13 nov. 2016

6 nov. 2016



Gyula Krúdy


Le chat sauvage



 Emléki – j’ai déjà eu l’occasion d’écrire quelques lignes à son sujet – apprit un jour que l’une de ses filles, prénommée Estelle, qui habitait avec sa mère dans un petit village du Bakony, venait d’avoir seize ans et souhaitait faire la connaissance de son père. 
 Emléki était un romantique, il vivait dans une Budapest d’une belle époque révolue, avec son épouvantable gibus et sa chemise à jabot. Ses tempes étaient blanches comme le flanc de la montagne en décembre, son visage, son front, ses yeux jadis passionnés étaient froids comme le trou creusé dans la glace d’un torrent sous les pieux d’un vieux pont où les femmes vont puiser l’eau au crépuscule. Pour lire, il mettait des lunettes à monture d’écaille noire et son visage prenait une expression grave de sainteté, comme s’il n’avait pas menti une seule fois de sa vie à une femme. Il portait du linge d’une propreté exemplaire et un manteau à l’ancienne mode ; il ramenait ses cheveux fermement derrière les oreilles, comme Tasziló Festetich, et sa fine canne à pommeau d’or n’avait jamais à supporter le poids de son corps.
 Parfois, il épinglait une fleur de réséda sur son manteau et pensait qu’il finirait par mourir pour une femme… un matin de printemps quand retentissent les cloches de l’église Sainte-Thérèse et que les danseuses et chanteuses des cabarets de la rue des Champs courent à la messe après une nuit blanche. Autrefois, galant homme et hôte généreux, il avait gaspillé beaucoup de son temps parmi les femmes. Quand le destin lui était contraire, il lui arrivait de suivre à l’aube son amante en portant le panier de la fleuriste ; lorsque la fortune lui souriait, il achetait au bijoutier de nuit des bagues pour les petites marchandes de fleurs. Pour la même raison, il pensait qu’il mourrait au petit matin, lorsque les chansons et les danses seraient terminées et que les chanteuses auraient le temps d’aller visiter un mort. 
 Emléki finit par devenir un homme sérieux. Il fumait son cigare de virginie dans sa chambrette louée au mois et, les yeux perdus dans la fumée, à la manière des héros de romans russes, il méditait sur sa vie. Il eut alors l’idée d’aller finir sa vie à la campagne, les herbes folles des cimetières abandonnés ont un parfum particulièrement agréable. Près de la fontaine chante une fille aux jambes rouges et les jeunes mariées lavent des chemises dans le ruisseau. Le soir tombe, la brume hivernale se mêle à la fumée des cheminées du village, et la mort, comme un vieux paysan chaussé de bottes, chemine sur la route gelée et boueuse… Il partit donc dès qu’il eut compris qu’Estelle avait atteint sa seizième année. Il l’avait vue pour la dernière fois à la gare de Vienne, elle n’avait que deux ans. C’était une enfant au visage inexpressif et à la peau blanche qui dormait dans les bras de sa mère, elle portait une layette à pois rouges comme des ailes de coccinelle.
  … Le soir tombait quand il arriva au village. Il avait entendu le bruissement du Bakony dès la petite gare où l’omnibus s’était arrêté une demi-heure auparavant. Il était déjà venu autrefois chez la mère de la coccinelle, il s’était frictionné le visage avec du parfum français, coiffé dans un miroir de poche, il avait plusieurs fois tiré ses gants… Elle l’attendait au bout de la station, en mantille, ses yeux noisette embués de biche apeurée fixés sur lui, les lacets de ses souliers dressés comme les oreilles attentives d’un petit chien. Et voici qu’Estelle se tenait au même endroit. 
 – Maman a la santé fragile et le soir est frisquet, dit-elle en serrant virilement la main de son père. 
 Emléki s’approcha avec une certaine mélancolie de sa fille qu’il n’avait pas vue depuis si longtemps. (Il avait trouvé des scènes semblables dans des romans français.) Il voulut d’abord lui baiser le front, mais il posa ses lèvres sur sa main. Celle-ci était osseuse, avec de longs doigts, comme celle d’une supérieure de couvent qui lève sans cesse l’index en signe d’avertissement. « Elle tient de moi », pensa-t-il tristement. Car sa mère avait de petites mains potelées, comme des nids d’oiseau. Ses grands yeux bruns passionnés semblaient toujours promettre une surprise. Elle avait sur le nez quelques taches de rousseur rustiques, comme la rouille sur une feuille de peuplier. La nature avait dessiné sa bouche pour les baisers, la prière et les sanglots et non pour des bavardages frivoles ; ses cheveux bruns étaient tressés en deux nattes. Son front était d’une certaine manière songeur, rêveur et triste, comme celui des enfants qui ont grandi loin de leur père. 
 Elle sortit de sous son châle une vieille photographie – Emléki en habit hongrois se tenait devant l’objectif du photographe –, et la compara discrètement avec son père.
 Ils empruntèrent un étroit sentier qui longeait le bois. Emléki prit sa fille par le bras : 
 – Cet éternel bruissement du Bakony ne te fait pas peur ? 
 – Ici, à la campagne, nous n’avons peur de rien. Nous connaissons les spectres, nous sommes habitués au ululement des chouettes, et à l’automne, nous enfumons le vieillard qui hoquette dans la cheminée avant de faire du feu. La seule chose que je n’aime pas, ce sont les chats sauvages. 
 Elle parlait avec calme et simplicité, comme si tous les jours depuis seize ans, elle avait arpenté à cette heure ce sentier avec son père. De longues mèches de cheveux pendaient comme des herbes folles le long de ses oreilles. Son châle – à moins que ce ne fût son cou – sentait la pomme, comme les remises en hiver. Elle marchait à grandes enjambées dans ses souliers pointus à talon haut qui à chaque pas montraient leur nez de sous sa jupe noire à volants, comme s’ils ne voulaient pas perdre une miette de la conversation. 
 – Donc, les chats sauvages, poursuivit Emléki. Je n’en ai jamais vu. 
 – Ils sont un peu plus grands que les chats domestiques, leur tête et leurs oreilles sont grandes, bien développées, ils ont des yeux terribles et vagissent comme des enfants. Ils surgissent et disparaissent apparemment sans raison dans les creux des arbres, la nuit au clair de lune, mais si un compagnon s’arrête, ils lui sautent dessus. Il y a un chat sauvage qui s’assied chaque nuit devant ma fenêtre, sur le vinaigrier vermoulu. Toute la nuit, il fixe mon lit de ses yeux verts. Et comme ni moi ni ma mère ne savons nous servir d’une arme… Voilà pourquoi nous vous avons appelé. 
 – Le chat sauvage, soupira Emléki à la façon d’un personnage de roman. Si je ne m’abuse, j’appelais ta mère « chat sauvage » quand elle était jeune, parce qu’elle me griffait souvent. Ou peut-être était-ce une autre ? 
 Elle crispa ses doigts sur le bras de son père.  – Je ne sais pas si vous m’aimez, dit-elle. 
 Elle le regarda avec une tristesse enfantine de ses grands yeux brillants et embués. 
 – Si vous m’aimez ne serait-ce qu’un peu, vous me débarrasserez de ce chat. Je ne dors plus et je pense que dans la forêt, à côté du pavillon de chasse du roi Mathias, il y a un puits sans fond. 
 Emléki se passa la main sur le front, comme pour chasser le passé. Il devint grave. 
 – Avez-vous une arme ? 
 – Un vieux fusil de guerre, et il est toujours chargé. 
 Ils arrivèrent à la maison, elle était comme vingt ans auparavant. À la campagne, les maisons changent peu d’aspect en une ou deux générations. La petite porte poussa un grincement familier, comme un cousin qui a vieilli, les branches du saule pleureur atteignaient déjà le sol et la cheminée penchait un peu la tête, comme un vieil homme dans son fauteuil. Elle portait son éternelle robe noire, un long corset, et elle tenait dans la main un mouchoir, ainsi qu’elle apparaît sur ce portrait à l’huile fait par un peintre ambulant quand elle était jeune fille. Ses yeux étaient cernés de toiles d’araignées, comme une vieille fenêtre que personne n’ouvre plus. Sur son visage habitent la quiétude, le souci et le souvenir, pareils à trois bons amis assis par un après-midi d’automne sous une tonnelle couverte de givre. Sa voix était douce, comme le bruit du mûrier qui heurte le balcon dans le vent d’automne.
 La nuit, Emléki s’assit à côté du lit de sa fille. Estelle aimait les coussinets et les décorait d’astucieux rubans. Une couronne rouge à sept dents était brodée sur la soie jaune de l’édredon ; un livre de prières et une chandelle de cire se trouvaient sur la table de nuit. L’eau scintillait froidement dans le verre. 
 – Où est le chat ? demanda-t-il au bout d’un assez long moment, assis dans un fauteuil à pieds de fox-terrier, un vieux fusil de guerre Werndl sur les genoux. 
 – Soyez tranquille, mon père. Il n’est pas encore minuit. Parfois, avec ma mère, nous causons ici jusqu’au matin. Savez-vous de quoi nous parlons ? 
 – Du chat sauvage, dit-il distraitement quand sa fille lui eut caressé la main. 
 – Au grand jamais. Nous parlons de vous. 
 Il baissa la tête. 
 – C’est à peine croyable. 
 Elle serra fortement la main de son père. 
 – Je sais tout de vous, père. Je sais que quand vous étiez jeune, les femmes ne vous laissaient pas mener une vie convenable, honorable. Elles vous importunaient, vous séduisaient, vous racontaient toutes sortes de mensonges. Vous étiez très amoureux de l’une d’elles, voilà pourquoi vous avez passé des années à boire, à vous affliger, à errer tête basse dans les quartiers déserts, à regarder l’eau du haut des ponts. Tous les soirs, nous vous voyions raser les murs des maisons à Pest, le manteau défait, le chapeau tiré sur les yeux. Des yeux pleins d’amertume, de chagrin. Oh, comme nous aurions voulu alors vous prendre la main, vous amener à la maison. Elle était belle ? 
 – C’était la plus belle, mais je l’ai déjà oubliée.
 – Alors je vais vous parler d’elle quand l’hiver sera venu et que tout dans la forêt aura disparu sous la neige. Et seule rougeoiera dans notre poêle une braise, comme le souvenir. 
 Emléki posa le fusil dans un coin. Il regarda sa montre. 
 – Minuit. 
 – Pas encore. Si nous gardons le silence, nous entendrons la cloche du village. Elle sonne toujours onze coups… 
 – J’ai beaucoup souffert. À cause des femmes. À cause de la vie. De moi-même. 
 Estelle se redressa sur son lit. 
 – Donnez-moi la main et promettez-moi que dorénavant, vous serez un homme respectable. 
 Il éclata de rire. 
 – J’espère que ta mère n’a pas inventé que j’ai fait du cachot ! 
 – Nous vous avons toujours aimé, comme un fils prodigue. Nous savions que vous reviendriez un jour. Restez chez nous, avec nous… Je vous promets que ma mère restera tranquille… Et un jour, vous me marierez. 
 – On va essayer… Ici, tout est resté comme au temps de ma jeunesse. J’ai souvent scruté le crépuscule depuis cette fenêtre. Mais je ne vois pas de chat sauvage. 
 – C’est vous le chat sauvage, père. C’est vous qui étiez assis les nuits de lune devant la fenêtre, à me regarder. Vous me regardiez, n’est-ce pas, vous pensiez à moi, vous m’aimiez ? Car nous parlions toujours de vous. 
 Emléki se tortilla la moustache, bien que ce ne fût pas dans ses habitudes, rit d’un ton résigné et caressa les cheveux d’Estelle. 
 – Je suis un chat sauvage, marmonna-t-il. Pour l’hiver, on va saigner le cochon que j’ai vu ce soir dans la cour.




Les Beaux jours de la rue de la Main-d’Or

1 nov. 2016

28 oct. 2016

Arno Schmidt
La liste de «rêve de la liste"
n ° 801-1000

 
801
"Ce qu'il adorait la Hongrie,
connaître votre père "
(Metzengerstein: Morella)
metempsychosis:
(Avec le spectacle = Hosis)
mit'm
802
Dissertation Calmet 'sur
Vampires de Hongrie '
(1750 en anglais)
803
elle a soulevé la Ange =
prévenant et diffusion
ses doigts de :?
804
"Loin de moi,
anciennes incertitudes
multiplier par nouvelle
de vouloir; mais:
805
Poe
toujours conservé une
Faiblesse f. Hongrie
Morella
Metzengerstein
806
manquant
portes einrennen
(= Poe = interprétation).
807
Tout ce que vous
écrit, est au moins
un peu vrai
808
généralement
«Je ne peux pas avec
Erudition prunken;
var .... Vous êtes un
Docteur & savant "
Magister
809
peut le Fänoder
Le monde extérieur rarement?
pas prescrire Menen
sous quelque forme que sur =
serait zutreten, - peut-être
pour obtenir oui, alors, un
degré d'indétermination
PTO
809 verso
reconnaissable comme caractéristique
notre Kismet
notamment
comme un nourrisson
810
notre Kismet
est
la
consommation de
Complexe
---------------
Eureka 121 murmura P.
inquiet
811
dans le
mythique
bâclée
(Orphée!)
812
«La force» de Poe était
qu'il Karre la
a couru
de la DP (général)
813
que de cette façon ....
encouragé
été localisé sur le
main
814
le - beau! -
Une grande intimité d'épisodes
Le mérite de ne pas Poe! Denn est de
invisible pour lui et ses lecteurs
2.), il n'a pas voulu &
aimé!
815
l'artiste
regards
En principe, le 3-10fache
de son accompagnement normale =
tres et se souvient même plus.
Un bon axiome: Qui longs voyages
tolérer (supporter) ne soit pas un grand
Artiste!
816
(- -: Je me suis =
schugge! (Assez). -
-----------------------
-----------------------
etc ....)
817
Fr.
"Eh bien, qu'est-ce que votre
Züngel?
818
Hongrie + Autriche
Turcs ... etc.
819
Imre Tekeli (DR ..
Tho ..
x Helene Zriny
Agir 1811 + Pym
820
P) »de la lumineux
incidence "
821
et bien sûr
sons de
Tekeli!
enfance par où
sa mère (23/03/1811)
produit a été (Depends façon
quelque chose avec Körn. Zriny to =
ensemble)
822
"Thököli!"
acclamation formé
& The Tekelethi ce
mitstützt purement oberschichtig
celui-ci.
823
mes pas jours
---------------
J'ai entendu ......
entendu
824
Jamais entendu parler similaire
-----------------
«Vous parlez de la
prononcierst similaires lorsque
elle constitue une objection!
il pourrait également ne pas défaut dans
être vous? "
825
P brusquement
étrangement
"Strange -
Mais génial. - Hm "
826
être Usher
Eymeric de Gironne
~ Imre Thököly
827
Qui Votre Stirnrun =
pas individuellement plus d'honneurs,
sera bientôt votre
sourire fortzen
? à votre
828
étonnamment peu
intimidé (gede =
? Mütigt) par ... -
---------------------
intimidés
829
W pressé la pièce de monnaie
entre leur
Breast; pieusement: "
Dän! Vous êtes encore
tout aussi magnifique que - "
1 œil ...
830
"Alors quelqu'un d'autre leh =
ret, qui est obscurci
Et ne sais pas quoi que ce soit. 1. Tim.
6, 3 "
831
silencieux
Pensées, choquant &
scandaleusement silencieux
et laissé plus
832
Important serait maintenant, mais
les luminaires et de 1812 à 1849!
le théâtre 1809-12!
un répertoire hypothétique
up? Quinn a
833
hysterionisch
------------
hy + histrio
834
il: ils
une écoute inclinée
l'oreille droite
835
* Il est compréhensible,
avec la réalité verfein =
det
Poe était ... la vie
836
langue théâtrale principalement mais
langue mondiale
837
Qui le Ballet Bolshoi =
'Schwa de Tchaïkovski =
vu nensee dance ', le
peut imaginer comment un
'Theater' enfant pour la vie
Ces équations de la 'femme
en bird 'éperonné PTO
837 verso
devait être //
F 'Swan filles': 05/08/64
schwanenbusig 2015-2130
schwanenpopoig Sch
(Nina Timofjewa)
la toile de fond du lac de brouillard avec les arbres
838
Zit.
Freud XVI,
53f.
pour 'panier blanchisserie'
839
La mémoire de la
théâtre
Berenice 356
840
Herder II, 8, 192 ff
'Dejavu' et l'importance de
1. souvenirs d'enfance: les
répétition plus tard, etc. (RERA
li?
pour citer Freud!
841
la
panier à linge
842
= complexe
Eddypoeskom
plex
----------------
(Poe + ouml; Œdipe)
843
Par exemple. "Réveillé à partir d'une nuit occupée"
donc il est dans un «palais

transmigration
844
Le histrionique
Monsieur Po '
845
"Völlich Still nich -"
P. (nerveux)
846
Je
détachante Diere
détachante Diere
pas Bonaparten
Bonaparten
847
livres
les «œuvres» du PDD sont
pas vraiment une «œuvre d'art»
beaucoup plus
mais construit comme des rêves
Conglomérat de -
pourquoi ne peut (en effet, doit) être
la méthode d'interprétation de rêve
ils appliquent
848
La vaccination antirabique =
5 seringues autour de la
Nombril / houles
le ventre sur "Voir,
comme le 5ème mois "
849
La mère de Poe a eu lieu
dans
1) Raising the Wind
2) Tekeli
850
Mère Poe
24.07.1811 'Leonora' dans The Padlock xx
7.5.11 «Columbine» dans la pantomime
2.5.11 'Irene' dans Bluebeard
3.4.11 «nymphe» dans Telemachy
23/03/11 'Christine' à Tekeli
1.2.11 'Maria' dans Of Rye à Morrow
9.3.10 'Peggy' dans 'Raising the Wind'
851
1) fin blanc ressemblant à de la poudre,
cendres - mais certainement pas
- Fell sur le canot
il a examiné signifie vraiment poudre
2) le rideau gigantesque allait
sur toute l'étendue de l'horizon de S,
Emis aucun son.
3) une lueur xxx lumineuse
852
S infantile =
curiosité
(En théâtre = penderies!)
853
visages peints
dans le théâtre -
Pym il fait oui
faire face comme un masque!
Enceinte! maquillage
854
(Personal!)
antique
«théâtrale
souvenirs "
littéralement
Word, pouvait son amour pour
décors somptueux et PTO
854 verso
éclairage
ont passé
855
Maskarade Pym
Théâtre = Armoire
856
destin en tout
dans les cas examinés
I, IV, 179
857
(Monde)
OVER = Monde
Meta = Monde Poe
858
«La scène de la scène
tourne '
: Tel est le modèle
f. tous les futurs Poe '
règle Metamorfosen
859
ne peut donc souvenirs
dans de grandes cuves
être renflouée
860
Osier Pym
1) panier de lavage fin
2) chaussants
861
kapitaler
kaka Pipi
Poe, Pym: Enfants =
zötlein Reduplizierend
862
Ayo = machie
Jouer sur l'adoration
d. Saint
863
W fairy
Feu = Busich
864
honnett
865
cabine de douche
SA:
Dá: "Föbuß fier
le char! "
-----------------------
(= D Arie Olympia. De Hoffmann
866
cabine de douche
Feu = Busserl
(Fierté dans le Sun Chariot)
----------------------
Fire + baiser + Phoebus
867
inter unoculos
caecos (concernant.
Poe Kxxx
----------------
= Le sous un œil
aveugle
868
(Paul souvent à Wilma)
"Entschulldije; mais ..
869
être lavage panier
panier à linge
est toujours le suivre:
ballon de
doit lui BPTI = amour
aidé
870
panier de
sparterie
Phall 46
871
Il arracha son
impression Thin
de d. + Sac
soigné
872
50 ans 3 Monde
et 3 jours
faire en Basse =
Saxe célibataires
873
ancien berceau anglais
tressée saule!
moïse, panier
panier = bateaux Pym
berceau = panier et Helen
874
la
bettreffende
Häwelmensch
((Pym))
875
Zit. Storm, I, 'Häwelmann'
Mast - Shirt - vent (soufflage)
-------------------------------
le häwelmännige
shirt de voile
Mast =
Tenez!) S. 55 ff.
876
la
Enkomiasten
la portée de Poe
877
Pretense de dangereux
plein état de
beaucoup prévisions
878
"Je plaide loin
plus pour elle: Fr.
une interdiction de silence
raccrocher: ils doivent
parler! Qu'ils le veuillent ou non
879
Le complexe de Eddy Poe =
(+ & Ouml; Oedipe) mère
mater
880
aucun
hiver
881
Freud I, 383
limite inférieure d. Pucelle =
hommes:
2 cas 1 1/2 - 2 ans
plusieurs 3e année!
Poe
882
"Vous en doutez,
que, lorsque le
Mère est ivre: et
le fœtus avec = ivre
est? "
883
«vices mère, ce qui
portent dans leurs entrailles
les seminals des autres
iniquités "(Sir Thomas
brun
884
"Peut-être parce
I idem dans
un panier à linge
avait couché "
885
blanc
1) Alcool PIII
886
Pym
mammifère -
mammifère
887
"Res angusta
domi, le Père "
(Dans le panier de lavage
(= moyens étroites en
home)
888
Voyage dans le
nuage de poudre
Pudor
889
Usher ~
cendres
Pym
890
Pene porcine
di vino
891
Ashes Pi II
Aschmedai
lorsque les rabbins
Amour = Démon
Ash = trot
892
Freud VIII, 160 (Leonardo)
"Dans le 3 ou 4 première vie =
Ans et impressions fixes
pour préparer les moyens de réagir contre
le monde extérieur, par lequel aucune
des expériences ultérieures plus de leur importance =
tion peut être volé. "
893
Freud VIII, 145 f.
S infantile = recherche
"Au 3 Le =
bensjahr à "travers" la
* Redouté un petit frère ou une soeur "
894
dans pc = Se souvenir
Si le théâtre entier (un) des êtres
intraçable;
bien, mais il est, à la
Etyms attaché à l'usine
895
Pour un au Paradis
le plus haut Galerie
dans le théâtre
------------------
Olympus; les dieux
896
grand oiseau
sifflement
(Theater = argot)
897
Hopfrog
le grand lustre
tiré vers le haut
Theater !!
898
Thököly
Le canot est à la fin
1) l'enfant dans le panier de lavage
(Osier!)
avec son pénis + Nu
2) le «rideau» Bravant = rideau de théâtre
3) la fente dans celle-ci: la mère
apparaître
899
Tsalal:
= Eisland
cette
Crymogaea
sive rerum Islandicarum
B 10, 287 f.
900
Théâtre: phrases en anglais
1) cyclorama: Rundhoriz final.
2) la lumière crue =!
3)
901
intentionnellement
corrompu
Hébreu + enfant
Redoublements a la
A a = popo = compteur
902
même nécessaire
il ne néces =
creuser en ce que le déplacement =
ces significations -
unrecognizable
2, 3 devient la plupart du temps être -
plus ensemble
avoir à fournir, PTO
902 verso
aussi précisément que
Étym
(Tekeli)
903
Etyms
La validité de la
La langue est une signification =
Maintenance, 1 Fabel apparemment
ni appauvri, ni
satisfait
904
Ass. 292
la mêlée
ton de légèreté &
solennité
----------------------
W: Votre .... J'aime
pas tout à fait. "
905
Pym de
Nu = fin Nu
1) un nègre = poupée?
2) que le nu = condition?
3) Avec = bébé dans le panier?
906
Jeux préférés &
= Jouets début
formulaire de la petite enfance
à partir de: comme quoi?
907
Poe + Cooper
la
'Vapeurs =
(Menstruelles?!)
vapeur; vapeur lat.
Liebesglut.
908
vapeur
est toujours 'ventus textile'
(Assignation) "Ce vêtement
de très vapeur "que les = Mar
chesa Aphrodite à Venise =
Venus entoure
909
Pi III
Banda mer
Juin et août
blanc de lait?
Pym?
910
apparences
interférence
2, 3 ou même 4
Praticable
pour corriger Gedan =
kengängen vous accoutumés
it!
911
Hot Milky
l'eau:
Urine?
Pym XXV
912
ce présupposé = Ä
- ..: - .. "Il a commencé;:
»-
"Me VerlangsDu
photo: Edgar Poe
âgé de trois ans dans un lave =
panier?
913
la
langue Pi
914
Tekelili
chatouiller lys?
------------
initialement Lilly
sur le bord! chatouiller la Lily!
915
Pym: 1838 Juillet
Ross. Jann. jusqu'à 1839-1843
916
Contre la sensualité S!
avait des prêtres pour se laver
avec la pruche, qui, pour
le meilleur S = moyen d'amortissement appliqué;
Oui, il est, les prêtres tels
Juice - probablement à petites doses -
même en état d'ébriété
B 5, 280
917
= Violet
Islande
918
il était
grande allégoriste
Le rôle de Spenser
919
Fletcher, Phineas
'Islande Purple' (1633)
= Carte du corps humain?
Enc. Brit: une grande ingéniosité! // La Geistesei =
Propriétés personnes; les flux de veines,
Knochenberg chaînes // 12 // chants PTO
919 verso
charme chef. des descriptions de
paysage rural
920
Chaque une cavité
sanctuaire
921
un peu trop
combattant vigoureux
pour ... -
SPD?
922
La capitale Pym
Tsalal
'Clock = Horloge' =
«Je lent où je vais,
Toujours Chicago avec moi.
923
bien sûr
aussi viscère =
Dreams - mais où MB
a droit, comme il l'a
d'une manière qui vaut à peu près =
qui se passe!
924
Tököli Pym
+ Tokologie à Purple-
Naissance = Académiques Islande =
poème
Donner naissance = client
Tokos = les témoins qui donnent naissance
925
Sied = Puella
Sied = pollen
+ Pôle Sud
926
régions
domaines
sud
cou
BEAR quator
927
la
Siedpool
928
19.1. * Pym
'Obstreperouth' 182
ce n'est pas parce que la
19.1. vorfallend, également connu sous le nom
poetis Obstetrecantibus
à interpréter?
929
Pym
joue sur d. inférieure
Culotte d. Globes
-----------------
+ bouchon
930
les héros
contrôle avec
de préférence
P (+ Sud)
931
PTO
dans le
Alabastergebürge
----------------
avec de nombreuses grottes naturelles
passages souterrains
Upper = BEAR Egypte
---------------
dessus du sol = souterrain
931 verso
"un sein = Fétiches
serait de Alabasterge =
se porter garant - Haute =
egypte, amour Wilma! -
rêvé
932
scissure
aussi anat.
colonne
933
vierge
nature
un
natis
tombé!
--------------
natal
934
crevasse = P1
FUT
935
fente
FUT
crannie
936
Trop = esprit est
monarque
appelé l'esprit!
937
anatomique
théâtre
---------------
Théâtre des opérations
OTAN + Nates
938
~ 1835
Burdach, physiologie, II. Band
"Le fœtus prend la
Idées d. Une partie de Mère, à propos de
comme d. Somanmbule où
d. Hypnotisuers "
939
Egypte. prêtre
tenue
lait
f. «sang blanc»
(Et donc bu pas)
940
fin laiteuse Pym
1.) sexuelle "dépenses"
2) pour provoquer l'éjaculation = mamelles
3) le lait chaud = lait chaud - graines
4) pan de lait =
cruche
941
lait 2
6) de lait = femme = une femme
masturbateur
7) = trayeur Melker masturbateur =
lait = un
8) = blanc laiteux
9) pour mettre laiteux = avoir peur
942
Sur fusillé ne
Pas Les Idees
Bonald
943
tout seulement
Prodromus
944
1 Double-Blikk
(Comme les flèches)
-------------
re Ra Eros?
945
"Ayat & uacute; la."
-------------
= "Ah oui, faire cela.
946
Cher W:
Le doute des talents
pour produire - à savoir
nouvelle enquête
de même les = confiants
provoquant la plus Suspecté
- Est l'un des plus précieux
du tout
947
'Petra'
948
Petra = couche.
"? Petra" F. soupçonneux: «Alors
est une petite amie de
moi - "(et était déjà
la voix loin ?!).
'Stephens AP'
949
Comment comprendre chaque
Writer était aussi le Poe
AT beaucoup plus intéressant et stimulant
que - en comparaison avec elle «mince»
: - NT! église
950
«Je l'avais déjà appris, à considérer
les mots de la plume inspirée =
l'homme avec à intérêt,
jamais ressenti auparavant.
-------------------------------
(Stephens, 1, 165)
951
spitz (W :)
"Qu'est-ce que Poe Religion
Comme la piété
- HasDu ma sa
Examen de Stephen, etc.
'Arabie Pétrée' lire?
952
Stephens, John Lloyd
(1805 à 1852)
publié sous d. «pseudonyme»
George Stephens 1837
"Incidents de Voyage en Egypte
Arabie Pétrée et la
Terre Sainte "
953 recto
Tsalal
SAELA
SAELA = Héb. PTO
gorge
rockface
Petra; Description dans la jambe,
Robinson, 5, 276 f.
953 verso
marchandises par Hieronymus
id Troglodyte. tous
Zone d'habitude. (Mannert)
954
Al. Keith 'La réalisation de
Bible 'prophéties'
---------------------------
1) 'Swallow Imprimer' dans les murs de montagne?
sculptées 2) étapes
Pxxx
955
ceux
Stephens
a récemment annoncé
devenu par la bonne
Ceram 'GGG'
956
poignard
Peters
à Petra.
957
Petra
----------
Pie = trä
= pee
958
pipi
~ Petra?
959
à Petra
dans une fosse
960
Poe loue ......
Petrarca u.
Petra Peters =
Pint !!
961
Saoudite (petraea)
1) un rabbia = Manic
2) peters + (la surprise)
pétrifié = raide
962
le Pym
extrémités Wupper
viscères
1) Stephens, II, 12
2) Irving, 'Astoria'?
L + C?
963
Jésus
Seïrach
964 recto
Yourself quelque chose à Erinne =
support tion, la
dessin vignettes
- Comme Hogarth PTO
--------------------
V:. Attention, discrètement!
964 verso
cité un écrivain
lui-même
965
Fr :)
écrit est moi sur
la vignette
966
ceci requiert
pas bibliophage
pour être
967
Pym Pym 20
Grand-père est également
de nouveau
M. Peterson
968
Laborde, de
«Voyage dans l'Arabie
Petree '(Paris 1830-1833)
(Poe y est citée. Lire?)
est des images efficaces
contenir, v Petra .:
969
et Lui,
d'autres Quinn
------------
V: elle ........
queann?
970
vaporisez mon écriture doigt
Sparks quand je
Sujet seulement ge =
pensez! facilité (P.
excité)
971
la spécificité du cadre
Quinns Poe composé,
qu'il ne le comprend pas
- Ce qui ne l'empêche pas d'être
l'auteur fait très digne
a.
972
Blackwood
"Aussi tendre 467 f
Que Zaïre "!
voltaire + Mont Seir
973
"Le voila Fait Connu,
CE secrète plein d'horreur! "
(De «Zaïre» v. Voltaire)
zit.
974
Servilbuchstaben
Hébreu pour l'amour
d. la flexion
verbes insérées
-------------------
à Etyms
975
Dupuis, Charles Francois
(1742-1809) selon
d. d 'origine. Pélasges
de l'Ethiopie!
976
le Pym
ravins, etc.
Stephens
977
Petra (EB.!)
1) L'entrée la plus impressionnante de la
est, vers le bas d'une gorge sombre et étroite,
ft dans des endroits seulement 10 ou 12 de large
2) ~ tombes tumili
3) lignes avec des rochers et des tombes
978
desséché
+ Seraglio?
979
la
arabe
980 recto
à Stephens appelé Pym
Compagnons Paul Nuozzo
1) le pollen
2) nuziale nuptial
3) pao nazzo Polo violet =
4) = pôle de mariage de nozze !!
5) pollone = tirer PTO
980 verso
Polla Springquell
pollice pouce
polluzione ~ sondage (n) uzione
= pollution
ergo: un Dirk Peters!
981
Poe
une bien
amer -
1) Bittern
2) la liqueur mère
982
'Bitter' Pym
1) Pym sur Tsalal
2) I IV, 504 f. Dans Stephens
'Arabie Pétrée' (= Ezéchiel)
983
Pym ~ Terre Sainte
1) gomme arabique Arabie Pétrée
2) l'hébreu
3) un butor - Stephens
984
divorce
z. T. large chevauchement
Extraits résultats suivent =
de:
985
sans moi la
Droit .....
aller
986
Stephens
1) parce qu'il est Idumée =
Edam = = Eden Aidoim:
Fut est!
Edomit = sodomite
987
toucher = Supplément de trou!
touchhole Seir
+ = Trou Contactless
988
'Densités' ne
mensonges nécessairement '
ex professa '
Mensonges + extraits font ~
-------------------------
pxxx plagiarize
989
«Je suis certaine mesure
un «Stiller dans le pays '
- "" Vous Oui "!
dit-elle sombrement
990
monture
Seir = FUT !!
gonflement
991
Seir ~ sere
Syrene?
------------
Poe
992
Nous, les esclaves
la méthodologie
993
"Seir, entrez
La liberté de pensée! "
994
Ulalume
commence par l'As =
répétition de
sere = Seir =
FUT
995
Silence:
Zaïre ~ Seir
sere !!!
= Fut !!
996
silence
La rivière
Zaïre = Seir
!!
997
Zaïre
1) rivière Z. - 'Silence'
2.) also tendre Que Z.
- Blackwood 467
998
est en Pline
le jeune Nil
Siris ~ Seir
----------------
Mont Seir?
999
la
seeress de
cuncerd
----------------
sere + cun!
1000
le titre
Ligeia
parce qu'une sirène
Seir est: ie. à
sere = série FUT
entendu







13 oct. 2016




 Bad Bitches in the Canon
     “Lila appeared in my life in first grade and immediately impressed me because she was very bad.” -Elena Ferrante, ‘My Brilliant Friend’



The writers Anaïs Nin and Flannery O’Connor both hit milestones in the 1950s: O’Connor won a whole bunch of literary awards, and Nin married her second husband, (twenty years her junior) while still married to her first. The former was thwarted only by lupus, the latter by the IRS, which would not let both husbands claim her on their tax returns. Such is the life of a literary bad bitch.

Nin is famous for her unexpurgated memoir Henry and June, which details her 1931–2 sexual obsession with the American writer Henry Miller and, now and then, his wife June (who appears in the flesh for about two paragraphs). About three fucks out of every ten thousand, Henry and/or Anaïs wonders if they’re together because they cannot be with June. She is the parmesan to their pasta — what O’Connor, in her letters, would spell as cheeze — but never the main dish. Nin’s memoir should have been titled Henry and…Where’d she go? NY? Oh well. As for O’Connor, well, even Esquire lists her on their predominantly male must-read list. She’s right up there — a few spots ahead of Henry Miller.

The funny thing is, Anaïs Nin is not on that list, even though she was all over Henry Miller. Most people — and by ‘most people,’ I mean ‘most woefully inexperienced freshman English majors,’ by which I mean ‘myself, once’ — read Anaïs Nin to learn how artists love, if not how to be an artist in love. And then they go into therapy.

That 2015 Esquire list caters to men, which is most of what Nin does. Here’s a hot slice: “Last night in my sleep I touched Hugo’s penis as I learned to touch Henry’s. I caressed it and pressed it in my hand. In my half-sleep I thought it was Henry. When Hugo became excited and began to take me, I awakened fully and was deeply disappointed. My desire died.”

Who’s Hugo? Just Nin’s banker husband, out of whose clothing-allowance she funds Henry’s stay in Paris. Nin had slept with one of Hugo’s associates, before sleeping with her cousin Eduardo, which was before (or while?) she slept with Henry, and definitely before she saw and seduced Eduardo’s therapist, after which she sent Hugo to see said therapist. Bad bitch? Her trophy is in the mail, my friends.

Much has been made about female friendship in literature these days, and all of it has made me wonder: what about the writers who could have been or should have been or who — HELL — just had friends? Nin wrote Henry and June when she was approaching 30 in the ’30s. She was a cool twenty years O’Connor’s senior and, when not in Europe, only lived on the American coasts. Aside from stints in Iowa, NYC, and Connecticut, O’Connor stuck it out in Milledgeville, Georgia for most of her life. But if Nin and O’Connor had been in primary school in the US at the same time (alternate reality, I know, but hang with me), then CLEARLY they would have been seated next to each other. WHICH MEANS THEY WOULD HAVE BEEN FRIENDS. Eventually. At some point. Because geography is destiny. Have you not seen “Freaks and Geeks?”

Here’s how Nin and O’Connor were so different that they would have HAD to have been friends: Nin had beauty, luxury, Europe, and “lying soldered for four days” at a time with Henry Miller. O’Connor was swollen with lupus, raised peacocks to get by, and once travelled to Europe on a pilgrimage with Regina (her mother). Nin deified Miller; O’Connor, God. Nin risked surgery so she could “forever efface the humorous tilt of [her] nose”; O’Connor got steroids so she could stand up.

And yet, O’Connor had something Nin did not, besides success as a fiction writer. What Nin needed more than any night of boning Henry Miller was to hang out with a person who could laugh at her and with her, who wasn’t trying to sleep with her, who wasn’t using her for her husband’s money, who read her writing for what it was instead of what it wasn’t. What her writing is, for the record, is fucking brilliant.

Nin’s biggest reader, and thereby biggest critic, was Henry Miller. Nin showed him her diaries as she was writing them, so that even when she was writing about what he thought about her writing, she was vying for his approval. One of her proudest (and saddest) moments comes when “Henry says I write like a man, with tremendous clearness and conciseness.” (Hear that? It’s the silence of a bajillion women, who should be writing as the people they are, not the people they can never be — people who are, by the way, not so very “clear” or “concise.” Take a little peek at Tropic of Cancer if you don’t believe me.)

Nin’s reliance on Miller’s approval would have stuck in O’Connor’s craw had they actually known each other. O’Connor knew of Nin, and there was definitely something about Nin that bothered her, as she wrote to a friend: “The last issue [of The Village Voice] had an interview with Anaïs Nin in it which nearly made me throw up.” Something else that made O’Connor want to vomit was people who talked about “The Struggles and Loneliness of the Writer.” Much of O’Connor’s income came from speaking engagements at colleges, and she bristled at the stereotypes and limitations imposed on her. In a 1956 letter, she referred to another (unnamed) female writer who had told their shared audience that “we must be better sweethearts wives & mothers.” O’Connor made clear that she’d prefer that mandate than to be told how lonely she was in her struggle as a writer.

You could tell O’Connor how to be a woman and she’d keep her food down, but woe to the individual who dared tell her how to be an artist. O’Connor’s mother, Regina, supported her but did not understand her: “The other day she asked me why I didn’t try to write something that people liked instead of the kind of thing I do write. Do you think, she said, that you are really using the talent God gave you when you don’t write something that a lot, a LOT, of people like? This always leaves me shaking and speechless, raises my blood pressure 140 degrees, etc. All I can ever say is, if you have to ask, you’ll never know.”

Nin had her own unanswered questions, such as: “Could Hugo be made more sensual? It lasts so short a time with him. He thinks himself a phenomenon because he took me six nights in succession, but with quick, stabbing movements.” Girl — if you have to ask…

And right there is the greatest gift Flannery O’Connor could have given: laughs. Anaïs Nin had all of the sex, but she had none of the laughs — and no friends. Was June Miller a friend? June Miller made a spectacle of promising sexual favors to a ticket salesman because she had blown Nin’s clothing allowance on perfume for a friend other than Anaïs. With friends like that, who needs friends?

Flannery O’Connor, on the other hand, was a friend for life. Referring to her buddies at the Yaddo Writer’s Colony, perhaps specifically Robert Lowell, O’Connor wrote, “I was too inexperienced to know he was mad, I just thought that was the way poets acted.” You catch that? She was Catholic and, because she was Catholic (or perhaps just polite), she left the judging to God.

O’Connor couldn’t go to visit her friends as much as she would have liked (see: lupus), but her collected letters tally nearly 600 pages of teeny tiny print. As the brilliant Hilton Als will tell you, there were many more writers Flannery O’Connor should have befriended, but she was loyal to those she had. And she was funny as hell. In response to a comparison between her own writing and that of another Catholic, Graham Greene, O’Connor explicates that “If Greene created an old lady, she would be sour through and through and if you dropped her, she would break, but if you dropped my old lady, she’d bounce back at you, screaming, “Jesus loves me!” I think the basis of the way I see is comic regardless of what I do with it.”

Unbreakable old ladies, screaming Jesus loves me! O’Connor could have taught Nin to laugh at the men who told her what and how to be. Perhaps O’Connor could have benefited from Nin’s perspective in return. In a rare moment of vulnerable reflection, O’Connor acknowledges

    …sickness is a place, more instructive than a long trip to Europe, and it’s always a place where there’s no company, where nobody can follow…Success is almost as isolating and nothing points out vanity as well. But the surface hereabouts has always been very flat. I come from a family where the only emotion respectable to show is irritation. In some this tendency produces hives, in others literature, in me both.

When Nin was “down in the dumps,” she “would clamber out again to good coffee on a lacquered tray beside an open fire. Each time I would clamber out to silk stockings and perfume. Luxury is not a necessity to me, but beautiful and good things are.”

O’Connor did not have lacquered trays or silk stockings (she didn’t even specify whether her beloved sweater from Italy, sent by friends, was cashmere; perhaps because she didn’t know), but she would have loved Nin’s perfume, Narcisse Noir by Caron. Favored also by Gloria Swanson, the scent has notes of orange blossom, bergamot, petitgrain, lemon, rose, jasmine, jonquil, narcissus, musk, vetiver, civet, and sandalwood. In short: everything good and soothing and sensual.

O’Connor once wrote to a friend: “Do you read the National Geographic or do you smell it? I smell it. A cousin gave me a subscription when I was a child as she noted I always made for it at her house, but it wasn’t a literary or even a geographical interest. It has a distinct unforgettable transcendent apotheotic and very grave odor. Like no other mere magazine. If Time smelled like the Nat’l Geo. there would be some excuse for its being printed.”

These two writers, polar opposite as they may seem, were both sensualists: O’Connor inhaling the National Geographic, resplendent among her peacocks, and Nin, bathing in Narcisse Noir, among that other sort. Bad bitches, indeed.




Olivia Ciacci


25 sept. 2016

L’irréprochable


Comment ai-je pu revenir des préjugés contre Heidegger dont j’avais été la consentante victime ? C’est évidemment grâce à la chance inespérée d’avoir été l’élève de Jean Beaufret.
Un jeune étudiant en philosophie qui cherche à s’orienter dans ses études et dans le monde, se sert volontiers de repères simples, et d’abord du plus simple d’entre eux, le repère négatif (la figure du “mauvais”), surtout s’il le partage avec le plus grand nombre. Dans le milieu intellectuel du début des années cinquante circulait déjà autour de Heidegger un bel ensemble de calomnies; j’en étais naturellement imbu, au point de nourrir à mon tour les soupçons les plus insidieux à son égard, ceux qui n’ont même plus besoin d’être formulés pour que s’entretienne une robuste antipathie.
Aujourd’hui, près de cinquante ans plus tard, les mêmes mécanismes continuent de fonctionner : une cabale hétéroclite veille à raviver régulièrement la plus grave des suspicions sur un homme et sur une pensée dont je prétends aujourd’hui pour ma part qu’ils sont l’un comme l’autre irréprochables. Je donnerai plus loin les raisons qui me conduisent au choix de ce terme, et l’acception exacte dans laquelle je le prends.
Avoir cru autrefois (je n’ose plus dire “en toute bonne foi”) à ce que j’entendais colporter sur le “cas Heidegger” m’oblige moins désormais à être indulgent vis-à-vis des victimes actuelles de ce battage, qu’à attirer avec toujours plus d’intransigeance leur attention sur le piège qui leur est tendu, et surtout sur ce qui motive la constance avec laquelle on persiste à le leur tendre.
Comment Jean Beaufret s’y prenait-il pour guérir ses élèves de leurs préventions à l’égard de Heidegger ? En les mettant simplement au contact direct des textes.
Je défie quiconque de lire sérieusement Heidegger, et de pouvoir continuer à soutenir que ce qu’il vient de lire le lui rend suspect. Mais lire sérieusement, cela ne s’improvise pas, et demande un apprentissage. Le harcèlement contre Heidegger revient en fait à entretenir autour de sa pensée et de sa personne un halo de méfiance chargé d’inhiber par avance toute velléité d’observer à leur égard, ne serait-ce qu’en un premier temps, une simple attitude d’objectivité. Ainsi se forme une boucle aussi banale qu’efficace : la méfiance engendre un interdit, lequel renforce la méfiance.
Il suffit, je le répète, de se mettre sérieusement à l’étude de ce que Heidegger écrit pour voir la véritable fonction de ce cercle vicieux : servir de rideau de fumée – lequel cependant ne peut plus, une fois identifié comme tel, que se dissiper. C’est bien pourquoi l’effort principal des dénonciateurs vise à empêcher d’aller y regarder par soi-même.
C’est bien en le lisant que j’ai commencé à voir que, loin d’être un penseur sulfureux, Heidegger est probablement l’un des rares auprès desquels notre monde pourrait trouver à se sortir d’une impasse de péril extrême, où nous nous engageons, sinon, avec chaque jour moins de chances de réchapper.
Mais plus je lisais les textes de Heidegger, plus m’intriguait du même coup l’homme qui les avait écrits. Bien avant de le lire, je vivais déjà dans la conviction qu’une possible disparité entre l’élévation d’une oeuvre et les carences de son auteur ne vaut que pour ce qui, somme toute, émerge à peine au-dessus de la médiocrité. J’étais donc profondément curieux de voir l’homme Martin Heidegger, et de le mesurer au considérable penseur que je découvrais peu à peu en m’étant mis à lire ses livres. C’est pourquoi, quand j’ai eu la possibilité de le rencontrer, j’ai observé cet homme avec tant d’attention.
J’ai vu Heidegger pour la première fois à l’occasion de la conférence qu’il était venu prononcer à l’université d’Aix-en- Provence fin mars 1958. Cette conférence, c’est le texte Hegel et les Grecs. Après la conférence, je lui ai été présenté par Jean Beaufret, et le lendemain en fin de matinée, j’ai participé à un petit séminaire que Heidegger avait tenu à organiser avec quelques étudiants et enseignants, en écho à la conférence de la veille.
Ce qui m’a le plus frappé lors de ce premier contact, je m’en souviens bien, c’est un contraste étonnant, que j’ai souvent éprouvé par la suite et auquel je n’ai cessé de repenser depuis. Autant Heidegger était concentré, présent, rivé exclusivement à la pensée quand il était à son travail, autant c’était, dans la vie de tous les jours – pourvu que ce ne fût pas dans un cadre officiel ou mondain – un homme détendu et ouvert. Tandis qu’il s’avançait pour prendre la parole dans le grand amphithéâtre d’Aix, il était déjà à ce point pénétré, et j’oserai même dire : plein de ce qu’il s’apprêtait à lire qu’il donnait la très saisissante impression d’être physiquement plus massif et plus grand qu’il n’était en réalité. Ce dont je me rendis compte après la conférence, en le voyant face à face. Je suis moi-même de taille moyenne; or il était sensiblement plus petit que moi (plus petit même que Bonaparte ou Mozart, lesquels mesuraient 1 m 66). Assis, après la conférence, au fond du Café des “Deux Garçons”, il parlait avec la plus grande simplicité. Tout en l’écoutant, je remarquais sous une apparence de solidité ce qu’il avait de physiquement fragile, par exemple l’extrême finesse des attaches. Plus tard, j’ai pu constater que cela ne l’empêchait nullement d’entreprendre sur un rythme soutenu de longues marches tout au long des pentes de la Forêt-Noire.
Le séminaire du lendemain de la conférence est le premier auquel j’ai assisté. Ce qui m’y a tout autant surpris, c’est le comportement bienveillant de Heidegger. Il ne s’agissait pas pour lui d’imposer quoi que ce soit. Tout au contraire, il était d’emblée attentif à ce que disaient ou cherchaient à dire les participants; mieux encore : il était attentionné – d’une manière dont je n’avais jamais encore eu aucun exemple – comme s’il s’attendait à ce que le moindre des interlocuteurs pût apporter quelque clarté sur des questions qui lui demeuraient à lui-même encore obscures. Ce n’était évidemment pas une attention affectée.
Aussi me suis-je très vite mis en quête de témoins ayant connu et fréquenté Heidegger depuis de longues années. Je voulais apprendre d’eux si Heidegger avait changé d’attitude; car je m’imaginais que, plus jeune, cet homme devait être tout le contraire de celui que j’avais sous les yeux : un professeur cassant, peut-être même dur, prompt à rabrouer les moindres insuffisances de ses étudiants.
C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Walter Biemel – mais pas seulement de lui. Je ne voudrais pas oublier ici une femme exquise, Ingeborg Krummer-Schroth, qui avait assisté à tous les cours et séminaires de Heidegger depuis 1934. Je me souviens de sa réponse, lorsque je lui ai demandé si le Heidegger de la pleine maturité était un professeur intraitable. — “Qui a bien pu vous dire cela!” me dit-elle avec une expression de complet ébahissement. Et elle se mit à me raconter ses souvenirs d’étudiante – lesquels avec vingt-cinq ans d’intervalle venaient coïncider avec mes impressions toutes fraîches : même bienveillance, même écoute – de la part d’un homme qui par ailleurs écrit et pense sans la moindre compromission. Même bienveillance et même écoute, mais pas au détriment de l’autre aspect de Heidegger au travail avec ses étudiants, à savoir l’impressionnante capacité de ne pas perdre son fil, malgré l’absolue liberté laissée – que dis-je ? demandée aux interlocuteurs.
J’ai assisté, avec Jean Beaufret et Julien Hervier, au séminaire de Todtnauberg, en août 1962. Il était consacré au difficile texte Temps et Être. Puis, toujours désireux de pouvoir observer Heidegger au travail en séminaire, j’ai eu la joie de le voir accepter l’idée de venir en Provence. Ce furent les “Séminaires du Thor” – dont Hannah Arendt écrivit, dans une lettre envoyée à Heidegger peu d’années après : « J’ai enfin pu lire le Séminaire du Thor. En voilà un, de document extraordinaire! À tous points de vue. Et pour moi, d’une importance toute particulière : cela m’a tellement rappelé le temps de Marbourg, et toi comme maître, à ceci près que c’est maintenant toi aujourd’hui, au coeur de ta pensée d’aujourd’hui.»
Hannah Arendt a raison : avec Heidegger, il s’agit bien d’un maître. Mais pas du tout de ce que nous, français, appelons un “maître à penser”, quelqu’un chez qui l’on va chercher une doctrine toute faite pour enfin (espère-t-on) pouvoir s’orienter au milieu des difficultés inextricables de la vie. Avec Heidegger, pas de doctrine. C’est un maître au sens du maître d’école – de l’instituteur – celui chez qui l’on apprend les rudiments qui servent à apprendre tout le reste. Heidegger est un maître dans l’art d’apprendre, soi-même, à se poser les vraies questions : celles qui ne peuvent recevoir de réponse au sens habituel du mot, parce que les vraies questions vous ramènent à l’ultime précarité, où l’existence ne vous laisse plus comme issue que de déployer, quelle qu’elle soit, votre carrure. En cela il est effectivement maître – au vieux sens latin du magister, le symétrique inverse du minister. Autant ce que fait ce dernier est minime, de simple administration, autant le magister s’occupe d’accroître, d’augmenter. C’est toujours pour moi un sujet d’étonnement que de constater comment on ne cesse d’esquiver, en pensée comme en action, un thème pourtant constant chez Heidegger, celui de l’attitude à avoir vis-à-vis de ce que l’on cherche à comprendre. Ainsi peut-on lire, dans la transition qui va de la 7ème à la 8ème heure du Cours “Was heißt Denken ?” : « Si nous voulons aller à la rencontre de ce qu’a pensé un philosophe, il nous faut agrandir encore ce qu’il y a de grand chez lui. (…) Si au contraire notre projet se limite à seulement vouloir porter contre lui des attaques, rien qu’en voulant cela, nous avons déjà amoindri ce qu’il y a de grand en lui.»
On reste loin du compte en limitant ce propos à n’être qu’une règle d’interprétation, ou de “lecture”. Ou plutôt, le prenant ainsi, on se fait une idée bien douillette de la lecture, que l’on entend alors comme une pêche d’informations, laquelle a donc intérêt à se faire le plus vite et le plus astucieusement possible. Heidegger a écrit en 1954 un petit texte qui s’intitule : Que demande “lire” ? (Édition intégrale, t. 13, p. 111) : « Que demande “lire” ? Ce dont tout dépend, ce qui décide de tout quand il s’agit de lire, c’est le recueillement. Sur quoi le recueillement rassemble-t-il ? Sur ce qui est écrit, sur ce qui est dit par écrit. Lire, dans l’acception propre du terme, c’est se recueillir sur ce qui a déjà fait, un jour, à notre insu, entrer notre être au sein du partage que nous adresse la parole – que nous ayons à coeur d’y répondre, ou bien, n’y répondant pas, que nous lui fassions faux bond.
En l’absence de cette lecture, nous sommes du même coup hors d’état de pouvoir seulement voir ce qui nous regarde, c’est-à-dire d’envisager ce qui fait apparition en son éclat propre.» Voilà qui jette quelque lumière sur la remarque en incise qui se trouve dans Le chemin de campagne, où il est question de Maître Eckhart, le “vieux maître de lecture et de vie”. L’une des nombreuses choses dont la lecture de Heidegger permet en effet non seulement de faire l’expérience, mais qu’elle permet aussi de penser, c’est l’unité dans laquelle vivre, quand c’est de vivre au sens le plus plein qu’il s’agit, est inséparable d’un savoir – quelle que soit la manière, spontanée et instinctive ou bien très subtile, dont il s’articule, mais où d’emblée l’art de vivre se déploie lui-même en vie de l’esprit. Comme le dit encore Hannah Arendt, dans une autre lettre à Heidegger : « Personne ne lit comme toi.»
Cela, je ne l’ai pas perçu dès l’abord dans toute sa redoutable simplicité, ni surtout dans sa portée proprement unitive. 
Je ne voyais pas encore en sa limpide lisibilité – pour recourir aux termes facilement rébarbatifs du jargon philosophique – que l’herméneutique est déjà en soi-même toute l’éthique (en langage de tous les jours : qu’on ne peut pas être à la fois un grand penseur et un individu par ailleurs douteux – ce qui, si je ne m’abuse, devrait avoir de quoi réveiller les coeurs les mieux endurcis).
On entrevoit peut-être ici pourquoi m’a attiré la tâche (apparemment étrange, même pour plus d’un ami proche) de faire entendre à mes contemporains que Heidegger n’est décidément pas ce que l’on nous présente encore aujourd’hui à peu près partout : ce personnage qui se serait criminellement compromis avec un régime criminel.
Voilà pourquoi je suis allé, dès la fin des années cinquante, interroger nombre d’anciens étudiants de Heidegger, et même quelques anciens collègues. Je me souviens du jour où j’ai rencontré le grand philologue Wolfgang Schadewaldt. C’était après la publication de l’article Trois attaques contre Heidegger dans la revue “Critique”. Dès qu’il m’eut identifié comme leur auteur, il manifesta à mon égard une particulière amabilité : « Tout ce que vous avez écrit là est vrai! ». Et il ajouta : « Si vous venez chez moi, à Tübingen, je vous montrerai d’autres documents qui vous permettront d’aller plus loin encore dans la défense de Heidegger.» Mais je devais, à ce moment déjà, assurer mon service au lycée, et cette invitation n’a pu se concrétiser. Même réaction de la part d’Emil Staiger, de Zurich. J’ai déjà parlé d’Ingeborg Krummer-Schroth. Par manque d’espace, il me faut aussi, hélas, passer sous silence ce que m’ont confié tant d’anciens étudiants. Mais je tiens à évoquer tout spécialement Walter Biemel.
C’est qu’il reste témoin des années d’enseignement de Heidegger au moment où le régime hitlérien entrait dans le paroxysme de sa criminalité. Walter Biemel est arrivé à Fribourg-en-Brisgau en mars 1942, et il a été étudiant de Heidegger jusqu’à l’été 1944. Par lui, au cours de longues conversations, j’ai pu me faire une idée précise de l’attitude du philosophe non seulement dans la “sphère privée”, mais encore comme professeur d’Université. Depuis, toutes ces confidences ont été rendues publiques dans plusieurs textes de Walter Biemel, malheureusement encore non-traduits dans notre langue. Mais il faut ajouter qu’on n’y a pas, en Allemagne non plus, prêté l’attention qu’ils méritent – pour la raison probable que, là-bas comme ici, ne plus pouvoir s’abriter derrière le fantasme d’un Heidegger suspect a priori rendrait obligatoire un certain nombre de révisions déchirantes – perspective assurément grosse d’angoisses diverses.
Ce que je cherchais, en interrogeant Walter Biemel, c’était à vérifier si mon intuition concernant le “caractère” de Heidegger correspondait à la vérité. On se souvient peut-être du mot de Sartre : “Heidegger n’a pas de caractère, voilà la vérité.” Travailler Heidegger m’avait déjà amené à fortement douter du sérieux de ce propos.
Avec Walter Biemel, témoin direct, j’étais en mesure d’apprendre si Heidegger avait vraiment “manqué de caractère” – et précisément à l’époque cruciale des années 1942-1944. Ce que m’a alors raconté Walter Biemel est venu corroborer ce que je pressentais. À l’université de Fribourg, me disait-il (et comme j’ai dit plus haut, il l’a publié depuis), Heidegger était le seul professeur qui ne commençait pas ses cours en faisant le salut hitlérien. Je me
souviens lui avoir alors demandé : “Voulez-vous dire que les professeurs hostiles au régime, ceux qui allaient former, après l’effondrement du nazisme, la commission d’épuration de l’université devant laquelle Heidegger a été sommé de comparaître, faisaient, eux, le salut hitlérien au commencement de leurs cours ?” — “Évidemment! Seul Heidegger ne le faisait pas”, me répondit Walter Biemel en frappant la table du plat de la main. Des années plus tard, peu après qu’eut été édité l’extravagant factum de Victor Farias (lequel – tel un pétrolier englouti qui continue de polluer les côtes – sert toujours de référence à la propagation des calomnies), j’ai dit un jour publiquement : “Heidegger n’était pas un héros”. Il me paraît en effet que ne pas faire le salut pourtant officiellement prescrit ne mérite pas à propremenr parler la qualification d’acte héroïque. À ma grande surprise – car je n’avais pas encore mesuré à quel degré de mauvaise foi pouvait conduire l’acharnement contre Heidegger – un détracteur falsifia mon propos, prétendant que j’avais dit : “Heidegger était un lâche”.
Jamais je n’aurai l’impudence de déclarer que ces collègues réellement hostiles au nazisme, mais qui observaient les prescriptions officielles, étaient des lâches. Ils étaient simplement prudents et conformistes. Heidegger – qui n’était donc pas un héros – n’a été à ce moment là (qui, je le répète, coïncide avec la période la plus maléfique du régime nazi) ni conformiste, ni prudent. Pour moi, c’est une preuve très éclatante de caractère. Walter Biemel ne manquait pas d’attirer mon attention sur le fait tout aussi important que cette attitude courageuse de Heidegger étaient parfaitement comprise par les étudiants. Aussi me confia-t-il n’avoir pas été étonné outre mesure, lors de la première visite privée qu’il lui rendit à son domicile, de voir Heidegger se livrer à une critique en règle du régime nazi, “qu’il traitait de criminel”. C’était la première fois, ajouta-t-il, que j’entendais prononcer des propos aussi graves de la bouche d’un professeur d’Université.
Mais ce récit, pour moi, est décisif pour une autre raison encore. Je suis tombé, en effet, lors de mes investigations, sur un témoignage selon lequel Heidegger aurait employé dès 1935 le terme de “criminel” pour désigner le régime nazi. En droit, le témoignage d’un seul n’est pas recevable; aussi n’en ai-je jamais fait état – ce qui ne m’empêche nullement d’être persuadé, à titre personnel, que Heidegger pensait déjà ainsi deux ans seulement après le pas de clerc qu’a été le fait de croire un temps que soutenir Hitler n’était pas inconciliable avec s’engager pour une véritable révolution.
J’ai dit en commençant que je regarde aujourd’hui Heidegger, aussi bien en tant qu’homme qu’en tant que philosophe, comme irréprochable. Le moment est venu de m’expliquer. Comme j’ai perdu tout espoir de ramener à la raison ceux qui se font une religion de “démasquer” (comme ils disent), tapi derrière la pensée de Heidegger, un “archi-fascisme” “néo-néolithique” (on croit rêver! – mais ces balivernes ont bel et bien été proférées dans un récent colloque de “spécialistes”, et sans provoquer l’hilarité), je m’adresse aux gens qui voudront bien examiner, chacun en son for intérieur, la portée et la pertinence des arguments que j’avance.
L’irréprochable, je l’entends de manière parfaitement univoque comme : ce à quoi l’on ne peut pas recevablement adresser de reproche. Je crois qu’irréprochable peut être entendu ainsi par tous.
Que reproche-t-on à Heidegger ? Toujours et encore, ce que l’on prend bien soin d’appeler son “adhésion au nazisme”. Or cette formulation est inadmissible – pour la raison claire qu’en bon français, “adhésion au nazisme”, cela signifie adhésion à l’idéologie raciale des nazis, laquelle implique : l’extermination des Juifs, la réduction en esclavage des “races” prétendues “inférieures”, et la création, par sélection des “meilleurs”, d’une race appelée à incarner l’humanité future. Rien que dire : “l’adhésion de Heidegger au nazisme”, cela implique par conséquent – qu’on le veuille, ou bien que l’on ne s’en rende pas clairement compte – que Heidegger a donné son assentiment à cette idéologie criminelle.
Or je soutiens, ici en France, depuis près de quarante ans, que jamais Heidegger n’a “donné son assentiment au crime” – comme on peut encore le lire, écrit noir sur blanc, ou l’entendre déclarer avec impudence dans de nombreux congrès “philosophiques”. Et je continuerai à le redire tant qu’il faudra, non sans savoir que les preuves que j’avance, du seul fait qu’elles visent à établir que Heidegger n’a pas fait cela, sont des preuves indirectes. Or, par leur nature même, des preuves indirectes sont hors d’état d’établir positivement que quelqu’un n’a pas participé – ou même donné son assentiment – à un crime. Dans ces circonstances, lever tout à fait un soupçon est une tâche presque impossible à mener jusqu’à son complet aboutissement, vu le caractère indirect de la démonstration. Mais n’oublions pas par ailleurs que l’hostilité de l’opinion publique est systématiquement entretenue contre le soupçonné. C’est pourquoi il est si important de rappeler les raisons de cette louche hostilité. Il faut faire voir aux honnêtes gens comment les manoeuvres des dénonciateurs visent à culpabiliser l’intérêt que l’on pourrait porter à l’oeuvre de cet homme.
À présent, regardons de plus près. Si c’est bien une inacceptable calomnie que de parler d’une “adhésion de Heidegger au nazisme”, il n’en reste pas moins que le philosophe s’est engagé, pendant son Rectorat, en soutenant sans réserve plusieurs initiatives du nouveau régime. Je pèse mes mots, et ne dis pas : “en soutenant sans réserve le nouveau régime” – parce que, précisément, il ne soutient pas tout ce qui se fait avec l’arrivée au pouvoir du régime en question. L’une des premières mesures prise par le recteur Heidegger est un fait incontestable et très significatif par lui-même : interdire dans les locaux universitaires de Fribourg-en-Brisgau l’affichage du “Placard contre les Juifs” rédigé par les associations d’étudiants nationaux-socialistes (et qui sera affiché dans presque toutes les autres universités d’Allemagne). Ce fait indéniable (que les détracteurs de Heidegger, au mépris de la plus élémentaire honnêteté, passent sous silence, ou bien dont ils cherchent à minimiser la signification pourtant patente) permet, à mon sens, de se faire une idée plus claire des conditions dans lesquelles Heidegger a cru pouvoir assumer la charge du rectorat.
Si l’on veut ne pas rester prisonnier des fantasmes, il faut partir de la situation telle que la juge Heidegger au moment où il choisit d’accepter d’être recteur. À la fin de son Discours de Rectorat, Heidegger en parle – nous sommes le 27 mai 1933 – en usant de la formulation suivante : aujourd’hui, «… alors que la force spirituelle de l’Occident fait défaut et que l’Occident craque de toutes ses jointures.» Ce qu’il faut bien noter ici, c’est que Heidegger ne limite pas son propos à la situation interne de l’Allemagne (laquelle, en ce début 1933, est pourtant catastrophique). Son diagnostic s’étend à l’ensemble du monde occidental, où il constate un phénomène sans précédent, qu’il est possible – à condition d’entendre le mot parler dans tout ce qu’il a de réellement inquiétant (“la machine terraquée détraquée”) – de nommer : détraquement. Il est plus qu’urgent pour tous d’y prêter la plus lucide des attentions. Car si l’on veut garder une chance de n’y pas succomber, il faut faire face à ce détraquement, c’est-à-dire d’abord reconnaître ce qui s’y passe, afin d’apprendre comment s’en dégager. Voilà ce que j’ai nommé plus haut : engagement pour une véritable révolution. Heidegger, bien avant 1933, sait que le monde actuel ne peut plus faire l’économie d’une vraie révolution.
Ne confondons pas le diagnostic (le monde occidental s’est fourvoyé dans une impasse) avec ce que l’on nomme en Allemagne “Kulturpessimismus” – le “pessimisme relativement au processus général de civilisation”. Il n’y a en effet simplement pas de place, chez Heidegger, pour un pessimisme. Il s’agit au contraire, en convoquant toutes les forces capables d’affronter le péril (qui est dans doute encore plus pernicieux en notre début du XXIème siècle qu’il y a maintenant soixante-dix ans), de ne pas céder au découragement, mais de rendre son magistère à la pensée.
Aussi ne faut-il pas croire débilement que Heidegger ait vu en Hitler un “sauveur”, ou même un “homme providentiel”.
Il n’éprouvait certes pas pour lui cette répulsion instinctive que nous ressentons quand nous voyons attaquer de front l’héritage de la Révolution française. Mais dès avant cette époque, Heidegger avait fait sienne une conception de la révolution selon laquelle la Révolution française n’a été, tout bien considéré, qu’une tentative avortée, exactement comme la révolution bolchevique de 1917 qui se voulait l’héritière de celle de 1789. N’oublions pas ce qui n’a cessé d’avoir un écho majeur chez lui, à savoir la profession de foi que prononce Hölderlin dans sa lettre du 10 janvier 1797 : « Je crois à une révolution des modes de conscience et de représentation qui fera honte à tout ce qui l’aura précédé.» Ce qui s’esquisse dans le propos du poète, nous en sommes aujourd’hui terriblement loin. Dans cet éloignement, le nazisme a incontestablement joué, quant à lui, un rôle particulièrement sinistre. C’est bien pourquoi nous trouble, sinon même nous révolte de voir Heidegger s’engager un temps aux côtés du dictateur qui incarne pour nous l’antithèse de la véritable révolution.
Il importe donc de bien prendre en vue le moment chronologique de cet engagement. Au tout début de l’année 1933 (et pendant plus d’un an), le pouvoir d’Hitler est bien loin d’être total. Les observateurs, dans le monde entier, se demandent s’il va durer plus de quelques mois. Heidegger, pendant ces quelques mois, examine ce que propose le nouveau chancelier. Ne rejetant pas tout par principe, il donne son assentiment à ce qu’il juge acceptable, tout en s’opposant sans fléchir à ce qu’il juge inadmissible. En regardant de la sorte cet engagement, nous pouvons du même coup y repérer par où il pèche : Heidegger n’a pas vu d’emblée que la nature totalitaire de l’hitlérisme allait s’imposer irrésistiblement, et que de ce fait une distinction entre l’acceptable et l’inadmissible perdrait nécessairement toute pertinence, vu que, dans un totalitarisme, tout est proposé d’un seul tenant – plus exactement encore : vu que tout y est donné à approuver en bloc, de sorte que l’idée même d’y infléchir quoi que ce soit se révèle en fin de compte être chimérique.
Peut-on reprocher à Heidegger de ne pas s’en être aperçu d’emblée ? Pour être à même de répondre honnêtement, il faut préalablement s’être posé la question : ne pas comprendre d’emblée la nature fondamentalement totalitaire d’un régime, est-ce vouloir s’aveugler soi-même ?
Je viens de relater comment Heidegger s’était opposé à une initiative des étudiants nationaux-socialistes. N’est-ce
pas clairement une tentative pour marquer une limite à ne pas franchir, une tentative qui permettait en même temps au recteur de tester la marge de liberté dont il disposait ?
Un autre fait, tout aussi incontestable et significatif, l’interdiction faite aux troupes nazies de procéder devant les locaux de l’université à l’“autodafé” des livres d’auteurs juifs ou marxistes peut (et dans mon esprit : elle doit) être, elle
aussi, interprétée de la même manière, c’est-à-dire comme refus, par le recteur, de ce qu’il juge incompatible avec ce pour quoi il a accepté la charge du rectorat. Il se trouve que dans les premiers mois d’installation du nouveau régime, les hitlériens n’ont pas réagi à de tels refus comme ils le feront plus tard (c’est-à-dire par l’élimination pure et simple du récalcitrant). Ce qui pouvait amener ce dernier à penser qu’il n’était pas vain d’agir comme il le faisait.
Mais à peine aura-t-il compris qu’avec ce type d’action il n’aboutissait à rien d’autre qu’à repousser les échéances, sans obtenir de véritables garanties d’indépendance, Heidegger démissionnera de son poste. Rappelons que cette démission, il la présente en février 1934, et qu’elle sera entérinée le 27 avril.
Il aura donc fallu environ neuf mois à Heidegger (à peu près le même temps que mettra Bernanos, à Majorque, avant
de saisir le vrai visage de la “Croisade” franquiste) pour comprendre que les possibilités de réussite de son action étaient épuisées. C’est vers cette époque (1934) qu’il note dans un carnet encore inédit : « Le national-socialisme est un principe barbare.» Nouvel indice venant à mes yeux corroborer le témoignage dont j’ai fait état plus haut, celui qui rapporte que Heidegger qualifiait dès 1935 le régime hitlérien de criminel. Mais pour pouvoir seulement en accepter la possibilité, il faut préalablement s’être rendu compte que croire à un Heidegger sans caractère, c’est se raconter des sornettes.
On peut encore vérifier ainsi, auprès de nombreux témoins, comme dans des textes aujourd’hui publiés, que Heidegger n’hésitait pas, dans des circonstances semi-publiques à déclarer sans ambages que sa tentative de rectorat avait été une complète erreur. Est-il encore possible, dans ces conditions, de reprocher à Heidegger d’avoir gardé le silence sur le caractère exécrable du nazisme ? Ne pas garder le silence, pendant que le régime déploie sa malfaisance, n’est-ce pas déjà une forme de résistance ?
Pour qui se met à l’étude sérieuse des Cours que Heidegger a professés de 1933 à 1944, il ne peut plus échapper ce que n’ont cessé de redire d’innombrables étudiants de cette période, à savoir qu’ils y entendaient clairement une critique du régime en place, au point qu’ils craignaient parfois de voir Heidegger arrêté par la police secrète d’État.
Que cela ne soit pas arrivé atteste uniquement le mépris dans lequel les nazis tenaient tout ce qui restait limité à la sphère du monde universitaire, et n’avait donc pas de retentissement dans les masses.
Mais concernant la façon dont nous regardons cette forme de résistance, quelque chose d’essentiel ne doit pas nous échapper : l’opposition de Heidegger au national-socialisme ne se fonde pas sur une doctrine établie. Elle ne s’appuie ni sur le marxisme ni sur le libéralisme. De ce fait, elle ne peut guère être comprise par ceux qui, pour s’opposer au nazisme, ont besoin de l’un et de l’autre comme normes d’opposition, et refusent dogmatiquement qu’il puisse y avoir ailleurs la moindre possibilité de véritable résistance.
Avoir pourtant flétri à sa manière le régime hitlérien depuis bien avant que ce dernier ne se trouvât en mauvaise posture, voilà ce qui me semble dispenser Heidegger d’avoir à manifester, après le danger, une sévérité d’autant plus appuyée qu’elle aurait été gardée secrète au moment où le régime était au faîte de sa puissance. Mais quant à nous, cela ne nous dispense nullement de l’effort que demande la compréhension d’une pensée s’opposant à ce régime de façon parfaitement originale – et, pour peu que l’on commence à en saisir l’originalité, avec une absolue radicalité.
Je n’ai pas encore parlé d’un ultime reproche que l’on fait à Heidegger, peut-être encore plus grave, parce que plus insidieux. Il n’a d’ailleurs été formulé en toutes lettres que par ses détracteurs les plus forcenés et obtus, tellement il est évidemment contraire à toute vraisemblance. C’est le reproche d’antisémitisme.
Désormais, le style dans lequel on y accuse Heidegger est devenu lui-même assez enveloppé. C’est ainsi que dans l’hebdomadaire helvétique “Die Weltwoche” (n° 49, 8 décembre 1994, p. 31), on a pu lire un entretien avec Madame Jeanne Hersch où cette accusation gagne pour ainsi dire sa forme achevée.
Il ne fait pas de doute, dit Madame Hersch, qu’il n’y a jamais eu chez Heidegger d’attitude ou d’action antisémite au sens propre. Mais elle ajoute : « ce qui peut lui être reproché, c’est de n’avoir pas été assez anti-antisémite.»
Ce qui saute aux yeux dans cette phrase, c’est la manière naïve (tout à fait analogue aux dénégations puériles) dont le grief est maintenu coûte que coûte. Le prévenu n’est pas coupable du crime dont on l’accuse – il n’en est pas moins coupable, puisqu’il n’a pas assez combattu ce dont on ne peut l’accuser !
Que peut bien vouloir dire : ne pas être assez anti-antisémite ? Quand donc aura-t-on assez mené le bon combat, si l’on entend strictement l’ignominie qui consiste à condamner d’avance quelqu’un non pour ce qu’il aurait fait, mais pour ce qu’il est censé être ? La réponse est simple : quand personne ne portera plus accusation pour autre chose que ce qu’a fait un accusé – non pour ce qu’il n’a pas fait, ni même pour ce qu’il n’a pas assez fait. Tant que ce stade n’est pas atteint, il est clair que nous pouvons tous, en conscience, nous reprocher de n’avoir pas assez lutté.
Ces remarques mènent naturellement à dire un mot de la justice. Là aussi, la pensée révolutionnante de Hölderlin ouvre des aperçus auxquels notre temps est devenu obstinément sourd (à l’exception notable de Martin Heidegger qui s’est, lui au contraire, mis à son écoute pour entreprendre rien de moins qu’un autre départ pour penser).
Dans les Remarques sur OEdipe, écrites environ cinq ans après la lettre dont a été citée la phrase concernant la “révolution des modes de conscience et de représentation”, le poète parle du Roi OEdipe en son office de juge; et il note :
« Oedipe interprète la parole de l’oracle de manière trop infinie, <et il se voit ainsi> pris dans la tentation d’aller en
direction du nefas.»
Ce que recouvre le mot “nefas”, Hölderlin l’explique quelques lignes plus bas. L’interdit – ce que les Dieux ne permettent pas – OEdipe le prononce (dit-il) « en ce qu’il fait porter soupçonneusement l’interprétation du commandement universel sur un cas particulier.»
La parole néfaste est celle qui n’observe pas la séparation entre le monde des hommes et le monde des Dieux. Elle est, en d’autres termes, cet égarement au sein de quoi un mortel outrepasse l’humaine condition en parlant comme seuls les Dieux ont droit de parler. Dans ces circonstances, la justice devient malédiction. Les Romains, maîtres en droit, le savaient aussi, eux qui disaient : Summum jus, summa injuria : la simple volonté d’être absolument juste déchaîne toutes les injustices.
L’office du juge est d’être juste. Mais être juste, ce n’est pas : être un juste. Le juste, selon une tradition vénérable, est celui qui empêche qu’un crime soit commis. Le juge, à la différence du juste, punit un crime commis. Les écueils de son office sont le risque de condamner un innocent et celui, non moins menaçant, d’acquitter un coupable. Le juste, quant à lui, contrecarre les machinations criminelles avant qu’elles ne passent à l’acte, selon un type d’opposition au crime qui, jamais, ne peut immédiatement prendre la forme d’une violence.
Le justicier, de l’autre côté, est aux antipodes du juste : il entend, comme il le dit si volontiers, “faire justice”, alors qu’en réalité il ne fait que tirer vengeance du crime, ce qui n’est jamais qu’ajouter injustice à l’injustice.
Avant de punir un criminel, bien avant, s’impose au juste l’inapparente besogne de protéger un être contre ce qui le menace criminellement. Qui se donne pour “mission” de punir passe vite sur les continuelles, peu gratifiantes, les humbles difficultés auxquelles doit faire face celui qui cherche à préserver la vie, ou même la dignité de son prochain.
Sans doute n’est-ce pas être un juste que de travailler comme le fait Heidegger, c’est-à-dire en consacrant toute sa force à faire surgir les conditions sous lesquelles il devient possible de véritablement penser.
Si je dis qu’il n’est pas un juste, je ne sous-entends toutefois en aucune façon qu’il se désintéresse de la justice, ou qu’il méprise ceux qui sont des justes. De même, quand je dis qu’il est irréprochable, je ne dis nullement qu’il serait parfait, et que tout chez lui est exemplaire et incriticable. Mais tant que des accusations mensongères continuent d’être portées contre lui, c’est un devoir de redresser les contrevérités et de dénoncer les calomnies. C’est même un double devoir, d’abord parce qu’il s’agit d’un homme que l’on a pris l’habitude détestable de présenter, au mépris de tous les faits avérés, comme indiscutablement déshonoré; ensuite parce que le travail de cet homme, travail peu accessible en apparence et, du coup, difficile à exposer dans les formes de la communication médiatique, donne trop aisément prise aux caricatures, sinon même aux défigurations. C’est pourquoi il faut rendre hommage à ceux qui, plus soucieux de vérité que de toute autre chose, n’ont pas cessé, comme Walter Biemel, de transmettre ce qu’ils ont appris de Martin Heidegger.
Un philosophe qui a entendu ce que dit Heidegger ne peut plus philosopher autrement qu’en vue d’apporter sa part – quelle qu’elle soit – à l’apparition des “nouveaux modes de conscience et de représentation” évoqués plus haut. Mais
je ne dis pas que pour philosopher ainsi, il faille avoir rencontré Heidegger. Je ne le dis pas pour la simple raison que si Heidegger a pu emprunter son chemin, c’est qu’il en a reçu d’ailleurs (non pas “d’ailleurs que du monde”) l’injonction. Or cela : avoir à répondre de ce qui a fait entrer notre être au sein du partage que nous adresse la parole – tout être humain, en tant qu’être humain, en est aujourd’hui requis – d’une requête qui ne fait plus qu’un désormais avec la condition de l’homme moderne.




« S’ils se taisent, je me tairai… »
Jean de Condé, trouvère (Fin du XIIIème siècle).




François Fédier
Paris, 5 janvier-11 février 2003
L’Infini n°95, p.140-153.