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28 mai 2018

LOUISE LECLERCQ
Paul Verlaine




CHAPITRE I

Il n'y a guère de mélancolie plus épaisse, de tristesse plus lourde
que la pensée de vivre dans ces énormes maisons de plâtre, à cinq
et six étages, avec leurs innombrables volets gris, comme des poitrines
de squelettes à plat sur le blanc sale du mur, de l’ancienne banlieue
parisienne. Je parle plus spécialement des quartiers paisibles, honnêtes,
où la bâtisse a prospéré grâce aux locataires bons payeurs, où ont pu se
former de très longues rues sans air et sans soleil. Le petit rentier qui
rente si magnifiquement le possesseur de ces hideux phalanstères a bien
raison d’être pour la plupart du temps un imbécile, car qui pourrait, à
un certain âge, le temps du repos venu, finir sa vie, non pas même heureusement,
mais tranquillement, dans de pareilles conditions d’insalubre
laideur et de platitude vénéneuse ? L’homme jeune, le ménage qui a sa
fortune à faire ou son pain à gagner sur la vie de tous les jours, peut à
la rigueur admettre cette hygiène absurde, s’y faire, la supporter, — au
prix de quel ennui méchant, toutefois, de quelles sensations perverses, de
quelles envies de briser à jamais ce cadre noir et d’en sortir pour quelles
fuites ! Et combien de lamentables culpabilités de quelque ordre que ce
soit pourraient s’expliquer, sinon s’excuser, par ces motifs tortueux, inavoués,
insoupçonnés, de milieux analogues ou pareils ?
La rue des Dames, aux Batignolles, peut servir de type à ces mornes
enfilades de bâtisses à suer les revenus. . . et la santé des braves bourgeois
qu’engouffre et pressure l’immense spéculation moderne sur les
immeubles. Relativement passante et très commerçante à proportion, elle
présente assez de vie normale et de mouvement nécessaire pour ne pas
entrer logiquement dans la catégorie de ce que l’on a appelé des coins d’idylle
parisienne. Du reste, le quartier lui-même des Batignolles ne prête
pas le moins du monde à ces galantes ou sinistres suggestions, tout entier
bâti qu’il est pour la location en masse, sans presque de jardins, ni de
murs surmontés de branches, ni de ces terrains à gazon, théâtres de bien
des scènes qui ne sont pas toujours polissonnes : l’aspect général y est
mesquinement bourgeois, cossu pauvrement, rangé, chiche, mais propre
autant que possible en dépit des ruisseaux taris, des bouches d’égoûts insuffisamment
étroites, et des bornes-fontaines ridiculement rares. Les magasins,
sinon beaux, du moins assez bien fournis et point trop mal décorés
à l’étalage, nouveautés, merceries, boucheries quasi-coquettes et charcuteries
essayant de rire un brin, foisonnent dans la rue des Dames. Des bureaux
de tabac, quelques libraires et plusieurs cafés très anciens mêlent
leur superflu bien modeste, au confortable qui fait la gloire des ménagères
et la sécurité bourgeoise des habitants de cette étroite, humide, interminable
artère principale des Batignolles proprement dites. De nombreuses
crémeries à l’usage des employés pauvres et des ouvriers célibataires du
quartier, complètent cette physionomie qu’on voudrait croire provinciale,
n’étaient telle lacune dans la bonhomie, tel manque de naïveté forte, telle
négligence, telle brutalité, telle ignorance bien faubourienne, comme une
enseigne prise à un roman qui fut à la mode, comme l’affichage d’une ordure
de plume ou de crayon dont Paris seul encore ne rougit point, comme
ce je ne sais quoi de trivial et de provisoire qui gâte à Paris et dans ses
environs immédiats toute installation de modeste importance.
Au coin de la rue des Dames et d’une des rues qui aboutissent sur le
boulevard des Batignolles se trouve une assez grande épicerie. Le maga-
sin s’ouvre à l’angle même de la maison dont l’entrée pour les locataires
donne sur la rue transversale. Les boiseries extérieures sont peintes en
jaune foncé rehaussé de filets bruns ; le mot « denrées » en gros caractères
noirs surmonte la partie du magasin située sur la rue des Dames,
les syllabes « colo » continuent cette enseigne au-dessus de la porte vitrée
d’entre les deux rues, et la désinence « niales » l’achève dans la rue
transversale. La raison sociale « Eugène Costeaux, Leclercq successeur »,
s’étalait il y a un peu plus de deux ans en deux lignes de lettres rouges
imitant l’écriture anglaise sur les baants vitrés de la porte d’entrée du
magasin. Le nom « Leclercq » était répété, seul cette fois, sur la dalle de
marbre blanc et bleu du seuil étroit qui s’allonge entre deux hauts vitrages
grillés à hauteur d’homme. Un paillasson précède immédiatement la porte
dont le battant resté libre s’ouvre en dedans. Le magasin est bas de plafond.
Son plancher reste poussiéreux bien que balayé plusieurs fois par
jour et arrosé tous les matins abondamment, mais il vient tant de monde
et la rue est si sale !
A l’époque dont il s’agit, deux garçons revêtus de la longue blouse
grise de l’emploi, faisaient le service sous la direction très active du patron
et de la patronne. Ceux-ci, de bien braves gens quelconques, tout à leur
magasin qu’ils tenaient d’un oncle au mari, mort sans enfants, il y avait
une vingtaine d’années, étaient originaires de Saint-Denis, où leurs ascendants
avaient vécu de père en fils du même commerce d’épiceries, exercé
en tout petit. C’étaient donc des Parisiens de race et d’habitudes, qui ne
sortaient jamais, la femme et la fille, que pour aller à une messe basse le
Dimanche, le ménage qu’aux jours de réjouissance nationale ou de telles
grandes fêtes parisiennes comme l’Assomption et Noël, pour voir les illuminations
ou les baraques du boulevard, ou faire hors des fortifications,
jusqu’aux premières maisons de Clichy et de Saint-Ouen, un tour dans ce
qu’on appelle la campagne chez les petites gens de Paris. Le Spectacle, si
cher à tout ce qui provient de la grande ville ou qui vit d’elle, leur était
pour ainsi dire inconnu, ainsi qu’il arrive (arrrive) d’ailleurs très souvent
aux boutiquiers besoigneux ou simplement sérieux, comme on dit dans
ce monde-là. Mais ils devaient à leur origine parisienne comme à l’obstination
de leur vie dans ce pourtour de la capitale, de partager avec leurs
concitoyens le préjugé, presque la vénération du Théâtre, de ses choses
et de ses hommes. Ils recevaient le Petit Journal et en collectionnaient les
feuilletons qu’ils prêtaient à des voisins et qui ne rentraient pas toujours
aussi exactement qu’il eût fallu pour bien faire. L’épargne la plus stricte
sans trop d’exagération toutefois présidait à leurs dépenses de ménage.
Une nourriture très simple, boeuf et légumes de la saison, peu de mouton,
du veau rarement et presque jamais de charcuterie, le tout arrosé de vin
au litre, — égayé de dessert et de café tous les dimanches sans faute et
parfois un jour de la semaine, selon le caprice du père, un peu despote, —
leur bilan était très simple, comme vous voyez, et peu de nature à nuire
en quoi que ce fût à la mise de côté comme au sûr placement des bénéfices
réalisés chaque année, de trois mille cinq cents à quatre mille francs en
bonnes espèces sonnantes et qui ne devaient rien à personne.
M. Leclercq pouvait avoir dans les quarante-cinq et sa femme dans
les quarante ans ; leur fille Louise en avait vingt-deux. Elle tenait surtout
de sa mère au physique, beaucoup de fraîcheur sans grande beauté : un
nez un peu long, bien modelé, avec une tendance à paraître pointu, de
fort beaux yeux bleus et des cheveux châtain-foncé à reflets blonds formaient
un ensemble assez agréable que complétaient un front bas et large
d’une belle ligne bien précise, et des tempes où le sang jeune épanouissait
des veines pâles en deux fleurs d’un violet rose si délicat que l’on eût
cru parfois pouvoir s’attendre à voir couler la vie par les pores exquis
de cette peau littéralement diaphane. La taille moyenne encore frêle, elle
marchait non sans grâce, gesticulait peu mais cependant en vraie parisienne
de Paris ; de longues mains blanches aux doigts des mieux faits,
des pieds presque mignons ajoutaient à la distinction naturelle de cette
fille charmante en somme. La simplicité vraie, absolue, qui est très souvent
le partage heureux, l’élégance et l’honneur de ces classes inférieures
du commerce en détail, le parfum de ces âmes humbles, régnait dans toute
sa personne, souverainement. Son accent légèrement précieux et flûté, —
mais née de parents parisiens et n’ayant jamais vécu qu’aux Batignolles,
comment voulez-vous qu’elle ne chantât pas, qu’elle ne traînât pas un tantinet
en parlant ? — son accent prêtait à sa parole toujours sobre, juste
et bienveillante, une musique qui la rendait délicieuse. Ses parents l’avaient
beaucoup mieux élevée qu’on n’eût été en droit de l’attendre de
gens en apparence si bornés et que leur trafic semblait devoir absorber
tout entiers. C’est ainsi qu’elle avait été recommandée à la maîtresse de
l’externat de la rue Lemercier pour des travaux d’aiguille et des notions
de ménage de préférence à toutes les autres matières enseignées. Bien
qu’elle eût montré dès son enfance des dispositions pour le dessin et la
musique, ces deux arts d’agrément avaient été rayés de son programme
d’études de par un bon sens dont donne trop peu d’exemples notre petite
bourgeoisie parisienne d’aujourd’hui, si superficielle en tout autre chose
qu’en le travail pour le pain quotidien, où elle est admirable, par exemple,
de prévoyance, d’économie et d’honnête savoir-faire. Elle avait aussi, sur
l’insistance de ces bonnes gens, suivi un an de plus qu’il n’était d’usage
dans l’institution Brodeau le précieux catéchisme de persévérance de M.
l’abbé de Guimard, le second vicaire si malheureusement enlevé l’année
dernière par les suites d’une bronchite contractée au confessionnal pendant
l’effroyable hiver de 1879, à l’affection de son vénérable supérieur,
de ses dignes confrères et de tous les paroissiens de Sainte-Marie des Batignolles.
Par un sentiment exquis des délicatesses d’une âme de jeune fille,
par un tact presque instinctif, infiniment supérieur à leurs habitudes de
vie et de raisonnement, les Leclercq avaient compris qu’il fallait à Louise
une atmosphère intellectuelle et morale qui fût autre que la leur, moins
épaisse, moins saturée d’odeurs mercantiles. De la boutique paternelle
elle ne connaissait en quelque sorte que la quintessence, l’expression abstraite
seule, la résultante intellectuelle, l’esprit, je veux dire la comptabilité,
que ses parents n’eussent pu tenir et dont ils se félicitaient chaque
jour de l’avoir chargée en remplacement d’une mercenaire, tant elle s’en
acquittait avec zèle et vaillance. Une poésie s’en dégageait pour elle, mêlée
aux senteurs prédominantes de l’épicerie, les plus fines ensemble et
les plus fortes, les plus intelligentes si l’on peut ainsi parler, cannelles
et vinaigres, cires et fruits confits, oranges et citrons, qui lui arrivaient
par bouffées vagues, à travers la porte souvent entrebâillée de l’arrière-
boutique, où elle se tenait la plupart du temps.
Cette arrière-boutique se composait d’une pièce principale qui servait
de chambre à coucher aux époux Leclercq et de salle à manger, et d’un
cabinet ne prenant un peu de lumière que par une lucarne percée sur la
première pièce. Louise avait son lit dans ce cabinet. Dès le matin la pièce
principale perdait l’aspect d’une chambre à coucher, grâce à une alcôve
(alcove) fermée à deux battants par une porte de chêne peinte en blanc,
à ferrures d’armoire ancienne. La jeune fille, après avoir fait son lit et celui
de ses parents, mettait minutieusement en ordre la pièce où ceux-ci
avaient passé la nuit. Comme c’était là qu’elle restait dans la journée, occupée
à sa comptabilité et aux travaux d’aiguille de la maison, elle avait
l’endroit en prédilection, changeait souvent les rideaux de la fenêtre, laquelle
donnait sur la rue transversale à la rue des Dames, frottait la haute
glace de dessus la cheminée, ainsi que le globe de la pendule et ceux des
flambeaux de composition argentée qui se faisaient pendant à droite et à
gauche du Léonidas mourant pour Lacédémone, à cheval sur un cadran
signé Lepaute à Paris. La table ronde à rallonges qui servait aux repas de
famille, recouverte d’une étoffe rouge et noire, garnissait le milieu de la
pièce que meublaient deux fauteuils dans des housses pour les époux Leclercq
et six chaises d’acajou à siège de velours épinglé violet. Le parquet,
soigneusement ciré et frotté tous les trois jours par le plus jeune des garçons
de boutique, disparaissait presque sous un tapis un peu criard d’étoffe
à bon marché, grand luxe de petite bourgeoisie justifié en l’occasion
par une cruelle disposition du père Leclercq au froid aux pieds.
Louise ne lisait jamais : le même bon sens dont il a été question plus
haut avait détourné ses parents de l’habitude parisienne de laisser traîner
livres et journaux sous les yeux des enfants petits ou grands. D’abord,
de livres, il n’y en avait pas un seul chez eux en dehors du paroissien
romain de Mme Leclercq, du livre de messe de Louise et des quelques
ouvrages classiques qui lui avaient servi à l’école ; quand au Petit Journal
mentionné tout à l’heure, Monsieur le lisait au soir, après la fermeture
du magasin ; Madame se tenait au courant du feuilleton qu’elle coupait
aussitôt après lecture faite et serrait dans un placard à linge dont elle
seule avait la clef ; le reste du journal, mis à part dans un coin spécial de
la boutique, servait à l’empaquetage des menus objets de vente. On avait
dès le principe accoutumé « la petite » à ne pas toucher au journal de peur
qu’il pût se perdre ou se salir.
L’enfant en grandissant continua de porter le même respect à la chose
imprimée, n’en conçut jamais la curiosité, et, n’en ayant pas goûté la douceur,
y restait dès lors absolument indifférente.
Les Leclercq profitèrent tout naturellement, mais, il faut y insister,
avec un tact bien rare dans leur classe, de cette heureuse disposition de
leur fille et s’arrangèrent pour qu’il parût aller de soi, pour qu’il fût à la
fois entendu et sous-entendu que toute lecture oiseuse resterait étrangère
à la Ménagère, à la Demoiselle qu’elle était. N’échappaient à cette prohibition
tacite et tacitement consentie que les seuls fascicules des Annales
de la Propagation de la foi, dont Louise était zélatrice. Ce merveilleux recueil,
écrit simplement, rondement, par des hommes d’action dans le plus
haut sens du mot, lettrés sans être littérateurs, quelque chose comme les
commentaires de César autrement plus militants, inestimable trésor historique
et géographique, qui formera plus tard le livre certainement le
plus important à tous égards de ce siècle, paraissait aux Leclercq, qui en
feuilletaient souvent les livraisons avec le plus naïf et le plus sincère intérêt,
tout à fait en rapport avec l’instruction supérieure à la leur de Louise
et son éducation religieuse relativement forte : ces excellentes gens, qui
participaient largement, on l’a vu et on le verra, aux ignorances de leur
caste, à ses préjugés de toute catégorie et de toute saison, à ses entêtements
dans la palinodie périodique, du moins n’étaient pas devenus irréligieux,
au milieu de la dégringolade morale de ces dernières années
dans ces régions peu intellectuelles. Sans jamais avoir pratiqué depuis
ses quinze ou seize ans sonnés, — pareil en cette chose à tant d’autres
français, — le père Leclercq ne s’était pas laissé gagner à la très basse, très
crapuleuse, mais d’autant plus formidable corruption actuelle, oeuvre réciproque
de la presse et des moeurs, logique, dès longtemps prévue, prédite
et. . . point assez combattue par qui de droit, et dont le trait dominant
est le reniement brutal de Dieu, la mort sans phrase à toute idée spiritualiste.
Son esprit droit d’origine, solidement trempé pour la bataille des
principes de fond dans un long exercice de la probité commerciale la plus
scrupuleuse, aiguisé et affiné sur la roue de ce gagne-petit, le commerce
en détail, le mettait en garde contre de pareils dangers, — même attaquant
de biais, même insinués tortueusement par telle feuille doucereuse. Il approuvait
donc ce qu’il appelait « la dévotion » de « ces dames », tout en
les plaisantant quelquefois à ce sujet ; mais si peu ! — (« à la Voltaire »,
comme il disait, croyant dire « spirituellement », — sans quoi eût-il été
parfaitement épicier ?) Il revenait très vite d’ailleurs sur ces échappées de
la toute petite incrédulité qui était en lui, et qui ne prenaient aussi bien
guère place que les jours « d’extra », après le pousse-café bu, en compagnie
de souvenirs de jeunesse et de récits gazés, frasques d’adolescent,
fredaines d’avant le mariage (bien peu nombreuses en tout cas, car il s’était
marié si tôt ! — « trop tôt », ajoutait-il dans ces occasions-là). Mais,
en somme, et à part ces bêtises d’un esprit droit mais de très court vol,
son langage était respectueux de la religion et de la morale, et des plus
convenables, des plus plausibles, généralement. Quant à la pratique de la
religion, lorsque sa femme lui reprochait d’être inconséquent dans son
abstention comparée à ses paroles, « il faut de la religion, même pour les
hommes, peut-être même surtout pour eux », il répondait avec une entière
bonne foi, — terrible et lamentable au fond : — Que veux-tu, ma
bonne, ce diable de commerce !. . . Quand je serai retiré, certainement.
Mais Mᵐᵉ Leclercq était la reine des femmes douces ; son portrait sera
parfait quand on saura, qu’elle joignait à une grande indulgence pour les
autres une sagacité sociale des plus remarquables.
Louise avait donc en somme une destinée heureuse que beaucoup
d’autres plus riches ou d’une naissance plus haute eussent pu envier. Aimée
de ses parents, estimée d’eux, et mise spontanément par eux à la place
sinon supérieure, du moins très honorablement spéciale que ses mérites
et son acquis lui assignaient à côté d’eux, rien n’eût paru lui manquer, rien
à coup sûr ne paraissait à elle-même lui manquer sur cette terre de demibonheurs
et dans cette peu récréative rue des Dames aux Batignolles.
Cependant à certains jours, quand il pleuvait, par exemple, que la fenêtre
de la pièce du rez-de-chaussée où elle travaillait soit de la plume,
soit de l’aiguille, ruisselait ou dégouttait, ou simplement ne laissait passer
qu’un jour sale au lieu du jour jamais bien chaud ni clair mais du
moins net et doux des beaux temps, l’ennui la prenait, un ennui vague
et dont elle n’eût su constater seulement l’existence, loin de pouvoir le
définir. Cette fille occupée à des travaux rationnellement équilibrés où
l’intelligence et le corps avaient leur juste part, était en outre trop dégagée
de toute phrase de roman, de toute conversation pointue, de tout
entortillage, de toute chinoiserie de la pensée, pour devoir admettre, fût-ce
un instant, fût-ce par surprise, que quelque chose comme un « ennui
vague » pût se glisser dans l’active régularité de sa vie. Elle avait bien eu
parfois des chagrins plus ou moins vifs, des contrariétés comme tout le
monde est appelé à en subir et dont elle se souvenait très nettement, moralisant
en elle-même à leur propos, tirant de ces minimes catastrophes la
somme d’expériences qu’elles étaient susceptibles de contenir, exploitant
jusqu’au souvenir du déplaisir souffert, s’en faisant un cuisant prétexte
pour éviter, fuir, ou repousser l’occasion même la plus plausible (en dehors
d’un devoir à remplir, bien entendu) de s’y exposer à nouveau ; —
mais d’ennui, de cette chose molle, pénétrante, inconsistante comme le
brouillard, comme un mauvais air, non, elle n’aurait pu parler d’un phénomène
analogue par rapport à elle-même, elle aurait au contraire pu
sans mentir nier qu’elle en eût jamais eu conscience.
Et pourtant elle s’ennuyait parfois. Surtout ces jours de pluie dont il
a été parlé ; vers le soir aussi principalement en été, quand il fait encore
assez clair pour travailler et déjà suffisamment obscur pour allumer la
lampe ou les bougies. L’hiver la nuit tombe sans presque de transition, le
feu d’ailleurs vit à côté de vous, lumineux et bruyant, cause avec vous,
voudrait-on croire, vous envoie sa chaude haleine, vous regarde de ses
mille yeux familiers ; mais Ventre-chien-et-loup des fins d’après-midi de
la belle saison est vraiment redoutable aux organisations tant soit peu
délicates : tout s’efface, s’estompe, semble se désoler, vous laisser seul
entre quatre murs d’ombre à tout instant épaissie. C’est alors qu’à l’insu
de sa fierté de fourmi qui eût bien envoyé chanter et danser toute idée de
vapeurs, de langueur, et autre forme plus ou moins actuelle de l’immortel
Ennui, tombait sur elle, lui pesait sur les tempes, s’appuyait à ses épaules
cet on ne sait quoi qui trouble le dessein, émousse la volonté du jour
et de l’heure, rend le coeur vague, la tête vide, la chair et le sang et les
nerfs prépondérants sur l’esprit, et le temps si long, si lourd, si sottement
insupportable !
Cela durait peu, quelquefois une minute ou deux, rarement quatre
ou cinq ; bien vite les yeux errants, vacants, revenaient sur le surget commencé,
sur le total à reporter, — la main pendante ou qui caressait le front
du bout d’un doigt sans but, prenait à nouveau la plume ou l’aiguille, — la
sage Louise, pratique, sérieuse, pareille à elle-même, descendait de l’hippogriffe,
fermait le château en Espagne, se retrouvait aux Batignolles, rue
des Dames, dans l’arrière-boutique de son père, M. Leclercq, marchand
épicier, successeur de Costeaux, — et comme elle s’y plaisait, toute rassu-
rée, toute chez elle !
Sa mère avait surpris cette presque imperceptible assomption sur la
Chimère d’une pensée rendue un instant incapable de lest. Du reste elle
n’en parlait pas à Louise, thésaurisant ses observations pour les dépenser
au besoin en utiles conseils, en reproches modérés : mais cette rigueur
se trouverait-elle jamais nécessaire vis-à-vis d’une enfant aussi sensée,
aussi bonne ? On ne savait, pensait Mᵐᵉ Leclercq, qui pouvait répondre ?
Et sans s’alarmer elle s’inquiétait un peu.
Louise, on le sait, était entrée dans sa vingt-troisième année. Sans
précisément s’occuper d’un établissement pour elle, ses parents ne pouvaient
s’empêcher d’y penser quelquefois. A deux ou trois reprises même,
à des mois d’intervalle, ils s’en étaient parlé en cette année 188. . . Dame,
ils n’étaient plus tout à fait jeunes, bien qu’encore dans l’âge du commerce
actif. Avec l’extrême intelligence de Louise, ses qualités solides, et
son bon caractère, il serait évidemment avantageux de lui faire épouser
un garçon sérieux, de quelque dot bien entendu, connaissant la partie,
dans les vingt-cinq vingt-six ans, fils de commerçants retirés après cession
de leur établissement à des tiers, qui reprendrait le magasin avec
Louise comme comptable ; celle-ci pourrait aider un peu son mari dans la
vente, à l’exemple de Mᵐᵉ Leclercq, — à condition toutefois que cela plût
à la chère enfant et ne la dérangeât pas trop des soins du ménage. Eux
autres ils se retireraient à Saint-Denis, chez un jardinier de leurs parents
qui leur louerait le rez-de-chaussée de sa maison avec un bon coin de son
potager qu’ils pourraient cultiver à leur gré ou transformer en pur jardin
de fleurs : ils viendraient voir les enfants de temps en temps, les enfants
aux grands jours les visiteraient, et tous les et coetera de cet ordre d’idées.
Mais, mais,. . . c’était plutôt madame que monsieur qui disait ces maislà
ou les accueillait le plus attentivement quand ils se produisaient dans
la conversation. — Et le plus important de ces mais pouvait se développer
en ceci : Louise aimerait-elle à se marier ?
Mᵐᵉ Leclercq répondait que non, le craignant, car elle eût bien voulu,
elle, d’un mariage au plus tôt. — « Pourquoi donc ? — Une idée comme
çà ! — Que le diable soit des femmes avec leurs idées qu’elles ne veulent
pas dire ! »
En vérité, sans rien redouter de positif, Mᵐᵉ Leclercq pressentait un malheur.




CHAPITRE II

D'abord Louise s'ennuyait parfois (ceci, comme il a été dit, Mᵐᵉ
Leclercq le gardait pour elle).
Ensuite il y avait un jeune homme.
Le premier jeune homme venu, joli garçon, tout jeune, employé de commerce,
suffisamment éduqué dans le chic et dans le toc, qui s’appelait
Léon Doucet, et mangeait régulièrement dans la crémerie contiguë à la
boutique des époux Leclercq.
Il venait souvent chez ceux-ci acheter des allumettes et une bougie,
s’attardant quelquefois à causer, accoudé au comptoir, politique ou « affaires
» avec le père, intérieur et popote avec la mère, et chiffons, avec
la fille, quand celle-ci devait, le soir, à l’heure du dîner, suppléer pour
quelques instants ses parents occupés à la table et à la cave, — car il était
dans les Docks du Blanc, les grands magasins d’en face, l’un des préposés
aux articles pour dames et pouvait causer des mille riens de la lingerie
féminine en toute connaissance de cause.
Mᵐᵉ Leclercq, avec son oeil de mère, de femme, et de négociant parisien
— (au fond c’était elle, comme tant de femmes françaises, qui avait
l’initiative dans les affaires de la maison) Mᵐᵉ Leclercq avait pénétré au
fond du creux de ce garçon. Elle avait comparé ce vide avec le vide actuel
de coeur, de tête, et de sens de Louise. La beauté réelle, substantielle, du
commis des Docks du Blanc l’effrayait, mère, l’indignait, femme, et commerçant,
la dégoûtait.
Un beau jour elle découvrit un immense amour de sa fille pour cette
poupée imberbe, et ce quelle pleura ! Sa tête s’y serait perdue sans l’affection
maternelle. Son mari, lui, naturellement, ne vit, n’entrevit rien de
rien. Les hommes, les pères dans ces questions !
Et Mᵐᵉ Leclercq avait raison. . . L’amour a souvent été comparé à un
aigle. A tort. Parbleu, de l’aigle, il a la rapidité, mais c’est tout. Il n’aime pas
le grand jour, d’abord. Ceci dans tous les cas. Puis il ne tue que les faibles,
et s’il s’attaque à d’autres par mégarde, ce qui lui arrive souvent, il a lieu de
s’en repentir presque toujours. Non, c’est le hibou qu’il rappelle plutôt. Il a
l’obliquité, le plumage élastique du hibou ; — et ses serres ! Il a les grands
beaux yeux fixes, les belles ailes emphatiques et muettes du hibou, son
doux cri sinistre, son élan d’ouate sur la proie jamais manquée, puis, la
proie dévorée, le renvoi sourd devers la tour ou le chaume noirs dans la
nuit charmante. Mais quelles serres et quel bec ils ont donc, l’amour et le
hibou ?
La pauvre Louise, victime dévouée, l’éprouvait, cette fatalité, et devait
l’éprouver en tous sens, contre elle, pour elle, par elle !
Doucet ne s’aperçut tout d’abord pas de l’amour insensé de Louise
pour lui. Habitué qu’il était aux seules anecdotes de bal public ou de canotage,
l’idée ne lui serait jamais venue, il faut lui rendre cette justice, qu’une
jeune fille de bonne famille et d’éducation sévère dût jamais prendre garde
à sa « pomme » toute destinée rien qu’aux beautés faciles de la brasserie
et de l’atelier. Il ne se serait par conséquent jamais mis dans sa petite
tête pas méchante au fond, de faire une cour pour le mauvais motif (il se
croyait trop jeune et se sentait trop pauvre pour même rêver à du sérieux
dans cet ordre d’idées) chez des gens calés comme les Leclercq. D’ailleurs
le genre de charme de Louise n’était pas pour l’attirer. La jeunesse moins
piquante que délicate de Mˡˡᵉ Leclercq, sa modestie un peu hautaine et l’-
habitude chaste de toute sa démarche ne disaient rien aux sens naïfs de
cet adolescent trivial.
A la fin pourtant, à force d’avoir ses regards croisés par ceux de Louise
aussitôt éteints sous des palpitements de cils, et de remarquer sur son
visage ce va-et-vient des couleurs qui décèle encore plus la passion que
la pudeur, il lui fallait bien se rendre à l’évidence et reconnaître ce qui
l’effraya tout d’abord. Mais de ces frayeurs-là, on s’en remet vite à vingt
ans, et dès qu’il se vit aimé, sans aimer il désira, et dès lors sans plus y
réfléchir, il manoeuvra au-devant de la marche en avant de Louise.
La pauvre fille fut vite « perdue ».
Comment arriva la catastrophe, c’est ce qu’il est inutile de préciser :
la vie parisienne de ces régions a tant de coins et de recoins, d’allées et
de venues, de carrés d’ombre et d’occasions pour quelqu’un de très pur
ou de très brutal, qu’on serait surpris de compter tous les malheurs dans
ce genre qui s’y préparent et s’y installent. Louise tomba victime de cette
malice des choses autant que de leur ennui intrinsèque, cet ennui qui la
déprimait depuis son enfance, à son insu, malgré son héroïsme inconscient
et la simplicité presque virile de ses vertus.
Pendant quelques jours ce fut pour la chère enfant un délice énorme,
un vertige de joie. Son innocence gardée en dépit de la faute, ou plutôt
l’ignorance de son innocence envolée (où ? qu’en savait-elle ?) la faisait
à son tour désirer et se complaire à l’assouvissement du désir. . . Hélas
! le sang et les nerfs l’emportaient sur les pauvres principes, sur l’âme
vaillante mais faible, sur la raison, sur l’amour filial, sur le juste orgueil,
sur tout ! Et que celle qui fut sans faiblesse lui jette la première pierre !
Puis l’effroi vint avec l’excès. Car ils avaient mille ruses pour se voir
trop longtemps, et Louise n’était pas la plus malhabile ni la moins ardente
à trouver de ces rendez-vous instantanés, en quelque sorte sous l’oeil et
loin des regards de ses parents.
Maintenant que faire ? Elle ne pouvait plus rester. Sa franchise répugnait
à ces cachotteries d’ailleurs si graves, puis disons tout, d’ailleurs
ici la vérité s’impose cruellement quoique nous en ayons, il fallait plus de
champ à sa passion qu’elle avait besoin de place et d’espace pour satisfaire
bien, pour assouvir comme il fallait, car la flamme du sang grandissait
avec les jours écoulés et c’était toute la luxure, pour parler franc, qui pos-
sédait l’innocente, nous maintenons le mot — la luxure bestiale, l’immortelle
démangeaison, le besoin impérieux du mâle, non pas l’hystérie, saine
et robuste qu’elle était, vierge forte qu’elle sortait d’être, femme qu’elle
se sentait depuis quinze jours, femme normale, bon instrument bien manié
; car de son côté Doucet était bâti pour l’amour physique, ardent et
caresseur et rieur, souple, d’attaque et de riposte, gai dans l’expansion,
allègre après et persévérant sans plus d’effort que cela. Chose naturelle !
lui aussi avait subi une transformation. Et de même que le corps chez
Louise s’était magnifié, que sa taille, sa poitrine, ses membres, prenaient
de jour en jour plus d’autorité en quelque sorte et de beauté définitive, que
ses yeux hardis plus grand ouverts sur les choses brillaient de la lumière
nette qui sied à la compagne heureuse d’un homme heureux et jeune et
vigoureux, que sa voix avait des notes décidées, graves presque, et doucement,
mais pas trop, impératives, — de même ce beau garçon, sans se
féminiser au contraire, avait au contact d’une nature distinguée, infiniment
supérieure à la sienne (artificiel produit du gamin gentil de Paris un
peu formé par la pratique de clientes bien élevées et l’élégance relativement
moins calicotière de son genre d’emploi), contracté quelque chose
de simple, de bien, dans ses allures. Ses sens glorifiés dans cet amour qui
l’élevait, donnaient à sa tenue générale et aux détails de sa beauté un tour
plus sympathique vraiment. Son regard brun s’approfondissait en restant
vif et toujours un peu luron, le geste devenait sobre et juste, le teint assez
haut se nuançait mieux et sa bouche rouge et forte prenait un pli tout
à fait viril en même temps que plus avenant, l’esprit aussi se dégourdissait.
Plus de niaiseries rapportées du rayon, plus de jeux aisés ou non de
mots. Convenance, discrétion, égalité de manières et en somme de l’amabilité
sincère. C’est que l’amour l’avait investi à la longue. Une immense
reconnaissance, la satisfaction, le bonheur complet, la fierté d’avoir une
telle maîtresse, fierté plausible qui était encore de l’hommage, et toute
bonne volonté devers Louise complétaient la dangereuse métamorphose
de Doucet. Est-il besoin de dire que des deux amants c’était Louise qui
dominait, et son sérieux quand ils étaient bien entendu, de sang rassis,
sa parole calme mais définitivement formulée faisait plier Doucet comme
un roseau. Il tremblait de la contrarier, et par suite, de la perdre, et puis
ce lui était délicieux de lui obéir !
― Non. Pour toutes les raisons possibles elle ne pouvait, elle ne voulait
rester. Elle partirait avec Doucet pour toujours et voici ce qu’elle lui
proposa autant dire lui ordonna dans la troisième semaine de leur liaison :
Faire une bourse. Il gagnait deux mille francs et avait une somme de
deux cents francs de côté. Elle avait plus encore d’étrennes du dernier
jour de l’an et de ses espèces d’appointements comme comptable. Il possédait
une chaîne et une montre d’or, elle aussi, plus quelques bijoux, qu’ils
pourraient vendre ou engager. Il avait un parent à Bruxelles. Ils iraient
là. Elle se placerait comme comptable ou quelque chose d’approchant, lui
dans un grand magasin de blanc. On aimait les Français et surtout les
Parisiens là-bas. C’était entendu ?
Oui, et la bourse fut faite en huit jours.. Le lendemain ils se réunissaient
à une heure convenue de l’après-midi à la gare du Nord.
Elle avait quitté ses parents sans un mot d’adieu, rien, rien et rien !
Ce n’était ni une fuite ni un départ. C’était une destinée qui allait où elle
devait aller. Tout sentiment autre que l’amour était aboli pour elle. Son
action n’était pas de la révolte même instinctive, mais bel et bien la vie qui
passait, la tirant à sa suite. Avec cela le plus grand sang-froid. Valise pleine
d’objets utiles adroitement expédiée en secret à la consigne sous un faux
nom vraisemblable, sa comptabilité en ordre jusqu’au dernier guillemet
et durant toute cette période de préparatifs, comme du reste depuis le jour
de sa chute, la même fille docile, soumise, travailleuse et doucement gaie
absolument qu’auparavant. Mᵐᵉ Leclercq n’y vit que du feu cette fois.
Il était deux heures de l’après-midi. Le train ne partait qu’à six. Ils allèrent
dans un hôtel voisin où ils mangèrent, après quoi Louise demanda
une chambre pour la nuit. Ils signèrent M. et Mᵐᵉ Doucet sur le livre de
police. Louise avait écrit la première. Doucet était un peu surpris de cette
remise du voyage au lendemain, mais il eut tôt compris et certes il ne songeait
pas à se plaindre. Le soir Doucet sur son désir la mena dans un café-concert
où il était sûr de ne pas rencontrer de camarades. Ce spectacle lui
plut beaucoup comme il doit plaire, en dépit des sots, à tout spectateur
neuf, par sa franchise et sa variété, de même qu’il plaît aux dégoûtés de
la musique et de la littérature courantes par son outrance.
Rentrés à l’hôtel et couchés, comme Louise avait joui de toute cette
intimité du linge dernier, du lit à deux, de l’entrée à corps perdu dans
les bras, sur le sein, dans tout l’être l’un de l’autre ! Doucet bien qu’assez
habitué à des fêtes analogues mais qu’incomparables ! n’en revenait
franchement pas de ce qu’il aurait pu appeler sa gloire. Par moments il
se pressait le front dans une main et accoudé sur les oreillers, regardait
un gros moment Louise, puis le plongeait sous l’épaule d’elle, aux longs
cheveux d’ombre d’or. La bougie s’éteignit. Ils s’en passèrent et le petit
jour les retrouva joyeux et plus réveillés que lui.
Deux heures après, tout en s’habillant sous mille baisers et caresses
partout, au cou, sur le dos, au long des reins et des jambes, sur les pieds et
au bout de chaque doigt, de l’endiablé Doucet, Louise écrivit au crayon,
vite et mal, comme pour se débarrasser d’une corvée, le mot suivant à ses
parents :
Je pars. Rassurez-vous. Je suis et serai heureuse. Prenez pour
les écritures Mlle Moreau. C’est une bonne femme qui me remplacera
avantageusement.
Votre fille qui vous embrasse.
Louise.
D’autre part Doucet avait assuré ses derrières et sur l’avis de Louise,
pour le cas où ils échoueraient à Bruxelles, s’était ménagé une rentrée
aux Docks. Un ou deux confortables mensonges réglaient au mieux ses
affaires partout jusque chez sa mère, infirme et gâteau qui même lui avait
donné deux billets de 50 francs en lui recommandant l’économie. De la
sorte ils se voyaient quelque pain sur la planche et un bon mois libre à
partir de ce jour.
A Bruxelles tout leur réussit. Le cousin de Doucet fut charmant, comprit
à demi-mot la situation des jeunes gens, apprécia tout ce qu’il y avait
de sûr et de solide dans Louise, alla jusqu’à la trouver un trésor pour le
« petit » comme il disait en parlant de Doucet qui au bout de deux jours
fut placé aussi avantageusement qu’à Paris et avec plus de chances d’avenir.
Louise trouva aussi quelque chose, mi-éducation, mi-tenue de livres,
de très sortable.
Ils louèrent une belle chambre garnie où ils furent heureux sans
nuage. Louise était d’une résolution mais d’une grâce parfaites ; attirante,
séduisante, épouse et maîtresse au point que jamais la moindre idée d’une
autre femme ne se dressa durant ce temps paradisiaque dans les sens ni
même dans l’idée de son amant, que, jamais lui, habitué aux longues soirées
de bals ou de cafés et aux « rentrages » tard, ne sortit qu’avec elle au
bras, ne faisant pas de camarades tout en se maintenant cordial avec ses
entours. Louise s’enfonçait de plus en plus dans son bonheur. Elle aimait
son beau Léon tant et tant ! Sa tendresse, sa bonne humeur, ses petits
soins et son obéissance l’enveloppaient, comme son amour toujours en
éveil d’ardent gamin promu tendre amoureux la pénétrait. Elle ne pouvait
se lasser de le contempler, d’entendre sa voix forte et douce qui ne
proférait plus maintenant de vulgarités. Elle se pâmait à ces yeux plutôt
petits mais si vifs et voluptueusement fendus que voilait d’une légère
humidité le frisson des minutes adorables, à ce nez fin un peu relevé de
l’extrême bout, juste assez long, aux ailes vivantes, à cette bouche forte
dont la lèvre supérieure un peu surplombante sombrait d’une petite ligne
de soie noire qui était une moustache, cette bouche à tant de sourires,
à tant de baisers savants, ingénus, fous ! Des cheveux courts avec une
petite disposition à friser folâtraient en mèches noires sur un beau front
blanc moyen, et le menton et la joue et le cou d’une belle carnation un
peu vive et de magnifiques dents contribuaient à l’aspect sensuel et irrésistiblement
gentil de cette tête tant baisée, caressée à deux mains, bercée
sur l’épaule et dans les bras et sur les seins et dans les seins ! dans tous
les sens.
Un matin, elle lui dit : je suis enceinte.
Ce fut une joie !
Doucet voyait son couronnement dans ce fait, l’apogée et le définitif
de sa jeunesse qui lui semblait être et qui était en fait la plus heureuse
qu’on pût rêver.
Louise plus profonde, d’une imagination moins fleurie, sentait là une
consommation, une consécration, et son bonheur n’en existait que davantage.
Huit ou dix jours passèrent d’enfantillages délicieux. Serait-ce une
fille ou un garçon ? Et tous les projets bêtas mais si gentils d’usage. Et un
redoublement d’amour et d’amours !
Un matin la pensée de ses parents frappa Louise, tout d’abord à l’endroit
sensible. . .
Les pauvres gens, eux aussi, avaient goûté ce délice quand elle fut
conçue, et maintenant !
Et les visions du coeur ! Leur désespoir, peut-être quelque malheur
cérébral ou encore pire. Et les réflexions d’après. Ils avaient été si bons
pour elle, elle enfant unique, leur joie ! Les avoir quittés si sèchement !
Sans doute, certes, elle referait ce qu’elle avait fait, avouaient ses manières
de remords : Léon avant tout, et Léon le verrait ! Mais maintenant, — ici la
chrétienne reparaissait, — le devoir aussi, un devoir doux, revoir ces gens
qu’elle avait désolés et qu’elle consolerait, ne sacrifier qu’elle-même, faire
une part magnifique à Léon — et plaire à Dieu.
Comme Léon, selon son habitude après leur lever, se tenait à genoux
les deux coudes sur les genoux d’elle éprise, leurs yeux perdus dans leurs
visages, elle lui dit lui passant la main sur les cheveux lentement, s’arrêtant
quelquefois :
― Mon Léon, tu sais que je t’aime plus que moi-même et que tout au
monde. Je suis toute à toi, donnée et prise. Tu m’as conquise absolument.
Ton sang coule dans mes veines et ta chair respire dans mon sein. Mais,
homme chéri, il faut penser à toi. Je ne puis plus faire ton bonheur que
loin de toi désormais. Loin de toi par l’espace, car je serai toujours là par
le désir et par toutes mes actions et par toutes mes pensées, qui ne seront
que pour toi. J’ai des parents que j’ai laissés, il faut que j’aille les retrouver
et consoler les derniers jours que je leur aurai tant avancés. Tu resteras
ici où tu seras mieux qu’à Paris. Je t’écrirai tous les jours. Et puis je le
veux, tout ton bonheur est dans ma volonté accomplie. Tu verras qu’il y
a autant de plaisir dans la privation comme ça que dans la satisfaction. . .
Tout cela moins bien dit, plus délayé, plus à la portée du pauvre garçon
ébahi mais que, par degrés, cette parole accoutumée ramena au calme et
qui finit par dire oui, oui, et par s’en aller à son magasin tout en pleurant
après avoir promis d’être sage.
D’ailleurs, dit-elle, je ne pars pas encore. A ce soir, cinq heures.
Elle lui donna une nuit qui les mena, ravis, extasiés, exténués, jusqua
midi. A deux heures elle prenait le train de Paris, le laissant triste à mourir,
mais calme et comme vaguement espérant.





CHAPITRE III

Il y a, dans l'église dartreuse de Sainte-Marie des Batignolles, à
droite en entrant par le bas côté, un Christ en croix, grandeur naturelle,
effroyable et merveilleux, quelque débris d’un couvent espagnol
pillé sous le premier Empire, retrouvé chez un marchand de bric-à-brac,
respectueusement restauré, repeint et réédifié contre un mur chargé
d’ex-voto tout flamboyant, dans l’éclat d’innombrables petits cierges votifs,
d’un large ruban d’or formant gloire, qui serpente autour de l’image
sainte. Cette statue est de bois, d’une belle anatomie. La tête très grosse en
raison évidemment de l’élévation énorme où ce crucifix devait se trouver
dans la chapelle conventuelle (espagnole, ne pas l’oublier) crie penchée,
et sa convulsion épouvante dès d’abord, puis touche infiniment, tant il
y a de douceur restée, d’esprit de miséricorde et de pensée vraiment catholique
dans ce visage en avant qui se meurt et qui meurt pour tous. En
bas, au-dessus d’un tronc, ces mots : cinq pater et cinq ave. J’aime pour
ma part cet appel à la munificence des fidèles pour l’entretien glorieux du
Simulacre et ce rappel aux prières efficaces de surérogation.
A six heures juste, comme on ouvrait l’église, Louise qui avait couché
à l’hôtel entrait se prosterner aux pieds du douloureux Symbole. Elle
y resta longtemps ; son industrie catholique lui suggérait de n’aller pas
plus haut d’abord et de déposer, en ce lieu humble et par devant la seule
représentation sensible des saints mystères de l’autel, le fardeau de ses
péchés si griefs pour ensuite, humiliée et toute encore, par le péché mortel
non remis, dans la main de son Sauveur et de son Juge, mais assouplie,
la langue purifiée par la prière vocale, — elle avait récité plusieurs chapelets
de pure supplication et non les cinq pater et cinq ave prescrits en
vue d’indulgences qui ne peuvent s’obtenir qu’en état de grâce, — pour
le porter ensuite au confessionnal. Ses aveux furent courts. L’absolution
obtenue, elle assista à l’une des messes célébrées à l’autel de la Sainte
Vierge, au bout de ce même bas côté, puis communia.
Rentrée rue des Dames, elle trouva au comptoir le plus âgé des garçons
qui lui apprit que son père était mort il y avait six semaines d’une attaque
d’apoplexie foudroyante en sortant de déjeuner, et que sa mère ne valait
pas beaucoup mieux, ayant été prise ce même jour d’un tremblement par
tout son corps. Depuis ce temps elle n’avait pas quitté le lit. Le médecin
ne lui donnait pas un an à vivre. La tête y était pourtant encore et dès le
commencement Mᵐᵉ Leclercq avait fait venir Mˡˡᵉ Moreau qui tenait les
comptes et servait les clients alternativement avec lui, Ernest. Tout ceci
raconté d’une voix tremblée par le jeune homme en longue toile grise.
Louise, immobile dans sa toilette sombre, accueillit d’un lent soupir ces
nouvelles dont elle se doutait puis alla voir sa mère. Elle la trouva yeux
grands ouverts qui se laissa baiser sur les joues et ne lui dit que ces deux
mots : — ô Louise ! A quoi celle-ci répondit : maman, je suis rentrée pour
toujours, ne vous inquiétez de rien. Tout ira pour le mieux. Prions pour
mon père et pour votre santé. Dieu sera bon.
Elle parlait d’autorité. Rien d’inutile dans son discours ni dans son
verbe. Une décision absolue la dirigeait, une conviction inébranlable, la
certitude même. Sa mère subit tout de suite cette volonté raisonnable,
froide, douce et qu’elle sentait réparatrice. Elle ne revint jamais sur le
passé. Mˡˡᵉ Moreau et Louise gouvernaient la maison. La première arrivait
à huit heures, prenait ses repas chez Mˡˡᵉ Leclercq et ne repartait que
quand on fermait. Les garçons couchaient dans une mansarde de la maison.
Ces jeunes gens étaient bien convenables, comme disait le pauvre M.
Leclercq. Quoique âgés de dix-huit et seize ans, les deux frères se montraient
dévoués, actifs, probes et comme des enfants de la maison. S’ils
avaient quelque amourette là-haut, où logeaient les bonnes, il n’y paraissait
ni à leur exactitude ni à leurs dépenses ni à leur langage, qui était
toujours des plus respectueux.
Louise tint parole à Léon et lui écrivait tous les jours. Ses lettres plus
maternelles encore que conjugales faisaient le meilleur effet sur le bon
garçon. Elle le mit au courant de la situation, — lui promettant, et Léon
savait bien que promettre pour Louise c’était tenir, — de se marier avec
lui aussitôt que serait morte sa mère malheureusement condamnée par les
médecins. Ils vivraient à Bruxelles de sa place à lui et de la petite fortune
qu’elle réaliserait par la vente du fonds d’épicerie en outre des économies
du ménage Leclercq.
Léon se résignait, se tenait sage, sourd aux grosses tentations belges,
tout à Louise et à l’avenir en elle.
Ce fut patiemment donc en somme qu’il attendit. Il avait fait part de
son changement à sa mère avec laquelle il garda de bons rapports et dont
il pouvait attendre quelques mille francs. La mort de Mᵐᵉ Leclercq (Leclerq)
prit place deux mois après le retour de sa fille qui l’avait soignée
divinement. La vente du magasin s’opéra dans les meilleures conditions
et le mariage put avoir lieu avant la naissance de Léonie Doucet, que celle
d’un Louis suivit à un intervalle d’un an.
Le ménage est heureux. Léon est devenu un homme intelligent. Il reste
enjoué, de bonne composition et pour toujours reconnaissant à sa femme.
Elle, c’est la bonne chrétienne, la mère par excellence, l’épouse aimante
et la femme forte, en un mot l’unième sur mille.

21 mai 2018






                   FRANZ KAFKA

                   BETRACHTUNG



Für M. B.  

                  
             




Kinder auf der Landstraße


Ich hörte die Wagen an dem Gartengitter vorüberfahren, manchmal sah ich
sie auch durch die schwach bewegten Lücken im Laub. Wie krachte in dem
heißen Sommer das Holz in ihren Speichen und Deichseln! Arbeiter kamen
von den Feldern und lachten, daß es eine Schande war.

Ich saß auf unserer kleinen Schaukel, ich ruhte mich gerade aus zwischen
den Bäumen im Garten meiner Eltern.

Vor dem Gitter hörte es nicht auf. Kinder im Laufschritt waren im
Augenblick vorüber; Getreidewagen mit Männern und Frauen auf den Garben
und rings herum verdunkelten die Blumenbeete; gegen Abend sah ich einen
Herrn mit einem Stock langsam spazieren gehn und paar Mädchen, die Arm
in Arm ihm entgegenkamen, traten grüßend ins seitliche Gras.

Dann flogen Vögel wie sprühend auf, ich folgte ihnen mit den Blicken,
sah, wie sie in einem Atemzug stiegen, bis ich nicht mehr glaubte, daß
sie stiegen, sondern daß ich falle, und fest mich an den Seilen haltend
aus Schwäche ein wenig zu schaukeln anfing. Bald schaukelte ich stärker,
als die Luft schon kühler wehte und statt der fliegenden Vögel zitternde
Sterne erschienen.

Bei Kerzenlicht bekam ich mein Nachtmahl. Oft hatte ich beide Arme auf
der Holzplatte und, schon müde, biß ich in mein Butterbrot. Die stark
durchbrochenen Vorhänge bauschten sich im warmen Wind, und manchmal
hielt sie einer, der draußen vorüberging, mit seinen Händen fest, wenn
er mich besser sehen und mit mir reden wollte. Meistens verlöschte die
Kerze bald und in dem dunklen Kerzenrauch trieben sich noch eine
Zeitlang die versammelten Mücken herum. Fragte mich einer vom Fenster
aus, so sah ich ihn an, als schaue ich ins Gebirge oder in die bloße
Luft, und auch ihm war an einer Antwort nicht viel gelegen.

Sprang dann einer über die Fensterbrüstung und meldete, die anderen
seien schon vor dem Haus, so stand ich freilich seufzend auf.

»Nein, warum seufzst Du so? Was ist denn geschehn? Ist es ein
besonderes, nie gut zu machendes Unglück? Werden wir uns nie davon
erholen können? Ist wirklich alles verloren?«

Nichts war verloren. Wir liefen vor das Haus. »Gott sei Dank, da seid
Ihr endlich!« -- »Du kommst halt immer zu spät!« -- »Wieso denn ich?«
-- »Gerade Du, bleib zu Hause, wenn Du nicht mitwillst.« -- »Keine
Gnaden!« -- »Was? Keine Gnaden? Wie redest Du?«

Wir durchstießen den Abend mit dem Kopf. Es gab keine Tages- und keine
Nachtzeit. Bald rieben sich unsere Westenknöpfe aneinander wie Zähne,
bald liefen wir in gleichbleibender Entfernung, Feuer im Mund, wie Tiere
in den Tropen. Wie Kürassiere in alten Kriegen, stampfend und hoch in
der Luft, trieben wir einander die kurze Gasse hinunter und mit diesem
Anlauf in den Beinen die Landstraße weiter hinauf. Einzelne traten in
den Straßengraben, kaum verschwanden sie vor der dunklen Böschung,
standen sie schon wie fremde Leute oben auf dem Feldweg und schauten
herab.

»Kommt doch herunter!« -- »Kommt zuerst herauf!« -- »Damit Ihr uns
herunterwerfet, fällt uns nicht ein, so gescheit sind wir noch.« -- »So
feig seid Ihr, wollt Ihr sagen. Kommt nur, kommt!« -- »Wirklich? Ihr?
Gerade Ihr werdet uns hinunterwerfen? Wie müßtet Ihr aussehen?«

Wir machten den Angriff, wurden vor die Brust gestoßen und legten uns
in das Gras des Straßengrabens, fallend und freiwillig. Alles war
gleichmäßig erwärmt, wir spürten nicht Wärme, nicht Kälte im Gras, nur
müde wurde man.

Wenn man sich auf die rechte Seite drehte, die Hand unters Ohr gab, da
wollte man gerne einschlafen. Zwar wollte man sich noch einmal aufraffen
mit erhobenem Kinn, dafür aber in einen tieferen Graben fallen. Dann
wollte man, den Arm quer vorgehalten, die Beine schiefgeweht, sich gegen
die Luft werfen und wieder bestimmt in einen noch tieferen Graben
fallen. Und damit wollte man gar nicht aufhören.

Wie man sich im letzten Graben richtig zum Schlafen aufs äußerste
strecken würde, besonders in den Knien, daran dachte man noch kaum und
lag, zum Weinen aufgelegt, wie krank auf dem Rücken. Man zwinkerte, wenn
einmal ein Junge, die Ellbogen bei den Hüften, mit dunklen Sohlen über
uns von der Böschung auf die Straße sprang.

Den Mond sah man schon in einiger Höhe, ein Postwagen fuhr in seinem
Licht vorbei. Ein schwacher Wind erhob sich allgemein, auch im Graben
fühlte man ihn, und in der Nähe fing der Wald zu rauschen an. Da lag
einem nicht mehr soviel daran, allein zu sein.

»Wo seid Ihr?« -- »Kommt her!« -- »Alle zusammen!« -- »Was versteckst Du
Dich, laß den Unsinn!« -- »Wißt Ihr nicht, daß die Post schon vorüber
ist?« -- »Aber nein! Schon vorüber?« -- »Natürlich, während Du geschlafen
hast, ist sie vorübergefahren.« -- »Ich habe geschlafen? Nein so etwas!«
-- »Schweig nur, man sieht es Dir doch an.« -- »Aber ich bitte Dich.« --
»Kommt!«

Wir liefen enger beisammen, manche reichten einander die Hände, den
Kopf konnte man nicht genug hoch haben, weil es abwärts ging. Einer
schrie einen indianischen Kriegsruf heraus, wir bekamen in die Beine
einen Galopp wie niemals, bei den Sprüngen hob uns in den Hüften der
Wind. Nichts hätte uns aufhalten können; wir waren so im Laufe, daß wir
selbst beim Überholen die Arme verschränken und ruhig uns umsehen
konnten.

Auf der Wildbachbrücke blieben wir stehn; die weiter gelaufen waren,
kehrten zurück. Das Wasser unten schlug an Steine und Wurzeln, als wäre
es nicht schon spät abend. Es gab keinen Grund dafür, warum nicht einer
auf das Geländer der Brücke sprang.

Hinter Gebüschen in der Ferne fuhr ein Eisenbahnzug heraus, alle
Coupées waren beleuchtet, die Glasfenster sicher herabgelassen. Einer
von uns begann einen Gassenhauer zu singen, aber wir alle wollten
singen. Wir sangen viel rascher als der Zug fuhr, wir schaukelten die
Arme, weil die Stimme nicht genügte, wir kamen mit unseren Stimmen in
ein Gedränge, in dem uns wohl war. Wenn man seine Stimme unter andere
mischt, ist man wie mit einem Angelhaken gefangen.

So sangen wir, den Wald im Rücken, den fernen Reisenden in die Ohren.
Die Erwachsenen wachten noch im Dorfe, die Mütter richteten die Betten
für die Nacht.

Es war schon Zeit. Ich küßte den, der bei mir stand, reichte den drei
Nächsten nur so die Hände, begann den Weg zurückzulaufen, keiner rief
mich. Bei der ersten Kreuzung, wo sie mich nicht mehr sehen konnten, bog
ich ein und lief auf Feldwegen wieder in den Wald. Ich strebte zu der
Stadt im Süden hin, von der es in unserem Dorfe hieß:

»Dort sind Leute! Denkt Euch, die schlafen nicht!«

»Und warum denn nicht?«

»Weil sie nicht müde werden.«

»Und warum denn nicht?«

»Weil sie Narren sind.«

»Werden denn Narren nicht müde?«

»Wie könnten Narren müde werden!«




Entlarvung eines Bauernfängers


Endlich gegen 10 Uhr abends kam ich mit einem mir von früher her nur
flüchtig bekannten Mann, der sich mir diesmal unversehens wieder
angeschlossen und mich zwei Stunden lang in den Gassen herumgezogen
hatte, vor dem herrschaftlichen Hause an, in das ich zu einer
Gesellschaft geladen war.

»So!« sagte ich und klatschte in die Hände zum Zeichen der unbedingten
Notwendigkeit des Abschieds. Weniger bestimmte Versuche hatte ich schon
einige gemacht. Ich war schon ganz müde.

»Gehn Sie gleich hinauf?« fragte er. In seinem Munde hörte ich ein
Geräusch wie vom Aneinanderschlagen der Zähne.

»Ja.«

Ich war doch eingeladen, ich hatte es ihm gleich gesagt. Aber ich war
eingeladen, hinaufzukommen, wo ich schon so gerne gewesen wäre, und
nicht hier unten vor dem Tor zu stehn und an den Ohren meines Gegenübers
vorüberzuschauen. Und jetzt noch mit ihm stumm zu werden, als seien wir
zu einem langen Aufenthalt auf diesem Fleck entschlossen. Dabei nahmen
an diesem Schweigen gleich die Häuser rings herum ihren Anteil, und das
Dunkel über ihnen bis zu den Sternen. Und die Schritte unsichtbarer
Spaziergänger, deren Wege zu erraten man nicht Lust hatte, der Wind, der
immer wieder an die gegenüberliegende Straßenseite sich drückte, ein
Grammophon, das gegen die geschlossenen Fenster irgendeines Zimmers
sang, -- sie ließen aus diesem Schweigen sich hören, als sei es ihr
Eigentum seit jeher und für immer.

Und mein Begleiter fügte sich in seinem und -- nach einem Lächeln --
auch in meinem Namen, streckte die Mauer entlang den rechten Arm
aufwärts und lehnte sein Gesicht, die Augen schließend, an ihn.

Doch dieses Lächeln sah ich nicht mehr ganz zu Ende, denn Scham drehte
mich plötzlich herum. Erst an diesem Lächeln also hatte ich erkannt, daß
das ein Bauernfänger war, nichts weiter. Und ich war doch schon Monate
lang in dieser Stadt, hatte geglaubt, diese Bauernfänger durch und durch
zu kennen, wie sie bei Nacht aus Seitenstraßen, die Hände vorgestreckt,
wie Gastwirte uns entgegentreten, wie sie sich um die Anschlagsäule, bei
der wir stehen, herumdrücken, wie zum Versteckenspielen und hinter der
Säulenrundung hervor zumindest mit einem Auge spionieren, wie sie in
Straßenkreuzungen, wenn wir ängstlich werden, auf einmal vor uns schweben
auf der Kante unseres Trottoirs! Ich verstand sie doch so gut, sie waren
ja meine ersten städtischen Bekannten in den kleinen Wirtshäusern gewesen,
und ich verdankte ihnen den ersten Anblick einer Unnachgiebigkeit, die
ich mir jetzt so wenig von der Erde wegdenken konnte, daß ich sie schon
in mir zu fühlen begann. Wie standen sie einem noch gegenüber, selbst
wenn man ihnen schon längst entlaufen war, wenn es also längst nichts
mehr zu fangen gab! Wie setzten sie sich nicht, wie fielen sie nicht
hin, sondern sahen einen mit Blicken an, die noch immer, wenn auch nur
aus der Ferne, überzeugten! Und ihre Mittel waren stets die gleichen:
Sie stellten sich vor uns hin, so breit sie konnten; suchten uns
abzuhalten von dort, wohin wir strebten; bereiteten uns zum Ersatz eine
Wohnung in ihrer eigenen Brust, und bäumte sich endlich das gesammelte
Gefühl in uns auf, nahmen sie es als Umarmung, in die sie sich warfen,
das Gesicht voran.

Und diese alten Späße hatte ich diesmal erst nach so langem Beisammensein
erkannt. Ich zerrieb mir die Fingerspitzen an einander, um die Schande
ungeschehen zu machen.

Mein Mann aber lehnte hier noch wie früher, hielt sich noch immer für
einen Bauernfänger, und die Zufriedenheit mit seinem Schicksal rötete
ihm die freie Wange.

»Erkannt!« sagte ich und klopfte ihm noch leicht auf die Schulter.
Dann eilte ich die Treppe hinauf und die so grundlos treuen Gesichter
der Dienerschaft oben im Vorzimmer freuten mich wie eine schöne
Überraschung. Ich sah sie alle der Reihe nach an, während man mir den
Mantel abnahm und die Stiefel abstaubte. Aufatmend und langgestreckt
betrat ich dann den Saal.




Der plötzliche Spaziergang


Wenn man sich am Abend endgültig entschlossen zu haben scheint, zu
Hause zu bleiben, den Hausrock angezogen hat, nach dem Nachtmahl beim
beleuchteten Tische sitzt und jene Arbeit oder jenes Spiel vorgenommen
hat, nach dessen Beendigung man gewohnheitsgemäß schlafen geht, wenn
draußen ein unfreundliches Wetter ist, welches das Zuhausebleiben
selbstverständlich macht, wenn man jetzt auch schon so lange bei Tisch
stillgehalten hat, daß das Weggehen allgemeines Erstaunen hervorrufen
müßte, wenn nun auch schon das Treppenhaus dunkel und das Haustor
gesperrt ist, und wenn man nun trotz alledem in einem plötzlichen
Unbehagen aufsteht, den Rock wechselt, sofort straßenmäßig angezogen
erscheint, weggehen zu müssen erklärt, es nach kurzem Abschied auch tut,
je nach der Schnelligkeit, mit der man die Wohnungstür zuschlägt, mehr
oder weniger Ärger zu hinterlassen glaubt, wenn man sich auf der Gasse
wiederfindet, mit Gliedern, die diese schon unerwartete Freiheit, die
man ihnen verschafft hat, mit besonderer Beweglichkeit beantworten, wenn
man durch diesen einen Entschluß alle Entschlußfähigkeit in sich
gesammelt fühlt, wenn man mit größerer als der gewöhnlichen Bedeutung
erkennt, daß man ja mehr Kraft als Bedürfnis hat, die schnellste
Veränderung leicht zu bewirken und zu ertragen, und wenn man so die
langen Gassen hinläuft, -- dann ist man für diesen Abend gänzlich aus
seiner Familie ausgetreten, die ins Wesenlose abschwenkt, während man
selbst, ganz fest, schwarz vor Umrissenheit, hinten die Schenkel
schlagend, sich zu seiner wahren Gestalt erhebt.

Verstärkt wird alles noch, wenn man zu dieser späten Abendzeit einen
Freund aufsucht, um nachzusehen, wie es ihm geht.




Entschlüsse


Aus einem elenden Zustand sich zu erheben, muß selbst mit gewollter
Energie leicht sein. Ich reiße mich vom Sessel los, umlaufe den Tisch,
mache Kopf und Hals beweglich, bringe Feuer in die Augen, spanne die
Muskeln um sie herum. Arbeite jedem Gefühl entgegen, begrüße A.
stürmisch, wenn er jetzt kommen wird, dulde B. freundlich in meinem
Zimmer, ziehe bei C. alles, was gesagt wird, trotz Schmerz und Mühe mit
langen Zügen in mich hinein.

Aber selbst wenn es so geht, wird mit jedem Fehler, der nicht ausbleiben
kann, das Ganze, das Leichte und das Schwere, stocken, und ich werde
mich im Kreise zurückdrehen müssen.

Deshalb bleibt doch der beste Rat, alles hinzunehmen, als schwere Masse
sich verhalten und fühle man sich selbst fortgeblasen, keinen unnötigen
Schritt sich ablocken lassen, den anderen mit Tierblick anschaun, keine
Reue fühlen, kurz, das, was vom Leben als Gespenst noch übrig ist, mit
eigener Hand niederdrücken, d. h., die letzte grabmäßige Ruhe noch
vermehren und nichts außer ihr mehr bestehen lassen.

Eine charakteristische Bewegung eines solchen Zustandes ist das
Hinfahren des kleinen Fingers über die Augenbrauen.




Der Ausflug ins Gebirge


»Ich weiß nicht«, rief ich ohne Klang, »ich weiß ja nicht. Wenn
niemand kommt, dann kommt eben niemand. Ich habe niemandem etwas Böses
getan, niemand hat mir etwas Böses getan, niemand aber will mir helfen.
Lauter niemand. Aber so ist es doch nicht. Nur daß mir niemand hilft --,
sonst wäre lauter niemand hübsch. Ich würde ganz gern -- warum denn
nicht -- einen Ausflug mit einer Gesellschaft von lauter Niemand machen.
Natürlich ins Gebirge, wohin denn sonst? Wie sich diese Niemand
aneinander drängen, diese vielen quer gestreckten und eingehängten Arme,
diese vielen Füße, durch winzige Schritte getrennt! Versteht sich, daß
alle in Frack sind. Wir gehen so lala, der Wind fährt durch die Lücken,
die wir und unsere Gliedmaßen offen lassen. Die Hälse werden im Gebirge
frei! Es ist ein Wunder, daß wir nicht singen.«




Das Unglück des Junggesellen


Es scheint so arg, Junggeselle zu bleiben, als alter Mann unter
schwerer Wahrung der Würde um Aufnahme zu bitten, wenn man einen Abend
mit Menschen verbringen will, krank zu sein und aus dem Winkel seines
Bettes wochenlang das leere Zimmer anzusehn, immer vor dem Haustor
Abschied zu nehmen, niemals neben seiner Frau sich die Treppe
hinaufzudrängen, in seinem Zimmer nur Seitentüren zu haben, die in
fremde Wohnungen führen, sein Nachtmahl in einer Hand nach Hause zu
tragen, fremde Kinder anstaunen zu müssen und nicht immerfort
wiederholen zu dürfen: »Ich habe keine«, sich im Aussehn und Benehmen
nach ein oder zwei Junggesellen der Jugenderinnerungen auszubilden.

So wird es sein, nur daß man auch in Wirklichkeit heute und später
selbst dastehen wird, mit einem Körper und einem wirklichen Kopf, also
auch einer Stirn, um mit der Hand an sie zu schlagen.




Der Kaufmann


Es ist möglich, daß einige Leute Mitleid mit mir haben, aber ich spüre
nichts davon. Mein kleines Geschäft erfüllt mich mit Sorgen, die mich
innen an Stirne und Schläfen schmerzen, aber ohne mir Zufriedenheit in
Aussicht zu stellen, denn mein Geschäft ist klein.

Für Stunden im voraus muß ich Bestimmungen treffen, das Gedächtnis des
Hausdieners wachhalten, vor befürchteten Fehlern warnen und in einer
Jahreszeit die Moden der folgenden berechnen, nicht wie sie unter Leuten
meines Kreises herrschen werden, sondern bei unzugänglichen
Bevölkerungen auf dem Lande.

Mein Geld haben fremde Leute; ihre Verhältnisse können mir nicht
deutlich sein; das Unglück, das sie treffen könnte, ahne ich nicht; wie
könnte ich es abwehren! Vielleicht sind sie verschwenderisch geworden
und geben ein Fest in einem Wirtshausgarten und andere halten sich für
ein Weilchen auf der Flucht nach Amerika bei diesem Feste auf.

Wenn nun am Abend eines Werketages das Geschäft gesperrt wird und ich
plötzlich Stunden vor mir sehe, in denen ich für die ununterbrochenen
Bedürfnisse meines Geschäftes nichts werde arbeiten können, dann wirft
sich meine am Morgen weit vorausgeschickte Aufregung in mich, wie eine
zurückkehrende Flut, hält es aber in mir nicht aus und ohne Ziel reißt
sie mich mit.

Und doch kann ich diese Laune gar nicht benützen und kann nur nach
Hause gehn, denn ich habe Gesicht und Hände schmutzig und verschwitzt,
das Kleid fleckig und staubig, die Geschäftsmütze auf dem Kopfe und von
Kistennägeln zerkratzte Stiefel. Ich gehe dann wie auf Wellen, klappere
mit den Fingern beider Hände und mir entgegenkommenden Kindern fahre ich
über das Haar.

Aber der Weg ist zu kurz. Gleich bin ich in meinem Hause, öffne die
Lifttür und trete ein.

Ich sehe, daß ich jetzt und plötzlich allein bin. Andere, die über
Treppen steigen müssen, ermüden dabei ein wenig, müssen mit eilig
atmenden Lungen warten, bis man die Tür der Wohnung öffnen kommt, haben
dabei einen Grund für Ärger und Ungeduld, kommen jetzt ins Vorzimmer, wo
sie den Hut aufhängen, und erst bis sie durch den Gang an einigen
Glastüren vorbei in ihr eigenes Zimmer kommen, sind sie allein.

Ich aber bin gleich allein im Lift, und schaue, auf die Knie gestützt,
in den schmalen Spiegel. Als der Lift sich zu heben anfängt, sage ich:

»Seid still, tretet zurück, wollt Ihr in den Schatten der Bäume, hinter
die Draperien der Fenster, in das Laubengewölbe?«

Ich rede mit den Zähnen und die Treppengeländer gleiten an den
Milchglasscheiben hinunter wie stürzendes Wasser.

»Flieget weg; Euere Flügel, die ich niemals gesehen habe, mögen Euch ins
dörfliche Tal tragen oder nach Paris, wenn es Euch dorthin treibt.

Doch genießet die Aussicht des Fensters, wenn die Prozessionen aus
allen drei Straßen kommen, einander nicht ausweichen, durcheinander gehn
und zwischen ihren letzten Reihen den freien Platz wieder entstehen
lassen. Winket mit den Tüchern, seid entsetzt, seid gerührt, lobet die
schöne Dame, die vorüberfährt.

Geht über den Bach auf der hölzernen Brücke, nickt den badenden Kindern
zu und staunet über das Hurra der tausend Matrosen auf dem fernen
Panzerschiff.

Verfolget nur den unscheinbaren Mann und wenn Ihr ihn in einen Torweg
gestoßen habt, beraubt ihn und seht ihm dann, jeder die Hände in den
Taschen, nach, wie er traurig seines Weges in die linke Gasse geht.

Die verstreut auf ihren Pferden galoppierende Polizei bändigt die Tiere
und drängt Euch zurück. Lasset sie, die leeren Gassen werden sie
unglücklich machen, ich weiß es. Schon reiten sie, ich bitte, paarweise
weg, langsam um die Straßenecken, fliegend über die Plätze.«

Dann muß ich aussteigen, den Aufzug hinunterlassen, an der Türglocke
läuten, und das Mädchen öffnet die Tür, während ich grüße.




Zerstreutes Hinausschaun


Was werden wir in diesen Frühlingstagen tun, die jetzt rasch kommen?
Heute früh war der Himmel grau, geht man aber jetzt zum Fenster, so ist
man überrascht und lehnt die Wange an die Klinke des Fensters.

Unten sieht man das Licht der freilich schon sinkenden Sonne auf dem
Gesicht des kindlichen Mädchens, das so geht und sich umschaut, und
zugleich sieht man den Schatten des Mannes darauf, der hinter ihm
rascher kommt.

Dann ist der Mann schon vorübergegangen und das Gesicht des Kindes ist
ganz hell.




Der Nachhauseweg


Man sehe die Überzeugungskraft der Luft nach dem Gewitter! Meine
Verdienste erscheinen mir und überwältigen mich, wenn ich mich auch
nicht sträube.

Ich marschiere und mein Tempo ist das Tempo dieser Gassenseite, dieser
Gasse, dieses Viertels. Ich bin mit Recht verantwortlich für alle
Schläge gegen Türen, auf die Platten der Tische, für alle Trinksprüche,
für die Liebespaare in ihren Betten, in den Gerüsten der Neubauten, in
dunklen Gassen an die Häusermauern gepreßt, auf den Ottomanen der
Bordelle.

Ich schätze meine Vergangenheit gegen meine Zukunft, finde aber beide
vortrefflich, kann keiner von beiden den Vorzug geben und nur die
Ungerechtigkeit der Vorsehung, die mich so begünstigt, muß ich tadeln.

Nur als ich in mein Zimmer trete, bin ich ein wenig nachdenklich, aber
ohne daß ich während des Treppensteigens etwas Nachdenkenswertes
gefunden hätte. Es hilft mir nicht viel, daß ich das Fenster gänzlich
öffne und daß in einem Garten die Musik noch spielt.




Die Vorüberlaufenden


Wenn man in der Nacht durch eine Gasse spazieren geht, und ein Mann,
von weitem schon sichtbar -- denn die Gasse vor uns steigt an und es ist
Vollmond -- uns entgegenläuft, so werden wir ihn nicht anpacken, selbst
wenn er schwach und zerlumpt ist, selbst wenn jemand hinter ihm läuft
und schreit, sondern wir werden ihn weiter laufen lassen.

Denn es ist Nacht, und wir können nicht dafür, daß die Gasse im
Vollmond vor uns aufsteigt, und überdies, vielleicht haben diese zwei
die Hetze zu ihrer Unterhaltung veranstaltet, vielleicht verfolgen beide
einen dritten, vielleicht wird der erste unschuldig verfolgt, vielleicht
will der zweite morden, und wir würden Mitschuldige des Mordes,
vielleicht wissen die zwei nichts von einander, und es läuft nur jeder
auf eigene Verantwortung in sein Bett, vielleicht sind es Nachtwandler,
vielleicht hat der erste Waffen.

Und endlich, dürfen wir nicht müde sein, haben wir nicht soviel Wein
getrunken? Wir sind froh, daß wir auch den zweiten nicht mehr sehn.




Der Fahrgast


Ich stehe auf der Plattform des elektrischen Wagens und bin vollständig
unsicher in Rücksicht meiner Stellung in dieser Welt, in dieser Stadt,
in meiner Familie. Auch nicht beiläufig könnte ich angeben, welche
Ansprüche ich in irgendeiner Richtung mit Recht vorbringen könnte. Ich
kann es gar nicht verteidigen, daß ich auf dieser Plattform stehe, mich
an dieser Schlinge halte, von diesem Wagen mich tragen lasse, daß Leute
dem Wagen ausweichen oder still gehn oder vor den Schaufenstern ruhn. --
Niemand verlangt es ja von mir, aber das ist gleichgültig.

Der Wagen nähert sich einer Haltestelle, ein Mädchen stellt sich nahe
den Stufen, zum Aussteigen bereit. Sie erscheint mir so deutlich, als ob
ich sie betastet hätte. Sie ist schwarz gekleidet, die Rockfalten
bewegen sich fast nicht, die Bluse ist knapp und hat einen Kragen aus
weißer kleinmaschiger Spitze, die linke Hand hält sie flach an die Wand,
der Schirm in ihrer Rechten steht auf der zweitobersten Stufe. Ihr
Gesicht ist braun, die Nase, an den Seiten schwach gepreßt, schließt
rund und breit ab. Sie hat viel braunes Haar und verwehte Härchen an der
rechten Schläfe. Ihr kleines Ohr liegt eng an, doch sehe ich, da ich
nahe stehe, den ganzen Rücken der rechten Ohrmuschel und den Schatten an
der Wurzel.

Ich fragte mich damals: Wieso kommt es, daß sie nicht über sich
verwundert ist, daß sie den Mund geschlossen hält und nichts dergleichen
sagt?




Kleider


Oft wenn ich Kleider mit vielfachen Falten, Rüschen und Behängen sehe,
die über schönen Körper schön sich legen, dann denke ich, daß sie nicht
lange so erhalten bleiben, sondern Falten bekommen, nicht mehr gerade zu
glätten, Staub bekommen, der, dick in der Verzierung, nicht mehr zu
entfernen ist, und daß niemand so traurig und lächerlich sich wird
machen wollen, täglich das gleiche kostbare Kleid früh anzulegen und
abends auszuziehn.

Doch sehe ich Mädchen, die wohl schön sind und vielfache reizende
Muskeln und Knöchelchen und gespannte Haut und Massen dünner Haare
zeigen, und doch tagtäglich in diesem einen natürlichen Maskenanzug
erscheinen, immer das gleiche Gesicht in die gleichen Handflächen legen
und von ihrem Spiegel widerscheinen lassen.

Nur manchmal am Abend, wenn sie spät von einem Feste kommen, scheint es
ihnen im Spiegel abgenützt, gedunsen, verstaubt, von allen schon gesehn
und kaum mehr tragbar.




Die Abweisung


Wenn ich einem schönen Mädchen begegne und sie bitte: »Sei so gut, komm
mit mir« und sie stumm vorübergeht, so meint sie damit:

»Du bist kein Herzog mit fliegendem Namen, kein breiter Amerikaner mit
indianischem Wuchs, mit wagrecht ruhenden Augen, mit einer von der Luft
der Rasenplätze und der sie durchströmenden Flüsse massierten Haut, Du
hast keine Reisen gemacht zu den großen Seen und auf ihnen, die ich weiß
nicht wo zu finden sind. Also ich bitte, warum soll ich, ein schönes
Mädchen, mit Dir gehn?«

»Du vergißt, Dich trägt kein Automobil in langen Stößen schaukelnd durch
die Gasse; ich sehe nicht die in ihre Kleider gepreßten Herren Deines
Gefolges, die Segensprüche für Dich murmelnd in genauem Halbkreis hinter
Dir gehn; Deine Brüste sind im Mieder gut geordnet, aber Deine Schenkel
und Hüften entschädigen sich für jene Enthaltsamkeit; Du trägst ein
Taffetkleid mit plissierten Falten, wie es im vorigen Herbste uns
durchaus allen Freude machte, und doch lächelst Du -- diese Lebensgefahr
auf dem Leibe -- bisweilen.«

»Ja, wir haben beide recht und, um uns dessen nicht unwiderleglich
bewußt zu werden, wollen wir, nicht wahr, lieber jeder allein nach Hause
gehn.«




Zum Nachdenken für Herrenreiter


Nichts, wenn man es überlegt, kann dazu verlocken, in einem Wettrennen
der erste sein zu wollen.

Der Ruhm, als der beste Reiter eines Landes anerkannt zu werden, freut
beim Losgehn des Orchesters zu stark, als daß sich am Morgen danach die
Reue verhindern ließe.

Der Neid der Gegner, listiger, ziemlich einflußreicher Leute, muß uns in
dem engen Spalier schmerzen, das wir nun durchreiten nach jener Ebene,
die bald vor uns leer war bis auf einige überrundete Reiter, die klein
gegen den Rand des Horizonts anritten.

Viele unserer Freunde eilen den Gewinn zu beheben und nur über die
Schultern weg schreien sie von den entlegenen Schaltern ihr Hurra zu
uns; die besten Freunde aber haben gar nicht auf unser Pferd gesetzt, da
sie fürchteten, käme es zum Verluste, müßten sie uns böse sein, nun
aber, da unser Pferd das erste war und sie nichts gewonnen haben, drehn
sie sich um, wenn wir vorüberkommen und schauen lieber die Tribünen
entlang.

Die Konkurrenten rückwärts, fest im Sattel, suchen das Unglück zu
überblicken, das sie getroffen hat, und das Unrecht, das ihnen
irgendwie zugefügt wird; sie nehmen ein frisches Aussehen an, als müsse
ein neues Rennen anfangen und ein ernsthaftes nach diesem Kinderspiel.

Vielen Damen scheint der Sieger lächerlich, weil er sich aufbläht und
doch nicht weiß, was anzufangen mit dem ewigen Händeschütteln,
Salutieren, Sich-Niederbeugen und In-die-Ferne-Grüßen, während die
Besiegten den Mund geschlossen haben und die Hälse ihrer meist
wiehernden Pferde leichthin klopfen.

Endlich fängt es gar aus dem trüb gewordenen Himmel zu regnen an.




Das Gassenfenster


Wer verlassen lebt und sich doch hie und da irgendwo anschließen möchte,
wer mit Rücksicht auf die Veränderungen der Tageszeit, der Witterung,
der Berufsverhältnisse und dergleichen ohne weiteres irgend einen
beliebigen Arm sehen will, an dem er sich halten könnte, -- der wird es
ohne ein Gassenfenster nicht lange treiben. Und steht es mit ihm so, daß
er gar nichts sucht und nur als müder Mann, die Augen auf und ab
zwischen Publikum und Himmel, an seine Fensterbrüstung tritt, und er
will nicht und hat ein wenig den Kopf zurückgeneigt, so reißen ihn doch
unten die Pferde mit in ihr Gefolge von Wagen und Lärm und damit endlich
der menschlichen Eintracht zu.




Wunsch, Indianer zu werden


Wenn man doch ein Indianer wäre, gleich bereit, und auf dem rennenden
Pferde, schief in der Luft, immer wieder kurz erzitterte über dem
zitternden Boden, bis man die Sporen ließ, denn es gab keine Sporen,
bis man die Zügel wegwarf, denn es gab keine Zügel, und kaum das Land
vor sich als glatt gemähte Heide sah, schon ohne Pferdehals und
Pferdekopf.




Die Bäume


Denn wir sind wie Baumstämme im Schnee. Scheinbar liegen sie glatt auf,
und mit kleinem Anstoß sollte man sie wegschieben können. Nein, das kann
man nicht, denn sie sind fest mit dem Boden verbunden. Aber sieh, sogar
das ist nur scheinbar.




Unglücklichsein


Als es schon unerträglich geworden war -- einmal gegen Abend im November
-- und ich über den schmalen Teppich meines Zimmers wie in einer
Rennbahn einherlief, durch den Anblick der beleuchteten Gasse
erschreckt, wieder wendete, und in der Tiefe des Zimmers, im Grund des
Spiegels doch wieder ein neues Ziel bekam, und aufschrie, um nur den
Schrei zu hören, dem nichts antwortet und dem auch nichts die Kraft des
Schreiens nimmt, der also aufsteigt, ohne Gegengewicht, und nicht
aufhören kann, selbst wenn er verstummt, da öffnete sich aus der Wand
heraus die Tür, so eilig, weil doch Eile nötig war und selbst die
Wagenpferde unten auf dem Pflaster wie wildgewordene Pferde in der
Schlacht, die Gurgeln preisgegeben, sich erhoben.

Als kleines Gespenst fuhr ein Kind aus dem ganz dunklen Korridor, in dem
die Lampe noch nicht brannte, und blieb auf den Fußspitzen stehn, auf
einem unmerklich schaukelnden Fußbodenbalken. Von der Dämmerung des
Zimmers gleich geblendet, wollte es mit dem Gesicht rasch in seine
Hände, beruhigte sich aber unversehens mit dem Blick zum Fenster, vor
dessen Kreuz der hochgetriebene Dunst der Straßenbeleuchtung endlich
unter dem Dunkel liegen blieb. Mit dem rechten Ellbogen hielt es sich
vor der offenen Tür aufrecht an der Zimmerwand und ließ den Luftzug von
draußen um die Gelenke der Füße streichen, auch den Hals, auch die
Schläfen entlang.

Ich sah ein wenig hin, dann sagte ich »Guten Tag« und nahm meinen Rock
vom Ofenschirm, weil ich nicht so halb nackt dastehen wollte. Ein
Weilchen lang hielt ich den Mund offen, damit mich die Aufregung durch
den Mund verlasse. Ich hatte schlechten Speichel in mir, im Gesicht
zitterten mir die Augenwimpern, kurz, es fehlte mir nichts, als gerade
dieser allerdings erwartete Besuch.

Das Kind stand noch an der Wand auf dem gleichen Platz, es hatte die
rechte Hand an die Mauer gepreßt und konnte, ganz rotwangig, dessen
nicht satt werden, daß die weißgetünchte Wand grobkörnig war und die
Fingerspitzen rieb. Ich sagte: »Wollen Sie tatsächlich zu mir? Ist es
kein Irrtum? Nichts leichter als ein Irrtum in diesem großen Hause. Ich
heiße Soundso, wohne im dritten Stock. Bin ich also der, den Sie
besuchen wollen?«

»Ruhe, Ruhe!« sagte das Kind über die Schulter weg, »alles ist schon
richtig.«

»Dann kommen Sie weiter ins Zimmer herein, ich möchte die Tür
schließen.«

»Die Tür habe ich jetzt gerade geschlossen. Machen Sie sich keine Mühe.
Beruhigen Sie sich überhaupt.«

»Reden Sie nicht von Mühe. Aber auf diesem Gange wohnt eine Menge Leute,
alle sind natürlich meine Bekannten; die meisten kommen jetzt aus den
Geschäften; wenn sie in einem Zimmer reden hören, glauben sie einfach
das Recht zu haben, aufzumachen und nachzuschaun, was los ist. Es ist
einmal schon so. Diese Leute haben die tägliche Arbeit hinter sich; wem
würden sie sich in der provisorischen Abendfreiheit unterwerfen!
Übrigens wissen Sie es ja auch. Lassen Sie mich die Türe schließen.«

»Ja was ist denn? Was haben Sie? Meinetwegen kann das ganze Haus
hereinkommen. Und dann noch einmal: Ich habe die Türe schon geschlossen,
glauben Sie denn, nur Sie können die Türe schließen? Ich habe sogar mit
dem Schlüssel zugesperrt.«

»Dann ist gut. Mehr will ich ja nicht. Mit dem Schlüssel hätten Sie gar
nicht zusperren müssen. Und jetzt machen Sie es sich nur behaglich,
wenn Sie schon einmal da sind. Sie sind mein Gast. Vertrauen Sie mir
völlig. Machen Sie sich nur breit ohne Angst. Ich werde Sie weder zum
Hierbleiben zwingen, noch zum Weggehn. Muß ich das erst sagen? Kennen
Sie mich so schlecht?«

»Nein. Sie hätten das wirklich nicht sagen müssen. Noch mehr, Sie hätten
es gar nicht sagen sollen. Ich bin ein Kind; warum soviel Umstände mit
mir machen?«

»So schlimm ist es nicht. Natürlich, ein Kind. Aber gar so klein sind
Sie nicht. Sie sind schon ganz erwachsen. Wenn Sie ein Mädchen wären,
dürften Sie sich nicht so einfach mit mir in einem Zimmer einsperren.«

»Darüber müssen wir uns keine Sorge machen. Ich wollte nur sagen: Daß
ich Sie so gut kenne, schützt mich wenig, es enthebt Sie nur der
Anstrengung, mir etwas vorzulügen. Trotzdem aber machen Sie mir
Komplimente. Lassen Sie das, ich fordere Sie auf, lassen Sie das. Dazu
kommt, daß ich Sie nicht überall und immerfort kenne, gar bei dieser
Finsternis. Es wäre viel besser, wenn Sie Licht machen ließen. Nein,
lieber nicht. Immerhin werde ich mir merken, daß Sie mir schon gedroht
haben.«

»Wie? Ich hätte Ihnen gedroht? Aber ich bitte Sie. Ich bin ja so froh,
daß Sie endlich hier sind. Ich sage >endlich<, weil es schon so spät
ist. Es ist mir unbegreiflich, warum Sie so spät gekommen sind. Da ist
es möglich, daß ich in der Freude so durcheinander gesprochen habe und
daß Sie es gerade so verstanden haben. Daß ich so gesprochen habe, gebe
ich zehnmal zu, ja ich habe Ihnen mit Allem gedroht, was Sie wollen. --
Nur keinen Streit, um Himmelswillen! -- Aber wie konnten Sie es glauben?
Wie konnten Sie mich so kränken? Warum wollen Sie mir mit aller Gewalt
dieses kleine Weilchen Ihres Hierseins verderben? Ein fremder Mensch
wäre entgegenkommender als Sie.«

»Das glaube ich; das war keine Weisheit. So nah, als Ihnen ein fremder
Mensch entgegenkommen kann, bin ich Ihnen schon von Natur aus. Das
wissen Sie auch, wozu also die Wehmut? Sagen Sie, daß Sie Komödie
spielen wollen, und ich gehe augenblicklich.«

»So? Auch das wagen Sie mir zu sagen? Sie sind ein wenig zu kühn. Am
Ende sind Sie doch in meinem Zimmer. Sie reiben Ihre Finger wie verrückt
an meiner Wand. Mein Zimmer, meine Wand! Und außerdem ist das, was Sie
sagen, lächerlich, nicht nur frech. Sie sagen, Ihre Natur zwinge Sie,
mit mir in dieser Weise zu reden. Wirklich? Ihre Natur zwingt Sie? Das
ist nett von Ihrer Natur. Ihre Natur ist meine, und wenn ich mich von
Natur aus freundlich zu Ihnen verhalte, so dürfen auch Sie nicht
anders.«

»Ist das freundlich?«

»Ich rede von früher.«

»Wissen Sie, wie ich später sein werde?«

»Nichts weiß ich.«

Und ich ging zum Nachttisch hin, auf dem ich die Kerze anzündete. Ich
hatte in jener Zeit weder Gas noch elektrisches Licht in meinem Zimmer.
Ich saß dann noch eine Weile beim Tisch, bis ich auch dessen müde wurde,
den Überzieher anzog, den Hut vom Kanapee nahm und die Kerze ausblies.
Beim Hinausgehen verfing ich mich in ein Sesselbein.

Auf der Treppe traf ich einen Mieter aus dem gleichen Stockwerk.

»Sie gehen schon wieder weg, Sie Lump?« fragte er, auf seinen über zwei
Stufen ausgebreiteten Beinen ausruhend.

»Was soll ich machen?« sagte ich, »jetzt habe ich ein Gespenst im Zimmer
gehabt.«

»Sie sagen das mit der gleichen Unzufriedenheit, wie wenn Sie ein Haar
in der Suppe gefunden hätten.«

»Sie spaßen. Aber merken Sie sich, ein Gespenst ist ein Gespenst.«

»Sehr wahr. Aber wie, wenn man überhaupt nicht an Gespenster glaubt?«

»Ja meinen Sie denn, ich glaube an Gespenster? Was hilft mir aber
dieses Nichtglauben?«

»Sehr einfach. Sie müssen eben keine Angst mehr haben, wenn ein Gespenst
wirklich zu Ihnen kommt.«

»Ja, aber das ist doch die nebensächliche Angst. Die eigentliche Angst
ist die Angst vor der Ursache der Erscheinung. Und diese Angst bleibt.
Die habe ich geradezu großartig in mir.« Ich fing vor Nervosität an,
alle meine Taschen zu durchsuchen.

»Da Sie aber vor der Erscheinung selbst keine Angst hatten, hätten Sie
sie doch ruhig nach ihrer Ursache fragen können!«

»Sie haben offenbar noch nie mit Gespenstern gesprochen. Aus denen kann
man ja niemals eine klare Auskunft bekommen. Das ist ein Hinundher.
Diese Gespenster scheinen über ihre Existenz mehr im Zweifel zu sein,
als wir, was übrigens bei ihrer Hinfälligkeit kein Wunder ist.«

»Ich habe aber gehört, daß man sie auffüttern kann.«

»Da sind Sie gut berichtet. Das kann man. Aber wer wird das machen?«

»Warum nicht? Wenn es ein weibliches Gespenst ist z. B.« sagte er und
schwang sich auf die obere Stufe.

»Ach so«, sagte ich, »aber selbst dann steht es nicht dafür.«

Ich besann mich. Mein Bekannter war schon so hoch, daß er sich, um mich
zu sehen, unter einer Wölbung des Treppenhauses vorbeugen mußte. »Aber
trotzdem«, rief ich, »wenn Sie mir dort oben mein Gespenst wegnehmen,
dann ist es zwischen uns aus, für immer.«

»Aber das war ja nur Spaß«, sagte er und zog den Kopf zurück.

»Dann ist es gut«, sagte ich und hätte jetzt eigentlich ruhig spazieren
gehen können. Aber weil ich mich gar so verlassen fühlte, ging ich
lieber hinauf und legte mich schlafen.

























              
Ernst Rowohlt Verlag, Leipzig
MDCCCCXIII


      

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