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25 mars 2018

 

Emmanuel Bove
BÉCON-LES-BRUYÈRES

À monsieur Eugène Coulon

I

Le billet de chemin de fer que l’on prend pour aller à Bécon-
les-Bruyères est semblable à celui que l’on prend pour se
rendre dans n’importe quelle ville. Il est de ce format adopté
une fois pour toutes en France. Le retour est marqué de ce
même « R » rouge que celui de Marseille. Les mêmes recommandations
sont au verso. Il fait songer aux gouverneurs qui
ont la puissance de donner à un papier la valeur qu’ils désirent,
simplement en faisant imprimer un chiffre, et, par enchaînement,
aux formalités administratives qui ne diffèrent pas quand
il s’agit de percevoir un franc ou un million.
Il n’est que le ticket de papier ordinaire, d’un format inhabituel,
que remet le contrôleur au voyageur sans billet après l’avoir validé  d’une signature aussi inutile que celle d’un prospectus, qui paraisse assorti au voyage de Bécon-les-Bruyères.
De même qu’il n’existe plus de bons enfants rue des Bons-
Enfants, ni de lilas à la Closerie, ni de calvaire place du Calvaire, de même il ne fleurit plus de bruyères à Bécon-les-Bruyères.
Ceux qui ne sont pas morts, des personnages officiels qui, en
1891, inaugurèrent la gare et des premiers joueurs de football
dont les culottes courtes tombaient jusqu’aux genoux, se rappellent
peut-être les terrains incultes où elles poussaient, les
quelques cheminées d’usines perdues au milieu d’espaces libres,
et les baraques de planches qui n’avaient pas encore les inclinaisons découvertes pendant la guerre. En retournant aujourd’hui en ces lieux, ils chercheraient vainement les drapeaux et les lampions, ou le vestiaire et les buts de leurs souvenirs. Bien qu’ils fussent alors adultes, les rues leur sembleraient plus petites.
Bécon-les-Bruyères a grandi sans eux. La ville a eu du mal,
comme le boute-en-train assagi, à se faire prendre au sérieux.
Les témoins de son passé la gênent. Aussi les accueille-t-elle
avec froideur, dans une gare semblable aux autres gares. Au hasard
d’une promenade ils retrouveraient pourtant quelques
bruyères, désormais aussi peu nombreuses pour donner un nom
à une cité que le bouquet de lilas d’une étrangère à une closerie.
Des maisons de quatre à huit étages recouvrent les champs où
elles fleurirent. Comme construites sur des jardins, sur des emplacements historiques, sur des terrains qui, au moment où l’on
creusa les fondations, révélèrent des pièces de monnaie, des ossements et des statuettes, elles portent sur leur façade cette expression des hommes qui ont fait souffrir d’autres hommes et
dont la situation repose sur le renoncement de leurs amis. Leur
immobilité est plus grande. Les habitants aux fenêtres, la fumée
s’échappant des cheminées, les rideaux volant au-dehors ne les
animent point. Elles pèsent de tout leur poids sur les bruyères
comme les monuments funéraires sur la chair sans défense des
morts. Et si, pour une raison d’alignement, l’un de ces immeubles
était démoli et que de nouvelles bruyères poussassent à
cet endroit, il semblerait à l’étranger que ce fussent elles, et non
celles qui ne sont plus, qui incitèrent les Béconnais, au temps où
la poste et les papiers à en-tête n’existaient pas, à embellir leur
village d’un nom de fleur, cela dans le seul but de plaire puisque
l’autre Bécon de France est trop loin pour être confondu avec
celui-ci. Il semblerait aussi à cet étranger que les bruyères naissent ici comme le houblon dans le Nord ou les oliviers sur les
côtes de la Méditerranée, que c’est la densité du sol qui ait déterminé cette appellation et non, ce qui est plus aimable, le hasard d’une floraison.

*
* *

Bécon-les-Bruyères existe à peine. La gare qui porte pourtant
son nom printanier prévient le voyageur, dès le quai, qu’en
sortant à droite il se trouvera côté Asnières, à gauche côté Courbevoie.
Il est donc nécessaire, avant de parler de cette ville, de
tirer à soi tout ce qui lui appartient, ainsi que ces personnes qui
rassemblent les objets qui leur appartiennent avant de les
compter. L’enchevêtrement des communes de banlieue empêche
d’avoir cette manie. Aucun accident de terrain, aucune de
ces rivières qui suivent le bord des départements ne les sépare.
Il y a tant de maisons que l’on pense être dans un vallon alors
que l’on se trouve sur une colline. Des rues simplement plus
droites et plus larges que les autres servent de frontières. On
passe d’une commune à l’autre sans s’en rendre compte. On a
déjà atteint Suresnes alors que l’on croyait se promener dans
Bécon côté Courbevoie.
En écrivant, je ne peux m’empêcher de songer à ce village encore plus irréel que Bécon, dont le nom teinté de vulgarité est frère de celui-ci, à ce village qui a été le sujet de tant de plaisanteries si peu drôles qu’il est un peu désagréable de le citer, à
Fouilly-les-Oies. Pendant vingt ans, il n’est pas un des conscrits
des cinq plus grandes villes de France qui n’ait prononcé ce
nom. Ainsi que les mots rapportés de la guerre, il a été répété
par les femmes et les parents. Mais il n’évoque déjà plus le fouillis et les oies d’un hameau perdu. Le même oubli est tombé sur
lui, qui n’existe pas que sur Bécon. Car Bécon-les-Bruyères,
comme Montélimar et Carpentras ont failli le faire, a connu la
célébrité d’un mot d’esprit. Il fut un temps où les collégiens, les
commis voyageurs, les gendarmes, les étrangers comparaient
tous les villages incommodes et malpropres à Bécon. C’était le
temps où les grandes personnes savaient, elles aussi, combien
de millions d’habitants avaient les capitales et la Russie ; le
temps paisible où les statistiques allaient en montant, où l’on
s’intéressait à la façon dont chaque peuple exécutait ses condamnés
à mort, où la géographie avait pris une importance telle
que, dans les atlas, chaque pays avait une carte différente pour
ses villes, pour ses cours d’eau, pour ses montagnes, pour ses
produits, pour ses races, pour ses départements, où seul l’almanach
suisse Pestalozzi citait avec exactitude la progression
des exportations, le chiffre de la population de son pays fier de
l’altitude de ses montagnes et confiant à la pensée qu’elles se–
raient toujours les plus hautes d’Europe. Les enfants s’imaginaient
qu’un jour les campagnes n’existeraient plus à cause de
l’extension des villes. Le cent à l’heure, les usines modèles qui
ne cessaient pas de travailler au moment où les excursionnistes
les visitaient, les transatlantiques en miniature des agences maritimes, imités parfaitement mais dont les lits des cabines n’avaient point de draps, les premières poupées mécaniques dont
les mêmes gestes, aux devantures des pharmacies, recommençaient
si vite que l’on restait avec l’espoir d’une autre fin, les aéroplanes à élastique dont les roues ne servaient pas à l’atterrissage étaient dans les esprits. Il y avait même des comètes
dans le ciel. Les derniers perfectionnements apportés aux télescopes
étaient expliqués dans les magazines. La ligne la plus rapide
du monde était Paris-Boulogne. Des revues scientifiques
paraissaient tous les mois. Des aigles attaquaient les avions, des
requins les scaphandriers. La maquette du tunnel sous la
Manche était prête. C’était l’Angleterre qui s’opposait à la construction de celui-ci.
Bécon-les-Bruyères naquit alors. Il fallait à la possibilité
proche du tour du monde en quatre-vingts jours, aux horizons
larges, aux cités tentaculaires un contrepoids. On s’habituait à
dire : « Il a beaucoup voyagé : il vient de Bécon-les-Bruyères.
C’est un Parisien de Bécon-les-Bruyères. » Cela devenait une
rengaine semblable à : « Et ta soeur ? » mais sans ces réponses
toutes prêtes qui donnaient successivement le beau rôle à l’un et
l’autre des interlocuteurs, car c’est à prononcer la dernière réplique que tendent de nombreuses gens.

*
* *

Comme devant une personne dont on vous a dit qu’elle est
drôle, et avec laquelle on demeure subitement seul à parler sérieusement après que l’ami qui vous l’a présentée est parti, on
est saisi, en arrivant à Bécon-les-Bruyères, de ce sentiment qui
veut que, du moment que les choses existent, elles cessent d’être
amusantes.
Bécon-les-Bruyères tant de fois prononcé, tant de fois sujet
de plaisanteries apparaît tout d’un coup aussi grave que Belfort.
Les panneaux de la gare, les bandes de papier collées sur les
verres des lanternes, les enseignes des magasins, où figure le
nom de la ville, ne provoquent aucun sourire. Les cheminots, les
voyageurs et les ménagères ne les remarquent même pas. Ils ont
oublié qu’ils habitent ce Bécon-les-Bruyères qui, avec les ans, a
acquis l’état d’esprit du personnage porteur d’un nom ridicule et
qui, toute sa vie, a entendu la même plaisanterie souvent poussée
à une brutalité, au point que plusieurs fois il a songé à demander
dans quel ministère il faut se rendre pour faire supprimer
légalement une ou deux syllabes de son nom. Bécon-les-
Bruyères cesse d’appartenir à l’imagination. On n’a plus la force
d’entraîner dans le ridicule tous ces gens qui ont des soucis et
des joies, toutes ces maisons dont les portes et les fenêtres
s’ouvrent comme ailleurs, tous ces commerçants qui obéissent à
la loi de l’offre et de la demande. On se sent devenir faible et petit, comme ces groupes d’amis qui, après s’être rendus dans un
endroit pour en rire, ne risquent aucune des plaisanteries qu’ils
avaient projetées et ne retrouvent leur esprit que le lendemain
quand, de nouveau, ils se réunissent.
En s’éloignant de la gare, comme aucune enseigne, aucun
signe ne rappelle l’endroit où l’on se trouve, on marche en se répétant : « Je suis cependant à Bécon-les-Bruyères. » Tout est
normal. Alors que l’on s’attendait à quelque chose, les immeubles
ont des murs et des cheminées, les rues des trottoirs,
les gens que l’on rencontre les mêmes vêtements que ceux de la
ville que l’on quitte. Rien de différent ne retient l’attention.
Comme si l’on était arrivé par la route, il faudrait arrêter
les passants qui portent un uniforme pour leur poser des questions,
acheter des gâteaux secs pour lire sur le sac l’adresse de
l’épicier. Il faudrait entrer dans les maisons et y lire, à tous les
étages, les mêmes papiers, les mêmes factures pour se reconnaître.

II

Les moeurs de Bécon-les-Bruyères sont plus douces que
celles de Paris. Il eût été incompréhensible qu’aucun intermédiaire
n’existât entre la complaisance des campagnes et la rudesse
des villes. Ce n’est pas la politesse provinciale. Les Béconnais,
avec un sens des nuances qui paraît inexplicable, ont tous
sur les lèvres l’injure parisienne toute prête ainsi que la phrase
aimable des campagnes. Ils ne se font pas rétribuer ces petits
services qui sont si difficiles à estimer. Les fournisseurs livrent à l’heure promise. Comme les grands magasins, ils font faire à
leur voiture lourdement chargée de longs détours pour déposer
à votre porte un paquet. Quand vous demandez où se trouve
une rue, on ne vous y accompagne pas mais on vous suit des
yeux jusqu’au premier tournant ; quand vous demandez du feu,
on ne vous donne point d’allumettes, mais on ne vous quitte que
lorsque votre pipe est bien allumée.
La population de Bécon-les-Bruyères ne ressemble pas à
celle d’une ville isolée. Elle n’a ni préoccupations ni amourpropre
locaux. Elle serait indifférente à la célébrité de l’un des
siens, à moins qu’il ne fût le plus grand de tous. On a beau se
promener dans tous les sens, on ne rencontre pas une statue. Il
n’y a point de mairie, ni d’hôpital, ni de cimetière. Il semble que,
comme dans une principauté, les habitants, chacun à leur tour,
balaient les rues, assurent l’ordre et réparent les conduites
d’eau. C’est durant toute l’année comme les jours de neige à la
campagne, lorsque chacun dégage sa porte.
Pendant un mois, tous les dimanches, les boulangeries
vendirent une quantité plus grande de flan. Ce fut le dessert favori
des Béconnais jusqu’à ce que le coeur à la crème, puis les
bananes vinrent le remplacer. On retrouve ainsi, à Bécon-les-
Bruyères, avec quelques jours de retard, les manies passagères
et secrètes des arrondissements de Paris que des statistiques, si
on s’amusait à les faire, révéleraient.
Il est en effet amusant de parler aux vendeurs et d’apprendre
par exemple qu’au mois de mai ils ont vendu plus de
paires de gants qu’au mois d’octobre de l’année précédente,
d’apprendre encore que le quartier des Ternes a consommé
dans la première semaine de juillet plus de cerises que celui de
l’École militaire.

*
* *

À des époques mystérieuses qui ne semblent répondre à
aucune fête connue, quelques forains viennent s’installer devant
la gare qu’ils devinent être le centre de la ville. C’est toujours
une chose qui étonne que l’étranger sache découvrir le centre
d’une ville. On dirait d’une réussite trop rapide et insolente. Les
loteries, en dressant du premier coup leur baraque à l’endroit le
plus animé, cela sans avoir marqué le pas sur une place déserte
ni s’être fourvoyées dans quelque faubourg, défient le petit
commerçant et font naître, dans la brume de son esprit, cette
constatation qu’il fait souvent que l’honnêteté ne sert de rien. Ce
n’est que le provisoire de leur stationnement, apparaissant à
l’inobservation de cette loi du commerce qui exige que deux
boutiques semblables ne voisinent point, qui le réconforte.
À peine arrivés, les forains se ravitaillent dans les plus
grands magasins, parlent, comme le voyageur, à la personne détestée
de la ville, demandent si l’eau est potable et passent indifféremment dans tous les camps.
Les loteries sont côte à côte, entourées d’Arabes qui veulent
gagner un kilo de sucre. On pense, en regardant les balançoires,
à ce qui arriverait si l’une d’elles se décrochait. Devant la gare,
deux manèges minuscules (poussés par leurs propriétaires, qui
marchent sur le sol même de la place, à des endroits qui n’ont
pas été faits à cette fin, une barre de cuivre par exemple, le flanc
d’un cheval qu’aucun enfant n’a enfourché) exécutent à chaque
voyage le même nombre de tours, si exactement que le cheval
jaune s’arrête toujours en face de la rue Nationale, et cela au son
d’un piano mécanique à musique perforée.
La T.C.R.P., à ces moments de l’année, est obligée de déplacer
le terminus de cette ligne d’autobus Place Contrescarpe-
Gare de Bécon dont l’établissement a été si long à cause des
heures d’affluence difficiles à situer, ce qui se fait sans peine
puisqu’il n’y a, à ce terminus, ni guérite ni employés, et qu’il suffit d’accrocher à un autre bec de gaz une petite enseigne en celluloïd.
Mais quand il arrive que les foires de Bécon-les-Bruyères
coïncident avec celles du Trône ou de Neuilly, les mêmes baraques
pourtant viennent s’installer sur la place de la Gare. Séparées
de leurs soeurs des grandes fêtes, elles ont cet air des
compétitions de second plan et des employés nommés directeurs
pour les vacances. On devine que ce serait manquer de délicatesse
que de parler des foires concurrentes à ces forains qui,
avant de s’approcher de vous, disparaissent derrière la toile de
fond de leur baraque. Ils ont des raisons si profondes de faire
bande à part que l’on n’oserait pas plus leur poser de questions
qu’à l’inconnu qui se promènerait deux heures dans la même
rue. Ce sont peut-être les esprits indépendants qui n’aiment
point la foule, ou bien les ambitieux qui préfèrent jouer un rôle
ici que de passer inaperçus là.

*
* *

Souvent des musiciens ambulants viennent de Paris. Ce ne
sont pas toujours les mêmes. Pourtant, comme si dans un journal
corporatif tel endroit était désigné comme favorable aux
concerts en plein air, ils s’installent toujours sur la gauche de la
place. Celui qui n’arrive qu’avec sa voix est joyeux. Porteurs de
mandolines et d’accordéons, les autres, qui ne peuvent, au cas
où des agents interviendraient, se mêler à la foule, parlent peu.
À l’arrivée de chaque train ils recommencent le même refrain,
cependant que les Béconnais, qui ont mille excuses pour arriver
en retard, le reprennent en sourdine.
De nombreuses corporations venues de Paris visitent ainsi
la banlieue. On s’imaginerait que ce dût être le contraire, à
cause des souvenirs de vacances où les paysans portaient au
bourg le beurre et les oeufs. Les petites voitures de mercerie ou
d’articles de Paris, les placiers, les garçons de café envahissent
chaque matin ce Bécon-les-Bruyères qui, comme les villes sur
les lignes maritimes, se plaint que le poisson mette si longtemps
à lui parvenir.
Parfois, un taxi le traverse. Il fait songer à ceux que l’on a
vus dans des cités plus lointaines et qui vous ont paru suspects.
Comme ces derniers il transporte un voyageur étrange, assis sur
le bord de la banquette, qui guette par les portières. Un parent
mort ; un rendez-vous d’affaires ; cinq minutes de retard faisant
manquer un héritage ; un attentat projeté ; une fuite après un
vol. On ne sait. Le chauffeur est excusé de ne pas connaître le
chemin le plus court. Sans provisions, sans couvertures supplémentaires, pactisant avec son client qui l’invite à boire à tous les carrefours, il parcourt des rues inconnues, se dirige vers une autre ville, en n’osant se retourner trop souvent pour regarder
son client.

III

Il est des gens qui travaillent à Bécon-les-Bruyères et déjeunent
à Paris. Tous ceux qui font le contraire songent à ces
fameuses mutations de la guerre, à cet espoir irréalisable de
changer sa situation avec celle d’un autre à qui elle conviendrait
mieux, à la personne charitable qui vous sauverait si elle vous
connaissait mais qui cesse d’exister dès qu’on lui parle, à tout ce
qu’il y aurait de bonheur sans l’impossibilité de joindre ce qui
devrait être joint. Ils songent aussi à la jeune femme qui aimerait
un vieux monsieur, au vieux monsieur qui ne peut la rencontrer,
aux entreprises où il manque justement un directeur,
aux parties de cartes où il manque un joueur, aux villages qui
leur plairaient, à l’homme qui serait leur ami.
La gare Saint-Lazare, que les Béconnais voient à un bout de
la ligne, est trop lourde pour Bécon-les-Bruyères qu’ils placent à
l’autre extrémité et paraît, à cause de cela, tirer cette localité à
soi, si bien que d’aller à Paris semble toujours plus court que
d’aller à Bécon.
Les voyageurs de banlieue connaissent la gare Saint-Lazare
dans tous ses recoins. Ils connaissent le bureau des réclamations,
celui où l’on délivre les cartes d’abonnement, les unes
avec photo, les autres plus communes, avec de simples coupons.
Les premières donnent droit à autant de voyages que l’on désire
dans le trimestre, ce qui a fait naître chez leur propriétaire le
goût des cartes. Une carte qui ouvre devant soi toutes les portes,
c’est une joie de la posséder. On finit même par ne plus la montrer,
par s’exercer à passer avec hauteur devant les employés,
certain que l’on est d’avoir le dernier mot, par s’imaginer que
l’on n’a pas de carte, que ce n’est que son attitude qui intimide
les contrôleurs, par en désirer d’autres, une pour les théâtres ou,
ce qui est plus facile, pour tous les cinémas d’un même consor–
tium, une pour les autobus et, si c’était possible, pour les taxis,
les bureaux de tabac, les restaurants.
En descendant du train électrique, sous le hall de la gare
Saint-Lazare, les Béconnais se sentent encore chez eux. Les
kiosques où l’on vend des jouets, des cigarettes, des articles de
Paris, des oranges, des cerceaux qui prennent peu de place
parce qu’on les accroche au-dehors, les fleuristes qui vendent
leurs bouquets surtout à midi moins le quart, avant que les invités
à déjeuner prennent leur train, le buffet à deux issues, à la
porte duquel la direction de la compagnie de l’Ouest-État n’a
mis aucun employé, non par oubli, mais parce qu’elle aime à
fermer les yeux, le repasseur à la minute dont les machines,
comme celles des inventions nouvelles, sont visibles à travers
des glaces, les portefaix dont quelques-uns sont fragiles, l’hôtel
Terminus qui tourne le dos à la gare leur sont familiers. De retour
chez eux, ils gardent de tout cela un certain goût. Une gare
est plus proche du progrès que tout autre endroit. D’avoir assisté
plusieurs fois aux embouteillages causés, place du Havre, par
les manifestations communistes, d’être passé, les jours de grève,
aux carrefours où se massaient les gardes républicains, d’avoir
entendu crier le départ des trains par un haut-parleur, de vivre
des journées dont les heures sont toutes de la même longueur
fait naître, dans l’esprit des Béconnais, des ambitions. Ils ne
veulent point de l’intimité de leur cité. Alors que les habitants
de Commercy mangent tous des madeleines, ceux de Chamonix
du miel, que les jeunes filles de Valenciennes sont vêtues de
dentelles, que les Bordelais ne boivent que du vin de Bordeaux,
les Béconnais, eux, ne se servent point du savon Y… fabriqué
dans leur ville. Seuls quelques vieillards, qui, lorsqu’ils vont à
Paris, ne prennent que les trains vides de dix heures du matin,
entretiennent des relations de petite ville. Le soir, ils jouent à la manille dans la brasserie de la rue Nationale sans se soucier des
jeunes mariés qui, pour ne pas faire le café, sont descendus le
boire après le dîner. Ils possèdent, sur les terrains qu’ils se refusent à vendre, de petites bicoques où ils rangent des outils et réparent leur mobilier. Ils sont à la fois retraités, ouvriers et paysans. Selon que les fleurs ou l’arbre fruitier de leur jardin poussent bien ou mal, ils savent si les récoltes de la France sont
bonnes ou mauvaises.

*
* *

Les horaires, avec leurs côtés Bécon-Saint-Lazare et Saint-
Lazare-Bécon, sont collés sur les glaces de tous les magasins ou
distribués comme prime, ainsi que des sachets parfumés. Dans
la hâte de trouver son train, on ne sait jamais, avant quelques
secondes de réflexion, s’il faut les lire au recto ou au verso. Ils
sont si pleins d’heures qu’ils semblent inexacts comme si, vers
la fin de la journée, les trains ne marcheraient plus que mêlés
les uns aux autres ainsi que les tramways après un encombrement.
Ils rappellent pourtant, aux instants de bonne humeur, d’autres horaires semblables, ceux des funiculaires, ceux des bateaux
sur les lacs, ceux de la même excursion qui a lieu plusieurs
fois par jour.
Chaque Béconnais possède un de ces horaires peu digne
d’être mêlé aux papiers d’identité, dont il connaît par coeur le
premier et le dernier train. Celui-ci part de Saint-Lazare à minuit
quarante pour permettre aux voyageurs qui aiment à
s’attarder ou à se restaurer après le théâtre de rentrer chez eux,
cela à cause d’une sollicitude officielle de quelque directeur marié
que l’on imagine habitant la banlieue, rentrant tard lui aussi,
et donnant l’ordre de reculer l’heure du dernier train.
Ce genre de sollicitude amène à parler de toutes ces décisions
prises en vue d’améliorer le sort du public et fait songer à
ces chefs de service, à ces conseillers municipaux, à ces préfets
qui, par des mesures heureuses, ne perfectionnent qu’un point
de la vie quotidienne. On sent alors le contraste qui existe entre
les petites améliorations et tout ce qu’il a fallu de démarches, de
patience, de formalités pour les faire accepter. On sent que dans
le public il se trouve justement des gens qui sont cause de ces
retards. Serré dans le train électrique, on les cherche des yeux.
Et parfois l’on devine, à un regard posé sur soi, que l’on est
soupçonné d’être un de ceux-là. Qu’il faille ainsi surmonter tant
de difficultés pour modifier un détail quelconque contribue à
donner aux Béconnais une idée de la grandeur du monde qui les
poursuit jusque dans leur demeure, les hante parfois la nuit et
laisse sur leur visage une expression plus rêveuse que celle d’un
Parisien.
Ils ont, comme les soldats, conscience du nombre. Ils sentent
que c’est parce qu’il y a trop d’hommes sur la terre que tout
est difficile à arranger. De côtoyer journellement plusieurs milliers de personnes leur donne une connaissance telle des difficultés que surmontent les pouvoirs publics pour organiser les
choses les plus simples qu’ils leur sont plus indulgents. Ils comprennent, mieux que l’habitant des villes ou des campagnes, la
tâche de ceux qui ne doivent adopter que des mesures qui plaisent
à tous. Celles-ci sont multiples. Parfois les Béconnais, lorsqu’ils
ont le temps, s’amusent à les énumérer. Les guichets des
lignes de banlieue ne ferment jamais, même aux heures creuses.
Les trains sont affichés électriquement depuis un mois. Le signal
de départ n’est donné que lorsque la grille d’accès au quai
est tirée. Des cabines téléphoniques ont été aménagées à cinquante
mètres les unes des autres. Des flèches indiquent les sorties,
les entrées, les consignes, les salles d’attente. L’intérêt du
public domine tout. C’est dans les gares que les journaux du soir
arrivent d’abord. Les lignes d’autobus et de métro convergent
vers elles. Une sorte de lien, aussi ténu que celui qui attache
tous les possesseurs d’un billet d’une même tombola, unit les
Béconnais lorsque, le soir, mêlés aux Versaillais et aux Courbevoisiens, ils attendent ensemble leur train à la gare Saint-
Lazare. Du ciel, semble-t-il, les lampes à arc éclairent les voies.
Malgré la fumée, les sifflements, le vacarme, une buée légère
semblable à celle qui flotte en été, sur les fleuves, vole au fond
de la gare. Avant que le train s’immobilise complètement, les
voyageurs cherchent à deviner où s’arrêteront les portes. Ils
sont seuls avec eux-mêmes, sauf ces quelques-uns qui prennent
tout ce qui les entoure au sérieux et que la moindre anicroche
trouble. Car il en est qui, de faire partie de cette foule pour laquelle tant de bienveillantes mesures sont prises, se sentent
personnellement honorés, ainsi que ces soldats de la visite d’un
général faite à leur régiment. Ils ont conscience que, de toutes
parts, on s’efforce de leur faciliter la vie. Et quand ils quittent le secteur des protections officielles pour rentrer chez eux, seuls
en face du peu qu’ils possèdent, ou pour se perdre dans les rues,
ils se sentent un instant, au moment de la transition, désemparés.

IV

Le Béconnais aime discrètement sa ville. Il en parle peu,
ainsi que d’un fils bouffon un père sérieux. La tendresse qu’il
porte à son pays, il la dissimule. La poésie que prête le temps
aux choses près desquelles on a vécu et dont on ne saurait se libérer même si l’objet, des années plus tard, apparaît peu digne
de soi, les souvenirs, de savoir comment était le terrain sur lequel
une grande maison est bâtie, quel magasin précédait tel
autre, ont fait naître dans le coeur des vieux Béconnais un
amour qu’ils n’avouent pas, dont ils se défendent, mais qui
perce aux jours des innovations et des décisions heureuses de la
municipalité de Courbevoie.
La pluie qui tombe dans les rues grises, le bruit des trains
et leur fumée (car il est encore des trains à vapeur, leur suppression n’étant envisagée que pour 1931, ce qui fait songer à toutes ces améliorations à venir que l’on attend sans y penser pour
qu’elles arrivent plus vite), la boue légère qui recouvre les trottoirs, les rues désertes n’altèrent en rien leur amour.
Il est dans chaque ville un endroit qui, pour des raisons
mystérieuses (ces mêmes raisons que le passant découvre lorsqu’il
remarque, de temps en temps, qu’un café est désert alors
que celui qui se trouve en face est plein, et auxquelles il pense
parfois avec une telle intensité qu’il arrive plus vite chez lui),
devient une sorte de promenade, le lieu de rendez-vous, cela
simplement à cause de sa disposition au midi, de quelques terrasses
de café, d’une maison dépassant l’alignement.
À Bécon-les-Bruyères, cet endroit, qui s’appelle le passage
des Lions à Genève, le port à Marseille ou les quinze mètres du
cours Saint-Louis, la place du Marché à Troyes, n’existe pas. Le
voyageur habitué à le découvrir le jour même en toute ville, qui
ne peut se plaire avant, qui habite justement l’hôtel le plus
proche de lui, pourrait en désespoir de cause se rabattre sur le
commencement de l’avenue Gallieni qui, donnant sur la place
de la Gare égayée par deux cafés, est la voie la plus passante de
la ville. Mais en quelque autre lieu que l’on se trouve, on est
comme dans l’une de ces rues perdues où l’on cherche une
adresse. Le jeune homme taciturne qui a rêvé d’une route abritée
pour se rendre à l’auberge ensoleillée d’un village ne trouverait
à Bécon que poussière et boue. Les terrasses sont trop
étroites pour que l’on s’y sente à l’abri. Les rues trop longues et
désertes mènent vers d’autres rues aussi longues et aussi désertes,
bordées de pavillons, de maisons en construction, de terrains
à vendre. Quand une place enfin vous délivre de ces voies
interminables et vous fait espérer un centre proche, elle est clôturée de murs et de palissades de chantiers. Aucune statue ne se
dresse au milieu. Elle n’existe que parce qu’il faut ménager des
espaces libres au cas où cette banlieue deviendrait aussi peuplée
que Paris.
Puisqu’il faut des années pour s’habituer à des noms
propres qui ne sont pas en même temps des noms familiers, il
semble que ce soit dans une ville de rêve que l’on s’avance
quand, pas consacrées par une longue présence dans les annuaires
et les calepins, les rues s’appellent Madiraa, Ozin ou
Dobelé. Pourtant il en est qui s’appellent Gallieni, Tintoret, de la
Sablière, Édith Cavell. Celles-ci ont l’air d’appartenir à de
grandes villes et l’on s’y sent moins perdu. Le règlement de la
préfecture qui veut que les rues soient numérotées dans le sens
du cours du fleuve est observé. Mais comme on ne sait dans
quel sens coule la Seine, c’est tout à coup au numéro 200 d’une
avenue que l’on se trouve, alors qu’on pensait être à sa naissance.
 
*
* *

La gare, au bout de laquelle il reste du terrain pour les
agrandissements futurs ainsi que de l’étoffe ourlée au bas des
robes des fillettes, est le centre de Bécon-les-Bruyères. Elle
donne accès, par ses côtés Asnières et Courbevoie, à deux places
désolées où voisinent toutes les boutiques de la ville et où, à six
heures du soir, s’attendent les Béconnais venus par des trains
différents.
Il est dans chaque ville une rue qui, bien qu’elle ne soit pas
la plus importante et qu’elle ne mène nulle part, revient plus
souvent sur toutes les lèvres. Elle s’appelle à Bécon : rue du Tintoret, sans que l’on puisse savoir pourquoi. Elle part justement
de l’une de ces places, entre deux cafés semblables dont l’un est
naturellement moins fréquenté que l’autre, et qui, les jours de
fête nationale, sont réunis par-dessus la chaussée à l’aide de
banderoles tricolores et de ces mêmes réclames pour apéritifs
interdites à Paris. Elle meurt cent mètres plus loin dans un dédale
misérable et aéré. L’air est le seul luxe de cette banlieue. À
mesure que l’on s’éloigne, les chambres meublées affichées dans
les boulangeries demeurent toujours à trois minutes de la gare.
Le jeune sportif qui veut avoir la distance dans le regard contemple
chaque matin cette rue du Tintoret. Un garage y est installé,
sans verrières parce qu’il occupe le rez-de-chaussée d’un
immeuble. En face se trouve une agence de location en appartement,
signalée par des pancartes mieux écrites que celles des
boulangeries et par des photographies de villas, exposées dans
une fenêtre ordinaire transformée en devanture.
Car il est des Parisiens qui viennent à Bécon-les-Bruyères
avec l’espoir de trouver un appartement et qui, sans prendre
garde aux papillons qui recouvrent les murs, parfois même les
endroits où il est défendu d’afficher, se dirigent tout droit vers
elle, prévenus par un panneau de publicité qu’ils ont aperçu du
train s’ils étaient assis à la gauche de leur compartiment. Tous
les inconvénients de la banlieue, ils les ont éliminés par des raisonnements.
La brièveté du trajet les a mis de bonne humeur.
« C’est une légende, les ennuis de la banlieue. Après tout, l’air
est meilleur ici qu’à Paris. Bécon est sur un plateau. On n’a mis
que neuf minutes pour venir. » Ils entrent dans l’agence. On les
prie de s’asseoir à côté du plan de Bécon-les-Bruyères qui
n’existe pas imprimé et qu’un commis-architecte a tracé et
peint, à côté d’une pile de cartes de visite commerciales qui
n’ont jamais été séparées les unes des autres.
Quand on s’est entendus pour visiter un appartement, le
propriétaire de l’agence remet sa clef à un commerçant voisin
afin qu’il la donne à sa femme quand elle rentrera et conduit ses
clients : « Bientôt, il ne passera plus de trains à vapeur, dit-il. La voie sera électrifiée. Nous sommes à neuf minutes de Saint-
Lazare. C’est aussi pratique pour ceux qui travaillent dans le
centre que les quartiers sud de Paris. On a tort de s’imaginer
que la banlieue est mal desservie. Vous avez des trains toutes les
trois minutes aux heures d’affluence. D’ailleurs Paris se déplace
vers l’ouest. »
Il est à Bécon-les-Bruyères des terrains à vendre depuis
sept francs le mètre. Sur certains d’entre eux, des maisons
s’élèvent lentement. Quand elles sont terminées, des Béconnais
mal logés regrettent de n’avoir pas retenu un appartement alors
qu’il était encore temps. Ils s’accusent d’imprévoyance. Ils en
viennent à penser qu’il en sera toujours ainsi dans leur vie,
qu’ils ne sauront jamais être heureux.

V

Tous les trains de Versailles et des Vallées ne s’arrêtent pas
à Bécon-les-Bruyères. Les voyageurs qu’ils transportent ont
l’impression que les Béconnais arrivent en retard en les voyant
sur les quais en train de lire leur journal. Ils éprouvent, à cette
supposition, un sentiment de contentement. Ils sont si nombreux
à le ressentir qu’il semble, une seconde, que c’est ce sentiment
lui-même qui passe sur la voie.
Les Béconnais redoutent chaque jour la panne d’électricité.
Elle joue un rôle important dans leur vie. Elle est continuellement
suspendue au-dessus de leur tête. Fort heureusement, elle
est aussi rare que la mort d’un camarade, mais aussi tragique.
C’est une supposition que font quotidiennement les habitants
de Bécon, que celle d’une mort retardant le trafic. Ils se
demandent chaque fois si, en ce cas, le service serait interrompu
et combien de temps il faudrait pour qu’il reprît normalement.
Comme le spectateur qui croit n’avoir point de chance dans la
vie et qui pense que, justement parce qu’il se rend au théâtre, la
vedette sera malade, il est des Béconnais qui supposent que, du
seul fait qu’ils prennent le train, il arrivera quelque chose.
La panne est leur épouvantail. Car ils vont tous au théâtre.
Les préparatifs, les calculs, les repas pris avant la tombée de la
nuit, tout cela fait surgir devant eux cette panne qui s’opposerait
à leur plaisir avec la violence d’une catastrophe ou d’un deuil
appris au moment de partir.

*
* *

La gare de Bécon-les-Bruyères sans chef de gare, sans gare
de marchandises, et les huit voies qui vont jusqu’à Paris séparent
Asnières et Courbevoie comme un fleuve. Un tunnel fétide,
au lieu de la passerelle désirée par tous les habitants, relie les
deux communes. Il fait songer aux petites villes où il n’y a qu’un
pont et où, pour approcher la jeune fille aperçue sur l’autre
berge, il faut crier si votre voix est belle, lui faire signe de marcher comme vous dans la même direction jusqu’au moment où,
à cause d’une maison trempant dans le fleuve ou d’un bateau
amarré qui dépasse trop le niveau de l’eau, on la perd de vue.
On ralentit alors pour ne pas arriver le premier à l’espace libre,
de peur que dans l’absence on ne pense qu’elle ait disparu. On
se retrouve pourtant avec quelques mètres d’écart comme
quand, avec un ami, on a parié qu’un chemin est plus court
qu’un autre.
Bécon-les-Bruyères est donc partagé en deux, ainsi que ces
coupes d’hommes sans organes mâles sur les planches d’anatomie
et ces oeufs de carton qu’il faut ouvrir pour savoir laquelle
des deux moitiés est le couvercle. Cette séparation faite, il ne
reste plus que d’un côté Asnières, de l’autre Courbevoie, si bien
que les lettres adressées simplement à Bécon-les-Bruyères arrivent
au hasard dans l’une des deux postes.
Comme quand on débouche sur une vaste place, on aperçoit
en sortant de la gare de Bécon, par une porte qui, pour tant
de voyageurs, s’ouvre et se ferme ainsi que celle d’un magasin,
un ciel plus large où les avions et les oiseaux demeurent presque
aussi longtemps qu’à la campagne et où ils deviennent si petits
que l’on s’arrête pour ne pas les perdre de vue. Semblable au
dôme d’une coupole, lorsqu’on a monté l’escalier, ce ciel penche.
Il penche vers Paris que l’on sent plus bas.
Il est des endroits autour des grandes villes où, lorsque l’on
s’y promène, on ne peut s’empêcher de penser que si la révolution
éclatait ils resteraient aussi paisibles. Ils sont si déserts et si
lointains qu’une insurrection perdrait presque tous ses mem–
bres avant d’y arriver, à moins que le chef ne donnât des ordres
précis et ne fixât, par exemple, le rassemblement de ses troupes
en l’un de ces endroits. Et le Béconnais se rassure en pensant à
tous les quartiers, à toutes les villes de banlieue qui existent, et
finit par se convaincre que la probabilité d’une marche sur Bécon-
les-Bruyères est plus petite que un dix millième. Il faudrait
vraiment une grande malchance pour que justement l’émeute se
dirigeât sur sa cité. C’est presque impossible. On le devine
d’ailleurs aux rideaux légers des villas, aux étalages des magasins,
à la grille fragile de la succursale du Crédit lyonnais, au visage
serein de ces bijoutiers, les mêmes qui, dans les rues désertes,
font que l’on se demande comment ils vivent.
Mais en supposant que la révolution éclatât dans le reste de
la France et que Bécon-les-Bruyères fût isolé, il apparaît tout de
suite qu’une grande fraternité unirait tous les habitants, qu’ils
formeraient aussitôt des ligues, des groupements de défense,
qu’ils mettraient, jusqu’au retour des temps meilleurs, leurs
biens en commun.

VI 

Bécon-les-Bruyères n’a point d’environs. À l’endroit où ils
devraient commencer, on se trouve dans une autre commune
semblable à celle que l’on quitte et dont la rue principale,
qu’empruntent ces tramways trop vieux pour Paris, conduit sur
la place centrale d’une autre ville et s’arrête, faute de rails, devant une mairie que seuls un drapeau et des tableaux grillagés
signalent à l’attention. C’est chaque fois un sujet d’étonnement
que les édifices publics soient plus modestes que les maisons
privées. Instinctivement, on désirerait que ce fût le contraire,
que le plus beau château fût l’hôtel de ville.
Ces artères principales de banlieue, jalonnées de poteaux
télégraphiques sur lesquels des afficheurs amateurs collent des
annonces avec un timbre pour leur propre compte, des afficheurs
professionnels des réclames jaunes pour achats de bijoux,
semblent interminables quand on les suit à pied. Les maisons
basses dont les habitants ont l’air de s’y être installés parce
qu’elles étaient abandonnées, les jardins dont les feuillages
prennent la poussière comme des visières, les usines de deux
cents ouvriers se succèdent sans égayer la route. Tout est clôturé,
même les terrains les plus vagues. Comme dans les rues de
Paris, aucune borne kilométrique ne permet de s’amuser à
compter ses pas. De distance en distance, un réverbère dont le
pied sert d’armoire aux cantonniers fait songer à l’allumeur qui
ne peut en allumer qu’une douzaine, une boîte aux lettres à
celles qui n’inspirent pas confiance et où l’on craint que les
lettres ne demeurent une semaine avant de partir. Soudain,
alors que l’on vient de parcourir deux ou trois kilomètres entre
des murs couverts de tessons, pris dans le ciment comme des
pierres dans la glace, entre des grilles au travers desquelles jamais personne n’a caressé une bête, apparaît une guérite toute
neuve destinée à abriter les gens qui attendent un tramway. Un
plan sous verre de la banlieue y est fixé à l’intérieur. Aucune
arabesque modern style ne l’alourdit. Elle est droite, propre,
pratique. Puis une ville inconnue surgit. Elle possède sa gare
que les trains de Bécon-les-Bruyères ne traversent pas. Elle a
d’autres magasins, un oculiste, un rétameur, une triperie. On
devine brusquement qu’elle est mieux ravitaillée en fruits, mais
moins bien en légumes. Comme ces vendeurs qui sur les marchés
tentent d’écouler un arrivage d’oranges ou de fleurs, les
commerçants de ces villes de banlieue, qui, à cause du transport,
se sont trop approvisionnés d’une denrée, la recommandent
durant des jours.

*
* *

La Seine est à six minutes de la gare de Bécon-les-Bruyères.
Ses berges ont vieilli. Elles ont cinquante ans, elles qui n’eussent
pas dû avoir plus d’âge que les campagnes. Elles sont du temps
des guinguettes, des parties de canot et des fritures. Les chalets
des sociétés d’aviron de la Basse-Seine ou d’Enghien bordent le
fleuve à un endroit qui fut champêtre. Un pont métallique sur
lequel passent tous les trains les couvre maintenant de son
ombre froide. Leurs murs, faits d’un ciment dont la teinte imite
celle des rochers et de troncs d’arbres qui ont encore leur
écorce, gardent pourtant un air rustique. Le dimanche, quand
les portes à deux battants sont ouvertes, on s’aperçoit que les
fenêtres de ces chalets sont fausses, que le rez-de-chaussée n’est
qu’une vaste remise où sont suspendus par ordre de grandeur,
les uns au-dessus des autres, les canots des adhérents. Puis ce
sont plus loin des maisonnettes entourées de jardinets, à la
grille desquelles le système de sonnette est si rudimentaire qu’il
semble avoir été posé par des enfants. Des chambres meublées,
avec facilité de faire la cuisine, sont à louer. C’est cette fois à
quatre ou six minutes de la gare qu’elles se trouvent, mais cela à
la condition de connaître ces chemins de traverse qui disparaissent
un à un à chaque nouvelle construction, sans que les propriétaires
doublent les horaires indiqués.
En longeant les bords de la Seine, l’attention se porte sur
tout ce qu’elle charrie. À voir les corps des bêtes mortes
échouées sur les berges rocailleuses, à côté de ces sacs mystérieux,
soigneusement fermés, qui n’ont plus de teinte, qui contiennent
on ne sait quoi, que personne n’ose ouvrir, même les
agents cyclistes, une sorte de lumière éclaire la politique du
chien crevé. Ce qui jusqu’alors n’avait semblé qu’une image
prend tout à coup une signification profonde. Les chiens morts
qui suivent le fil de l’eau existent vraiment, mais d’une autre
manière que la foudre qui tombe sur un arbre.
À cause de la force d’attraction, des morceaux de bois, de
l’écume, des parties d’objets que l’on ne reconstitue point, des
boîtes de fer-blanc, au fond desquelles est resté un peu d’air,
flottent autour des péniches amarrées. Sur l’autre rive, l’usine
Hotchkiss éveille des souvenirs de mitrailleuses, et de cet après-guerre où les industriels, afin d’utiliser leur matériel, modifiaient si peu de chose à leurs fraiseuses et à leurs tours pour
qu’ils fissent, au lieu d’obus et de canons, des automobiles et des
machines agricoles. Plus loin, devant l’usine à gaz si haute
qu’elle dissimule les gazomètres, qui mieux que les cheminées
satisferaient le désir de connaître ce qui se fabrique là, des chalands sont immobiles au pied de sortes de toboggans d’où glisse
ce même mâchefer que les soldats en occupation allaient chercher
dans la banlieue de Mayence, pour faire une piste cendrée
destinée aux championnats de corps d’armée. Plus loin encore,
d’autres chalands chargés de ferraille attendent qu’on les décharge.
Cela semble aussi incompréhensible qu’ils soient utilisés
au transport de vieilles poutrelles, d’escaliers de fer tordu, de
tôle ondulée, de chaudières rongées par la rouille que ces trains
qui barrent parfois durant une heure les passages à niveau à celui
du sable ou des pierres. Dans l’enchevêtrement de cette ferraille,
on reconnaît des wagons que l’on n’imaginait pas devoir
être transportables, des châssis dont les trous réservés aux boulons
sont vides, des signaux, des carcasses de baraque, des chevaux
de frise, des fils télégraphiques liant tout cela, des machines
agricoles qui furent neuves, huilées, livrées avec soin,
dont les poignées furent enveloppées de papier, qui eurent une
valeur sur les catalogues. Les formes multiples et compliquées
de cette ferraille, le cercle des roues, les pas de vis, la ligne
droite d’un levier n’ont pas plus de valeur que celle du minerai
sortant de la terre. Toutes ces machines emmêlées les unes aux
autres ne sont plus que du fer brut que l’on vend au kilo. Les
gens qui en connaissent le prix doivent être étranges. Alors
qu’aux jours de repos peu de chose rappelle aux fonctionnaires
leur profession, eux ne peuvent sans doute pas se promener
sans estimer les balustrades, les réverbères et les ponts de fer.
Quand une statue de bronze ou le triton d’un bassin disparaît,
c’est dans leur corporation que la police cherche le voleur. On se
demande, devant ces tonnes de ferraille, comme devant la hotte
d’un chiffonnier, ce que cela peut bien valoir. On passe par tous
les prix ; on les compare à ceux des objets de première nécessité
; on s’interroge pour savoir si cinq kilos de plomb valent une
cravate. Il vous apparaît que c’est un monde mystérieux que celui
où tombent toutes ces choses qui furent neuves, que l’on eût
pu transporter dans son jardin, avec lesquelles votre maison eût
pu être consolidée. Devant une de ces machines, comme devant
la plus vieille automobile, on se demande maintenant si on
l’achèterait pour deux francs. Et ceux qui ont songé parfois à la
vente au kilo des métaux, de voir soudain tant de tonnes en face
d’eux, sont pris d’un doute et se demandent si elles sont vendues
ou bien si, au contraire, on a payé pour s’en débarrasser.
Dans une île, en face de l’usine à gaz, se trouve le cimetière
aux chiens qui, avec la traversée de Paris à la nage et l’affluence
des gares, sert à alimenter les journaux en été. La statue du
saint-bernard qui sauva quarante et une personnes et fut tué
par la quarante-deuxième se dresse à l’entrée. Elle contribue
tout de suite à imprégner l’air de toutes les formes de la gratitude.
Le sentiment qui fait répugner l’homme à de petits cer–
cueils ne s’éveille pas ici. Les tombes sont petites, plus petites
que celles des enfants que l’on met dans des cercueils trop
grands pour eux. Il semble que ce soit dans un cimetière d’amants
que l’on s’avance. Les monuments, qu’ils soient fastueux
ou modestes, et sur lesquels sont gravés des prénoms seulement,
recouvrent tous des corps qui furent aimés. En lisant ces
prénoms, on sent que l’on pénètre dans mille intimités. Les photographies émaillées, jaunies par les ans, accrochées aux stèles,
car on peut planter des clous dans la pierre, représentent des
chiens fidèles et font imaginer, par-delà le photographe, une
jeune femme qui les menace du doigt pour qu’ils restent immobiles.
Boby, Daisy, vous dormez ici depuis 1905. Mais qu’est devenue
votre maîtresse, et cette peau d’ours blanc, et cette table
légère sur lesquelles on vous a photographiés ?
À la pointe du cimetière se trouve une plate-forme de ciment
armé où fut installée, pendant la guerre, une batterie
contre les avions. Le ciment s’est cassé. Les tringles de fer ont
été tordues pour dégager un sentier qui conduit au sommet d’un
talus. À la fin de l’après-midi, on aperçoit de là, comme d’une
colline, le soleil au bas du ciel, un peu au-dessus de la Seine.
Sans le dernier pont, si petit qu’il n’a point d’arche, c’est dans
l’eau même du fleuve qu’il se coucherait. Mais on est trop près
de Paris. C’est tout de même encore derrière des pierres que le
soleil disparaît.

VII

Bécon-les-Bruyères a ses distractions. Cette jeune fille qui,
en juillet, vêtue comme à la mer d’un sweater et d’une jupe de
flanelle blanche, porteuse d’un filet de balles de tennis, longe la
voie de chemin de fer à l’endroit où, durant vingt mètres, les villas et les arbres font qu’il semble que l’on se trouve dans une
ville d’eaux, est heureuse. Elle se rend aux tennis de Bécon. Une
palissade surmontée d’un grillage que les balles font trembler,
dont les planches, emboîtées comme les lames d’un parquet,
formèrent avant le toit d’une baraque (puisqu’elles conservent
encore les ouvertures par où passèrent les tuyaux des poêles),
les dissimule.
Les habitants de Bécon-les-Bruyères aiment à se rendre le
samedi ou le dimanche soir au cinéma. Le « Casino de Bécon »,
semblable à quelque garage de plâtre, est surmonté d’un fronton
décoré de guirlandes au milieu desquelles l’année de la construction, 1913, est inscrite, comme si la direction, qui n’est
d’ailleurs plus la même, tenait encore à rappeler l’année de sa
première représentation. Elle a pris une importance subite pour
le propriétaire. Car les cinémas, comme les bohèmes qui en
vieillissant s’attachent aux signes extérieurs d’une situation,
veulent aujourd’hui faire aussi sérieux que les maisons de commerce.
Dans chaque ville il existe des gens étranges qui ne semblent
habiter un lieu que provisoirement, qui viennent de pays
inconnus, qui ont eu des aventures. Mais aucun d’entre eux ne
réside à Bécon. L’homme mécontent d’y vivre, l’homme sur dix
mille qui dans les villes est fou, qui prétend qu’un rayon de soleil, en traversant le méconium, se transformera en or, qui a un
brevet pour quelque invention, qui est recherché par la police,
qui sera riche du jour au lendemain, ne se rencontre pas. Il n’est
point d’habitants mystérieux. Personne ne souffre. Il n’est point
de jeunes femmes qui, abandonnées par un homme, sont sur le
point de se lier avec un autre, ni d’adolescents amoureux d’une
amie de leur mère, ni de directeurs ruinés par une passion, ni de
maîtresse d’un ministre. Celui qui, à un moment de déchéance,
échouerait à Bécon-les-Bruyères se sentirait tombé si bas qu’il
en partirait aussitôt. Il ne pourrait même pas y vivre avec humilité.
Il n’est point encore de savants incompris, de grands
hommes méconnus, de condamnés graciés. Tout y est honnête
et égal. Tous vivent paisiblement. Les changements sont lents à
se faire. C’est deux ans à l’avance qu’une famille se décide à
quitter la ville, des époux à divorcer. Il n’y a de meurtres que
dans les rues ou les cafés. Et les criminels ne sont jamais béconnais.

*
* *

Quand le temps est brumeux, que les maisons, vides
comme les casernes à l’heure de l’exercice, sont silencieuses,
que les teintureries sont froides, perdues et éloignées du contact
hebdomadaire de l’usine de dégraissage, que la bière des cafés
est livrée, que les boutiquiers sont revenus des halles, une
lourde tristesse pèse sur Bécon-les-Bruyères.
Dans le calme de la matinée, on n’imagine aucune femme
encore couchée avec son amant, aucun collectionneur comptant
ses timbres, aucune maîtresse de maison préparant une réception,
aucune amoureuse faisant sa toilette, aucun pauvre recevant
une lettre lui annonçant la fortune. Les moments heureux
de la vie sont absents. Les enfants sont aux lycées d’Asnières ou
de Paris. Personne n’attend depuis plusieurs jours un rendez-vous.
Aucun soldat ne doit être libéré. Personne n’est nommé à
un poste supérieur ni ne rêve d’un long voyage. C’est l’enlisement.
Derrière les murs gris des maisons, les appartements
ne communiquent pas entre eux par des escaliers mystérieux.
Le passant qui ailleurs est peut-être député, acteur ou banquier
n’est ici que commerçant. Parfois, sur la voie, un civil qui n’est
que contremaître commande à deux manoeuvres et mesure lui-même.
Il ne doit pas donner sa démission à la fin du mois. Il ne
fait que vivre dans la crainte d’être renvoyé et d’être obligé de
recommencer, comme ouvrier, dans une autre compagnie. Parfois,
le fruitier ferme plus tôt son magasin. Il ne doit pas,
comme ailleurs, passer sa soirée à s’amuser. Parfois encore la
marchande de journaux de la gare lève plus tard que d’habitude
le rideau de fer de sa boutique. Elle n’a pourtant pas, comme
ailleurs, un amant nouveau qu’elle ne peut se résoudre à quitter.

*
* *

Un jour peut-être, Bécon-les-Bruyères, qui comme une île
ne peut grandir, comme une île disparaîtra. La gare s’appellera
Courbevoie-Asnières. Elle aura changé de nom aussi facilement
que les avenues après les guerres ou que les secteurs téléphoniques.
Il aura suffi de prévenir les habitants un an d’avance. Il
ne s’en trouvera pas un pour protester. Longtemps après, de
vieux Béconnais, comme ces paysans qui, en été, vous donnent
l’ancienne heure, croiront encore habiter Bécon-les-Bruyères.
Puis ils mourront. Il ne restera alors plus de traces d’une ville
qui, de son vivant, ne figura même pas sur le plus gros des dictionnaires.
Les anciens papiers à en-tête auront été épuisés. Les
nouveaux porteront fièrement Courbevoie-Asnières. Bécon aura
rejoint les bruyères déjà mortes.
Aussi, en m’éloignant aujourd’hui de Bécon-les-Bruyères
pour toujours, ne puis-je m’empêcher de songer que c’est une
ville aussi fragile qu’un être vivant que je quitte. Elle mourra
peut-être dans quelques mois, un jour que je ne lirai pas le
journal. Personne ne me l’annoncera. Et je croirai longtemps
qu’elle vit encore, comme quand je pense à tous ceux que j’ai
connus, jusqu’au jour où j’apprendrai qu’elle n’est plus depuis
des années.

Février 1927.


 

1 mai 2015

INTERVIEW WITH
ALISON AND PETER SMITHSON 
By BAYKAN GÜNAY
BG: Alison and Peter, the fifties mark a milestone, a turning point maybe in world
architecture and you played an important role as a member of Team 10. What
sort of impacts did Team 10 have from the fifties onwards?
AS: I don't honestly think I can judge that and I am not sure that anybody can. I
am very nervous of thinking too much in the past; partly because the inherited
cast of mind of the Scottish person is very conscious of the past and therefore it's
something I have, in a way, to protect myself against. And we get asked for a lot
of archival material and if it gets more than two and a half days a week that I have
to fish something out of the archives or remember something (because now we
are getting a lot of questions on the fifties, questions on the sixties are beginning)
you feel you are running a mortician's parlor: I would much prefer to just react
to what is outside, now.
BG: The reactions you put forth against CIAM's understanding of the separation
of functions, let us say emphasis on more greenery and light, rather than identity
and association, are still being advocated by many of the (I should not say schools)
but many of the recent urban design ideas. I have a certain feeling (of course, as
I insist I am a man outside the events) so looking at it from the outside, that from
the fifties on, there was a transformation in the field of architecture and urban
design and I would suggest that many of the ideas which are here now, like
traditionalism or historicism or vernacularism, I even think that Post-Modernism
in architecture, all diverge from that point onwards. Maybe in the first
instance, some principles were used with regard to space organisation but then
it also turned back even in formal architecture into imitations, etc. Maybe you
did not imitate form but at least you sort of attacked the space organisation which
was prevailing then. So would this be a wrong comment?
AS: It is very difficult to comment; we are always dealing with ideas, we try to be
forward-looking. In a way I think you are in that position yourself with your work,
concerning yourself with what is happening to Ankara and in what direction it
might go on; one should probably, while we are here, comment on the role of the
Architecture School on this really rather splendid campus because it has not only
a particular connection, but a general connection. That is, in Europe they are
training too many architects, and a number of schools are having to close and the
universities are often quite willing to lose their architecture faculties because the
students are there for a long time on campus and do not get sufficiently involved
with the other faculties. I sense that this perhaps is also happening here: we
looked at some students' work yesterday, where they were dealing with extending
the School of Architecture building and in having the existing conditions explained
to us, we found out with Charles Polonyi's help, that already the basic
ideas of the campus, the basic concept, had been compromised by the architects
themselves, never mind by any other faculty. So I would put in a plea for the
architects to get more involved on the campus. Now when I say that the architects
themselves had compromised what I saw as the basic idea: I see the campus as
laid out along a ridge with a pedestrian way running along this ridge, feeding
buildings on either side that look outwards and across the service roads which
are lower down the slope on either side, and these service roads feed car parks.
Now what has happened when I say compromised is that a car park has been
brought right up into the slope, on to the crest so that the smell of the cars is
here, whereas the original idea of the Campus was to keep the smell of the cars
down the slope, and put the pedestrian way on the crest of the ridge so that one
walked through sweet-smelling space and then went into the buildings on either
side without any fear of traffic movement and certainly without any smell from
the cars. Now, for the architects to compromise the concept is really terrible,
because by their actions they should teach. The school building is splendid, it has
marvellous spaces, it is well kept, but I think you should get that car park out of
there and down the slope where it should be, immediately off the service road,
and ask other faculties to do the same, if anybody else has also broken that basic
concept. Do you have a comment on this because I think with it being early
summer, coming from England we are very conscious of the marvellous smell on
the campus, the scent of the blossoms coming out.
PS: I was upset by the fact that in the pedagogy, the teaching of this program, the
faculty had not fed them with the fundamental organizational ideas of the
university. When you asked what the impact of Team 10 has been, you could say
that there has been a kind of seepage of the Patrick Geddes ideas into the general
consciousness, in some way using Team 10 and CIAM. That is, it is quite normal
now in a European school for the student of his own volition, on his own
initiative, to try to understand the nature of the fabric which he has been asked
to work. That is a very Geddesian idea, i.e., don't touch it till you think you
understand it. Then you don't have to continue with the existing fabric, but if you
understand it you have the right to intervene; like a doctor looks at the symptom,
then he tries to figure out why you have the symptoms, then once he thinks he
understands, that 'right to touch' is won, is earned by the understanding. Thinking,
forward, the nice thing to happen would be like the Paris Haussmann
commission to bring clean water from the hills, to provide central drainage and
cleaning systems for the drainage; that was part of the process of putting in the
boulevards, air, trees, etc.; on the surface, it was just putting in a street, a traffic
way, but it carried out all these other things. The mood of Europe is again
undoubtedly towards a more green Europe. Taking the view that the culture
grows from the bottom, that every decision that is taken about a building should
now have built into it the notion of how will it effect the immediate environment
and then the countryside, and in a way the global environment. Because if it is
true that the ozone is effected, it is not because of one industry: it is our collective
acts, each individual act; that every time you buy a refrigerator the old is on the
waste-heap. So that the consideration of building an urbanism is suddenly, I
think, in a way Patrick Geddes - continued. Talking about British heroes, the lady
that went to Skutari to help with the...
AS: Florence Deadly Nightshirt.
PS: Florence Nightingale: she invented medical statistics because they discovered
when they put the soldiers in the hospital, the ones nearest to the lavatory died
first: but that was just an observation. Then she started to build statistics, they
say that medical statistics started with Florence Nightingale. Well that is a classic
bit of Green thinking, isn't it? That is, it is not the will of God, you are actually
getting infected through the air. Well, why I brought that up is, she had to start,
as Patrick Geddes had to start, from the bottom, i.e., there was no previous person
who thought that way. In fact Nightingale was resisted by the medical profession,
they thought the collection of statistical information was useless, like it took two
generations about child birth, about washing the hands of the doctor delivering
babies. They would not believe that the infection was due to them. You have got
to perceive each act as having an action on the whole.
AS: And by each act you should teach and it is the acts of the members of the
staff (in parking their car where the air should be absolutely sweet) you could say
is the first act of messing up the teaching system.
PS: If the faculty had fed that piece of information in, you would have found in
the students' projects some consideration of those factors. If the car fumes are
meant to stay down the slope because the carbon monoxide is heavier than
normal air, it is logical for the car park to be below the ridge line, but also, if the
prevailing wind is this way, you would want to put the building to block the air
flow from taking the carbon monoxide on to the top. That is Green thinking, but
there is no discussion of this: you would expect these thoughts to be coming from
the young people.
PS: Because they are the potentially Green Generation, but it is very hard for
them, unless they are pointed toward it, given the examples, to understand what
we are talking about.
AS: Part of our 1950's influence was a kind of osmosis. One of the things we used
very early on, in illustrating AD essays was a mosaic of black and white
photographs, i.e., a long, scanning strip of separate, but overlapping,
photographs. Now this has become absolutely standard. You go to a students
board in Europe and you get these long scanning strips or mosaics of
photographs, either made by one person or by the year, to inform themselves
about a site. And of course it even entered into art about ten years ago, withHockney's mosaics of Polaroid pictures, and when he started this a number of
people in England said to us 'Hey, Hockney must have gotten hold of an old AD\
i.e., they recognized where it had come from, so that it is by very secret routes
these things influence, take hold and it is for other people to make the connections;
I think it is not for us to look back at history.
When you walk into a place freshly, you are able to notice things that the local
people don't notice. You are also in a position (because you are in and out and
you could say you don't have to carry the can) to say things that the local people
may feel but don't necessarily want to speak out, you know we are for keeping
our head down in our own country. It is easy just to swan in, but you hope that
by saying aloud these observations they will be creative, because you recognize
the fact that people can say things in their country and nobody takes any notice;
that it is not even a matter of inclination to keep your head down. You are invited
as a foreign visitor to say something and therefore often you can, by perhaps
saying something, release some energy or unstop a bottle-neck.
BG: As far as I understand from your talks in the last few days, I think that you
don't want to enter large theoretical frameworks but you would rather prefer to
look at things from the very essence of the events, from where things originate.
That was very much visible in Peter's lecture where he mentioned the story about
the children, that it is out of the basic needs of human beings that problems arise
and architects should in the first instance tend to solve these problems. Well, in
this respect, may I raise another question (because this disvalidates my questions
and I am simply trying to pick up new questions) what sort of differences then
shall we find for instance, between Haussmann's, operations in Paris and your
London-Road study in this respect? Again, a bit historical, sorry!
PS: My own feeling is that in terms of urbanism we have had no effect whatsoever
because four fifths of what we saw in Raci's studio was what we were rejecting
forty years ago, i.e., urbanism people making compositions of buildings in
advance; in advance of real needs, real clients, real construction. We thought that
it might be possible to invent a kind of graphics, together with documentation,
of some sort you cannot imagine, that would guide the development of an area
without prefixing forms because Raci and you keep on saying (and it is correct)
you cannot just give an architect a pre-fixed shape in a plan and say 'fit it into
that' because we know what happens; in modern times you just get a banal
building, an object. It is exceptionally difficult, you think you can make a diagram
.. just to take a simple example about real things: look at this in a Geddes way as
if it is a village. There is a big street here which does not seem to carry many
people, maybe you could make another connection; there is enough capacity; you
examine also the kind of human action. Again a simple example from the Bath
Campus...
AS: Because it is also on a ridge and you are overlooking the terrain,
PS: that the social spaces that work well, the university discovered, are where
students look out of the building and where people somehow naturally gather
and sit talking. That space on the drawings intended for social space people don't
use, it could be used as a computer area... you organically remodel. Taking that
into town-planning, your project, there is a powerful drop in the contour because
there is an old wall, therefore that if there is no longer housing, maybe this is a
place for a belvedere, a look-out place. You identify the possibility but you don't
specify how. Then the obvious thing, like when there is an underground station
that is clearly going to generate the town's pedestrian flow and therefore will
need more pavements... How do you put that over to the municipality? We have
never been able to effectively find a way. We haven't done any commissioned
urbanism since the Berlin Mehringplatz and Lutzowstrasse Competitions.
AS: You mentioned the London Road Study; it was on well-accepted theoretical
principles of one decision at a time, right/left or yes/no, and I don't think it has
been followed at all in the London ring roads or anything. It is as if in this really
practical urban theory one has had no influence at all, or rather one is influencing
the people who are still trying to fight the system. Influence may come through,
but at the moment we can't see it. And, to go back to what you said earlier about
thinking of the users, Team 10 always swung (as CIAM did) from the whole
pattern to the detail and back again. I think that it was good to use a program on
campus, and it might be a good policy to push this, to make quite a high
proportion of the projects on campus, serving the needs of the University, then
invite the other faculties to have a look, to show that you are trying to put
something in, that you are in a way trying to extend the thinking of the original
builders of the Campus. Always a response, with the original intentions in mind
and the changing patterns of use. You might even find some of the faculties then
coming to you, and say Look, our accommodation isn't quite fitting our current
pattern of use. Would you like to do a study?' then it could be put to the
administration, to perhaps in the summer holidays do some conversion work,
and I think that this input of the architecture faculty into universities is something
that really should begin to happen more. What happens at Bath?
PS: It is very difficult to keep on bringing them back to the principles on which
the Campus was originally designed, because they will say 'That is not the way
it's done now', because they are not innocent people, and know what the world
trends are, they pick up ideas and get excited by them, like anybody else does.
AS: It is consumerism and shopping.
PS: They are consuming them, and of course the urbanist is running a very long
program, isn't he? He is like a horticulturalist. He knows that the ideas won't
come to fruition for a generation and a generation on. Therefore in a way the
campus structure will only come through if it is sustained over a long period, so
that the idea becomes clearer as it goes along. And I find at Bath that I can't
produce any real influence on this process because fashions in university buildings
arc as in other places. And these people are very responsible and devoted to
the university, these are good people.
AS: But all the more reason why the architects' department should all the time
show a concern for the way the university is developing, and as it were, have a
'doorstep project' that the students realize, that it brings a kind of reality, 'it could
happen here', would we really like it if. That kind of consciousness is necessary
to be grown in the students. I also think that unless the architects take this kind
of active role on their campuses they won't learn how to deal with people, how
to fight this consumerism. By pure chance we were asked to have another look
at one of our Team 10 documents, because somebody was wanting to do an
academic exercise on it, and we had to bring it with us because we knew we had
no other time. The piece that I was reading last night happened to be a Team 10
discussion on consumerism, how difficult it was to deal with administrators and
fight off this sort of supermarket-culture that we are all involved in where they
say 'yes, but we've just seen something smashing somewhere and never mind the
old idea, let's do this because presumably where we saw it had an old idea that
they've just pushed aside'. Cities were nice in the old days. There were always old
men who could remember the intention of why they put the fountain there, or
why they paved that street, and why they didn't do something else, or who planted
that tree in grandmother's day or something. Now this is all lost, largely because
of the great number we are, but also because of these really horrific pressures of
the 'McDonalds and Coca-Cola culture'.
BG: Yes, but probably that is something we can't help, but you brought out
certain issues where the architect can be helpful. In that respect you point out
something: the architect is not simply a designer, the architect is more than that.
He should go into the preparation of the design process, the design, the aftermaths
of design and even the consequences of design should also be in a way dealt
with by the architect. How could this effect architectural education? What sort
of new measures should be then located into architectural education?
PS: That's a good question because it enables me to continue in a practical way...
When we opened the new building for the School of Architecture in Bath, the
head of the School said 'We will have a two-day meeting', actually very like a
Team 10 meeting, and he said 'We will call it Genesis', i.e., how the design process
began, and it was fantastically good. A footnote on this is that we invited the
president of the University and the man I'm talking about, the registrar, and the
contractor, and the administrators in his department to this lecture, so they
would hear the genesis of the building they had just finished, and what influenced
it, and we had the person who worked on the concept of the university as a young
man, someone who is now the boss of a firm was then an assistant.
AS: In his first job.
PS: You know, the man that did Hook, did the University of Bath general plan;
his assistant from the time: so he went through the arguments on which the
university plan had been based. We followed naturally on that, what happens
twenty years later, how do you reinterpret. They invited other people (because
we are a mixed school) an engineer came who worked on Piano's art gallery in
America. He started in the same way, he said 'This woman',
AS: Schlumberger.
PS: They are a French drilling company.
AS: Strasbourg-Alsace.
PS: She wanted to make this art gallery in Houston where there are no planning
regulations and no zoning, therefore she said every building built in this town
which is successful, like a new restaurant or a little shopping thing, immediately
skyscrapers come around and kill it because real-estate men see it as a point of
attraction.
PS: She said 'Before I commission an architect I've got to buy, nine city blocks.
I am going to put the art gallery in the middle, nobody will be displaced but I will
have the freehold, they will have leases...' She accepted a piece of the town as the
urban landscape setting; it's another of these 'how to save portions of the town
you like'. The art gallery and the car lot over the road; the pace of the area has
changed of course but not changed much. There will be more people in the street
and there will be more car movement, but it's probably an increase of say five
percent, whereas if it happened the other way the increase would be times fifty.
AS: The trees are all there, the density is still the same round about.
PS: The end of that story about the pedagogy: we had (you could say that) half
the students in the upper school. So the kind of Team 10 meeting was the
administration, the engineers, service engineers; not people simply talking about
things. They were the people who had done the work, they made the building,
therefore it was direct information which for the young architect is fantastic.
AS: It was successful on several counts. One is the idea of the family getting
together, the enlarged family having a few guests. The Team 10 idea had
penetrated as a teaching method, as a communication method. And the next was
the business of people feeling they could tell all the details of the actual production,
all the little faults and things that went on, because they trusted everybody
who was listening. One of the most successful things apart from 'what a nice event
it was' and 'how everybody enjoyed it'; this communicating directly was so
successful I am sure that the Bath School is going to repeat it because everybody
there could see that it was a marvellous family way of extending that collective
sense to outside the school, outside the three professions (architects, structural
engineers, service engineers) who were trying to learn to work together better,
which is the teaching method in Bath. It was a real reaching out, and this I think
is a marvellous teaching method because everybody is learning, and the communications
are kept going.
BG: So it is not simply participation of people, but participation of the architect
himself in all the events.
AS: The architect must take the action, he must in a way make the connections
and go out (what we said earlier) an architect in a way has to take the position
of the old man; he has to understand the fabric of what he is dealing with and
take up the position of 'remembrancer', and also the 'seer' into the future. He
has to have the foresight to know which direction he should move in, in order to
keep the original idea and not get it spoilt, and to fend off all the poor things that
happen to it. And another reason, apart from running a mortician's parlor of
one's own past dead life, we created this role for ourselves of 'remembrancer', of
the context, of the place, of the fabric that you are trying to deal with. We must
be forward looking as well, because otherwise you put on this old man's hat all
the time.
BG: The horse's
AS: Blinkers, yes, that's right.
BG: Well, in fact I think architecture students, at one time, 1968 to 1970's, tended
to deal with societal problems, but then it also created its own dilemmas where
architects then had forgotten to deal with architecture. So in fact, this is a new
man who will be conscious of politics, engineering sciences plus architecture. So
he must be more than the man we are thinking of now. Is that so?
PS: Difficult to imagine such a thing.
BG: Or shall we put the architect into the political field as well?
PS: I don't think I can do it because fundamentally it is a craft. Unless you do it
yourself there isn't any product, can't do it as a politician.
AS: The way is through good work ... so that the politicians are listening to
architects, engineers, service-engineers, thinking and acting as 'remembrancers',
and acting as people who are looking forward. If politicians can observe this, they
begin to understand what it is you have to offer, and they don't just say 'O.K., we
bought the plan, now you go away. We the politicians are the administrators, can
deal with it'. They realize that you can actually contribute all the time and should
work together all the time, to keep these cities alive, and to keep the qualities of
the various places in the city that people really are connected to, and that you
must not destroy their sense of connection, by just wiping whole bits of cities.
PS: One thing came up in the discussion where I got cross with Chris Abel is
'Team 10 had no kind of political follow-through'. I have always thought that
Team 10 was the effect (to repeat what was said then) was that someone like
Bakema had tremendous social energy, could actually follow it, follow a project
through and if necessary would go to the Queen if it was blocked. Holland is a
small country; someone was saying about Denmark, it worked because it was a
small country, that is, a famous architect can follow a project through, he can
help with its initiation not by being in the council of administrators but by
telephoning his friend who is the Queen's doctor or the prime-minister's; you
know, the old Ottoman system, and you paid the price. Bakema was a good
working architect when he was young, do you see, in the end the buildings
suffered because the office did them, because you can't put your energy
everywhere. This is why we are saying that Raci is on the point of collapse because
his energy is too far extended, he can't keep it going all the time (he won't
physically collapse because he is very strong) but you lose control because the
control is personal. When it goes beyond the person you got to be a different
kind of person who sets up systems and will see them through.
AS: You see already he is having to use students to make the sort of drawings
that the committees expect to see. When I was in Samarkand, the urban design
department has an old Russian house (partly in order to hold the property)
wooden boarded, wooden ceiled; they have all their plans of Samarkand, of the
past thirty years, up on the walls; revised, anything from every five years to every
two years. First you could see political kind of revisions and then the last seven
years you felt that they were beginning to revise these plans on a sort of eighteen
month basis, with a fresh lot of assistants with fresh gimmicks out of the
magazines and it had become absolutely crazy, this worrying about presenting
drawings, communicating to the people, communicating to the politicians, communicating
in order to get the money allocated; and communicating participation,
where to put the road, where to put the market and so on. It was absolutely
desperate and you could see in a way that Raci has got into this position, that
almost it would be better to say 'O.K. we will take full responsibility for this
demonstration bit and unfortunately the rest we just got to chance that somebody
else will come along and take responsibility and hold another bit'. And you do it
as a demonstration area of what it is you are trying to talk about and then you
seed another area. It is in a way like gardening, you've got to put the real seeds
in, nurture them and get the real plants before anybody can see, and then
hopefully hold it long enough in order to get the fruit, and this is why you've got
to get this instilled in the young people. And that is why I say the odd exercise,
on campus, to show this was the original 'plant' as it were, and this is how we
must keep it growing, and keep trimming it and protect it from all the things that
might happen to it. And again, to make offerings to the campus, to show how
architects think and how they can make contributions. If, in the first instant it is
too delicate, politically, to offer your services to one faculty, to show how by
altering its accommodation to make it serve better the occupants, you might take
something like the guest accommodation that we are in; take a block and analyze
it to see if it is actually serving the pattern of both residents and guests to its best
ability and actually finding out from the users, both the short-term guests and
the long-term residents, how they need to occupy the building, and what sort of
space you need to be a useful member of the university community because that
is really the essence of it. If you put a single resident in one room who is going
to stay here a couple of years, they can't really be working at their peak because
they are constrained all the time, you know. That is, an academic resident
(whether it is one person or two people) they need a study space, they need a
kitchen space that they can go to at any hour of the day or night because they
might want to work long hours sometimes. You might have separate apartment
units byconversion; usinggaps (filling indents) in the buildings that are not really
serving any particular purpose, absorbinga couple of balconies that are not really
being used and, by looking next door at the very successful early housing which
has now got beautiful planting grown up around it, putting a lean-to roof over
an extended ground floor so making two extra big units. An apartment unit,
whether it is one-room, two-room; one person, two person; each unit has to be
perfectly self-contained because the socializing takes place other ways now than
the way architects originally thought it would take place.
BG: So, this also brings in one other question, or one other issue: once you make
a design, it also should be open to further changes and there should always be
someone, because ways of living change, ways of using space change. So buildings
should also be, well maybe buildings cannot be so elastic but there should be
something there, something elastic to cope with the new functions, the new way
of life.
AS: You are taking up one of these Team 10 themes, of the building being able
to respond, being able to grow and change, but exactly how it is done, in a way
the architects not only have to learn how to do this and they have to show to other
people how it can be done without somehow destroying the initial building or
extending rather than destroying the initial idea, serving people better and if you
can learn to deal with, as it were, the relatively new guest house, perhaps you can
also learn something of how to deal with the old better.
PS: I would have thought, other than examining the fabric, kind of understanding
it, that it is difficult to build into a building the potential for change in a society
when you don't know what its change is going to be. I think it is more the other
way round like the urbanism where the person is making the alteration, to feel
himself obliged to understand the underlying nature of the building before he
makes the change even though that change is very violent. For example this
business of the impact of information technology; it could not possibly have been
perceived that it would change two thirds of the operations to work in the near
dark; I mean communications are working in low brightness with screens and
things, like they do in a bank now. That could not have been perceived even ten
years ago, that your windows are not for the work process whereas in the
'twenties, having daylight in the office was you should be able to work without
straining your eyes, and sunlight is healthy and so on. You can't perceive what
changes.
AS: Sometimes the architect is asked to build a building that can be extended, or
build a building that can have its partitions changed and what you are describing
now is that any office developer in the West and in HongKong now must have
this enormous floor to ceiling because we have to build in this particular amount
of change, i.e., the deep floor for services.
PS: But two thirds of that will never be used, that is, by the time it is built, the
technology is obsolete.
AS: Well it will be nice to have the space.
PS: The argument is then 'Can we get that space back into the room?'
AS: That is the thing that the architect maybe has to foresee... but if you take the
business of the bank, even the first year could take the bank that is on campus.
That bank was made like a nice umbrella by the architect. In a way he must have
been slightly stupid not to realize that a bank probably needs a basement or a
store.
AS: The needs that you can see just walking into that bank (cardboard boxes full
of old files, the furniture pushed to the side) makes a very good first year program
because they will have to be sure that the store that you make isn't then a security
hazard and so on and does not ruin the nice little umbrella that the first architect
made. Again, by just putting the drawings up in a place and notices up saying
'Come and have a look', every person on campus would understand what the
architects were trying to do. They may not be able to read drawings, but they
would have the place in their mind and it would start to help them read drawings
and immediately you would start to communicate to several thousand people,
enlarge their knowledge and next time they see a drawing they will think 'Well,
I can read drawings because I did, I know that bank'. This is the sort of Team 10
connections of things.
BG: Well I know interviews make you tired but...
AS: Make anybody tired,
BG: I have one very personal question,
(PS: 'Will you lend me two million Karajans?')
BG: It is about Hook. I call it the third generation of New Towns in England and
it was not built. The first generation Stevenage, Harlow; the second I would
suggest Cumbernauld, for instance. And I think Hook found some of Team 10's
ideas appropriate but it was not built. This was a big question in my mind.
PS: You mean 'why'.
BG: Yes, was it because there were no more housing problems or because it did
not fit the society?
AS: Nothing is particularly for any one reason, it is just perhaps it had chosen a
site where I think that there were many voices who could speak to ears in
important places and it just had to be dropped. Milton Keynes was slightly later
and it went ahead, and it probably was not as interesting a plan. I mean you are
quite right, Hook has become something people refer to, even in England now.
And also it was to do with the ideology of the assistants who worked on it, they
were very left-thinking young architects, much more revolutionary thinking than
we were, much more politically minded and therefore in a way it was their
Waterloo. They were very upset to lose it so that everybody who worked on it has
remembered it. If you see the drawings now you tend to laugh, they are so very
primitive.
PS: But they were attempting what we were describing; I mean the plan for the
Bath campus by the same man (and the drawings were very similar) is an attempt
to establish kind of energy nodes without, in the first instance, drawing anything
in the way of buildings.
AS: Yes, it was the planless plan.
PS: They then fell into the same problem we all fall into, they then had to produce
a brochure for the University of Bath and they had to draw something.
AS: They had to make little sketches themselves, little trees and people walking,
people pushing prams. But when I say they are primitive drawings, they were not
inept, whereas what I worry about, also with the students here, they are not really
putting their energy into the drawings. They are not getting excited about being
an architect. They are not working enough that they energize each other, there
is not a sort of sense of architecture as a profession building up in the studios.
Again it is just a fleeting impression but it may be that such small things as having
the heating on at nights either makes or breaks this sort of situation. Again, you
have got to communicate this to the administrators of a university, why it is this
faculty wants (even if only at certain periods of the year) its heating on at night.
PS: You fight that all the time at Bath. We are the only faculty that works through
the night. Very nice, just the physical experience as you walk these places, only
one building with light pouring out at three o'clock in the morning, and it is not
bullshit, you go in and it is forty percent of the students at work.
AS: But that again can become a communication to the rest of the faculties that
this discipline has its own sort of needs and maybe is serious about its contribution
and that this business of staying with it through the night if necessary is the
way that the architect wishes to stay with the plan right through until it is on the
ground and been inhabited.
BG: Well, we are from that generation who lived it, many things happened so
that things really transformed into this loss of enthusiasm about education. I
think you have brought out the problem again, so we shall be more keen on this
thing probably.
Well, my last question (there is always a classical last question) what were your
expectations, not of Turkey, but of Ankara, and what have you discovered in
Ankara? Because Peter said something to me yesterday or the day before, that
he found the town not as a resort of touristic value, but a real town.
PS: I started with the traditional Western notion that Ankara was uninteresting,
just a new city without a life of its own. When we got all the guide-books out of
the public library, they did not say much more except one of the citadel and the
old culture in a way remaining intact; interesting because I like that kind of place.
And of course it is actually oriental, I mean, the further east you go the more
animals there are. But I think there are two aspects, it is a live city, and in its
traditional part it is fantastically alive. And the new city is really throbbing and
the buildings that you commissioned in the Republican period are remarkable.
AS: You were real patrons.
PS: You were really served well by the people you commissioned, as a devotion
to your Republic and...
AS: To well building.
• PS: The only one we looked at carefully, the Taut building is better built in my
view than it would have been if he had built it in Munich, that he really put
everything into it, i.e., the energy. He thought, 'Well, Atatürk is an idealistic
person, I will do something idealistically', as good as he could make, and I think
that is probably not easily visible to others, I mean people who are not professional
architects. There is hardly anything in the history books about the 30's
period, this period has been written off because of fascism... When I talk about
fascism it is not just a phenomenon of Germany and Italy, it is our view that the
culture, i.e., the buildings in Washington in the 30's and 40's the buildings in
France in the 30's and 40's, in Scandinavia in 30's and 40's, they all smell of the
centralized state... of passive peoples. And then you have to distinguish between
those architects who could not help being infected by the nature of the period,
i.e., strong central governments with strongly separated bureaucracies and the
people and all that, it was everywhere, but it just took this crazy turn in Germany.
AS: In Russia too.
PS: We are afraid of this period. When we took our daughter Soraya to Munich
we thought she wouldn't be infected by anti-Nazism, but the buildings scared her
and she was twenty something. Therefore it is very hard for us to look at this
period, and the buildings are mixed aren't they? You get this Swiss, Ernst Egli
(as you said, with the smell of the Bauhaus) and the Taut which is the end of the
Arts and Crafts Movement. And then these fascist buildings; but they are not so
bad. They don't frighten me, but maybe that is because
AS: Because what the architects were offering was more than just the fashion of
the period; could override the fashion.
PS: You see, there is no getting away from human memory (the 'remembrancer').
Nothing cruel has happened between our two nations since the first war, and
even then, you were regarded as honorable enemies as the Germans were
regarded as honorable enemies. Only this last war took such a horrible turn. But
that being so, nobody will write about this period in a guide book until two things
happen: first, the buildings are cleaner (it is really true) the tourist wants it to be
a bit smart, doesn't he; and also for the history book to reassess this period, then
the guide-book writer takes it from the history book. But I like oriental cities
because I like things to smell, the rain on the dust. When you get out of the plane
in Bombay, they open the door of the plane and the city comes in, fantastic. Like
it would be the other way round: you arrive at Stuttgart or Schiphol, a slight smell
of disinfectant. The whole culture is...
AS: You see we are losing this entirely in Europe because you used to go to
France (in the 1950's) and this could happen, sort of the smell of Gauloises would
hit you but now with the whole business of anti-smoking it has gone absolutely.
BG: Well,
AS: I am sorry we so overrode all your questions.
BG: After two or more hours of tiring, tiresome questions, thankyou Peter, thank
you Alison, for your participation.
AS: Thank you.
PS: There is one, just between us, sort of thing: the temple (Temple of Augustus,
Ankara) is fantastic: the Roman quality. I suspect if it was new it would be like
the Trump Tower (in New York) - have you seen the Trump Tower? Too much
of everything. Rome is wonderful, ruined!