28 avr. 2015


Il n'a pas franchement tort, ce gamin qui n'a pas 25 ans, de citer, en exergue de ce qui fut son génial mémoire de maîtrise, le propos de l’Électre de Sophocle à sa mère Clytemnestre : «Je comprends que mes façons ne répondent ni à mon âge, ni à mon rang» (vers 617-8), comme un coup de pied au cul de tous les professeurs, présents ou futurs, tout comme il a bien fait, dans sa Préface, de poursuivre en affirmant : «Moi je sais que je parle parce que je parle mais que je ne persuaderai personne», ajoutant «Et pourtant ce que je dis a été dit tant de fois et avec tant de vigueur qu'il semble impossible que le monde ait encore continué après qu'eurent résonné ces mots» (1).
Pourtant, il a continué, et il y a fort à craindre que le monde ne se laisse jamais arrêter par des paroles, mêmes les plus hautes. Après tout, le monde a-t-il cessé d'exister après les paroles de Moïse, d'Isaïe, de Job ou du Christ ?
Quels sont les auteurs de ces paroles qui, une fois prononcées ou bien écrites, auraient dû rendre caduques toutes les autres ? La liste en est aussi courte que remarquable : Parménide, Héraclite, Empédocle, Socrate, l'Ecclésiaste, le Christ, Eschyle, Sophocle, Simonide, Pétrarque, Leopardi, Ibsen et enfin Beethoven, voilà selon l'auteur la poignée de grandes âmes dont les paroles n'ont été considérées que comme de beaux vers, des genres littéraires, des systèmes après tout réfutables, de grandes œuvres musicales, bref, autant de façons de refuser de les considérer comme des injonctions brûlantes à se transformer et transformer le monde, des commandements bien davantage que des sujets de dissertation. La peur, que nous retrouverons tout au long de ce livre qui porte à l'incandescence la puissance du langage, qui semble presque concrétiser le livre des vieux mages et des récents linguistes : quand dire, c'est faire. Ces quelques lignes, à la fois désolantes de lucidité et ironiques, qui accueillent le lecteur et lui demandent, d'une façon imagée, d'abandonner là leur espérance, auraient dû apprendre aux lecteurs de Carlo Michelstaedter que ce dernier n'aurait jamais accepté de devenir un de ces vieux professeurs pontifiants, répétant chaque année à ses élèves des truismes sur des auteurs considérés un peu comme des insectes curieux et pulvérulents punaisés derrière une vitrine, soigneusement étiquetés, inoffensifs, rédacteurs de livres pénibles constitués d'un assemblage de fiches de cours barbantes. 
Si Carlo Michelstaedter, le 17 octobre 1910, très exactement à 14 heures, s'est tué quelques heures après avoir terminé d'écrire son livre, c'est parce qu'il était du côté de la vie, de la vraie vie qui n'est absente que pour celles et ceux qui ne veulent pas s'ouvrir à elle, la vraie vie qui est persuasion.
La persuasion est du côté de la vérité, mais n'est pas la vérité. La persuasion est la vie droite, quelque chose comme la sprezzatura, peut-être, de Cristina Campo, en tout cas une vie sans artifice qui n'est pas contrainte, comme un poids, de chuter indéfiniment, car «il ne lui est pas donné de se satisfaire», autrement dit : «Le poids ne peut jamais être persuadé» (p. 42, l'auteur souligne). La persuasion est donc la liberté essentielle qui n'est pas donnée à l'homme, puisque ce dernier doit la conquérir :La persuasion ne vit pas en celui qui ne vit pas uniquement de soi-même : mais est fils et père, esclave et maître de ce qui l'entoure, de ce qu'il y a avait avant, de ce qui doit venir après : chose parmi les choses» (p. 43, l'auteur souligne). Celui qui ne vit pas dans la persuasion vit dans la dépossession, synonyme de la rhétorique, car «chacun tourne autour de son pivot, qui n'est pas le sien, et le pain qu'il n'a pas, il ne peut le donner aux autres», étant persuadé «celui qui a en soi sa vie», «l'âme nue dans les îles des Bienheureux», peut-être (p. 44, l'auteur souligne). 
Vivant dans la dépossession, les hommes qui refusent la persuasion se cachent la sordide vérité de leur état, qui n'est autre que : la peur de la douleur. Carlo Emilio Gadda a-t-il lu Carlo Michelstaedter ? Je ne le sais pas, mais après tout, pourquoi pas, tant est manifeste, de La Connaissance de la douleur l'évidence que ce texte n'a pas été écrit pour rire ? L'homme persuadé est un homme libre, l'homme qui n'est pas persuadé est un esclave car, écoutez ce secret, peut-être le plus manifeste et pourtant le mieux caché du monde, l'homme n'est esclave que de sa propre peur : «Les hommes ont peur de la douleur et pour lui échapper ils lui appliquent en guise d'emplâtre la foi en un pouvoir conforme à l'infinité de la puissance qu'ils ne connaissent pas et la chargent du poids de la douleur qu'ils ne savent pas porter. Le dieu qu'ils honorent, auquel ils abandonnent tout [...] c'est le plaisir; tel est leur dieu familier, le cher, l'affable, le connu» (pp. 56-7).
La liberté fait peur, et il faut imaginer que, désireux de briser les chaînes qui le maintiennent dans l'esclavage, l'homme, avant de pouvoir se prétendre (à nul autre qu'à lui-même, la persuasion ne souffrant pas une quelconque publicité) persuadé, risque de traverser une période très difficile où, ayant renoncé aux consolations faciles, ses «projets pour le lendemain et le surlendemain» s'arrêteront : alors, «l'homme est à nouveau sans prénom, sans nom, sans réponse et sans parents, désœuvré, sans habits, seul, nu, les yeux ouverts à regarder l'obscurité» (p. 59). Autrement dit, s'enfonçant, volontairement, dans la profondeur qui seule importe, l'homme renonce à la docilité, à la bonté, «ou même supériorité ou science du monde», autant de termes synonymes désignant «la superficialité de celui qui n'avait pas en soi la raison de ce qu'il faisait, mais se trouvait à le faire, ne sachant pas pourquoi il voulait ces choses-mêmes qu'il voulait», n'ayant donc pas «en soi la puissance de ces choses ni la force suffisante pour s'opposer à ce qui pouvait les lui retirer», mais se trouvant néanmoins «à puiser sa petite vie en elles» (p. 66). 
La «voie vers la persuasion» (le titre de la troisième partie de notre livre) est non seulement ardue mais périlleuse, car nul ne revient de cette voie une fois qu'il s'est engagé dessus, qui mènera l'homme persuadé à retrouver, en lui-même, le centre perdu qu'évoquera plus tard Zissimos Lorentzatos. Comme tous les grands maîtres (nous verrons plus loin qu'il nous faut rester prudent sur ce terme), et qu'importe l'âge qui fut celui de ce jeune homme au moment où il écrivit son livre le plus fameux, Michelstaedter nous apprend à voir de quoi il en retourne vraiment, nous mène jusqu'au sommet de la montagne, nous demande de contempler le vide, puis de nous y jeter. Il n'est pas question d'affirmer que cette influence serait perverse ou même diabolique : Carlo Michelstaedter ne nous tente pas, il ne nous éprouve pas davantage. Il nous presse de nous plonger en nous-même, afin de nous débarrasser des derniers expédients grâce auxquels nous nous berçons d'illusions et, littéralement, nous voilons la face et, surtout, il ne cesse de nous redire que, sur le chemin de la persuasion, nulle halte n'est permise ni même possible (cf. p. 82) : «Es-tu ou non persuadé de ce que tu fais ? Tu as besoin que telle chose advienne ou n'advienne pas pour faire ce que tu fais, que les corrélations coïncident sans cesse, car la fin, aussi vaste et éloignée soit-elle, n'est jamais dans ce que tu fais, mais est toujours ta continuation. Tu dis que tu es persuadé de ce que tu fais, et advienne que pourra ? – Oui ? – Alors moi je te dis : demain tu seras certainement mort : peu importe ? tu penses à ta réputation ? tu penses à ta famille ? mais ta mémoire est morte avec toi, avec toi ta famille est morte; – tu penses à tes idéaux ? tu veux faire ton testament ? tu veux une pierre tombale ? mais demain ils seront morts, morts eux aussi; les hommes meurent tous avec toi – ta mort est une comète infaillible; tu t'adresses à dieu ? – il n'y a pas de dieu, dieu meurt avec toi; le règne des cieux s'écroule avec toi, demain tu seras mort, mort; demain tout est fini; ton corps, ta famille, tes amis, ta patrie, ce que tu fais, ce que tu peux encore faire, le bien, le mal, le vrai, le faux, tes idées, ton rôle, dieu et son règne, le paradis, l'enfer, tout, tout, demain, tout est fini – dans 24 heures c'est la mort» (pp. 67-8). L'homme persuadé, ainsi, ne craint pas de mourir, car «Qui craint la mort est déjà mort» (p. 69, l'auteur souligne), alors que celui qui au contraire «veut fortement sa vie, ne se contente pas, de peur de souffrir, de ce vain plaisir qui fait écran à sa douleur, pour que celle-ci continue au tréfonds, aveugle, muette, insaisissable; mais il assume au contraire la personne de cette douleur», ce qui lui permet de se «créer soi-même afin d'acquérir la valeur individuelle, qui ne se meut pas contrairement aux choses qui vont et viennent, mais est en soi persuadé» (p. 71, l'auteur souligne).
Difficile, peut-être même impossible à emprunter, est la voie, disais-je, l'unique voie du salut, et il est certain que la majorité d'entre nous préférera, toujours, consolider ses maigres assurances, continuer de dormir plutôt que se réveiller : «Mais les hommes sont comme celui qui rêve de se lever et qui s'apercevant qu'il est encore couché, ne se lève pas mais se remet à rêver qu'il se lève», alors qu'ainsi, poursuit Michelstaedter, «sans se lever et sans cesser de rêver, il continue à souffrir de l'image vive qui trouble la paix de son sommeil et de l'immobilité qui rend vaine l'action dont il rêve» (p. 72).
Et l'auteur de poursuivre, ne laissant pas en paix celui auquel il s'adresse, imaginant bien que les hommes, presque tous les hommes, ne manqueront pas de lui opposer une multitude d'arguments qui sont autant de cris trahissant leur peur, la peur de la mort qui les poussent à vivre sans persuasion (cf. p. 77) : «mes jambes flageolent, et ton chemin est impraticable», et à ceux-là il répond : «Il y a les boiteux et les valides – mais l'homme doit se fortifier de lui-même les jarrets pour marcher – et avancer là où il n'y a pas de route. Par les voies habituelles les hommes cheminent dans un cercle qui n'a ni commencement ni fin; ils vont, ils viennent, ils rivalisent, se pressent, affairés comme des fourmis – sans doute se confondent-ils les uns les autres, – certes quand bien même ils marchent, ils sont toujours là où ils étaient, car tous les endroits se valent, dans la vallée sans issue. L'homme doit se frayer un chemin pour parvenir à la vie et non pour se mouvoir parmi les autres, pour entraîner les autres avec lui et non pour réclamer les récompenses qui ne sont pas sur le chemin des hommes» (p. 73).
Carlo Michelstaedter sait bien qu'à l'impossible nous sommes tous tenus, et que ce qu'il appelle le «droit de vivre» (p. 78) ne s'arrache qu'au prix d'un travail constant, infini à vrai dire : «Car de même que l'hyperbole se rapproche à l'infini de l'asymptote, l'homme qui, en vivant, veut être en possession de sa vie, s'approche à l'infini de la ligne droite de la justice; et de même que la courbe, si petite soit la distance d'un point de l'hyperbole à l'asymptote, doit infiniment se prolonger pour atteindre le contact, le devoir d'un homme envers la justice, aussi modeste soit ce qu'il demande comme juste pour soi dans sa vie, demeure infini» (pp. 77-8).
Il est frappant de constater que Carlo Michelstaedter ne craint pas d'adopter, bien davantage qu'une position de maître, fût-il éminent comme Aristote qu'il déteste par-dessus tout (2), une véritable attitude christique, comme plusieurs passages le prouvent : «Il ne s'agit pas d'apporter un soutien aux hommes soumis à la peur de la mort, mais de leur ôter cette peur; il ne s'agit pas de leur donner la vie illusoire et les moyens pour que sans cesse ils la demandent encore, mais de leur donner la vie maintenant, ici, dans sa totalité, afin qu'ils n'aient pas besoin de demander : telle est l'activité qui coupe la violence à sa racine» (p. 80, l'auteur souligne).
Il serait peut-être dès lors tentant d'analyser le suicide de l'auteur comme une forme profane de mort, volontaire, sur la croix de la connaissance plutôt que sur celle de la charité, mais je pense que, bien davantage que cette tentative, avortée, blasphématoire et même, peut-être, hermétiquement close sur elle-même, il ne faut voir dans le geste terrible, mais logique, de Carlo Michelstaedter que son assurance ultime, sa compréhension profonde de ce qui ne pouvait être que son échec. Vivant, Michelstaedter a peut-être estimé qu'il faisait lui aussi partie de cette catégorie d'êtres sans épaisseur, vivants dans le divertissement, comme certaines de ses lettres peuvent nous le laisser penser (3), lui qui écrit : «Si vous êtes en ce monde et n'êtes pas en ce monde», si «vous prenez les choses et ne les possédez pas, si vous mangez et restez affamés, si vous dormez et êtes fatigués, si vous aimez et vous faites violence, si vous êtes vous et n'êtes pas vous» (ibid.). Vivant et bien vivant, mais ne parvenant toutefois pas à vivre dans l'instant et ainsi coïncider pleinement avec le présent de la persuasion (4), Carlo Michelstaedter a peut-être préféré ne plus vivre dans le mensonge commun et, par son geste, mettre fin à son insomnie métaphysique : «L’absolu je ne l’ai jamais rencontré, mais je le connais comme celui qui souffre d’insomnie connaît le sommeil, comme celui qui regarde l’obscurité connaît la lumière» (p. 93). Il est aussi vrai que Carlo Michelstaedter a pu vouloir, à son tour, tenter de comprendre ce que le personnage de Gilliatt desTravailleurs de la mer de Victor Hugo a compris au moment de mourir, mais de cette expérience, nous ne pouvons strictement rien savoir. 
Seul l'homme persuadé peut estimer avoir trouvé la paix : «Ainsi l’homme sur la voie de la persuasion maintient en chaque point l’équilibre de sa personne; il ne se débat pas, n’éprouve aucune incertitude, aucune fatigue, s’il ne craint pas la douleur mais en a assumé honnêtement la personne», de nouveau cette symbolique éminemment christique qui se poursuit ainsi : «Il vit cette douleur en tout point. Et de même que cette douleur réunit toutes les choses, les choses vivent en lui non comme le corrélatif d'un nombre restreint de relations mais par de vastes et profondes relations» (p. 85).
Et Carlo Michelstaedter, de conclure logiquement la première partie de son ouvrage, en évoquant directement le Christ : «C'est pourquoi dans sa présence, dans ses actes, dans ses paroles se révèle, éclot lumineusement, se rapproche et devient concrète, une vie qui transcende la myopie des hommes : c'est pourquoi le Christ a une auréole, les pierres se transforment en pains, les malades guérissent, les lâches deviennent des martyrs et les hommes crient au miracle» (p. 86).
S'approcher du Verbe, soit, ce qui ne signifie pas l'imiter, mais le suivre, comme Carlo Michelstaedter s'en explique, non sans une pointe d'ironie : «Les premiers Chrétiens faisaient le signe du poisson et se croyaient sauvés; ils auraient pris plus de poisson et se seraient véritablement sauvés, s'ils avaient admis que le Christ s'est sauvé lui-même parce qu'il a su, par sa vie mortelle, créer le dieu : l'individu; mais personne n'est sauvé par lui s'il ne suit sa vie : mais suivre ce n'est pasimiter, se placer avec sa propre valeur quelconque dans les modes, dans les mots de la voie de la persuasion, avec l'espoir d'y trouver la vérité» (pp. 100-1, l'auteur souligne). La parenté avec Kierkegaard est ici étonnante, et une étude existe peut-être entre les liens qui unissent la persuasion selon Michelstaedter et ce que le philosophe danois nommait la réduplication, à savoir une forme de répétition qui serait totalement incarnée dans les actes, et ne se contenterait pas seulement d'évaluer la pertinence d'un montage dialectique, strictement raisonnable, purement intellectuel, vain. En somme, rédupliquer, c'est être ce qu'on dit (je cite de mémoire), une problématique nous le constatons essentielle aux yeux de Carlo Michelstaedter qui écrit : «La voie de la persuasion n'est pas un trajet «d'omnibus», elle ne comporte aucun signe, aucune indication qui puissent être communiquées, étudiées, répétées. Mais chacun a en soi le besoin de la trouver, et dans sa propre douleur, son indice, chacun doit se frayer soi-même de nouveau la voie, car chacun est seul et ne peut espérer d'aide que de soi-même : la voie de la persuasion ne comporte que cette indication : ne t'adapte pas à ce qui t'est donné comme suffisant. Les rares hommes qui l'ont parcourue avec honnêteté, se sont ensuite retrouvés au même point, et pour ceux qui les comprennent, ils apparaissent par différentes voies, sur la même voie lumineuse. La voie de la santé n'est perçue que par l’œil sain» (p. 101).
C'est le moment, après nous être approchés du Verbe, c'est-à-dire du plus parfait exemple de persuasion, d'évoquer la rhétorique : «De même qu’un enfant crie dans l’obscurité pour se donner un signe de sa personne qu’il sent défaillir dans sa peur infinie : de même les hommes qui, dans la solitude du vide de leur âme, se sentent défaillir s’affirment inadéquatement en s’imaginant être le signe de la personne qu’ils n’ont pas, en imaginant le savoir comme s’il était déjà entre leurs mains» (p. 96). Le règne de la rhétorique a partie liée avec la peur, mais en tentant de la masquer, elle contribue à créer un univers totalement fallacieux dans lequel l'homme croira s'être mis à l'abri des entreprises de l'âme, de la nécessité de vivre dans le présent plein, dans la réelle présence de la persuasion : «De sorte que n’ayant rien et ne pouvant rien donner, ils s’abandonnent à des mots qui simulent la communication : puisque chacun ne saurait faire en sorte que son monde soit le monde des autres, ils imaginent des mots qui contiennent le monde absolu, et ils nourrissent de mots leur ennui, ils confectionnent un baume de mots contre la douleur» (p. 97). Puis la rhétorique elle-même semble nous faciliter le travail, car elle nous captive autant qu'elle nous capture, «Donne un doigt au diable et il te prendra le bras», rappelle l'adage populaire que cite Carlo Michelstaedter : «Puis la rhétorique «entourbillonne» tel le courant d’un fleuve grossi, dont on ne peut approcher la berge sans qu’il ne vous entraîne au cœur même de ses eaux» (p. 98).
La rhétorique, chez Michelstaedter, dépasse largement l'acception traditionnelle à laquelle le mot renvoie, et il est ainsi juste d'affirmer qu'elle entourbillonne et nous charrie là où nous n'avons même plus l'impression de vouloir aller puisque, littéralement, elle est notre présent. La rhétorique, diraient les modernes, est un arraisonnement, une espèce de mauvais rêve bernanosien qui nous détache de notre être véritable. Les rhétoriciens, comme nous pourrions les appeler, par opposition aux rares hommes persuadés, constituent le gros du troupeau : «Leur conscience n'est plus un organisme vivant, une présence des choses dans l'actualité de leur propre personne [autrement dit, la persuasion], mais une mémoire : un agrégat inorganique de noms lié à l'organisme fictif du système. De sorte que l'homme par sa rhétorique, non seulement n'avance pas mais régresse dans l'échelle des organismes et réduit sa personne à l'inorganique. Il est moins vivant que n'importe quel animal. Bienheureuses les bêtes qui n'ont pas d'«âme immortelle» qui les précipite dans le chaos de l'impuissance rhétorique, mais se maintiennent dans la sphère saine de leur quelconque puissance» (p. 104, l'auteur souligne).
Le persuadé, soit «celui qui a en lui toutes les choses (p. 117, l'auteur souligne) est aussi celui qui, selon Michelstaedter, peut, tel le Gilliatt de Victor Hugo, se laisser mourir, «assis sur un rocher, submergé par l'eau qui monte», et qui ainsi parviendra à trancher dans le vif «et s'affirmera fini dans cet infini où les autres sont déchirés par la peur» (p. 121), sachant, par cette expérience extrême puisque c'est celle de la mort, ce qu'est la vie et ne pouvant, bien sûr, la dire. La persuasion est le chemin que l'Individu seul peut emprunter, alors que la porte de la rhétorique, elle, n'est franchement pas du tout étroite.
Pour rien au monde le rhétoricien, c'est-à-dire, tout bonnement, l'homme moderne, l'homme des foules et de l'usine, du travail abrutissant derrière un écran, ne désirera tenter une telle expérience qui coïncidera fâcheusement avec sa propre mort, car la rhétorique est là pour le protéger, tout comme, déclare l'auteur, la virtuosité qui est selon lui synonyme de spécialité : «je répète, j'amplifie, j'accomplis jusqu'à la démesure un geste donné, une série de gestes donnés – et j'ai déjà une personne considérable. J'ai formé en moi une machine exceptionnelle» (p. 123).
Le «règne de la rhétorique» (p. 136) est celui de la fausse sécurité qu'apportent les directives auxquelles il faut bien obéir et les foules, dans lesquelles il faut bien s'inclure, sous peine d'être un paria. C'est aussi le règne des machines car toute «substitution par des machines du travail manuel abêtit d'autant les mains de l'homme : car elles avaient été formées en vue d'un savoir-faire par une pensée tournée vers des besoins déterminés, et rendues inutiles par le mécanisme dans lequel s'est cristallisée une fois pour toutes cette pensée, elles perdent maintenant l'intelligence de ce besoin» (p. 148).
Carlo Michelstaedter ne craint pas de se faire prophète, affirmant que cette réification de l'homme aboutira à sa complète désagrégation, à son corps devenu marchandise : «Les yeux finiront pas ne plus voir ce qu'ils verraient inutilement. Les oreilles par ne plus entendre ce qu'elles entendraient inutilement – le corps de l'homme se désagrégera... et se dissoudra» (p. 149). L'homme social qui s'incline, attend, transige «pour ne pas s'engager à fond au risque de compromettre tout son avenir en un seul point, oublieux et irresponsable» (p. 151), tout bardé de concepts qu'il est, n'en saisit pourtant plus aucun (cf. p. 156) et, d'individualité spécifique se transforme en «partes materiales» (p. 157) interchangeables à loisir puisque l'homme qui vit sans persuasion, «sans jamais oser vouloir celle-ci, n'a pas en sa puissance une fin» (p. 158) et, à terme affirme Carlo Michelstaedter, n'aura même plus besoin de posséder une langue autre que strictement fonctionnelle, la lange de l'esclavage : «Si quelqu'un se satisfait des modes de vie qu'offre la société, il peut se contenter de signifier pour ses besoins les choses convenues dans des modes convenus et se laisser aller à répéter sans comprendre ce que les autres disent dans ces cas-là, afin d'être compris pareillement par d'autres initiés» au même langage devenu simple outil d'accomplissement des tâches. «Ainsi poursuit l'auteur, il peut même avoir un «style», une «langue» parfaits et pourtant ne jamais rien dire», et il est alors en effet «aveugle, sans patrie, misérable s'il s'abandonne aux phrases toutes faites» (p. 159), conclut Michelstaedter en citant Les Héros de Thomas Carlyle. Carlo Michelstaedter en a presque fini, et son assurance fait froid dans le dos, puisque son assurance est tout simplement notre présent : «Il est inutile de remuer davantage ces misères : pourvu que l'on convienne que la perspective linguistique consistant entièrement dans la profondeur de la vision actuelle, la vie organique de la langue, qui palpite d'un même rythme dans chaque mot et dans chaque groupe de mots – en tant que fonction de la vie individuelle, chez l'homme, se désagrège et s'abêtit lorsque celui-ci se trouve réduit par la sûreté sociale – quant à sa prévision organisée (sûreté individuelle) – au point et à l'instant» (p. 159).
L'abrutissement de l'homme bien au chaud dans la rhétorique et ses vains prestiges est, de manière évidente, logique mais pas moins troublante, un abrutissement, un abêtissement (Abêtissez-vous !) de la langue : «Et les mots, parce qu’ils demeurent obscurs et vagues dans le discours, perdent la possibilité d’une plénitude de références en vertu de laquelle ils sont clairs autrement. De corps vivants qui peuvent se relier et se déterminer en reliant et en déterminant depuis tant de lieux et en tant de modes, ils deviennent une matière qui n’a la fonction de se référer que dans un seul mode et qui parfois dans cette union reste cristallisée» (pp. 156-7). L'homme, jadis, naguère même, était un homme, il n'en est plus un désormais aujourd'hui, passons à autre chose, c'est fini : «Ainsi depuis l’homme qui tout d’une pièce sur le cheval qu’il a dompté puis dressé à cet étrange langage fait de minuscules tressaillements musculaires dans les jambes, traverse des territoires inconnus, conscient des dangers et prêt à réagir de manière appropriée [...] jusqu’au voyageur qui s’ennuie, confiné dans un wagon qui le transporte en le bringuebalant à travers les fleuves, les monts et les plaines, tandis qu'il s'étire et baille ou parle d'horaires en profonde connaissance de cause ou discute avec le conducteur […] depuis le marin qui tient en main la voile et le gouvernail – et qui est lui-même la raison de son équilibre à travers vents et marées; qui sent sur son visage la direction et la force du vent et évalue d'un œil sûr la bordée, qui lutte contre l'ouragan à la vie à la mort – jusqu’au voyageur d’un transatlantique – qui, entassé dans la cale comme une marchandise, ou menant high life sur le pont, se tord sous l'effet du mal de mer […] ce que je voulais dire – c’est qu’entre ceux-ci et ceux-là il y a la même distance qu’entre la vie organique et la vie minérale» (pp. 146-8).
Ainsi, tout comme l'homme devenu partie interchangeable et anonyme de la Machine, tout comme le langage ayant perdu sa beauté et n'étant réduit qu'au novlangue strictement fonctionnel de l'homme réifié, unidimensionnel, «la rhétorique organisée en système, alimentée par l’effort constant des siècles – fleurit au soleil, porte ses fruits et profite à ses fidèles. – Et dans l’avenir elle en portera d’autres. Et on verra chaque homme préoccupé uniquement de sa vie» (p. 160), et cette unique préoccupation sera consacrée par l'argent, «le moyen actuel de communication de la violence sociale en vertu duquel chacun est maître du travail d'autrui», et cette unique préoccupation sera sanctifiée par la langue morte, qui parviendra «à la limite de la persuasivité [et non la persuasion] absolue, ce que le prophète atteint par le miracle, – elle parviendra au silence lorsque chaque acte aura une efficacité absolue», et alors, vision de fin du monde : «Avant d’atteindre le règne du silence chaque mot sera un [ornement de l’obscurité, Gorgias, 492c] : apparence absolue, efficacité immédiate d’un mot qui n’aura pour tout contenu que le plus infime et obscur instinct de vie. Tous les mots seront des termes techniques lorsque l’obscurité sera voilée pour tous de la même façon, les hommes étant tous dressés de la même façon. Les mots se référeront à des relations déterminées pour tous selon un même mode» (p. 161), et alors c'est à bon droit que nous pourrons prétendre que «Les hommes parleront mais [ils ne diront rien]» ils sauront tout du Christ mais ils ne comprendront pas réellement la portée de ses paroles (cf. p. 175 et dernière), et alors, puisque «L’homme trouve déjà aujourd’hui ce qui lui est nécessaire sous une forme préétablie», il croira «connaître la vie lorsqu’il a[ura] appris les normes de cette forme et qu’il obtien[dra] sans danger ce dont il a[ura] besoin» (p. 162), car «ils sont absorbés par les relations convenues et avec la voix obscure de celles-ci ils conversent et se consolent de leur vie. – Ils ne demandent rien d'autre. Et ils veulent continuer ainsi tels qu'ils sont puisqu'ils croient être des personnes vivantes : leur science de la vie leur est suffisante. Telle est leur sûreté et leur paix, leur conscience et leur joie – tel est leur regard confiant tourné vers l'avenir» (p. 163), et alors l'homme sans parole ni langage, fondu dans la «clique des malfaisants» (p. 167), alors le «petit homme» ne tirant aucun plaisir de son compagnon «lorsque celui-ci grandit sain et robuste et sûr selon sa nature, mais en le mutilant avec l'arme de la société il le façonne afin qu'il lui fournisse les choses dont son corps a besoin» (p. 172), alors ce petit homme sera enfin devenu un bourreau, «qui ne pense pas quand il tue un homme, que lui, un homme tue l'un de ses semblables, ne sachant pas pourquoi il le tue. Afin qu'il ne voie jamais dans tout ceci autre chose que cet office indifférent dont on ne discute pas mais qui lui donne les moyens de vivre, et qu'il soit un instrument inconscient» (p. 174).
Voici ce qu'écrivait Carlo Michelstaedter à l'un de ses amis, quelques jours seulement avant de se suicider, après avoir achevé ce qui allait devenir son ouvrage le plus célèbre, et l'un des livres les plus profondément marquants qu'il m'a été donné de lire, La Persuasion et la Rhétorique : «Quand j’ai reçu ta lettre, j’étais dans le désert de la maison vide, loin de tous les amis, en train de hurler sur le papier les mots de la vérité jusqu’où pouvait porter toute la voix que j’avais» (5).




 (1) Carlo Michelstaedter, La Persuasion et la Rhétorique (traduction de l'italien par Marilène Raiola, présentation par Sergio Campailla, Éditions de l'Éclat, coll. Philosophie imaginaire, n°13, 1998), pp. 35 et 37. Superbe travail, comme toujours, d'un courageux et excellent petit éditeur. Michel Valensi a fait paraître dans sa collection de poche un volume épais regroupant La Persuasion et la Rhétorique ainsi que ses Appendices critiques, jusqu'alors édités séparément en raison, selon l'expression convenue, des aléas de l'édition (il se cache bien des choses, derrière ceux-ci, notamment le nom d'un imposteur, qui ne figure plus dans cette édition de poche !). Ce travail colossal (je parle des traductions elles-mêmes bien sûr, mais aussi de tout le travail d'harmonisation de ces dernières) nous permet en tout cas de pouvoir lire dans sa cohérence l’œuvre de Carlo Michelstaedter, «intacte, avec sa puissance et sa fragilité de roseau, et nous pouvons parcourir ce chemin de la persuasion ouvert par Michelstaedter, bien conscients du fait qu'il fut tracé jusqu'à son extrême limite» (Michel Valensi souligne, préface à l'édition de poche, 2015, p. 9). 
(2) Carlo Michelstaedter oppose Platon et Aristote, ce dernier ayant trahi le premier, dans des pages magnifiques qu'il faudrait citer intégralement : «Tout le monde accourait vers lui pour s’emparer de la marchandise en provenance de l’absolu; lui qui était un esprit pratique prenait la marchandise la plus en vogue et qui s’accordait le mieux à la vue, aux besoins, aux goûts du public, puis il y apposait la marque de fabrique avec l’emblème de la légèreté» (p. 112).
(3) Ainsi écrit-il, dans une lettre à Gaetano Chiavacci du 4 août 1908 : «Certes, ce que n’a pas la mer, je l’ai : le tourment ininterrompu des intentions passées et du travail futur, de mes différentes aspirations insatisfaites; la conscience de ma nullité en ce monde qui vit autant par l’action que par la pensée et l’art; la conscience de ma vie qui se consume dans on ne sait quelle attente. Dans l’illusion d’une formation progressive qui n’existe pas, d’une accumulation qui ne se produit pas sinon comme celle du sable que les flots charrient et dispersent de nouveau», Épistolaire(traduction de l’italien et préface par Gilles A. Tiberghien, Éditions de l’Éclat, 1990), p. 109. Il est clair que ces lignes s'enfoncent bien plus profondément que d'autres, qui se contentent de pointer les transformations socio-économiques d'une époque donnée, celle où le jeune Carlo dut faire ses preuves : «Une part m’est propre, mais une part aussi correspond à la maladie de l’époque pour ce qui est de l’équilibre moral parce que nous nous trouvons justement à une époque de transition sociale, au moment où tous les liens semblent se défaire, où une tradition d’intérêts communs se perd, où, dans chaque milieu, les chemins de l’existence ne sont plus nettement tracés vers un point culminant mais où tous se confondent et disparaissent; il revient alors à l’initiative individuelle de se frayer, à travers le chaos universel, un chemin lumineux» (in ibid., lettre à Paula M., 9 décembre 1906, p. 46). Peut-être la raison de son suicide tient-elle à de tout autres raisons, comme en témoignent certaines très belles lettres envoyées à de jeunes femmes qui furent les amies du jeune prodige, où nous croyons lire quelque point secret éminemment kierkegaardien, tristesse inconsolable ou bien mélancolie incurable, certitude d'être différent, et qui doit être tu : «Qui veut être lié à moi doit renoncer à tout, sans ambitions, sans gloire, pour se vouer à un rêve profond» (à Iolanda De Blasi, av. 1-2 mai 1907, p. 60), à laquelle il écrira aussi : «Iolanda, encore une fois et sans vouloir en rien t’offenser, Iolanda, te sens-tu capable de m’aimer non pas pour mes rires, ma joie, mes succès, non pas pour ma foi et pour la vie, mais pour cette lutte qui est dans mon cœur, pour ma tristesse et pour l’anéantissement, te sens-tu capable de m’aimer pour ce qui en moi est hostile et rebelle, de m’aimer jusque dans la défaite, de m’aimer par-delà la vie, par-delà les limites humaines ? De m’aimer tel que je suis dans mon devenir et non tel que je devrais être et… tel que je ne serai peut-être jamais, d’aimer donc ma vie sous le signe de cette lutte, même si celle-ci m’écarte du chemin normal et heureux, et pas seulement sous le signe d’une paix déjà trouvée ?» (lettre à la même du 6 mai 1907, p. 63). Ailleurs pourtant, Carlo Michelstaedter présente l'aboutissement de son travail comme le premier pas de la liberté, nouvel indice nous rappelant que le suicide reste un mystère impénétrable, quelles que soient la multitude des raisons pouvant non pas le circonscrire ni même l'expliquer, mais en suggérer la cohérence : «Déjà j’ai pris du retard pendant ce long moment gâché pour arriver à faire entendre ma voix pour la première fois – bien que je ne l’ai fait ni comme je l’aurais voulu, ni où j’aurais voulu le faire; non pas en tant qu’homme libre à l’égard de tous les hommes, mais au cours d’une année d’inertie […], et non pas directement à tous mais indirectement devant une commission de professeurs. Mais c’est la voix qui convient au chemin que jusqu’alors j’ai parcouru, c’est la réponse et la conclusion, c’est le prix de la liberté» (lettre à Emma M., 10 septembre 1910, p. 196).
(4) Hypothèse étayée par les lettres de l'auteur à l'un de ses amis, Enrico Mreule : «Car tu ne demandes rien. Et de même que tu ne tiens pas compte du temps parce que tu es, toi, tout entier dans le moment où tu agis, de même en chacun de tes mots, on a l’image concrète de ta vie» (lettre du 29 juin 1910, p. 186). L'auteur poursuit : «Mais écrire sans conviction des mots vides pour pouvoir exhiber du papier couvert d’écriture, cela m’est encore impossible. Et dans ce triste cercle je me suis débattu ces derniers mois, l’âme malade et la paresse au corps, réussissant parfois à me récupérer et à rassembler en moi avec sa vivacité et sa concrétude, tout ce qui sans elles ne me procure qu’un obscur tourment; d’autres fois et le plus souvent, vaincu par l’inertie, dispersant mes forces à la faveur de ce qui, ici et là, semblait me tirer de l’ennui, et d’autant plus vivement me livrait à la dure nécessité» (ibid., p. 187). Michelstaedter n'aura de cesse d'opposer la vie pleine de son ami à la sienne, fausse, irréelle, tout entière incapable d'être persuadée : «[…] depuis lors, combien tu as agi ! comme tes paroles se sont faites action ! je me nourris en revanche encore de mots et j’en ai honte» (ibid., p. 188). 
(5) Épistolaire, op. cit., lettre à Emilio M., 2-3 septembre 1910, p. 191.




20 mars 2015

THE GARDENER AND THE GUINEA

G.K. Chesterton


Strictly speaking, there is no such thing as an English Peasant. Indeed, the type can only exist in community, so much does it depend on cooperation and common laws. One must not think primarily of a French Peasant; any more than of a German Measle. The plural of the word is its proper form; you cannot have a Peasant till you have a peasantry. The essence of the Peasant ideal is equality; and you cannot be equal all by yourself.
Nevertheless, because human nature always craves and half creates the things necessary to its happiness, there are approximations and suggestions of the possibility of such a race even here. The nearest approach I know to the temper of a Peasant in England is that of the country gardener; not, of course, the great scientific gardener attached to the great houses; he is a rich man's servant like any other. I mean the small jobbing gardener who works for two or three moderate-sized gardens; who works on his own; who sometimes even owns his house; and who frequently owns his tools. This kind of man has really some of the characteristics of the true Peasant—especially the characteristics that people don't like. He has none of that irresponsible mirth which is the consolation of most poor men in England. The gardener is even disliked sometimes by the owners of the shrubs and flowers; because (like Micaiah) he prophesies not good concerning them, but evil. The English gardener is grim, critical, self-respecting; sometimes even economical. Nor is this (as the reader's lightning wit will flash back at me) merely because the English gardener is always a Scotch gardener. The type does exist in pure South England blood and speech; I have spoken to the type. I was speaking to the type only the other evening, when a rather odd little incident occurred.
It was one of those wonderful evenings in which the sky was warm and radiant while the earth was still comparatively cold and wet. But it is of the essence of Spring to be unexpected; as in that heroic and hackneyed line about coming "before the swallow dares." Spring never is Spring unless it comes too soon. And on a day like that one might pray, without any profanity, that Spring might come on earth as it was in heaven. The gardener was gardening. I was not gardening. It is needless to explain the causes of this difference; it would be to tell the tremendous history of two souls. It is needless because there is a more immediate explanation of the case: the gardener and I, if not equal in agreement, were at least equal in difference. It is quite certain that he would not have allowed me to touch the garden if I had gone down on my knees to him. And it is by no means certain that I should have consented to touch the garden if he had gone down on his knees to me. His activity and my idleness, therefore, went on steadily side by side through the long sunset hours.
And all the time I was thinking what a shame it was that he was not sticking his spade into his own garden, instead of mine: he knew about the earth and the underworld of seeds, the resurrection of Spring and the flowers that appear in order like a procession marshalled by a herald. He possessed the garden intellectually and spiritually, while I only possessed it politically. I know more about flowers than coal-owners know about coal; for at least I pay them honour when they are brought above the surface of the earth. I know more about gardens than railway shareholders seem to know about railways: for at least I know that it needs a man to make a garden; a man whose name is Adam. But as I walked on that grass my ignorance overwhelmed me—and yet that phrase is false, because it suggests something like a storm from the sky above. It is truer to say that my ignorance exploded underneath me, like a mine dug long before; and indeed it was dug before the beginning of the ages. Green bombs of bulbs and seeds were bursting underneath me everywhere; and, so far as my knowledge went, they had been laid by a conspirator. I trod quite uneasily on this uprush of the earth; the Spring is always only a fruitful earthquake. With the land all alive under me I began to wonder more and more why this man, who had made the garden, did not own the garden. If I stuck a spade into the ground, I should be astonished at what I found there...and just as I thought this I saw that the gardener was astonished too.
Just as I was wondering why the man who used the spade did not profit by the spade, he brought me something he had found actually in my soil. It was a thin worn gold piece of the Georges, of the sort which are called, I believe, Spade Guineas. Anyhow, a piece of gold.
If you do not see the parable as I saw it just then, I doubt if I can explain it just now. He could make a hundred other round yellow fruits: and this flat yellow one is the only sort that I can make. How it came there I have not a notion—unless Edmund Burke dropped it in his hurry to get back to Butler's Court. But there it was: this is a cold recital of facts. There may be a whole pirate's treasure lying under the earth there, for all I know or care; for there is no interest in a treasure without a Treasure Island to sail to. If there is a treasure it will never be found, for I am not interested in wealth beyond the dreams of avarice since I know that avarice has no dreams, but only insomnia. And, for the other party, my gardener would never consent to dig up the garden.
Nevertheless, I was overwhelmed with intellectual emotions when I saw that answer to my question; the question of why the garden did not belong to the gardener. No better epigram could be put in reply than simply putting the Spade Guinea beside the Spade. This was the only underground seed that I could understand. Only by having a little more of that dull, battered yellow substance could I manage to be idle while he was active. I am not altogether idle myself; but the fact remains that the power is in the thin slip of metal we call the Spade Guinea, not in the strong square and curve of metal which we call the Spade. And then I suddenly remembered that as I had found gold on my ground by accident, so richer men in the north and west counties had found coal in their ground, also by accident.
I told the gardener that as he had found the thing he ought to keep it, but that if he cared to sell it to me it could be valued properly, and then sold. He said at first, with characteristic independence, that he would like to keep it. He said it would make a brooch for his wife. But a little later he brought it back to me without explanation. I could not get a ray of light on the reason of his refusal; but he looked lowering and unhappy. Had he some mystical instinct that it is just such accidental and irrational wealth that is the doom of all peasantries? Perhaps he dimly felt that the boy's pirate tales are true; and that buried treasure is a thing for robbers and not for producers. Perhaps he thought there was a curse on such capital: on the coal of the coal-owners, on the gold of the gold-seekers. Perhaps there is.









6 févr. 2015

SILENT ENEMY
CHIPPEWA INDIANS MIGRATION TO NUNAVUT
 



Likely saved through oral tradition, this 56 minute film from 1930, details an event which commenced the Ojibway Indians trek to the Barren Lands or Barren Grounds, in search of food and happiness. Silent Enemy (famine) begins with the Ojibwa Indians living far to the south where forests and lakes abound. They first commenced a southward migration but were forced to change plans. As a result of less game, the Ojibwe Indians agree to migrate north into what is the Barren Grounds of far northern Manitoba, Northwest Territories, Nunavut, and the Barren Grounds of far northern Alaska. They knew the caribou in the 100,000s, if not millions, left the forest to head north into the barren lands each spring and stayed until autumn. The Caribou Eaters food supply was bountiful and from food preservation allowed them to live permanently in the barren lands. Chief Yellow Robe stars as Chetoga. He was directly related to chief Sitting Bull. Though it is thought that Silent Enemy was inspired by the 1922 film Nanook of the North, it is the clear subject of a migration up north which provides a story for this film. It is dramatic and realistic. The animal fight scenes are not fake. It was filmed in northern Alaska. You'll notice scenes filmed outdoors during frigid weather. Brave were the actors, especially chief Yellow Robe who was either 63 or 69 when the movie was made. Chief Dagwan represents the Hare Indians who were known to be conjurers. They are also known as Sahtu which is probably a mispronunciation of Saulteaux. They are the northern most Saulteaux or Chipewyan. All Athabascan or Dene people are Algonquin according to the 1832 Edinburgh Encyclopedia which recorded the Dene being from the Lenni Lenape or Delaware people.