleurez pas en public.
Il faut savoir arracher des beautés littéraires jusque dans le sein de la mort; mais ces beautés n'appartiendront pas à la mort. La mort n'est ici que la cause occasionnelle. Ce n'est pas le moyen, c'est le but, qui n'est pas elle.
Les vérités immuables et nécessaires, qui font la gloire des nations, et que le doute s'efforce envahi d'ébranler, ont commencé depuis les âges. Ce sont des choses auxquelles on ne devrait pas toucher. Ceux qui veulent faire de l'anarchie en littérature, sous prétexte de nouveau, tombent dans le contre-sens. On n'ose pas attaquer Dieu; on attaque l'immortalité de l'âme. Mais, l'immortalité de l'âme, elle aussi, est vieille comme les assises du monde. Quelle autre croyance la remplacera, si elle doit être remplacée? Ce ne sera pas toujours une négation.
Si l'on se rappelle la vérité d'où découlent toutes les autres, la bonté absolue de Dieu et son ignorance absolue du mal, les sophismes s'effondreront d'eux-mêmes. S'effondrera, dans un temps pareil, la littérature peu poétiques qui s'est appuyée sur eux. Toute littérature qui discute les axiomes éternels est condamnée à ne vivre que d'elle-même. Elle est injuste. Elle se dévore le foie. Les norissima Verba font sourire superbement les gosses sans mouchoir de la quatrième. Nous n'avons pas le droit d'interroger le Créateur sur quoi que ce soit.
Si vous êtes malheureux, il ne faut pas le dire au lecteur. Gardez cela pour vous.
Si on corrigeait les sophismes dans le sens des vérités correspondantes à ces sophismes, ce n'est que la correction qui serait vraie; tandis que la pièce ainsi remaniée, aurait le droit de ne plus s'intituler fausse. Le reste serait hors du vrai, avec trace de faux, par conséquent nul, et considéré, forcément, comme non avenu.
La poésie personnelle a fait son temps de jongleries relatives et de contorsions contingentes. Reprenons le fil indestructible de la poésie impersonnelle, brusquement interrompu depuis la naissance du philosophe manqué de Ferney, depuis l'avortement du grand Voltaire.
Il parait beau, sublime, sous prétexte d'humilité ou d'orgueil, de discuter les causes finales, d'en fausser les conséquences stables et connues. Détrompez-vous, parce qu'il n'y a rien de plus bête! Renouons la chaîne régulière avec les temps passés; la poésie est la géométrie par excellence. Depuis Racine, la poésie n'a pas progressé d'un millimètre. Elle a reculé. Grâce à qui? aux Grandes-Têtes-Molles de notre époque. Grâce aux femmelettes, Chateaubriand, le Mohican-Mélancolique; Sénancourt, l'Homme-en-Jupon; Jean-Jacques Rousseau, le Socialiste-Grincheur; Anne Radcliffe, le Spectre-Toqué; Edgar Poë, le Mameluck-des-Rèves-d'Alcool; Mathurin, le Compère-des-Ténèbres; Georges Sand, l'Hermaphrodite-Circoncis; Théophile Gautier, l'Incomparable-Epicier; Leconte, le Captif-du-Diable; Goethe, le Suicidé-pour-Pleurer; Sainte-Beuve, le Suicidé-pour-Rire; Lamartine, la Cigogne-Larmoyante; Lermontoff, le Tigre-qui-Rugit; Victor Hugo, le Funèbre-Échalas-Vert; Misçkiéwicz, l'Imitateur-de-Satan; Musset, le Gandin-Sans-Chemise-Intellectuelle; et Byron, l'Hippopotame-des-Jungles-Infernales.
Le doute a existé de tout temps en minorité. Dans ce siècle, il est en majorité. Nous respirons la violation du devoir par les pores. Cela ne s'est vu qu'une fois; cela ne se reverra plus.
Les notions de la simple raison sont tellement obscurcies à l'heure qu'il est, que, la première chose que font les professeurs de quatrième, quand ils apprennent à faire des vers latins à leurs élèves, jeunes poètes dont la lèvre est humectée du lait maternel, c'est de leur dévoiler par la pratique le nom d'Alfred de Musset. Je vous demande un peu, beaucoup! Les professeurs de troisième, donc, donnent, dans leurs classes à traduire, en vers grecs, deux sanglants épisodes. Le premier, c'est la repoussante comparaison du pélican. Le deuxième, sera l'épouvantable catastrophe arrivée à un laboureur. A quoi bon regarder le mal? N'est-il pas en minorité? Pourquoi pencher la tête d'un lycéen sur des questions qui, faute de n'avoir pas été comprises, ont fait perdre la leur à des hommes tels que Pascal et Byron?
Un élève m'a raconté, que son professeur de seconde avait donné à sa classe, jour par jour, ces deux charognes à traduire en vers hébreux. Ces plaies de la nature animale et humaine le rendirent malade pendant un mois, qu'il passa à l'infirmerie. Comme nous nous connaissions, il me fit demander par sa mère. Il me raconta, quoique avec naïveté, que ses nuits étaient troublées par des rêves de persistance. Il croyait voir une armée de pélicans qui s'abattaient sur sa poitrine, et la lui déchiraient. Ils s'envolaient ensuite vers une chaumière en flammes. Ils mangeaient la femme du laboureur et ses enfants. Le corps noirci de brûlures, le laboureur sortait de la maison, engageait avec les pélicans un combat atroce. Le tout se précipitait dans la chaumière, qui retombait en éboulements. De la masse soulevée des décombres - cela ne ratait jamais - il voyait sortir son professeur de seconde, tenant d'une main son coeur, de l'autre une feuille de papier où l'on déchiffrait, en traits de soufre, la comparaison du pélican et celle du laboureur, telles que Musset lui-même les a composées. Il ne fut pas facile, au premier abord, de pronostiquer son genre de maladie. Je lui recommandai de se taire soigneusement, et de n'en parler à personne, surtout à son professeur de seconde. Je conseillai à sa mère de le prendre quelques jours chez elle, en assurant que cela se passerait. En effet, j'avais soin d'arriver chaque jour pendant quelques heures, et cela se passa.
Il faut que la critique attaque la forme, jamais le fond de vos idées, de vos phrases. Arrangez-vous.
Les sentiments sont la forme de raisonnement la plus incomplète qui se puisse imaginer.
Toute l'eau de la mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuelle.

 

POÉSIES

 

II

Le génie garantit les facultés du coeur.
L'homme n'est pas moins immortel que l'âme.
Les grandes pensées viennent de la raison!
La fraternité n'est pas un mythe.
Les enfants qui naissent ne connaissent rien de la vie, pas même la grandeur.
Dans le malheur, les amis augmentent.
Vous qui entrez, laissez tout désespoir.
Bonté, ton nom est homme.
C'est ici que demeure la sagesse des nations.
Chaque fois que j'ai lu Shakspeare, il m'a semblé que je déchiqueté la cervelle d'un jaguar.
J'écrirai mes pensées avec ordre, par un dessein sans confusion. Si elles sont justes, la première venue sera la conséquence des autres. C'est le véritable ordre. Il marque mon objet par le désordre calligraphique. Je ferais trop de déshonneur à mon sujet, si je ne le traitais pas avec ordre. Je veux montrer qu'il en est capable.
Je n'accepte pas le mal. L'homme est parfait. L'âme ne tombe pas. Le progrès existe. Le bien est irréductible. Les antéchrists, les anges accusateurs, les peines éternelles, les religions sont le produit du doute.
Dante, Milton, décrivant hypothétiquement les landes infernales, ont prouvé que c'étaient des hyènes de première espèce. La preuve est excellente. Le résultat est mauvais. Leurs ouvrages ne s'achètent pas.
L'homme est un chêne. La nature n'en compte pas de plus robuste. Il ne faut pas que l'univers s'arme pour le défendre. Une goutte d'eau ne suffit pas à sa préservation. Même quand l'univers le défendrait, il ne serait pas plus déshonoré que ce qui ne le préserve pas. L'homme sait que son règne n'a pas de mort, que l'univers possède un commencement. L'univers ne sait rien: c'est, tout au plus, un roseau pensant.
Je me figure Elohim plutôt froid que sentimental.
L'amour d'une femme est incompatible avec l'amour de l'humanité. L'imperfection doit être rejetée. Rien n'est plus imparfait que l'égoïsme à deux. Pendant la vie, les défiances, les récriminations, les serments écrits dans la poudre pullulent. Ce n'est plus l'amant de Chimène; c'est l'amant de Graziella. Ce n'est plus Pétrarque; c'est Alfred de Musset. Pendant la mort, un quartier de roche auprès de la mer, un lac quelconque, la forêt de Fontainebleau, l'Ile d'Ischia, un cabinet de travail en compagnie d'un corbeau, une chambre ardente avec un crucifix, un cimetière où surgit, aux rayons d'une lune qui finit par agacer, l'objet aimé, des stances où un groupe de filles dont on ne sait pas le nom, viennent balader à tour de rôle, donner la mesure de l'auteur, font entendre des regrets. Dans les deux cas, la dignité ne se retrouve point.
L'erreur est la légende douloureuse.
Les hymnes à Elohim habituent la vanité à ne pas s'occuper des choses de la terre. Tel est recueil des hymnes. Ils déshabituent l'humanité à compter sur l'écrivain. Elle le délaisse. Elle l'appelle mystique, aigle, parjure à sa mission. Vous n'êtes pas la colombe cherchée.
Un pion pourrait se faire un bagage littéraire, en disant le contraire de ce qu'ont dit les poètes de ce siècle. Il remplacerait leurs affirmations par des négations. Réciproquement. S'il est ridicule d'attaquer les premiers principes, il est plus ridicule de les défendre contre ces mêmes attaques. Je ne les défendrai pas.
Le sommeil est une récompense pour les uns, un supplice pour les autres. Pour tous, il est une sanction.
Si la morale de Cléopâtre eût été moins courte, la face de la terre aurait changé. Son nez n'en serait pas devenu plus long.
Les actions cachées sont les plus estimables. Lorsque j'en vois tant dans l'histoire, elles me plaisent beaucoup. Elles n'ont pas été tout à fait cachées. Elles ont été sues. Ce peu, par où elles ont paru, en augmente le mérite. C'est le plus beau de n'avoir pas pu les cacher.
Le charme de la mort n'existe que pour les courageux.
L'homme est si grand, que sa grandeur parait surtout en ce qu'il ne veut pas se connaître misérable. Un arbre ne se connaît pas grand. C'est être grand que de se connaître grand. C'est être grand que de ne pas vouloir se connaître misérable. Sa grandeur réfute ces misères. Grandeur d'un roi.
Lorsque j'écris ma pensée, elle ne m'échappe pas. Cette action me fait souvenir de ma force que j'oublie à toute heure. Je m'instruis à proportion de ma pensée enchaînée. Je ne tends qu'à connaître la contradiction de mon esprit avec le néant.
Le coeur de l'homme est un livre que j'ai appris à estimer.
Non imparfait, non déchu, l'homme n'est plus le grand mystère.
Je ne permets à personne, pas même à Elohim, de douter de ma sincérité.
Nous sommes libres de faire le bien.
Le jugement est infaillible.
Nous ne sommes pas libres de faire le mal.
L'homme est le vainqueur des chimères, la nouveauté de demain, la régularité dont gémit le chaos, le sujet de la conciliation. Il juge de toutes choses. Il n'est pas imbécile. Il n'est pas ver de terre. C'est le dépositaire du vrai, l'amas de certitude, la gloire, non le rebut de l'univers. S'il s'abaisse, je le vante. S'il se vante, je le vante davantage. Je le concilie. Il parvient à comprendre qu'il est la soeur de l'ange.
Il n'y a rien d'incompréhensible.
La pensée n'est pas moins claire que le cristal. Une religion, dont les mensonges s'appuient sur elle, peut la troubler quelques minutes, pour parler de ces effets qui durent longtemps. Pour parler de ces effets qui durent peu de temps, un assassinat de huit personnes aux portes d'une capitale, la troublera - c'est certain - jusqu'à la destruction du mal. La pensée ne tarde pas à reprendre sa limpidité.
La poésie doit avoir pour but la vérité pratique. Elle énonce les rapports qui existent entre les premiers principes et les vérités secondaires de la vie. Chaque chose reste à sa place. La mission de la poésie est difficile. Et elle ne se mêle pas aux événements de la politique, à la manière dont on gouverne un peuple, ne fait pas allusion aux périodes historiques, aux coups d'Etat, aux régicides, aux intrigues des cours. Elle ne parle pas des luttes que l'homme engage, par exception, avec lui-même, avec ses passions. Elle découvre les lois qui font vivre la politique théorique, la paix universelle, les réfutations de Machiavel, les cornets dont se composent les ouvrages de Proudhon, la psychologie de l'humanité. Un poète doit être plus utile qu'aucun citoyen de sa tribu. Son oeuvre est le code des diplomates, des législateurs, des instructeurs de la jeunesse. Nous sommes loin des Homère, des Virgile, des Klopstock, des Camoëns, des imaginations émancipées, des fabricateurs d'odes, des marchands d'épigrammes contre la divinité. Revenons à Confucius, au Boudha, à Socrate, à Jésus-Christ, moralistes qui couraient les villages en souffrant de faim! Il faut compter désormais avec la raison, qui n'opère que sur les facultés qui président à la catégorie des phénomènes de la bonté pure.
Rien n'est plus naturel que de lire le Discours de la Méthode après avoir lu Bérénice. Rien n'est moins naturel que de lire le Traité de l'Induction de Biéchy, le Problème du Mal de Naville, après avoir lu les Feuilles d'Automne, les Contemplations. La transition se perd. L'esprit regimbe contre la ferraille, la mystagogie. Le coeur est ahuri devant ces pages qu'un fantoche griffonna. Cette violence l'éclaire. Il ferme le livre. Il verse une larme à la mémoire des auteurs sauvages. Les poètes contemporains ont abusé de leur intelligence. Les philosophes n'ont pas abusé de la leur. Le souvenir des premiers s'éteindra. Les derniers sont classiques.
Racine, Corneille, auraient été capables de composer les ouvrages de Descartes, de Malebranche, de Bâcon. L'âme des premiers est une avec celle des derniers. Lamartine, Hugo, n'auraient pas été capables de composer le Traité de l'Intelligence. L'âme de son auteur n'est pas adéquate avec celle des premiers. La fatuité leur a fait perdre les qualités centrales. Lamartine, Hugo, quoique supérieurs à Taine, ne possèdent, comme lui, que des - il est pénible de faire cet aveu - facultés secondaires.
Les tragédies excitent la pitié, la terreur, par le devoir. C'est quelque chose. C'est mauvais. Ce n'est pas si mauvais que le lyrisme moderne. La Médée de Legouvé est préférable à la collection des ouvrages de Byron, de Capendu, de Zaccone, de Félix, de Gagne, de Gaboriau, de Lacordaire, de Sardou, de Goethe, de Ravignan, de Charles Diguet. Quel écrivain d'entre vous, je prie, peut soulever - qu'est-ce? Quels sont ces reniflements de la résistance? - le poids du Monologue d'Auguste! Les vaudevilles barbares de Hugo ne proclament pas le devoir. Les mélodrames de Racine, de Corneille, les romans de La Calprenède le proclament. Lamartine n'est pas capable de composer la Phèdre de Pradon; Hugo, le Venceslas de Rotrou; Sainte-Beuve, les tragédies de Laharpe, de Marmontel. Musset est capable de faire des proverbes. La tragédie est une erreur involontaire, admet la lutte, est le premier pas du bien, ne paraîtra pas dans cet ouvrage. Elle conserve son prestige. Il n'en est pas de même du sophisme, - après - coup le gongorisme métaphysique des autoparodistes de mon temps héroïco-burlesque.
Le principe des cultes est l'orgueil. Il est ridicule d'adresser la parole à Elohim, comme ont fait les Job, les Jérémie, les David, les Salomon, les Turquéty. La prière est un acte faux. La meilleure manière de lui plaire est indirecte, plus conforme à notre force. Elle consiste à rendre notre race heureuse. Il n'y a pas deux manières de plaire à Elohim. L'idée du bien est une. Ce qui est le bien en moins l'étant en plus, je permets que l'on me cite l'exemple de la maternité. Pour plaire à sa mère, un fils ne lui criera pas qu'elle est sage, radieuse, qu'il se conduira de façon à mériter la plupart de ses éloges. Il fait autrement. Au lieu de le dire lui-même, il le fait penser par ses actes, se dépouille de cette tristesse qui gonfle les chiens de Terre-Neuve. Il ne faut pas confondre la bonté d'Elohim avec la trivialité. Chacun est vraisemblable. La familiarité engendre le mépris; la vénération engendre le contraire. Le travail détruit l'abus des sentiments.
Nul raisonneur ne croit contre sa raison.
La foi est une vertu naturelle par laquelle nous acceptons les vérités qu'Elohim nous révèle par la conscience.
Je ne connais pas d'autre grâce que celle d'être né. Un esprit impartial la trouve complète.
Le bien est la victoire sur le mal, la négation du mal. Si l'on chante le bien, le mal est éliminé par cet acte congru. Je ne chante pas ce qu'il ne faut pas faire. Je chante ce qu'il faut faire. Le premier ne contient pas le second. Le second contient le premier.
La jeunesse écoute les conseils de l'âge mur. Elle a une confiance illimitée en elle-même.
Je ne connais pas d'obstacle qui passe les forces de l'esprit humain, sauf la vérité.
La maxime n'a pas besoin d'elle pour se prouver. Un raisonnement demande un raisonnement. La maxime est une loi qui renferme un ensemble de raisonnements. Un raisonnement se complète à mesure qu'il s'approche de la maxime. Devenu maxime, sa perfection rejette les preuves de la métamorphose.
Le doute est un hommage rendu à l'espoir. Ce n'est pas un hommage volontaire. L'espoir ne consentirait pas à n'être qu'un hommage.
Le mal s'insurge contre le bien. Il ne peut pas faire moins.
C'est une preuve d'amitié de ne pas s'apercevoir de l'augmentation de celle de nos amis.
L'amour n'est pas le bonheur.
Si nous n'avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à nous corriger, à louer dans les autres ce qui nous manque.
Les hommes qui ont pris la résolution de détester leurs semblables ignorent qu'il faut commencer par se détester soi-même.
Les hommes qui ne se battent pas en duel croient que les hommes qui se battent au duel à mort sont courageux.
Comme les turpitudes du roman s'accroupissent aux étalages! Pour un homme qui se perd, comme un autre pour une pièce de cent sous, il semble parfois qu'on tuerait un livre.
Lamartine a cru que la chute d'un ange deviendrait l'Elévation d'un Homme. Il a eu tort de le croire.
Pour faire servir le mal à la cause du bien, je dirai que l'intention du premier est mauvaise.
Une vérité banale renferme plus de génie que les ouvrages de Dickens, de Gustave Aymard, de Victor Hugo, de Landelle. Avec les derniers, un enfant, survivant à l'univers, ne pourrait pas reconstruire l'âme humaine. Avec la première, il le pourrait. Je suppose qu'il ne découvrît pas tôt ou tard la définition du sophisme.
Les mots qui expriment le mal sont destinés à prendre une signification d'utilité. Les idées s'améliorent. Le sens des mots y participe.
Le plagiat est nécessaire. Le progrès l'implique. Il serre de près la phrase d'un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l'idée juste.
Une maxime, pour être bien faite, ne demande pas à être corrigée. Elle demande à être développée.
Dès que l'aurore a paru, les jeunes filles vont cueillir des roses. Un courant d'innocence parcourt les vallons, les capitales, secourt l'intelligence des poètes les plus enthousiastes, laisse tomber des protections pour les berceaux, des couronnes pour la jeunesse, des croyances à l'immortalité pour les vieillards.
J'ai vu les hommes lasser les moralistes a découvrir leur coeur, faire répandre sur eux la bénédiction d'en haut. Ils émettaient des méditations aussi vastes que possible, réjouissaient l'auteur de nos félicités. Ils respectaient l'enfance, la vieillesse, ce qui respire comme ce qui ne respire pas, rendaient hommage à la femme, consacraient à la pudeur les parties que le corps se réserve de nommer. Le firmament, dont j'admets la beauté, la terre, image de mon coeur, furent invoqués par moi, afin de me désigner un homme qui ne se crût pas bon. Le spectacle de ce monstre, s'il eût été réalisé, ne m'aurait pas fait mourir d'étonnement: on meurt à plus. Tout ceci se passe de commentaires.
La raison, le sentiment se conseillent, se suppléent. Quiconque ne connaît qu'un des deux, en renonçant à l'autre, se prive de la totalité des secours qui nous ont été accordés pour nous conduire. Vauvenargues a dit «se prive d'une partie des secours.»
Quoique sa phrase, la mienne reposent sur les personnifications de l'âme dans le sentiment, la raison, celle que je choisirais au hasard ne serait pas meilleure que l'autre, si je les avais faites. L'une ne peut pas être rejetée par moi. L'autre a pu être acceptée de Vauvenargues.
Lorsqu'un prédécesseur emploie au bien un mot qui appartient au mal, il est dangereux que sa phrase subsiste à côté de l'autre. Il vaut mieux laisser au mot la signification du mal. Pour employer au bien un mot qui appartient au mal, il faut en avoir le droit. Celui qui emploie au mal les mots qui appartiennent au bien ne le possède pas. Il n'est pas cru. Personne ne voudrait se servir de la cravate de Gérard de Nerval.
L'âme étant une, l'on peut introduire dans le discours la sensibilité, l'intelligence, la volonté, la raison, l'imagination, la mémoire.
J'avais passé beaucoup de temps dans l'étude des sciences abstraites. Le peu de gens avec qui on communique n'était pas fait pour m'en dégoûter. Quand j'ai commencé l'étude de l'homme, j'ai vu que ces sciences lui sont propres, que je sortais moins de ma condition en y pénétrant que les autres en les ignorant. Je leur, ai pardonné de ne s'y point appliquer! Je ne crus pas trouver beaucoup de compagnons dans l'étude de l'homme. C'est celle qui lui est propre. J'ai été trompé. Il y en a plus qui l'étudient que la géométrie.
Nous perdons la vie avec joie, pourvu qu'on n'en parle point.
Les passions diminuent avec l'âge. L'amour, qu'il ne faut pas classer parmi les passions, diminue de même. Ce qu'il perd d'un côté, il le regagne de l'autre. Il n'est plus sévère pour l'objet de ses voeux, se rendant justice à lui-même: l'expansion est acceptée. Les sens n'ont plus leur aiguillon pour exciter les sexes de la chair. L'amour de l'humanité commence. Dans ces jours où l'homme sent qu'il devient un autel que parent ses vertus, fait le compte de chaque douleur qui se releva, l'âme, dans un repli du coeur où tout semble prendre naissance, sent quelque chose qui ne palpite plus. J'ai nommé le souvenir.
L'écrivain, sans séparer l'une de l'autre, peut indiquer la loi qui régit chacune de ses poésies.
Quelques philosophes sont plus intelligents que quelques poètes. Spinoza, Malebranche, Aristote, Platon, ne sont pas Hégésippe Moreau, Malfilatre, Gilbert, André Chénier.
Faust, Manfred, Konrad, sont des types. Ce ne sont pas encore des types raisonnants. Ce sont déjà des types agitateurs.
Les descriptions sont une prairie, trois rhinocéros, la moitié d'un catafalque. Elles peuvent être le souvenir, la prophétie. Elles ne sont pas le paragraphe que je suis sur le point de terminer.
Le régulateur de l'âme n'est pas le régulateur d'une âme. Le régulateur d'une âme est le régulateur de l'âme, lorsque ces deux espèces d'âmes sont assez confondues pour pouvoir affirmer qu'un régulateur n'est une régulatrice que dans l'imagination d'un fou qui plaisante.
Le phénomène passe. Je cherche les lois.
Il y a des hommes qui ne sont pas des types. Les types ne sont pas des hommes. Il ne faut pas se laisser dominer par l'accidentel.
Les jugements sur la poésie ont plus de valeur que la poésie. Ils sont la philosophie de la poésie. La philosophie, ainsi comprise, englobe la poésie. La poésie ne pourra pas se passer de la philosophie. La philosophie pourra se passer de la poésie.
Racine n'est pas capable de condenser ses tragédies dans des préceptes. Une tragédie n'est pas un précepte. Pour un même esprit, un précepte est une action plus intelligente qu'une tragédie.
Mettez une plume d'oie dans la main d'un moraliste qui soit écrivain de premier ordre. Il sera supérieur aux poètes.
L'amour de la justice n'est, en la plupart des hommes, que le courage de souffrir l'injustice.
Cache-toi, guerre.
Les sentiments expriment le bonheur, font sourire. L'analyse des sentiments exprime le bonheur, toute personnalité mise à part; fait sourire. Les premiers élèvent l'âme, dépendamment de l'espace, de la durée, jusqu'à la conception de l'humanité, considérée en elle-même, dans ses membres illustres. La dernière élève l'âme, indépendamment de la durée, de l'espace, jusqu'à la conception de l'humanité, considérée dans son expression la plus haute, la volonté! Les premiers s'occupent des vices, des vertus; la dernière ne s'occupe que des vertus. Les sentiments ne connaissent pas l'ordre de leur marche. L'analyse des sentiments apprend à le faire connaître, augmente la vigueur des sentiments. Avec les premiers, tout est incertitude. Ils sont l'expression du bonheur, de la douleur, deux extrêmes. Avec la dernière, tout est certitude. Elle est l'expression de ce bonheur qui résulte, à un moment donné, de savoir se retenir, au milieu des passions bonnes ou mauvaises. Elle emploie son calme à fondre la description de ces passions dans un principe qui circule à travers les pages: la non-existence du mal. Les sentiments pleurent quand il le leur faut, comme quand il ne le leur faut pas. L'analyse des sentiments ne pleure pas. Elle possède une sensibilité latente, qui prend au dépourvu, emporte au-dessus des misères, apprend à se passer de guide, fournit une arme de combat. Les sentiments, marque de la faiblesse, ne sont pas le sentiment! L'analyse du sentiment, marque de la force, engendre les sentiments les plus magnifiques que je connaisse. L'écrivain qui se laisse tromper par les sentiments ne doit pas être mis en ligne de compte avec l'écrivain qui ne se laisse tromper ni par les sentiments, ni par lui-même. La jeunesse se propose des élucubrations sentimentales. L'âge mur commence à raisonner sans trouble. Il ne faisait que sentir, il pense. Il laissait vagabonder ses sensations: voici qu'il leur donne un pilote. Si je considère l'humanité comme une femme, je ne développerai pas que sa jeunesse est à son déclin, que son âge mur s'approche. Son esprit change dans le sens du mieux. L'idéal de sa poésie changera. Les tragédies, les poëmes, les élégies ne primeront plus. Primera la froideur de la maxime! Du temps de Quinault, l'on aurait été capable de comprendre ce que je viens de dire. Grâce à quelques lueurs, éparses, depuis quelques années, dans les revues, les in-folios, j'en suis capable moi-même. Le genre que j'entreprends est aussi différent du genre des moralistes, qui ne font que constater le mal, sans indiquer le remède, que ce dernier ne l'est pas des mélodrames, des oraisons funèbres, de l'ode, de la stance religieuse. Il n'y a pas le sentiment des luttes.
Elohim est fait à l'image de l'homme.
Plusieurs choses certaines sont contredites. Plusieurs choses fausses sont incontredites. La contradiction est la marque de la fausseté. L'incontradiction est la marque de la certitude.
Une philosophie pour les sciences existe. Il n'en existe pas pour la poésie. Je ne connais pas de moraliste qui soit poète de premier ordre. C'est étrange, dira quelqu'un.
C'est une chose horrible de sentir s'écouler ce qu'on possède. L'on ne s'y attache même qu'avec l'envie de chercher s'il n'a point quelque chose de permanent.
L'homme est un sujet vide d'erreurs. Tout lui montre la vérité. Rien ne l'abuse. Les deux principes de la vérité, raison, sens, outre qu'ils ne manquent pas de sincérité, s'éclaircissent l'un l'autre. Les sens éclaircissent la raison par des apparences vraies. Ce même service qu'ils lui font, ils la reçoivent d'elle. Chacun prend sa revanche. Les phénomènes de l'âme pacifient les sens, leur font des impressions que je ne garantis pas fâcheuses. Ils ne mentent pas. Ils ne se trompent pas à l'envi.
La poésie doit être faite par tous. Non par un. Pauvre Hugo! Pauvre Racine! Pauvre Coppée! Pauvre Corneille! Pauvre Boileau! Pauvre Scarron! Tics, tics, et tics.
Les sciences ont deux extrémités qui se touchent. La première est l'ignorance où se trouvent les hommes en naissant. La deuxième est celle qu'atteignent les grandes âmes. Elles ont parcouru ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils savent tout, se rencontrent dans cette même ignorance d'où ils étaient partis. C'est une ignorance savante, qui se connaît. Ceux d'entre eux qui, étant sortis de la première ignorance, n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante, font les entendus. Ceux-là ne troublent pas le monde, ne jugent pas plus mal de tout que les autres. Le peuple, les habiles composent le train d'une nation. Les autres, qui la respectent, n'en sont pas moins respectés.
Pour savoir les choses, il ne faut pas en savoir le détail. Comme il est fini, nos connaissances sont solides.
L'amour ne se confond pas avec la poésie.
La femme est à mes pieds!
Pour décrire le ciel, il ne faut pas y transporter les matériaux de la terre. Il faut laisser la terre, ses matériaux, là où ils sont, afin d'embellir la vie par son idéal. Tutoyer Elohim, lui adresser la parole, est une bouffonnerie qui n'est pas convenable. Le meilleur moyen d'être reconnaissant envers lui, n'est pas de lui corner aux oreilles qu'il est puissant, qu'il a créé le monde, que nous sommes des vermiceaux en comparaison de sa grandeur. Il le sait mieux que nous. Les hommes peuvent se dispenser de le lui apprendre. Le meilleur moyen d'être reconnaissant envers lui est de consoler l'humanité, de rapporter tout à elle, de la prendre par la main, de la traiter en frère. C'est plus vrai,
Pour étudier l'ordre, il ne faut pas étudier le désordre. Les expériences scientifiques, comme les tragédies, les stances à ma soeur, le galimatias des infortunes n'ont rien à faire ici-bas.
Toutes les lois ne sont pas bonne à dire.
Etudier le mal, pour faire sortir le bien, n'est pas étudier le bien en lui-même. Un phénomène bon étant donné, je chercherai sa cause.
Jusqu'à présent, l'on a décrit le malheur, pour inspirer la terreur, la pitié. Je décrirai le bonheur pour inspirer leurs contraires.
Une logique existe pour la poésie. Ce n'est pas la même que celle de la philosophie. Les philosophes ne sont pas autant que les poètes. Les poètes ont le droit de se considérer au-dessus des philosophes.
Je n'ai pas besoin de m'occuper de ce que je ferai plus tard. Je devais faire ce que je fais. Je n'ai pas besoin de découvrir quelles choses je découvrirai plus tard. Dans la nouvelle science, chaque chose vient à son tour, telle est son excellence.
Il y a de l'étoffe du poète dans les moralistes, les philosophes. Les poètes renferment le penseur. Chaque caste soupçonne l'autre, développe ses qualités au détriment de celles qui la rapprochent de l'autre caste. La jalousie des premiers ne veut pas avouer que les poètes sont plus forts qu'elle. L'orgueil des derniers se déclare incompétent à rendre justice à des cervelles plus tendres. Quelle que soit l'intelligence d'un homme, il faut que le procédé de penser soit le même pour tous.
L'existence des tics étant constatée, que l'on ne s'étonne pas de voir les mêmes mots revenir plus souvent qu'à leur tour: dans Lamartine, les pleurs qui tombent des naseaux de son cheval, la couleur des cheveux de sa mère; dans Hugo, l'ombre et le détraqué, font partie de la reliure.
La science que j'entreprends est une science distincte de la poésie. Je ne chante pas cette dernière. Je m'efforce de découvrir sa source. A travers le gouvernail qui dirige toute pensée poétique, les professeurs de billard distingueront le développement des thèses sentimentales.
Le théorème est railleur de sa nature. Il n'est pas indécent. Le théorème ne demande pas à servir d'application. L'application qu'on en fait rabaisse le théorème, se rend indécente. Appelez la lutte contre la matière, contre les ravages de l'esprit, application.
Lutter contre le mal, est lui faire trop d'honneur. Si je permets aux hommes de le mépriser, qu'ils ne manquent pas de dire que c'est tout ce que je puis faire pour eux.
L'homme est certain de ne pas se tromper.
Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous. Nous voulons vivre dans l'idée des autres d'une vie imaginaire. Nous nous efforçons de paraître tels que nous sommes. Nous travaillons à conserver cet être imaginaire, qui n'est autre chose que le véritable. Si nous avons la générosité, la fidélité, nous nous empressons de ne pas le faire savoir, afin d'attacher ces vertus à cet être. Nous ne les détachons pas de nous pour les y joindre. Nous sommes vaillants pour acquérir la réputation de ne pas être poltrons. Marque de la capacité de notre être de ne pas être satisfait de l'un sans l'autre, de ne renoncer ni à l'un ni à l'autre. L'homme qui ne vivrait pas pour conserver sa vertu serait infâme.
Malgré la vue de nos grandeurs, qui nous tient à la gorge, nous avons un instinct qui nous corrige, que nous ne pouvons réprimer, qui nous élève!
La nature a des perfections pour montrer qu'elle est l'image d'Elohim, des défauts pour montrer qu'elle n'en est pas moins que l'image.
Il est bon qu'on obéisse aux lois. Le peuple comprend ce qui les rend justes. On ne les quitte pas. Quand on fait dépendre leur justice d'autre chose, il est aisé de la rendre douteuse. Les peuples ne sont pas sujets à se révolter.
Ceux qui sont dans le dérèglement disent à ceux qui sont dans l'ordre que ce sont eux qui s'éloignent de la nature. Ils croient le suivre. Il faut avoir un point fixe pour juger. Où ne trouverons-nous pas ce point dans la morale?
Rien n'est moins étrange que les contrariétés que l'on découvre dans l'homme. Il est fait pour connaître la vérité. Il la cherche. Quand il tâche de la saisir, il s'éblouit, se confond de telle sorte, qu'il ne donne pas sujet à lui en disputer la possession. Les uns veulent ravir à l'homme la connaissance de la vérité, les autres veulent la lui assurer. Chacun emploie des motifs si dissemblables, qu'ils détruisent l'embarras de l'homme. Il n'a pas d'autre lumière que celle qui se trouve dans sa nature.
Nous naissons justes. Chacun tend à soi. C'est envers l'ordre. Il faut tendre au général. La pente vers soi est la fin de tout désordre, en guerre, en économie.
Les hommes, ayant pu guérir de la mort, de la misère, de l'ignorance, se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser. C'est tout ce qu'ils ont pu inventer pour se consoler de si peu de maux. Consolation richissime. Elle ne va pas à guérir le mal. Elle le cache pour un peu de temps. En le cachant, elle fait qu'on pense à le guérir. Par un légitime renversement de la nature de l'homme, il ne se trouve pas que l'ennui, qui est son mal le plus sensible, soit son plus grand bien. Il peut contribuer plus que toutes choses à lui faire chercher sa guérison. Voilà tout. Le divertissement, qu'il regarde comme son plus grand bien, est son plus infime mal. Il le rapproche plus que toutes choses de chercher le remède à ses maux. L'un et l'autre sont une contre-preuve de la misère, de la corruption de l'homme, hormis de sa grandeur. L'homme s'ennuie, cherche cette multitude d'occupations. Il a l'idée du bonheur qu'il a gagné; lequel trouvant en soi, il le cherche, dans les choses extérieures. Il se contente. Le malheur n'est ni dans nous, ni dans les créatures. Il est en Elohim.
La nature nous rendant heureux en tous états, nos désirs nous figurent un état malheureux. Ils joignent à l'état où nous sommes les peines de l'état où nous ne sommes pas. Quand nous arriverions à ces peines, nous ne serions pas malheureux pour cela, nous aurions d'autres désirs conformes à un nouvel état.
La force de la raison paraît mieux en ceux qui la connaissent qu'en ceux qui ne la connaissent pas.
Nous sommes si peu présomptueux que nous voudrions être connus de la terre, même des gens qui viendront quand nous n'y serons plus. Nous sommes si peu vains, que l'estime de cinq personnes, mettons six, nous amuse, nous honore.
Peu de chose nous console. Beaucoup de chose nous afflige.
La modestie est si naturelle dans le coeur de l'homme, qu'un ouvrier a soin de ne pas se vanter, veut avoir ses admirateurs. Les philosophes en veulent. Les poètes surtout! Ceux qui écrivent en faveur de la gloire veulent avoir la gloire d'avoir bien écrit. Ceux qui le lisent veulent avoir la gloire de l'avoir lu. Moi, qui écris ceci, je me vante d'avoir cette envie. Ceux qui le liront se vanteront de même.
Les inventions des hommes vont en augmentant. La bonté, la malice du monde en général ne reste pas la même.
L'esprit du plus grand homme n'est pas si dépendant, qu'il soit sujet à être troublé par le moindre bruit du Tintamarre, qui se fait autour de lui. Il ne faut pas le silence d'un canon pour empêcher ses pensées. Il ne faut pas le bruit d'une girouette, d'une poulie. La mouche ne raisonne pas bien à présent. Un homme bourdonne à ses oreilles. C'en est assez pour la rendre incapable de bon conseil. Si je veux qu'elle puisse trouver la vérité, je chasserai cet animal qui tient sa raison en échec, trouble cette intelligence qui gouverne les royaumes.
L'objet ce ces gens qui jouent à la paume avec tant d'application d'esprit, d'agitation de corps, est celui de se vanter avec leurs amis qu'ils ont mieux joué qu'un autre. C'est la source de leur attachement. Les uns suent dans leurs cabinets pour montrer aux savants qu'ils ont résolu une question d'algèbre qui ne l'avait pu être jusqu'ici. Les autres s'exposent aux périls, pour se vanter d'une place qu'ils auraient prise moins spirituellement, à mon gré. Les derniers se tuent pour remarquer ces choses. Ce n'est pas pour en devenir moins sages. C'est surtout pour montrer qu'ils en connaissent la solidité. Ceux-là sont les moins sots de la bande. Ils le sont avec connaissance. On peut penser des autres qu'ils ne le seraient pas, s'ils n'avaient pas cette connaissance.
L'exemple de la chasteté d'Alexandre n'a pas fait plus de continents que celui de son ivrognerie a fait de tempérants. On n'a pas de honte de n'être pas aussi vertueux que lui. On croit n'être pas tout à fait dans les vertus du commun des hommes, quand on se voit dans les vertus de ces grands hommes. On tient à eux par le bout par où ils tiennent au peuple. Quelque élevés qu'ils soient, ils sont unis au reste des hommes par quelque endroit. Ils ne sont pas suspendus en l'air, séparés de notre société. S'ils sont plus grands que nous, c'est qu'ils ont les pieds aussi haut que les nôtres. Ils sont tous à même niveau, s'appuient sur la même terre. Par cette extrémité, ils sont aussi relevés que nous, que les enfants, un peu plus que les bêtes.
Le meilleur moyen de persuader consiste à ne pas persuader.
Le désespoir est la plus petite de nos erreurs.
Lorsqu'une pensée s'offre à nous comme une vérité qui court les rues, que nous prenons la peine de la développer, nous trouvons que c'est une découverte.
On peut être juste, si l'on n'est pas humain.
Les orages de la jeunesse précèdent les jours brillants.
L'inconscience, le déshonneur, la lubricité, la haine, le mépris des hommes sont à prix d'argent. La libéralité multiplie les avantages des richesses.
Ceux qui ont de la probité dans leurs plaisirs en ont une sincère dans leurs affaires. C'est la marque d'un naturel peu féroce, lorsque le plaisir rend humain.
La modération des grands hommes ne borne que leurs vertus.
C'est offenser les humains que de leur donner des louanges qui élargissent les bornes de leur mérite. Beaucoup de gens sont assez modestes pour souffrir sans peine qu'on les apprécie.
Il faut tout attendre, rien craindre du temps, des hommes.
Si le mérite, la gloire ne rendent pas les hommes malheureux; ce qu'on appelle malheur ne mérite pas leurs regrets. Une âme daigne accepter la fortune, le repos, s'il leur faut superposer la vigueur de ses sentiments, l'essor de son génie.
On estime les grands desseins, lorsqu'on se sent capable des grands succès.
La réserve est l'apprentissage des esprits.
On dit des choses solides, lorsqu'on ne cherche pas à en dire d'extraordinaires.
Rien n'est faux qui soit vrai; rien n'est vrai qui soit faux. Tout est le contraire de songe, de mensonge.
Il ne faut pas croire que ce que la nature a fait aimable soit vicieux. Il n'y a pas de siècle, de peuple qui ait établi des vertus, des vices imaginaires.
On ne peut juger de la beauté de la vie que par celle de la mort.
Un dramaturge peut donner au mot passion une signification d'utilité. Ce n'est plus un dramaturge. Un moraliste donne à n'importe quel mot une signification d'utilité. C'est encore le moraliste!
Qui considère la vie d'un homme y trouve l'histoire du genre. Rien n'a pu le rendre mauvais.
Faut-il que j'écrive en vers pour me séparer des autres hommes? Que la charité prononce!
Le prétexte de ceux qui font le bonheur des autres est qu'ils veulent leur bien.
La générosité jouit des félicités d'autrui, comme si elle en était responsable.
L'ordre domine dans le genre humain. La raison, la vertu n'y sont pas les plus fortes.
Les princes font peu d'ingrats. Ils donnent tout ce qu'ils peuvent.
On peut aimer de tout son coeur ceux en qui on reconnaît de grands défauts. Il y aurait de l'impertinence à croire que l'imperfection a seule le droit de nous plaire. Nos faiblesses nous attachent les uns aux autres autant que pourrait le faire ce qui n'est pas la vertu.
Si nos amis nous rendent des services, nous pensons qu'à titre d'amis ils nous les doivent. Nous ne pensons pas du tout qu'ils nous doivent leur inimitié.
Celui qui serait né pour commander, commanderait jusque sur le trône.
Lorsque les devoirs nous ont épuisés, nous croyons avoir épuisé les devoirs. Nous disons que tout peut remplir le coeur de l'homme.
Tout vit par l'action. De là, communication des êtres, harmonie de l'univers. Cette loi si féconde de la nature, nous trouvons que c'est un vice dans l'homme. Il est obligé d'y obéir. Ne pouvant subsister dans le repos, nous concluons qu'il est à sa place.
On sait ce que sont le soleil, les cieux. Nous avons le secret de leurs mouvements. Dans la main d'Elohim, instrument aveugle, ressort insensible, le monde attire nos hommages. Les révolutions des empires, les faces des temps, les nations, les conquérants de la science, cela vient d'un atome qui rampe, ne dure qu'un jour, détruit le spectacle de l'univers dans tous les âges.
Il y a plus de vérité que d'erreurs, plus de bonnes qualités que de mauvaises, plus de plaisirs que de peines. Nous aimons à contrôler le caractère. Nous nous élevons au-dessus de notre espèce. Nous nous enrichissons de la considération dont nous la comblâmes. Nous croyons ne pas pouvoir séparer notre intérêt de celui de l'humanité, ne pas médire du genre sans nous commettre nous-mêmes. Cette vanité ridicule a rempli les livres d'hymnes en faveur de la nature. L'homme est en disgrâce chez ceux qui pensent. C'est à qui le chargera de moins de vices. Quand ne fut-il pas sur le point de se relever, de se faire restituer ses vertus?
Rien n'est dit. L'on vient trop tôt depuis plus de sept-mille ans qu'il y a des hommes. Sur ce qui concerne les moeurs comme sur le reste, le moins bon est élevé. Nous avons l'avantage de travailler après les anciens, les habiles d'entre les modernes.
Nous sommes susceptibles d'amitié, de justice, de compassion, de raison. O mes amis! qu'est-ce donc que l'absence de vertu?
Tant que mes amis ne mourront pas, je ne parlerai pas de la mort.
Nous sommes consternés de nos rechutes, de voir que nos malheurs ont pu nous corriger de nos défauts.
On ne peut juger de la beauté de la mort que par celle de la vie.
Les trois points terminateurs me font hausser les épaules de pitié. A-t-on besoin de cela pour prouver que l'on est un homme d'esprit, c'est-à-dire un imbécile? Comme si la clarté ne valait pas le vague, à propos de points!






ISIDORE DUCASSE

4 mai 2015

Moïra, du prénom grec ancien Μοῖρα, dérivé lui-même de μοῖρα signifiant à la fois « destin », « part », « portion » ou « lot ». Cette pluralité d'acceptions traduit la conception grecque du destin.
La Moïra est la loi de partition qui impose à chacun une part de bien et de mal, de fortune et d'infortune, de bonheur et de malheur, de vie et de mort, qu'il est du devoir de l'individu de respecter. Transgresser la mesure assignée par le destin est commettre l'hybris, faute fondamentale sanctionnée par la némésis ou le châtiment des Dieux.
Dans la religion grecque antique, il est certain que les hommes sont soumis au destin, de par leur mortalité et les limites constitutives de l'humaine condition. Qu'en est-il des Dieux ? Cette question a été très débattue. Pendant longtemps, on a cru que les Olympiens étaient subordonnés à la Moïra. Deux passages de l’Iliade semblent accréditer cette thèse : lors de la « pesée des destins », Zeus lui-même ne doit-il pas abandonner à la « mort rouge et au brutal destin » ses favoris, Hector et Sarpédon ? Ne reconnaît-il pas, par là-même, la supériorité de la Moïra ?
Cette interprétation a été remise en cause par les acquis de la philologie. Zeus n'est pas soumis au destin : plus exactement, il s'y soumet en tant qu'il reconnaît la loi de partage constitutive de la réalité. La Théogonie d'Hésiode fait procéder l'univers de la Nuit vers la Lumière, du chaos vers l'ordre, de la tyrannie des premiers temps vers la justice olympienne. Les ancêtres de Zeus, Ouranos et Cronos, sont la figure des souverains tyranniques, qui refusent de partager avec quiconque, fût-ce avec leurs propres fils. Ils préfèrent dévorer leurs enfants plutôt que de leur accorder la moindre portion de ce qu'ils estiment leur appartenir.
Or, Zeus incarne la justice dans l'exacte mesure où il accepte le destin, c'est-à-dire la loi de partition cosmique. Contrairement à Ouranos et Cronos, il instaure un ordre d'équité en consentant à partager avec ses frères. Ce fait apparaît au livre XV de L'Iliade, dépeignant le partage de l'univers entre les trois grands Cronides. Comme l'expose Poséidon :
« Nous sommes trois, nés de Cronos et de Rhéa, trois frères : Zeus, puis moi, puis, le troisième Hadès, qui règne sur les morts. Du monde on fit trois parts (moirae), pour que chacun de nous obtînt son apanage. Moi, le sort m'a donné d'habiter pour jamais la mer blanche d'écume. Hadès reçut en lot les brumeuses ténèbres, et Zeus, le vaste ciel, l'éther et les nuages. Mais tous trois en commun, nous possédons la terre et l'Olympe élevé. »
C'est dire que la Moïra — le Destin — n'est pas une divinité personnifiée à laquelle on rendrait un culte, mais la loi-même de l'univers. Zeus reconnaît cette loi en tant qu'il consent au principe du partage et qu'il échappe par là-même à l'hybris ayant aveuglé ses aïeux.
La religion grecque antique admettait cependant trois divinités du destin, les Moires, qui sont respectivement Clotho, Lachésis et Atropos, la première présidant à la naissance des hommes, la seconde à leur existence, et la troisième à leur mort. La Théogonie d'Hésiode leur attribue deux généalogies. D'après la première, elles sont filles de la terrible et impitoyable Nyx, la déesse de la Nuit ; d'après la seconde, elles sont les filles de Zeus et de Thémis, la déesse de la Justice. Ces deux généalogies décrivent l'avènement du règne olympien, qui est un règne de justice en tant qu'il reconnaît à chaque être le droit à une part, plus ou moins grande, de vie faite de bonheur.

1 mai 2015

INTERVIEW WITH
ALISON AND PETER SMITHSON 
By BAYKAN GÜNAY
BG: Alison and Peter, the fifties mark a milestone, a turning point maybe in world
architecture and you played an important role as a member of Team 10. What
sort of impacts did Team 10 have from the fifties onwards?
AS: I don't honestly think I can judge that and I am not sure that anybody can. I
am very nervous of thinking too much in the past; partly because the inherited
cast of mind of the Scottish person is very conscious of the past and therefore it's
something I have, in a way, to protect myself against. And we get asked for a lot
of archival material and if it gets more than two and a half days a week that I have
to fish something out of the archives or remember something (because now we
are getting a lot of questions on the fifties, questions on the sixties are beginning)
you feel you are running a mortician's parlor: I would much prefer to just react
to what is outside, now.
BG: The reactions you put forth against CIAM's understanding of the separation
of functions, let us say emphasis on more greenery and light, rather than identity
and association, are still being advocated by many of the (I should not say schools)
but many of the recent urban design ideas. I have a certain feeling (of course, as
I insist I am a man outside the events) so looking at it from the outside, that from
the fifties on, there was a transformation in the field of architecture and urban
design and I would suggest that many of the ideas which are here now, like
traditionalism or historicism or vernacularism, I even think that Post-Modernism
in architecture, all diverge from that point onwards. Maybe in the first
instance, some principles were used with regard to space organisation but then
it also turned back even in formal architecture into imitations, etc. Maybe you
did not imitate form but at least you sort of attacked the space organisation which
was prevailing then. So would this be a wrong comment?
AS: It is very difficult to comment; we are always dealing with ideas, we try to be
forward-looking. In a way I think you are in that position yourself with your work,
concerning yourself with what is happening to Ankara and in what direction it
might go on; one should probably, while we are here, comment on the role of the
Architecture School on this really rather splendid campus because it has not only
a particular connection, but a general connection. That is, in Europe they are
training too many architects, and a number of schools are having to close and the
universities are often quite willing to lose their architecture faculties because the
students are there for a long time on campus and do not get sufficiently involved
with the other faculties. I sense that this perhaps is also happening here: we
looked at some students' work yesterday, where they were dealing with extending
the School of Architecture building and in having the existing conditions explained
to us, we found out with Charles Polonyi's help, that already the basic
ideas of the campus, the basic concept, had been compromised by the architects
themselves, never mind by any other faculty. So I would put in a plea for the
architects to get more involved on the campus. Now when I say that the architects
themselves had compromised what I saw as the basic idea: I see the campus as
laid out along a ridge with a pedestrian way running along this ridge, feeding
buildings on either side that look outwards and across the service roads which
are lower down the slope on either side, and these service roads feed car parks.
Now what has happened when I say compromised is that a car park has been
brought right up into the slope, on to the crest so that the smell of the cars is
here, whereas the original idea of the Campus was to keep the smell of the cars
down the slope, and put the pedestrian way on the crest of the ridge so that one
walked through sweet-smelling space and then went into the buildings on either
side without any fear of traffic movement and certainly without any smell from
the cars. Now, for the architects to compromise the concept is really terrible,
because by their actions they should teach. The school building is splendid, it has
marvellous spaces, it is well kept, but I think you should get that car park out of
there and down the slope where it should be, immediately off the service road,
and ask other faculties to do the same, if anybody else has also broken that basic
concept. Do you have a comment on this because I think with it being early
summer, coming from England we are very conscious of the marvellous smell on
the campus, the scent of the blossoms coming out.
PS: I was upset by the fact that in the pedagogy, the teaching of this program, the
faculty had not fed them with the fundamental organizational ideas of the
university. When you asked what the impact of Team 10 has been, you could say
that there has been a kind of seepage of the Patrick Geddes ideas into the general
consciousness, in some way using Team 10 and CIAM. That is, it is quite normal
now in a European school for the student of his own volition, on his own
initiative, to try to understand the nature of the fabric which he has been asked
to work. That is a very Geddesian idea, i.e., don't touch it till you think you
understand it. Then you don't have to continue with the existing fabric, but if you
understand it you have the right to intervene; like a doctor looks at the symptom,
then he tries to figure out why you have the symptoms, then once he thinks he
understands, that 'right to touch' is won, is earned by the understanding. Thinking,
forward, the nice thing to happen would be like the Paris Haussmann
commission to bring clean water from the hills, to provide central drainage and
cleaning systems for the drainage; that was part of the process of putting in the
boulevards, air, trees, etc.; on the surface, it was just putting in a street, a traffic
way, but it carried out all these other things. The mood of Europe is again
undoubtedly towards a more green Europe. Taking the view that the culture
grows from the bottom, that every decision that is taken about a building should
now have built into it the notion of how will it effect the immediate environment
and then the countryside, and in a way the global environment. Because if it is
true that the ozone is effected, it is not because of one industry: it is our collective
acts, each individual act; that every time you buy a refrigerator the old is on the
waste-heap. So that the consideration of building an urbanism is suddenly, I
think, in a way Patrick Geddes - continued. Talking about British heroes, the lady
that went to Skutari to help with the...
AS: Florence Deadly Nightshirt.
PS: Florence Nightingale: she invented medical statistics because they discovered
when they put the soldiers in the hospital, the ones nearest to the lavatory died
first: but that was just an observation. Then she started to build statistics, they
say that medical statistics started with Florence Nightingale. Well that is a classic
bit of Green thinking, isn't it? That is, it is not the will of God, you are actually
getting infected through the air. Well, why I brought that up is, she had to start,
as Patrick Geddes had to start, from the bottom, i.e., there was no previous person
who thought that way. In fact Nightingale was resisted by the medical profession,
they thought the collection of statistical information was useless, like it took two
generations about child birth, about washing the hands of the doctor delivering
babies. They would not believe that the infection was due to them. You have got
to perceive each act as having an action on the whole.
AS: And by each act you should teach and it is the acts of the members of the
staff (in parking their car where the air should be absolutely sweet) you could say
is the first act of messing up the teaching system.
PS: If the faculty had fed that piece of information in, you would have found in
the students' projects some consideration of those factors. If the car fumes are
meant to stay down the slope because the carbon monoxide is heavier than
normal air, it is logical for the car park to be below the ridge line, but also, if the
prevailing wind is this way, you would want to put the building to block the air
flow from taking the carbon monoxide on to the top. That is Green thinking, but
there is no discussion of this: you would expect these thoughts to be coming from
the young people.
PS: Because they are the potentially Green Generation, but it is very hard for
them, unless they are pointed toward it, given the examples, to understand what
we are talking about.
AS: Part of our 1950's influence was a kind of osmosis. One of the things we used
very early on, in illustrating AD essays was a mosaic of black and white
photographs, i.e., a long, scanning strip of separate, but overlapping,
photographs. Now this has become absolutely standard. You go to a students
board in Europe and you get these long scanning strips or mosaics of
photographs, either made by one person or by the year, to inform themselves
about a site. And of course it even entered into art about ten years ago, withHockney's mosaics of Polaroid pictures, and when he started this a number of
people in England said to us 'Hey, Hockney must have gotten hold of an old AD\
i.e., they recognized where it had come from, so that it is by very secret routes
these things influence, take hold and it is for other people to make the connections;
I think it is not for us to look back at history.
When you walk into a place freshly, you are able to notice things that the local
people don't notice. You are also in a position (because you are in and out and
you could say you don't have to carry the can) to say things that the local people
may feel but don't necessarily want to speak out, you know we are for keeping
our head down in our own country. It is easy just to swan in, but you hope that
by saying aloud these observations they will be creative, because you recognize
the fact that people can say things in their country and nobody takes any notice;
that it is not even a matter of inclination to keep your head down. You are invited
as a foreign visitor to say something and therefore often you can, by perhaps
saying something, release some energy or unstop a bottle-neck.
BG: As far as I understand from your talks in the last few days, I think that you
don't want to enter large theoretical frameworks but you would rather prefer to
look at things from the very essence of the events, from where things originate.
That was very much visible in Peter's lecture where he mentioned the story about
the children, that it is out of the basic needs of human beings that problems arise
and architects should in the first instance tend to solve these problems. Well, in
this respect, may I raise another question (because this disvalidates my questions
and I am simply trying to pick up new questions) what sort of differences then
shall we find for instance, between Haussmann's, operations in Paris and your
London-Road study in this respect? Again, a bit historical, sorry!
PS: My own feeling is that in terms of urbanism we have had no effect whatsoever
because four fifths of what we saw in Raci's studio was what we were rejecting
forty years ago, i.e., urbanism people making compositions of buildings in
advance; in advance of real needs, real clients, real construction. We thought that
it might be possible to invent a kind of graphics, together with documentation,
of some sort you cannot imagine, that would guide the development of an area
without prefixing forms because Raci and you keep on saying (and it is correct)
you cannot just give an architect a pre-fixed shape in a plan and say 'fit it into
that' because we know what happens; in modern times you just get a banal
building, an object. It is exceptionally difficult, you think you can make a diagram
.. just to take a simple example about real things: look at this in a Geddes way as
if it is a village. There is a big street here which does not seem to carry many
people, maybe you could make another connection; there is enough capacity; you
examine also the kind of human action. Again a simple example from the Bath
Campus...
AS: Because it is also on a ridge and you are overlooking the terrain,
PS: that the social spaces that work well, the university discovered, are where
students look out of the building and where people somehow naturally gather
and sit talking. That space on the drawings intended for social space people don't
use, it could be used as a computer area... you organically remodel. Taking that
into town-planning, your project, there is a powerful drop in the contour because
there is an old wall, therefore that if there is no longer housing, maybe this is a
place for a belvedere, a look-out place. You identify the possibility but you don't
specify how. Then the obvious thing, like when there is an underground station
that is clearly going to generate the town's pedestrian flow and therefore will
need more pavements... How do you put that over to the municipality? We have
never been able to effectively find a way. We haven't done any commissioned
urbanism since the Berlin Mehringplatz and Lutzowstrasse Competitions.
AS: You mentioned the London Road Study; it was on well-accepted theoretical
principles of one decision at a time, right/left or yes/no, and I don't think it has
been followed at all in the London ring roads or anything. It is as if in this really
practical urban theory one has had no influence at all, or rather one is influencing
the people who are still trying to fight the system. Influence may come through,
but at the moment we can't see it. And, to go back to what you said earlier about
thinking of the users, Team 10 always swung (as CIAM did) from the whole
pattern to the detail and back again. I think that it was good to use a program on
campus, and it might be a good policy to push this, to make quite a high
proportion of the projects on campus, serving the needs of the University, then
invite the other faculties to have a look, to show that you are trying to put
something in, that you are in a way trying to extend the thinking of the original
builders of the Campus. Always a response, with the original intentions in mind
and the changing patterns of use. You might even find some of the faculties then
coming to you, and say Look, our accommodation isn't quite fitting our current
pattern of use. Would you like to do a study?' then it could be put to the
administration, to perhaps in the summer holidays do some conversion work,
and I think that this input of the architecture faculty into universities is something
that really should begin to happen more. What happens at Bath?
PS: It is very difficult to keep on bringing them back to the principles on which
the Campus was originally designed, because they will say 'That is not the way
it's done now', because they are not innocent people, and know what the world
trends are, they pick up ideas and get excited by them, like anybody else does.
AS: It is consumerism and shopping.
PS: They are consuming them, and of course the urbanist is running a very long
program, isn't he? He is like a horticulturalist. He knows that the ideas won't
come to fruition for a generation and a generation on. Therefore in a way the
campus structure will only come through if it is sustained over a long period, so
that the idea becomes clearer as it goes along. And I find at Bath that I can't
produce any real influence on this process because fashions in university buildings
arc as in other places. And these people are very responsible and devoted to
the university, these are good people.
AS: But all the more reason why the architects' department should all the time
show a concern for the way the university is developing, and as it were, have a
'doorstep project' that the students realize, that it brings a kind of reality, 'it could
happen here', would we really like it if. That kind of consciousness is necessary
to be grown in the students. I also think that unless the architects take this kind
of active role on their campuses they won't learn how to deal with people, how
to fight this consumerism. By pure chance we were asked to have another look
at one of our Team 10 documents, because somebody was wanting to do an
academic exercise on it, and we had to bring it with us because we knew we had
no other time. The piece that I was reading last night happened to be a Team 10
discussion on consumerism, how difficult it was to deal with administrators and
fight off this sort of supermarket-culture that we are all involved in where they
say 'yes, but we've just seen something smashing somewhere and never mind the
old idea, let's do this because presumably where we saw it had an old idea that
they've just pushed aside'. Cities were nice in the old days. There were always old
men who could remember the intention of why they put the fountain there, or
why they paved that street, and why they didn't do something else, or who planted
that tree in grandmother's day or something. Now this is all lost, largely because
of the great number we are, but also because of these really horrific pressures of
the 'McDonalds and Coca-Cola culture'.
BG: Yes, but probably that is something we can't help, but you brought out
certain issues where the architect can be helpful. In that respect you point out
something: the architect is not simply a designer, the architect is more than that.
He should go into the preparation of the design process, the design, the aftermaths
of design and even the consequences of design should also be in a way dealt
with by the architect. How could this effect architectural education? What sort
of new measures should be then located into architectural education?
PS: That's a good question because it enables me to continue in a practical way...
When we opened the new building for the School of Architecture in Bath, the
head of the School said 'We will have a two-day meeting', actually very like a
Team 10 meeting, and he said 'We will call it Genesis', i.e., how the design process
began, and it was fantastically good. A footnote on this is that we invited the
president of the University and the man I'm talking about, the registrar, and the
contractor, and the administrators in his department to this lecture, so they
would hear the genesis of the building they had just finished, and what influenced
it, and we had the person who worked on the concept of the university as a young
man, someone who is now the boss of a firm was then an assistant.
AS: In his first job.
PS: You know, the man that did Hook, did the University of Bath general plan;
his assistant from the time: so he went through the arguments on which the
university plan had been based. We followed naturally on that, what happens
twenty years later, how do you reinterpret. They invited other people (because
we are a mixed school) an engineer came who worked on Piano's art gallery in
America. He started in the same way, he said 'This woman',
AS: Schlumberger.
PS: They are a French drilling company.
AS: Strasbourg-Alsace.
PS: She wanted to make this art gallery in Houston where there are no planning
regulations and no zoning, therefore she said every building built in this town
which is successful, like a new restaurant or a little shopping thing, immediately
skyscrapers come around and kill it because real-estate men see it as a point of
attraction.
PS: She said 'Before I commission an architect I've got to buy, nine city blocks.
I am going to put the art gallery in the middle, nobody will be displaced but I will
have the freehold, they will have leases...' She accepted a piece of the town as the
urban landscape setting; it's another of these 'how to save portions of the town
you like'. The art gallery and the car lot over the road; the pace of the area has
changed of course but not changed much. There will be more people in the street
and there will be more car movement, but it's probably an increase of say five
percent, whereas if it happened the other way the increase would be times fifty.
AS: The trees are all there, the density is still the same round about.
PS: The end of that story about the pedagogy: we had (you could say that) half
the students in the upper school. So the kind of Team 10 meeting was the
administration, the engineers, service engineers; not people simply talking about
things. They were the people who had done the work, they made the building,
therefore it was direct information which for the young architect is fantastic.
AS: It was successful on several counts. One is the idea of the family getting
together, the enlarged family having a few guests. The Team 10 idea had
penetrated as a teaching method, as a communication method. And the next was
the business of people feeling they could tell all the details of the actual production,
all the little faults and things that went on, because they trusted everybody
who was listening. One of the most successful things apart from 'what a nice event
it was' and 'how everybody enjoyed it'; this communicating directly was so
successful I am sure that the Bath School is going to repeat it because everybody
there could see that it was a marvellous family way of extending that collective
sense to outside the school, outside the three professions (architects, structural
engineers, service engineers) who were trying to learn to work together better,
which is the teaching method in Bath. It was a real reaching out, and this I think
is a marvellous teaching method because everybody is learning, and the communications
are kept going.
BG: So it is not simply participation of people, but participation of the architect
himself in all the events.
AS: The architect must take the action, he must in a way make the connections
and go out (what we said earlier) an architect in a way has to take the position
of the old man; he has to understand the fabric of what he is dealing with and
take up the position of 'remembrancer', and also the 'seer' into the future. He
has to have the foresight to know which direction he should move in, in order to
keep the original idea and not get it spoilt, and to fend off all the poor things that
happen to it. And another reason, apart from running a mortician's parlor of
one's own past dead life, we created this role for ourselves of 'remembrancer', of
the context, of the place, of the fabric that you are trying to deal with. We must
be forward looking as well, because otherwise you put on this old man's hat all
the time.
BG: The horse's
AS: Blinkers, yes, that's right.
BG: Well, in fact I think architecture students, at one time, 1968 to 1970's, tended
to deal with societal problems, but then it also created its own dilemmas where
architects then had forgotten to deal with architecture. So in fact, this is a new
man who will be conscious of politics, engineering sciences plus architecture. So
he must be more than the man we are thinking of now. Is that so?
PS: Difficult to imagine such a thing.
BG: Or shall we put the architect into the political field as well?
PS: I don't think I can do it because fundamentally it is a craft. Unless you do it
yourself there isn't any product, can't do it as a politician.
AS: The way is through good work ... so that the politicians are listening to
architects, engineers, service-engineers, thinking and acting as 'remembrancers',
and acting as people who are looking forward. If politicians can observe this, they
begin to understand what it is you have to offer, and they don't just say 'O.K., we
bought the plan, now you go away. We the politicians are the administrators, can
deal with it'. They realize that you can actually contribute all the time and should
work together all the time, to keep these cities alive, and to keep the qualities of
the various places in the city that people really are connected to, and that you
must not destroy their sense of connection, by just wiping whole bits of cities.
PS: One thing came up in the discussion where I got cross with Chris Abel is
'Team 10 had no kind of political follow-through'. I have always thought that
Team 10 was the effect (to repeat what was said then) was that someone like
Bakema had tremendous social energy, could actually follow it, follow a project
through and if necessary would go to the Queen if it was blocked. Holland is a
small country; someone was saying about Denmark, it worked because it was a
small country, that is, a famous architect can follow a project through, he can
help with its initiation not by being in the council of administrators but by
telephoning his friend who is the Queen's doctor or the prime-minister's; you
know, the old Ottoman system, and you paid the price. Bakema was a good
working architect when he was young, do you see, in the end the buildings
suffered because the office did them, because you can't put your energy
everywhere. This is why we are saying that Raci is on the point of collapse because
his energy is too far extended, he can't keep it going all the time (he won't
physically collapse because he is very strong) but you lose control because the
control is personal. When it goes beyond the person you got to be a different
kind of person who sets up systems and will see them through.
AS: You see already he is having to use students to make the sort of drawings
that the committees expect to see. When I was in Samarkand, the urban design
department has an old Russian house (partly in order to hold the property)
wooden boarded, wooden ceiled; they have all their plans of Samarkand, of the
past thirty years, up on the walls; revised, anything from every five years to every
two years. First you could see political kind of revisions and then the last seven
years you felt that they were beginning to revise these plans on a sort of eighteen
month basis, with a fresh lot of assistants with fresh gimmicks out of the
magazines and it had become absolutely crazy, this worrying about presenting
drawings, communicating to the people, communicating to the politicians, communicating
in order to get the money allocated; and communicating participation,
where to put the road, where to put the market and so on. It was absolutely
desperate and you could see in a way that Raci has got into this position, that
almost it would be better to say 'O.K. we will take full responsibility for this
demonstration bit and unfortunately the rest we just got to chance that somebody
else will come along and take responsibility and hold another bit'. And you do it
as a demonstration area of what it is you are trying to talk about and then you
seed another area. It is in a way like gardening, you've got to put the real seeds
in, nurture them and get the real plants before anybody can see, and then
hopefully hold it long enough in order to get the fruit, and this is why you've got
to get this instilled in the young people. And that is why I say the odd exercise,
on campus, to show this was the original 'plant' as it were, and this is how we
must keep it growing, and keep trimming it and protect it from all the things that
might happen to it. And again, to make offerings to the campus, to show how
architects think and how they can make contributions. If, in the first instant it is
too delicate, politically, to offer your services to one faculty, to show how by
altering its accommodation to make it serve better the occupants, you might take
something like the guest accommodation that we are in; take a block and analyze
it to see if it is actually serving the pattern of both residents and guests to its best
ability and actually finding out from the users, both the short-term guests and
the long-term residents, how they need to occupy the building, and what sort of
space you need to be a useful member of the university community because that
is really the essence of it. If you put a single resident in one room who is going
to stay here a couple of years, they can't really be working at their peak because
they are constrained all the time, you know. That is, an academic resident
(whether it is one person or two people) they need a study space, they need a
kitchen space that they can go to at any hour of the day or night because they
might want to work long hours sometimes. You might have separate apartment
units byconversion; usinggaps (filling indents) in the buildings that are not really
serving any particular purpose, absorbinga couple of balconies that are not really
being used and, by looking next door at the very successful early housing which
has now got beautiful planting grown up around it, putting a lean-to roof over
an extended ground floor so making two extra big units. An apartment unit,
whether it is one-room, two-room; one person, two person; each unit has to be
perfectly self-contained because the socializing takes place other ways now than
the way architects originally thought it would take place.
BG: So, this also brings in one other question, or one other issue: once you make
a design, it also should be open to further changes and there should always be
someone, because ways of living change, ways of using space change. So buildings
should also be, well maybe buildings cannot be so elastic but there should be
something there, something elastic to cope with the new functions, the new way
of life.
AS: You are taking up one of these Team 10 themes, of the building being able
to respond, being able to grow and change, but exactly how it is done, in a way
the architects not only have to learn how to do this and they have to show to other
people how it can be done without somehow destroying the initial building or
extending rather than destroying the initial idea, serving people better and if you
can learn to deal with, as it were, the relatively new guest house, perhaps you can
also learn something of how to deal with the old better.
PS: I would have thought, other than examining the fabric, kind of understanding
it, that it is difficult to build into a building the potential for change in a society
when you don't know what its change is going to be. I think it is more the other
way round like the urbanism where the person is making the alteration, to feel
himself obliged to understand the underlying nature of the building before he
makes the change even though that change is very violent. For example this
business of the impact of information technology; it could not possibly have been
perceived that it would change two thirds of the operations to work in the near
dark; I mean communications are working in low brightness with screens and
things, like they do in a bank now. That could not have been perceived even ten
years ago, that your windows are not for the work process whereas in the
'twenties, having daylight in the office was you should be able to work without
straining your eyes, and sunlight is healthy and so on. You can't perceive what
changes.
AS: Sometimes the architect is asked to build a building that can be extended, or
build a building that can have its partitions changed and what you are describing
now is that any office developer in the West and in HongKong now must have
this enormous floor to ceiling because we have to build in this particular amount
of change, i.e., the deep floor for services.
PS: But two thirds of that will never be used, that is, by the time it is built, the
technology is obsolete.
AS: Well it will be nice to have the space.
PS: The argument is then 'Can we get that space back into the room?'
AS: That is the thing that the architect maybe has to foresee... but if you take the
business of the bank, even the first year could take the bank that is on campus.
That bank was made like a nice umbrella by the architect. In a way he must have
been slightly stupid not to realize that a bank probably needs a basement or a
store.
AS: The needs that you can see just walking into that bank (cardboard boxes full
of old files, the furniture pushed to the side) makes a very good first year program
because they will have to be sure that the store that you make isn't then a security
hazard and so on and does not ruin the nice little umbrella that the first architect
made. Again, by just putting the drawings up in a place and notices up saying
'Come and have a look', every person on campus would understand what the
architects were trying to do. They may not be able to read drawings, but they
would have the place in their mind and it would start to help them read drawings
and immediately you would start to communicate to several thousand people,
enlarge their knowledge and next time they see a drawing they will think 'Well,
I can read drawings because I did, I know that bank'. This is the sort of Team 10
connections of things.
BG: Well I know interviews make you tired but...
AS: Make anybody tired,
BG: I have one very personal question,
(PS: 'Will you lend me two million Karajans?')
BG: It is about Hook. I call it the third generation of New Towns in England and
it was not built. The first generation Stevenage, Harlow; the second I would
suggest Cumbernauld, for instance. And I think Hook found some of Team 10's
ideas appropriate but it was not built. This was a big question in my mind.
PS: You mean 'why'.
BG: Yes, was it because there were no more housing problems or because it did
not fit the society?
AS: Nothing is particularly for any one reason, it is just perhaps it had chosen a
site where I think that there were many voices who could speak to ears in
important places and it just had to be dropped. Milton Keynes was slightly later
and it went ahead, and it probably was not as interesting a plan. I mean you are
quite right, Hook has become something people refer to, even in England now.
And also it was to do with the ideology of the assistants who worked on it, they
were very left-thinking young architects, much more revolutionary thinking than
we were, much more politically minded and therefore in a way it was their
Waterloo. They were very upset to lose it so that everybody who worked on it has
remembered it. If you see the drawings now you tend to laugh, they are so very
primitive.
PS: But they were attempting what we were describing; I mean the plan for the
Bath campus by the same man (and the drawings were very similar) is an attempt
to establish kind of energy nodes without, in the first instance, drawing anything
in the way of buildings.
AS: Yes, it was the planless plan.
PS: They then fell into the same problem we all fall into, they then had to produce
a brochure for the University of Bath and they had to draw something.
AS: They had to make little sketches themselves, little trees and people walking,
people pushing prams. But when I say they are primitive drawings, they were not
inept, whereas what I worry about, also with the students here, they are not really
putting their energy into the drawings. They are not getting excited about being
an architect. They are not working enough that they energize each other, there
is not a sort of sense of architecture as a profession building up in the studios.
Again it is just a fleeting impression but it may be that such small things as having
the heating on at nights either makes or breaks this sort of situation. Again, you
have got to communicate this to the administrators of a university, why it is this
faculty wants (even if only at certain periods of the year) its heating on at night.
PS: You fight that all the time at Bath. We are the only faculty that works through
the night. Very nice, just the physical experience as you walk these places, only
one building with light pouring out at three o'clock in the morning, and it is not
bullshit, you go in and it is forty percent of the students at work.
AS: But that again can become a communication to the rest of the faculties that
this discipline has its own sort of needs and maybe is serious about its contribution
and that this business of staying with it through the night if necessary is the
way that the architect wishes to stay with the plan right through until it is on the
ground and been inhabited.
BG: Well, we are from that generation who lived it, many things happened so
that things really transformed into this loss of enthusiasm about education. I
think you have brought out the problem again, so we shall be more keen on this
thing probably.
Well, my last question (there is always a classical last question) what were your
expectations, not of Turkey, but of Ankara, and what have you discovered in
Ankara? Because Peter said something to me yesterday or the day before, that
he found the town not as a resort of touristic value, but a real town.
PS: I started with the traditional Western notion that Ankara was uninteresting,
just a new city without a life of its own. When we got all the guide-books out of
the public library, they did not say much more except one of the citadel and the
old culture in a way remaining intact; interesting because I like that kind of place.
And of course it is actually oriental, I mean, the further east you go the more
animals there are. But I think there are two aspects, it is a live city, and in its
traditional part it is fantastically alive. And the new city is really throbbing and
the buildings that you commissioned in the Republican period are remarkable.
AS: You were real patrons.
PS: You were really served well by the people you commissioned, as a devotion
to your Republic and...
AS: To well building.
• PS: The only one we looked at carefully, the Taut building is better built in my
view than it would have been if he had built it in Munich, that he really put
everything into it, i.e., the energy. He thought, 'Well, Atatürk is an idealistic
person, I will do something idealistically', as good as he could make, and I think
that is probably not easily visible to others, I mean people who are not professional
architects. There is hardly anything in the history books about the 30's
period, this period has been written off because of fascism... When I talk about
fascism it is not just a phenomenon of Germany and Italy, it is our view that the
culture, i.e., the buildings in Washington in the 30's and 40's the buildings in
France in the 30's and 40's, in Scandinavia in 30's and 40's, they all smell of the
centralized state... of passive peoples. And then you have to distinguish between
those architects who could not help being infected by the nature of the period,
i.e., strong central governments with strongly separated bureaucracies and the
people and all that, it was everywhere, but it just took this crazy turn in Germany.
AS: In Russia too.
PS: We are afraid of this period. When we took our daughter Soraya to Munich
we thought she wouldn't be infected by anti-Nazism, but the buildings scared her
and she was twenty something. Therefore it is very hard for us to look at this
period, and the buildings are mixed aren't they? You get this Swiss, Ernst Egli
(as you said, with the smell of the Bauhaus) and the Taut which is the end of the
Arts and Crafts Movement. And then these fascist buildings; but they are not so
bad. They don't frighten me, but maybe that is because
AS: Because what the architects were offering was more than just the fashion of
the period; could override the fashion.
PS: You see, there is no getting away from human memory (the 'remembrancer').
Nothing cruel has happened between our two nations since the first war, and
even then, you were regarded as honorable enemies as the Germans were
regarded as honorable enemies. Only this last war took such a horrible turn. But
that being so, nobody will write about this period in a guide book until two things
happen: first, the buildings are cleaner (it is really true) the tourist wants it to be
a bit smart, doesn't he; and also for the history book to reassess this period, then
the guide-book writer takes it from the history book. But I like oriental cities
because I like things to smell, the rain on the dust. When you get out of the plane
in Bombay, they open the door of the plane and the city comes in, fantastic. Like
it would be the other way round: you arrive at Stuttgart or Schiphol, a slight smell
of disinfectant. The whole culture is...
AS: You see we are losing this entirely in Europe because you used to go to
France (in the 1950's) and this could happen, sort of the smell of Gauloises would
hit you but now with the whole business of anti-smoking it has gone absolutely.
BG: Well,
AS: I am sorry we so overrode all your questions.
BG: After two or more hours of tiring, tiresome questions, thankyou Peter, thank
you Alison, for your participation.
AS: Thank you.
PS: There is one, just between us, sort of thing: the temple (Temple of Augustus,
Ankara) is fantastic: the Roman quality. I suspect if it was new it would be like
the Trump Tower (in New York) - have you seen the Trump Tower? Too much
of everything. Rome is wonderful, ruined!