Affichage des articles dont le libellé est philosophie. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est philosophie. Afficher tous les articles

22 juil. 2018


« […] Dans la haute antiquité il n’y avait ni prince ni sujets. On creusait des puits pour boire et l’on labourait la terre pour se nourrir. On réglait sa vie sur le soleil. On vivait dans l’insouciance sans jamais être importuné par le chagrin. Chacun se contentait de son lot, et personne ne cherchait à rivaliser avec autrui ni à exercer de charges. De gloire et d’infamie point. Nuls sentiers ne balafraient les montagnes. Ni barques ni ponts n’encombraient les cours d’eau. Les vallées ne communiquaient pas et personne ne songeait à s’emparer de territoires. Comme il n’existait pas de vastes rassemblements d’hommes la guerre était ignorée. On ne pillait pas les nids des oiseaux, on ne vidait pas les trous d’eau. Le phénix se posait dans la cour des maisons et les dragons s’ébattaient en troupeaux dans les parcs et les étangs. On pouvait marcher sur la queue des tigres et saisir dans ses mains des boas. Les mouettes ne s’envolaient pas quand on traversait les marais, lièvres et renards n’étaient pas saisis de frayeur quand on pénétrait dans les forêts. Le profit n’avait pas encore fait son apparition ; malheurs et troubles étaient inconnus. Lances et boucliers étaient sans emploi et il n’y avait ni murailles ni fossés. Les êtres s’ébattaient dans l’indistinction et s’oubliaient dans le Tao, les maladies ne prélevaient pas leur lourd tribut sur les hommes qui tous mourraient de vieillesse. Chacun gardait sa candeur native sans rouler dans son cœur de froids calculs. L’on bâfrait et l’on s’esclaffait ; on se tapait sur le ventre et on s’ébaudissait. La parole était franche et la conduite sans façons. Comment aurait-on songé à pressurer les humbles pour accaparer leurs biens et à instaurer des châtiments afin de les tomber sous le coup de la loi ?
Puis la décadence vint. On recourut à la ruse et à l’artifice. Ce fut la ruine de la vertu. On instaura la hiérarchie. On compliqua tout avec les génuflexions rituelles, les salamalecs et les prescriptions somptuaires. Les hauts bonnets de cérémonies et les vêtements chamarrés apparurent. On empila la terre et le bois en des tours qui percèrent la nue. On peinturlura en émeraude et en cinabre les poutres torsadées des palais. On arasa des montagnes pour dérober à la terre ses trésors, on plongea au fond des abysses pour en ramener des perles. Les princes rassemblèrent des monceaux de jade sans réussir à satisfaire leurs caprices, ils se procurèrent des montagnes d’or sans parvenir à subvenir à leurs dépenses. Vautrés dans le luxe et la débauche, ils outrageaient le fond primitif. L’homme s’éloigne chaque jour d’avantage de ses origines et tourne le dos un peu plus à la simplicité première. Que le prince prise les sages, et le peuple cherche à se faire une vaine réputation de vertu, qu’il convoite les biens matériels et il favorise la rapine. Car dès lors que l’on fait miroiter des objets susceptibles d’attiser les convoitises on ruine l’authenticité que l’homme abrite en son sein. Pouvoir et profit ouvrent la voie à l’accaparement et à la spoliation. Bientôt l’on se met à fabriquer des armes tranchantes, déchaînant le goût de la conquête. On craint que les arcs ne soient pas assez puissants, les cuirasses pas assez solides, les lances assez acérées, les boucliers assez épais. Mais sans guerre ni agressions tous ces engins de mort seraient bons à mettre au rebut.
Si le jade blanc ne pouvait être brisé y aurait-il des tablettes de cérémonie ? Si le Tao n’avait pas périclité, aurait-on eu besoin de se raccrocher à la bonté et à la justice ? C’est ainsi qu’il fut possible aux tyrans Kie et Tcheou et à leurs émules des faire griller leur prochain à petit feu, de mettre à mort ceux qui leur adressaient des remontrances, de couper en rondelles les princes feudataires, de transformer en hachis les chefs territoriaux, de disséquer le cœur des sages et de scier les jambes de qui bon leur semblait ; ils se livrèrent aux pires excès de la barbarie, allant jusqu’à inventer le supplice de la poutre ardente. Si de tels individus étaient restés de simples particuliers, même dotés du plus mauvais fond et des désirs les plus monstrueux, jamais il ne leur aurait été loisible de se livrer à de telles exactions. Mais du fait qu’ils étaient princes, ils purent donner libre carrière à leurs appétits et lâcher la bride à leurs vices, si bien qu’ils mirent l’empire à feu et à sang. Ainsi l’institution des monarques est la cause de tous les maux. Comment agiter les bras quand ils sont pris dans les fers et faire preuve de résolution quand on se morfond dans la boue et la poussière ? Prétendre apporter la paix grâce aux rites et corriger les mœurs par les règlements, dans une société où le maître des hommes tremble et se tourmente en haut de son palais tandis qu’en bas le peuple se débat dans la misère, me semble aussi vain que de vouloir endiguer les eaux du déluge avec une poignée de terre et obstruer avec le doigt la source jaillissante et insondable d’où proviennent les océans. »

 

 




Éloge de l’anarchie par deux excentriques chinois
Polémiques du troisième siècle traduites du Chinois et présentées par Jean Levi
Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2004


11 juin 2018

Carlo Michelstaedter

POESIE


Se camminando vado solitario
per campagne deserte e abbandonate
se parlo con gli amici, di risate
ebbri, e di vita,
 

se studio, o sogno, se lavoro o rido
o se uno slancio d'arte mi trasporta
se miro la natura ora risorta
a vita nuova,
 

Te sola, del mio cor dominatrice
te sola penso, a te freme ogni fibra
a te il pensiero unicamente vibra
a te adorata.
 

A te mi spinge con crescente furia
una forza che pria non m'era nota,
senza di te la vita mi par vuota
triste ed oscura.
 

Ogni energia latente in me si sveglia
all'appello possente dell'amore,
vorrei che tu vedessi entro al mio cuore
la fiamma ardente.
 

Vorrei levarmi verso l'infinito
etere e a lui gridar la mia passione,
vorrei comunicar la ribellione
all'universo.
 

Vorrei che la natura palpitasse
del palpito che l'animo mi scuote...
vorrei che nelle tue pupille immote
splendesse amore. -
 

Ma dimmi, perché sfuggi tu il mio sguardo
fanciulla? O tu non lo comprendi ancora
il fuoco che possente mi divora?...
e tu l'accendi...
 

Non trovo pace che se a te vicino:
io ti vorrei seguir per ogni dove
e bever l'aria che da te si muove
né mai lasciarti. -
 

 31 marzo 1905

 


* * *
 

Poiché il dolore l'animo m'infranse
per me non ebbe più la vita un fiore...
e pure inconscio iva cercando amore
l'animo offeso.
 

Ahi ti vidi e a te il pensier rivolsi
a te che pura sei siccome un giglio...
... Le lacrime mi sgorgano dal ciglio
invirilmente.
 

Oh mia fanciulla, oh tu non hai compreso
di quanto amore io t'ami. Ed un dolore
nuovo, più intenso mi attanaglia il cuore
che tu feristi.
 

Se m'ami Elsa a che mi fai soffrire?
Tu della vita mia unico raggio
tu che sola m'infondi quel coraggio
che mi fa vivo!
 

Lo sguardo mio non t'ha saputo dire
non t'han saputo dir le mie parole
quello che dice all'universo il sole,
amore! amore!?
 

 3 aprile 1905

 



 Alba. Il canto del gallo
 

Salve, o vita! dal cielo illuminato
dai primi raggi del sorgente sole
all'azzurra campagna!
 

Salve, o vita! potenza misteriosa
fiume selvaggio, poderoso eterno
ragione e forza a tutto l'universo
salve o superba!
 

Te nel silenzio gravido di suoni
te nel piano profondo o palpitante
cui nuovi germi agitano il seno
te nel canto lontano degli uccelli
nel frusciar delle nascenti piante;
te nell'astro che sorge trionfante
ed in fra muti sconsolati avelli
sento vibrare
E ribollir ti sento nel mio sangue
mentre il sole m'illumina la faccia
e dalle labbra mi prorompe il grido:
 

viva la vita!
 

 1° giugno 1905

 



 La notte
 

Tace la notte intorno a me solenne
le ore vanno e sfilan le memorie
siccome un nero e funebre convoglio.
 

Del cielo nelle oscurità remote
nell'ombra amica che con man soave
le grevi forme della chiesa lambe,
nell'ombra amica che gl'uomini culla
col lento canto della pace eterna
vedo di forme strane scatenarsi
una ridda veloce e affascinante
vedo la mente umana abbacinata
chinar la fronte...
 

Ma il mio pensiero innalzasi sdegnoso
e squarcia il manto della notte bruna
libero, e vola, -
vola alla luce pura trionfante
vola al sole del vero, dove i forti
stan combattendo l'immortale agone
cinti le terapie d'agili corone,
vola esultante.
 




 La scuola è finita!
 

È giunta l'ora del distacco, è giunta;
io vi lascio sedili riscaldati
aule sapienti portici affollati
ora e per sempre!
 

Ansie e battaglie e faticose veglie
liete sconfitte e facili vittorie
e voi quaderni carchi di memorie
io v'abbandono.
 

Libero sono dalla tirannia
d'ogni minuto; sono rotti i ceppi
che per lunghi anni rallentar non seppi.
Libero sono!
 

Libero, e innanzi a me s'apre la vita
con gli orizzonti vasti ed intentati
e coi premi lontani ed agognati
nei sogni antichi.
 

Freme nel petto l'animo convulso:
sete di gloria e sete di sapere
desiderio d'azione e di piacere
in me ribolle.
 

In un amplesso solo poderoso
vorrei legare a me tutta la terra
vincere il fato e la fortuna ch'erra
cieca nel mondo.
 

* * * 

Ma un brivido mi corre per le membra,
la vita è fredda e piena di sgomento,
triste isolato debole mi sento
vo' ritornare.
 

Vo' ritornare ai banchi della scuola
alla diuturna noia, alle catene
a quel fetore che facea sì bene,
ai professori.
 

Amici, or vedo quanto abbiam perduto;
della nostra esistenza, calda un'onda
nel buio del passato si sprofonda
inesorato.
 

Con quel legame che ci die' comuni
ore di gioia ed ore di sconforto
anche un periodo della vita è morto
in quest'istante.
 

Ma non dobbiam però chinar la fronte.
Col ferro in pugno verso l'ideale
ci batterem con animo leale!
In alto i cuori!
 

E se fra le battaglie della vita
saremo vinti forse, da lontano
ci volgeremo a stringerci la mano
... addio compagni!
 

 Gorizia, 25 giugno 1905
 



Sibila il legno nel camino antico
e par che tristi rimembranze chiami
mentre filtra sottil pei suoi forami
vena di fumo.
 

O caminetto antico quanto è triste
che nella nera bocca tua rimanga
la legna che non arde e par che pianga
di desiderio,
 

ma dal profondo della sua poltrona
socchiusi gli occhi, il biondo capo chino
stese le mani al fuoco del camino
Nadia ride.


 



I
 

Cade la pioggia triste senza posa
a stilla a stilla
e si dissolve. Trema
la luce d'ogni cosa. Ed ogni cosa
sembra che debba
nell'ombra densa dileguare e quasi
nebbia bianchiccia perdersi e morire
mentre filtri voluttuosamente
oltre i diafani fili di pioggia
come lame d'acciaio vibranti.
Così l'anima mia si discolora
e si dissolve indefinitamente
che fra le tenui spire l'universo
volle abbracciare.
Ahi! che svanita come nebbia bianca
nell'ombra folta della notte eterna
è la natura e l'anima smarrita
palpita e soffre orribilmente sola
sola e cerca l'oblio.
 

II
 

«Guardi dove cammina! o 'che 'gli è cieco?».
M'erutta in faccia con fetor di vino
un popolano dondolando l'anca.
In vasta curva costeggiando il fiume
tremola ancor la luce dei fanali
e l'Arno scorre sonnacchioso e grigio,
l'acque melmose.
Spicca dei colli ancor la massa oscura
e San Miniato avvolto nella nebbia
ombra nell'ombra, -
fiaccola rossa dai camini neri
batte nell'aria, e l'alito affannoso
ferve di vita.
E risponde dall'anima mia triste
un'ansiosa brama di vittoria
ed un bisogno amaro di carezze:
forza incosciente - fiaccola fumosa.
 

III
 

O vita, o vita ancor mi tieni, indarno
l'anima si divincola, ed indarno
cerca di penetrar il tuo mistero
cerca abbracciare in un amplesso immenso
ogni tuo aspetto. -
Amore e morte, l'universo e '1 nulla
necessità crudele della vita
tu mi rifiuti.
 

 Febbraio 1907

 



I
 

A che mi guardi fanciulla con gli occhi pieni di luce,
con gli occhi azzurri profondi ed al volto ti sale una fiamma?
Non ha sole la mia giovinezza, non conta gli anni il mio core
l'anima mia dolorosa non sa le primavere.
Fanciulla perché ti soffermi? perché t'avvicini al mio core?
perché o fanciulla l'avvolgi nel fuoco tuo giovanile?
Fanciulla è freddo il mio core, è freddo il mio core e lontano,
non sente l'alito ardente della tua giovane vita.
 

II
 

Quando pei blandi tramonti, per gli ampi meriggi infocati
sui pallidi volti sussurra amor violente lusinghe,
e quando maggio riarde il petto all'uomo che vive
il core mio tace o fanciulla. -
E quando pel fosco piano cui plumbeo il cielo incombe
divampa la fiamma ribelle sospinta dal vento dell'odio
dell'odio doloroso delle moltitudini vinte
ed arde ogni giovane core e piange nell'aria fumosa
lo spasimo disperato, e suona l'urlo più alto
quando frementi si tendono gli archi di tutte le vite
esso tace o fanciulla.
E quando la mamma mi trae dalle aride ciglia una stilla
e quando la morte mi tocca, mi stringe il core convulso
e caldo m'ottenebra gli occhi il sangue di quanti ho amato
esso tace ancora o fanciulla.
E quando m'irride la folla e quando m'innalza la lode
e quando sfacciata mi sento la forza dei giovani anni
il cor mio tace o fanciulla un superbo infinito silenzio.
 

 Pasqua 1907

 




Senti Iolanda come è triste il sole
e come stride l'alito del vento -
passa radendo i vertici fioriti
un nembo irresistibile.
 

Senti, è sinistro il grido degli uccelli
vedi che oscura è l'aria
ed è fuliggine
nel raggio d'ogni luce e dal profondo
sembra levarsi tutto quanto è triste
e doloroso nel passato e tutte
le forze brute in fremito ribelle
contaminarsi irreparabilmente.
 

Scompose il nembo irreparabilmente
il tuo sorriso,
Iolanda, e mi percorse
con ignoto terrore il core altero. -
Che è questo che s'attarda insidioso
nel nostro sguardo allor che senza fine
immoto intenso dalle nere ciglia
arde di vicendevole calore?
Perché di fosca fiamma la pupilla
s'accende nel languore disperato?
Perché non ride amore
come rideva amico nelle tenui
sere di maggio?
È più forte, più forte
questa torbida fiamma di desio
e mentre tutto intorno a me precipita
mentre crolla nel vortice funesto
ogni affetto, ogni fede, ogni speranza
sbatte le rosse lingue e s'attorciglia
inestinguibile.
 

E più, e più, e più nel cielo tumido
arde l'ansia selvaggia e dolorosa
purché io sugga dai tuoi occhi il fascino
purché io senta le tue mani fremere
purché io colga alla tua bocca fervida
la voluttà infinita del tuo bacio
Ïolanda, e l'ebbrezza infinita. -
 

 Giugno 1907

 



Che ti valse la forte speranza, che ti valse la fede che non crolla
che ti valse la dura disciplina, l'ansia che t'arse il core
o mortale che chiedi la tua sorte, se dopo il tormento diuturno
se dopo la rinuncia estrema - non muore la brama insaziata
la forza bruta e selvaggia, se ancora nel tedio muto
insiste e vivo ti tiene; - perché tu senta la morte
tua ogni istante nell'ora che lenta scorre e mai finita
perché tu speri disperando e attenda ciò che non può venire
perché il dolore cieco più forte sia del dolore che vide
la stessa vanità di sé stesso? - Tu sei come colui nella notte
vide l'oscurità vana ed attese da dio chiedendo la divina luce
e d'ora in ora il fiero cuor nutrendo
di più forte volere e la speranza
esaltando più viva, quando il giorno
con la luce pietosa
alla vita mortale
ogni cosa mortale riadulava
non ei si scosse che con l'occhio fiso
vedeva pur la notte senza stelle. -
Come il tuo corpo che il sole accarezza
gode ed accoglie avido la luce
perché non anche l'animo rivolgi
ai lieti e cari giochi? Vedi intorno
fin dove giunge il guardo, la campagna
ride alla luce amica
 




Amico - mi circonda il vasto mare
con mille luci - io guardo all'orizzonte
dove il cielo ed il mare
lor vita fondon infinitamente. -
Ma altrove la natura aneddotizza
la terra spiega le sue lunghe dita
ed il sole racconta a forti tratti
le coste cui il mare rode ai piedi
ed i verdi vigneti su coronano.
E giù: alle coste in seno accende il sole
bianchi paesi intorno ai campanili
e giù nel mare bianche vele erranti
alla ventura. -
 

A me d'accanto, sullo stesso scoglio
sta la fanciulla e vibra come un'alga,
siccome un'alga all'onda varia e infida
φιλοβαθεία. -
S'avviva al sole il bronzo dei capelli
ed i suoi occhi di colomba tremuli
guardano il mare e guardano la costa
illuminata. -
Ma sotto il velo dell'aria serena
sente il mistero eterno d'ogni cosa
costretta a divenire senza posa
nell'infinito.
Sente nel sol la voce dolorosa
dell'universo, - e l'abisso l'attira
l'agita con un brivido d'orrore
siccome l'onda suol l'alga marina
che le tenaci aggrappa
radici nell'abisso e ride al sole. -
 

Amico io guardo ancora all'orizzonte
dove il cielo ed il mare
la vita fondon infinitamente.
Guardo e chiedo la vita
la vita della mia forza selvaggia
perch'io plasmi il mio mondo e perché il sole
di me possa narrar l'ombra e le luci -
la vita che mi dia pace sicura
nella pienezza dell'essere.
 

E gli occhi tremuli della colomba
vedranno nella gioia e nella pace
l'abisso della mia forza selvaggia -
e le onde varie della mia esistenza
l'agiteranno or lievi or tempestose
come l'onda del mar l'alga marina
che le tenaci aggrappa
radici nell'abisso e ride al sole. -
 

 Pirano, agosto 1908

 



Il canto delle crisalidi 
Vita, morte,
la vita nella morte;
morte, vita,
la morte nella vita.
 

Noi col filo
col filo della vita
nostra sorte
filammo a questa morte.
 

E più forte
è il sogno della vita -
se la morte
a vivere ci aita
 

ma la vita
la vita non è vita
se la morte
la morte è nella vita
 

e la morte
morte non è finita
se più forte
per lei vive la vita.
 

Ma se vita
sarà la nostra morte
nella vita
viviam solo la morte
 

morte, vita,
la morte nella vita;
vita, morte,
la vita nella morte. -

 



 Dicembre
 

Scende e sale senza posa
nebbia e pioggia greve e scura,
nella nebbia la natura
si distende accidiosa.
 

Goccia, goccia lieve chiara
va sicura al suo destin
scende e spera, e vanno a gara
altre gocce senza fin.
 

Giù l'attende terra molle
dove all'altre unita va
a formar le pozze putride
per i campi e le città.
 

Nella pozza riflettete
gocce unite in società
grigio in grigio terra e cielo
per i campi e le città.
 

Ma la noia il disinganno
fa le gocce sollevar
ed il bene che non sanno
van col vento a ricercar.
 

Dalle pozze dalle valli
sale il velo e in alto va,
non ha forma né colore
l'affannosa umidità.
 

Nella nebbia la natura
si distende accidiosa,
scende e sale senza posa
pioggia e nebbia fastidiosa.
 

 Vigilia di Natale 1909

 



 Nostalgia
 

Ma un vento lieto giù dalla montagna
invade la natura senza luce
che per pioggia e per nebbia si dissolve
e delle nubi oscure la continua
trama dirompe, e la diffusa nebbia
leva ed in lembi bianchi la sospinge
giocosamente;
e ride il sole volto ad occidente
ed i monti lontani e le colline
boscose e la pianura
risuscita ugualmente illuminando
nella lor gloria varia
delle ben note forme all'abitante.
Ma splendono più chiare e più serene
festevolmente,
poiché più luminosi si rimandan
i generosi a lor raggi del sole.
Riluce il monte e il piano
e il ciel riluce
di verde luce presso all'orizzonte,
e in alto nell'azzurro
l'ultime nubi fuggono ed il sole
con lieto riso
tinge di rosa gli orli alle fuggenti.
 

Ahi! come tutta la natura in breve
si rasserena
nella pacata luce,
e la pena passata e il lungo tedio
dei giorni grigi oblia: ché solo a gioco
s'era offuscata: ed or con nuovo gioco
si rinnovella
e rifulge più pura.
Ma il cor mi punge con tristezza amara
che il dì ripensa della gioia
e l'alba luminosa e la speranza
folle e sicura, quando
con lieto viso incontro al nuovo sole
levai il primo canto, e la sua luce
era certa promessa alla mia speme
- e le dolci figure del mio sogno
che appena avvicinate dileguaro
tristi, perch'io ver lor fervidamente
mi protendessi
e in me le volessi, me stesso in loro
tutto esaurire.
Voler e non voler per più volere
mi trattenne sull'orlo della vita
ad angosciarmi in aspettar mia volta
ed ai giucchi d'amore ed alle imprese
giovanili mi fece disdegnoso.
- A qual pro? Ma alla veglia dolorosa
una fiamma splendeva e la nutriva
una speme più forte.
Ché se al lieto commercio e del piacere
al giocondo convito l'imperioso
battere mi togliea del mio volere
impaziente, e mi togliea '1 fatale
precipitar dell'ora, nel futuro
pur m'indicava la mia ferma fede
un giorno ed una gioia senza fine
e l'affrettava.
Ahi, quanto pur m'illuse la mortal
mia vista che di fuor ci finge certo
quanto ci manca sol perché ci manca -
«vuoto il presente, vuoto nel futuro
senza confini ogni presente, placa
il voler tuo affannoso!
non chieder più che non possa natura!».
Ma il cor vive, e vuole, e chiede e aspetta
pur senza speme, aspetta e giorno ed ora
e giorno ed ora né sa che s'aspetta
e inesorabilmente
passano l'ore lente.
Così è fuggita e fugge giovinezza
ed i miei sogni e la speranza antica
nel mio cupo aspettar ancor ritrovo
insoddisfatti.
 

Che mi giova o natura luminosa
l'armonia del tuo gioco senza cure?
Ahi, chi il tuo ritmo volle preoccupare
rientrar non può nei tuoi eterni giri
ad ozïare
nel lavoro giocondo ed oblioso.
È suo destino attender senza speme
né mutamento,
vegliando, il passar de l'ore lente.
 

 Dicembre 1909 
 (antivigilia dell'anno nuovo)

 



 Marzo
 

Marzo ventoso
mese adolescente
marzo luminoso
marzo impenitente.
 

Marzo che fai tuoi giochi
con le nuvole in alto
e con l'ombra e le luci
dài mutevol risalto
alla terra stupita
 

alla terra intorpidita,
mentre dal seno le strappi
e le primole e le rose
e fresch'acque rigogliose
lieto fai rigorgogliare.
 

Ed il passero riscuoti
con la tua folle ventata
nella sua grondaia secca
nella siepe denudata.
 

Spazzi i portici e le calli
e la nebbia nelle valli
e la polvere degli avi
e i propositi dei savi
rompi e l'ombra delle chiese.
 

Ed il pavido borghese
che nell'essa porta il gelo
dell'inverno trapassato
e col corpo imbarazzato
geme il reuma ed il torpore,
che nel volto porta il velo
della noia ed il pallore
della diuturna morte,
si rinchiude frettoloso
si rinvoltola accidioso
e rincardina le porte.
 

Se lo scuoti e lo palesi,
marzo giovane pazzia,
la sua trista nostalgia
sogna il sonno di sei mesi.
 

Ei ti teme, dolce frate
marzo, terrore giocoso
ma tu passi vittorioso
sbatti gli usci e le impannate
con le tue folli ventate.
 

E la densa polve sveli
nel tuo raggio popolato
e sul legno affumicato
i vetusti ragnateli.
 

Poich'il termine al riposo
canti, marzo adolescente,
t'odia questa buona gente,
marzo luminoso.
 

Ma se t'odiano addormiti
nelle coltri riscaldate
ed i passeri impauriti
nelle siepi denudate,
t'ama il falco su nell'aria
che più agile si libra
nella tua ventata varia
e la sente in ogni fibra
lieto nella tua procella,
ché per lei si fa più bella
ché per lei si fa più pura
ai suoi occhi la natura.
 

Marzo mese luminoso
marzo adolescente
marzo mese irriverente
marzo ventoso.
 

 1° marzo 1910

 



  Aprile
 

 Che più d'un giorno è la vita mortale?
 Nubil'e brev'e freddo e pien di noia,
 die pò bella parer ma nulla vale. 

   PETRARCA, Triumphus Temporis
 

Il brivido invernale e il dubbio cielo
e i nembi oscuri che al novello amore
han fatto schermo della terra antica
dispersi a un tratto, al sol ride la terra
che d'erbe e fiori ancor s'è ricoperta
- se pur il ciel di nubi ancora svarii,
onde occhieggian le stelle nelle notti,
e nere fra il lor vario scintillare
traggan le lunghe dita pel sereno
che al piano oscuro ed ai profili neri
degli alberi dei monti si congiungono.
Ma nel cielo e nel piano, ma nell'aria,
ma nello sguardo della tua compagna
e nel pallido viso,
ma nel tuo corpo, ma per la tua bocca
canta ciò che non sai: la primavera.
 

Così mi tragge a me stesso diverso
e amor m'induce e desiderio, ancora
ch'io non sappia per che, pur fiduciosi.
Ché pur in me natura si nasconde
insidiosa e ignaro me sospinge.
Ahi, che mi vale, se pur fugge l'ora
e mi toglie da me sì ch'io non possa
saziar la mia fame ora qui tutta?
Ma solo e miserabile mi struggo
lontano e solo, anco s'a te vicino
parlo ed ascolto, o mia sola compagna.
Mentre di tra le dita delle nubi
a che occhieggian le stelle nel sereno?
Già trapassa la notte e nuove fiamme
leverà il sole ch'ei rispenga tosto:
passano i giorni e già sarà qui '1 verno
e il sol sorgendo pallido e incurante
farà fiorire il fango per le strade.
A che occhieggian le stelle nel sereno?
Qui bulica la terra e qui si muore,
cantano i galli e stridon le civette.
O gioia del novello nascimento,
o nuovo amore e antico!
O vita, chi ti vive e chi ti gode
che per te nasce e vive ed ama e muore?
Ma ogni cosa sospingi senza posa
che la tua fame tiene, e che nel vario
desiderar continua si trasmuta.
Di sé ignara e del mondo desiosa
si volge a questo e a quello che nemico
le amica il vicendevole disio,
nemica a quelli pur quando li ami
e ancora a sé per più voler nemica.
Così nel giorno grigio si continua
ogni cosa che nasce moritura,
che in vari aspetti pur la vita tiene -
ed il tempo travolge - e mentre viva
vivendo muor la diuturna morte.
 

Ed ancor io così perennemente
e vivo e mi tramuto e mi dissolvo
e mentre assisto al mio dissolvimento
ad ogni istante soffro la mia morte.
E così attendo la mia primavera
una ed intera ed una gioia e un sole.
Voglio e non posso e spero senza fede.
Ahi, non c'è sole a romper questa nebbia,
ma senza fine e senza mutamento
sta in ogni tempo intero ed infinito
l'indifferente tramutar del tutto.
 

Pur tu permani, o morte, e tu m'attendi
o sano o tristo, ferma ed immutata,
morte benevolo porto sicuro.
Che ai vivi morti quando pur sia vano
quanto la vita il pallido tuo aspetto
e se morir non sia che continuar
la nebbia maledetta
e l'affanno agli schiavi della vita -
- purché alla mia pupilla questa luce
che pur guarda la tenebra si spenga
e più non sappia questo ch'ora soffro
vano tormento senza via né speme,
tu mi sei cara mille volte, o morte,
che il sonno verserai senza risveglio
su quest'occhio che sa di non vedere,
sì che l'oscurità per me sia spenta.
 

 Notte 16-17 aprile 1910

 



 Giugno
 

Tutta la forza dal tuo seno, o terra,
il sole ha tratto che salendo avvampa,
e l'estate trionfa.
Due volte l'erba ti recise avaro
il prudente bifolco, e già le fronde
onde tutta t'ammanti,
per il continuo ardor si fan perdute.
Ed alla notte gli astri all'orizzonte
per i vapor rosseggiano più grandi
quasi la vita per più forza gravi
come un'aura di morte.
Ma se i fiori onde prossima l'aurora
del giorno estremo
anelava l'adolescente Aprile
vento estivo ha dispersi,
sotto le fronde si matura il frutto
e il bifolco gioisce.
Ahi, la promessa della primavera
in questo picciol frutto si rinserra
ed il tempo procede per il giro
d'altri inverni e di nuove primavere.
 

Ma alla notte sui vertici ricolmi
passa il nembo e pel cielo s'accavalla
la nera massa delle nubi, e lungi
livida luce rompe la tenèbra
e pei piani rivela in nuovo aspetto
messi ondeggianti ed alberi ricurvi
e pei monti corruschi nuove forme
ed in cielo più mondi e nuova vita
ogni volta diversa, mentre lungi
nuova voce rimbomba e intorno e in alto
si spande e ancor dai monti riecheggia.
E a destra e a manca e presso e da lontano
riappar la nuova luce, e come il cielo
nel diverso bagliore si trasmuta,
così la terra la livida faccia
in nuova congiunzion sembra mutare,
mentre presso e lontano, oscuro o chiaro
romba il nuovo fragore senza posa.
 

Qual nuova speme, anima solitaria,
qual si ridesta
al diffuso baglior speme sopita?
Dal diffuso baglior verrà la Luce
mai veduta? e dal rombo vorticoso
la Voce squillerà che non udisti?
Ecco la terra ancora si congiunge
coi nuovi mondi in alto,
e la striscia di fuoco ecco dirompe
la tenebra, ed io stesso abbacinato
nel vortice di fuoco sono avvolto.
Sospesa a quella luce è la mia vita
un attimo od un tempo senza fine,
che fra il lampo ed il tuono non si vive.
- Ora scoppia la vita e s'apre il frutto
del mio tanto aspettar, ora la gioia
intera e il possesso dell'universo,
ora la libertà ch'io non conosco,
ora il Dio si rivela, ora è la fine.
Ma scroscia il tuono che m'assorda... io vivo
e famelico aspetto ancor la vita.
Altri lampi, altri tuoni, ed il mistero
in benefica pioggia si dissolve.


 



 Risveglio
 

Giaccio fra l'erbe
sulla schiena del monte, e beve il sole
il mio corpo che il vento m'accarezza
e sfiorano il mio capo i fiori e l'erbe
ch'agita il vento
e lo sciame ronzante degli insetti. -
Delle rondini il volo affaccendato
segna di curve rotte il cielo azzurro
e trae nell'alto vasti cerchi il largo
volo dei falchi...
Vita?! Vita?! qui l'erbe, qui la terra,
qui il vento, qui gl'insetti, qui gli uccelli,
e pur fra questi sente vede gode
sta sotto il vento a farsi vellicare
sta sotto il sole a suggere il calore
sta sotto il cielo sulla buona terra
questo ch'io chiamo «io», ma ch'io non sono.
No, non son questo corpo, queste membra
prostrate qui fra l'erbe sulla terra,
più ch'io non sia gli insetti o l'erbe o i fiori
o i falchi su nell'aria o il vento o il sole.
Io son solo, lontano, io son diverso -
altro sole, altro vento e più superbo
volo per altri cieli è la mia vita...
Ma ora qui che aspetto, e la mia vita
perché non vive, perché non avviene?
Che è questa luce, che è questo calore,
questo ronzar confuso, questa terra,
questo cielo che incombe? M'è straniero
l'aspetto d'ogni cosa, m'è nemica
questa natura! basta! voglio uscire
da questa trama d'incubi! la vita!
la mia vita! il mio sole!
 

 Ma pel cielo
montan le nubi su dall'orizzonte,
già lambiscono il sole, già alla terra
invidiano la luce ed il calore.
Un brivido percorre la natura
e rigido mi corre per le membra
al soffiare del vento. Ma che faccio
schiacciato sulla terra qui fra l'erbe?
Ora mi levo, che ora ho un fine certo,
ora ho freddo, ora ho fame, ora m'affretto,
ora so la mia vita,
che la stessa ignoranza m'è sapere -
la natura inimica ora m'è cara
che mi darà riparo e nutrimento,
ora vado a ronzar come gl'insetti. -
 

 Sul S. Valentin, giugno 1910

 



 [Alla sorella Paula]
 

Come le rondinelle anno per anno
tornano al nido che le vide implumi,
così l'uomo nel giro dei suoi giorni
torna e ritorna al pensier della culla.
Ed ogni anno quel dì rifesteggiando
che alla fame, alla sete, che al dolore,
che alla vita mortale l'ha svegliato,
ogni anno in quel dì si riconforta
ad amar la sua vita.
E i parenti - che allor nel neonato,
nella creatura fragile impotente,
della speranza lor videro il frutto,
e con pavido amore a lui porgendo
quanto la vita dona a chi la chiede
del suo pianto si fecer velo agli occhi,
confidando che vesti e nutrimento
gli potessero far viver la vita,
- anno per anno poi rinnovellando
la speranza lontana ed il dolore
si fanno velo ancora agli occhi stanchi,
grazie porgendo a lui dell'esser nato,
perch'ei sia grato a lor della sua vita,
perché il muto dolore sia obliato
e la promessa vana ogni presente.
Ma l'augurio che ciò ch'ei mai non ebbe
pur un istante
promette in lunghi anni luminosi
dia la sua luce presa dal futuro
al giorno natalizio, e l'illusione
moltiplicando gli finga la fame
esser un bene e vita sufficiente
la diuturna morte.
E baci e doni e la mensa imbandita,
dolci parole in copia e dolci cose,
liete promesse e guardi fiduciosi
faccian chiara la stanza famigliare
facciano schermo alla notte paurosa...
 

Paula, non ti so dir dolci parole,
cose non so che possan esser care,
poiché il muto dolore a me ha parlato
e m'ha narrato quello che ogni cuore
soffre e non sa - che a sé non lo confessa.
Ed oltre il vetro della chiara stanza
che le consuete imagini riflette
vedo l'oscurità pur minacciosa
- e sostare non posso nel deserto.
Lasciami andare, Paula, nella notte
a crearmi la luce da me stesso,
lasciami andar oltre il deserto, al mare
perch'io ti porti il dono luminoso
... molto più che non credi mi sei cara.
 

 2 agosto 1910

 



Onda per onda batte sullo scoglio
- passan le vele bianche all'orizzonte;
monta rimonta, or dolce or tempestosa
l'agitata marea senza riposo.
Ma onda e sole e vento e vele e scogli,
questa è la terra, quello l'orizzonte
del mar lontano, il mar senza confini.
Non è il libero mare senza sponde,
il mare dove l'onda non arriva,
il mare che da sé genera il vento,
manda la luce e in seno la riprende,
il mar che di sua vita mille vite
suscita e cresce in una sola vita.
 

Ahi, non c'è mare cui presso o lontano
varia sponda non gravi, e vario vento
non tolga dalla solitaria pace,
mare non è che non sia un dei mari.
Anche il mare è un deserto senza vita,
arido triste fermo affaticato.
Ed il giro dei giorni e delle lune,
il variar dei venti e delle coste,
il vario giogo sì lo lega e preme
- il mar che non è mare s'anche è mare.
Ritrova il vento l'onda affaticata,
e la mia chiglia solca il vecchio solco.
E se fra il vento e il mare la mia mano
regge il timone e dirizza la vela,
non è più la mia mano che la mano
di quel vento e quell'onda che non posa...
Ché senza posa come batte l'onda
ché senza posa come vola il nembo,
sì la travaglia l'anima solitaria
a varcar nuove onde, e senza fine
nuovi confini sotto nuove stelle
fingere all'occhio fisso all'orizzonte,
dove per tramontar pur sorga il sole.
Al mio sole, al mio mar per queste strade
della terra o del mar mi volgo invano,
vana è la pena e vana la speranza,
tutta è la vita arida e deserta,
finché in un punto si raccolga in porto,
di sé stessa in un punto faccia fiamma.
 

 Pirano, agosto 1910

 



Ognuno vede quanto l'altro falla
quando crede passar filo per cruna,
pur spera ognuno d'infilar sua cruna,
né perché più s'avveda dell'inganno
meno ritenta ancora la fortuna.
Che tale è la sua sorte:
col suo filo sperar vita tramare
e con la speme giungere alla morte.
 




Non è la patria
il comodo giaciglio
per la cura e la noia e la stanchezza;
ma nel suo petto, ma pel suo periglio
chi ne voglia parlar
deve crearla. -
 





È il piacere un dio pudico,
fugge da chi l'invocò;
ai piaceri egli è nemico,
fugge da chi lo cercò.
 

Egli ama quei che non lo invoca,
egli ama quei che non lo sa;
e dona la sua luce fioca
a chi per altra luce va. -
 

Chi lo cerca non lo trova,
chi lo trova non lo sa;
il suo nome mette a prova
questa fiacca umanità. -
 

È il piacere l'Iddio pudico
ch'ama quello che non lo sa:
se lo cerchi se' già mendico,
t'ha già vinto l'oscurità. -
 





Per ora a bordo non è lavorare
che inerte pende la vela
e il vento tace sul mare
e il mar è a specchio del cielo
Per ora - a bordo non è lavorare
 

A sera il sole calerà nel mare
che senza nubi è il cielo
e giù ai confini del mare
l'orizzonte è senza velo
A sera - il sole calerà nel mare
 

Oggi sul ponte dolce riposare
che senza moto la nave
riposa il riposo del mare
e non si può camminare
Oggi sul ponte dolce riposare
 

Sola sul dorso del mare
nel mezzo del cerchio lontano
sta sotto il ciel meridiano
la nave a galleggiare
 



 [I figli del mare]
 

Dalla pace del mare lontano
dalle verdi trasparenze dell'onde
dalle lucenti grotte profonde
dal silenzio senza richiami -
Itti e Senia dal regno del mare
sul suolo triste sotto il sole avaro
Itti e Senia si risvegliaro
dei mortali a vivere la morte.
Fra le grigie lagune palustri
al vario trasmutar senza riposo
al faticare sordo ansioso
per le umide vie ritorte
alle mille voci d'affanno
ai mille fantasmi di gioia
alla sete alla fame allo spavento
all'inconfessato tormento -
alla cura che pensa il domani
che all'ieri aggrappa le mani
che ognor paventa il presente più forte
al vano terrore della morte
fra i mortali ricurvi alla terra
Itti e Senia i principi del mare
sul suolo triste sotto il sole avaro
Itti e Senia si risvegliaro. -
 

Ebbero padre ed ebbero madre
e fratelli ed amici e parenti
e conobbero i dolci sentimenti
la pietà e gli affetti e il pudore
e conobbero le parole
che conviene venerare
Itti e Senia i figli del mare
e credettero d'amare.
E lontani dal loro mare
sotto il pallido sole avaro
per il dovere facile ed amaro
impararono a camminare.
Impararono a camminare
per le vie che la siepe rinserra
e stretti alle bisogna della terra
si curvarono a faticare.
Sulle pallide facce il timore
delle piccole cose umane
e le tante speranze vane
e l'ansia che stringe il core.
 

Ma nel fondo dell'occhio nero
pur viveva il lontano dolore
e parlava la voce del mistero
per l'ignoto lontano amore.
E una sera alla sponda sonante
quando il sole calava nel mare
e gli uomini cercavano riposo
al lor ozio laborioso
Itti e Senia alla sponda del mare
l'anima solitaria al suono dell'onde
per le sue corde più profonde
intendevano vibrare.
E la vasta voce del mare
al loro cuore soffocato
lontane suscitava ignote voci,
altra patria altra casa un altro altare
un'altra pace nel lontano mare.
Si sentirono soli ed estrani
nelle tristi dimore dell'uomo
si sentirono più lontani
fra le cose più dolci e care.
E bevendo lo sguardo oscuro
l'uno all'altra dall'occhio nero
videro la fiamma del mistero
per doppia face battere più forte.
Senia disse: «Vorrei morire»
e mirava l'ultimo sole.
Itti tacque, che dalla morte
nuova vita vedeva salire.
E scorrendo l'occhio lontano
sulle sponde che serrano il mare
sulle case tristi ammucchiate
dalle trepide cure avare
«Questo è morte, Senia» - egli disse -
«questa triste nebbia oscura
dove geme la torbida luce
dell'angoscia, della paura.
 

Altra voce dal profondo
ho sentito risonare
altra luce e più giocondo
ho veduto un altro mare.
Vedo il mar senza confini
senza sponde faticate
vedo l'onde illuminate
che carena non varcò.
Vedo il sole che non cala
lento e stanco a sera in mare
ma la luce sfolgorare
vedo sopra il vasto mar.
Senia, il porto non è la terra
dove a ogni brivido del mare
corre pavido a riparare
la stanca vita il pescator.
Senia, il porto è la furia del mare,
è la furia del nembo più forte,
quando libera ride la morte
a chi libero la sfidò».
 

Così disse nell'ora del vespro
Itti a Senia con voce lontana;
dalla torre batteva la campana
del domestico focolare:
«Ritornate alle case tranquille
alla pace del tetto sicuro,
che cercate un cammino più duro?
che volete dal perfido mare?
Passa la gioia, passa il dolore,
accettate la vostra sorte,
ogni cosa che vive muore
e nessuna cosa vince la morte.
Ritornate alla via consueta
e godete di ciò che v'è dato:
non v'è un fine, non v'è una meta
per chi è preda del passato.
Ritornate al noto giaciglio
alle dolci e care cose
ritornate alle mani amorose
allo sguardo che trema per voi
a coloro che il primo passo
vi mossero e il primo accento,
che vi diedero il nutrimento
che vi crebbe le membra e il cor.
Adattatevi, ritornate,
siate utili a chi vi ama
e spegnete l'infausta brama
che vi trae dal retto sentier.
Passa la gioia, passa il dolore,
accettate la vostra sorte,
ogni cosa che vive muore
nessuna forza vince la morte».
 

Soffocata nell'onda sonora
con l'anima gonfia di pianto
ascoltava l'eco del canto
nell'oscurità del cor,
e con l'occhio all'orizzonte
dove il ciel si fondeva col mare
si sentiva vacillare
Senia, e disse: «Vorrei morire».
Ma più forte sullo scoglio
l'onda lontana s'infranse
e nel fondo una nota pianse
pei perduti figli del mare.
«No, la morte non è abbandono»
disse Itti con voce più forte
«ma è il coraggio della morte
onde la luce sorgerà.
Il coraggio di sopportare
tutto il peso del dolore,
il coraggio di navigare
verso il nostro libero mare,
il coraggio di non sostare
nella cura dell'avvenire,
il coraggio di non languire
per godere le cose care.
Nel tuo occhio sotto la pena
arde ancora la fiamma selvaggia,
abbandona la triste spiaggia
e nel mare sarai la sirena.
Se t'affidi senza timore
ben più forte saprò navigare,
se non copri la faccia al dolore
giungeremo al nostro mare.
 

Senia, il porto è la furia del mare,
è la furia del nembo più forte,
quando libera ride la morte
a chi libero la sfidò». -
 

 Carsia, 2 settembre 1910

 


 [A Senia]
 

I
 

Le cose ch'io vidi nel fondo del mare,
i baratri oscuri, le luci lontane
e grovigli d'alghe e creature strane,
Senia, a te sola lo voglio narrare.
Ché a brevi fiate nel tempo passato
nel fondo del mare mi sono tuffato.
A dare or la patria all'esule sirena,
la patria a me stesso e all'uomo abbattuto
svelare la via del suo regno perduto,
mi voglio tuffare con più forte lena,
che ogni uom manifeste le tenebre arcane
conosca e vicine le cose lontane.
 

Ma quel che già vidi nel fondo del mare,
i baratri oscuri, le luci lontane
e grovigli d'alghe e creature strane,
Senia, a te sola lo voglio narrare.
 


II
 

Da te lontano, nelle notti insonni,
innanzi agli occhi dove anche io miri,
sempre ho lo slancio della tua persona
come il vento la trae della passione
e la faccia raccolta che la fiamma
nel tempo stesso vela e manifesta.
Ma se l'occhio distolgo dalla strada
arida e sola che percorro oscura
e alla diafana luce lo rivolgo
dell'imagine tua cara e lontana,
invano cerco a me farla vicina,
invano cerco trattenerla, invano
tendo le braccia: nella notte oscura
non anche io l'ho mirata ed è svanita.
E l'occhio stanco e ardente la tenèbra
pur mira densa e inesorata quale
si chiuse innanzi all'antico cantore
che a Euridice si volse ed Euridice
nella notte infernale risospinse.
Spenta ogni luce allora ed ogni via
sbarrata, allor più presso la tenèbra
mi stringe sì che il cuor ignoto orrore
m'invade, non per me se nella notte
solo io soccomba, ma per te, o compagna
forte e sicura - che pel mio piacer,
per la mia debolezza, il mio sostare
non t'abbia risospinta nella stretta
della diuturna sofferenza inerte.
 

Perciò se freddo e ruvido io ti sembri,
ma tu lo sai: è per vieppiù andare,
è per nutrir più vivida la fiamma,
perché un giorno risplenda nella notte,
perché possiamo un giorno fiammeggiar
liberi e uniti al porto della pace.
 

 9 settembre 1910
 


III
 

Non sorridente sotto il sole estivo,
la faccia luminosa e gli occhi chiari
nel doppio raggio del sole e del mare -
non melodiosa in tutta la persona
nel ritmo della danza, o fiduciosa
nell'infuriar dell'onde, come quando
a me che ti chiedevo rispondevi:
«Per me non è mai tempo di tornare,
chi va sicuro non potrà affogare»,
né sbattuta dall'onda musicale
quando senza velami dai tuoi occhi
l'anima fiammeggiava e la tua vita
nelle dita sicure era raccolta -
non più così la creatura del sole,
il fiore della vita, la sorgente
ond'io le labbra asciutte dissetava,
la giovinezza quale altrove invano
per le vie della terra ho ricercata -
non più così ti vidi nel mio sonno,
quando la trama più si fa sottile
e all'anima più pura inverso l'alba
rivela il sogno le cose lontane.
Ma ripiegata in piccolo sedile,
come un uccello che ferito a morte
l'ultima vita con l'ali ripara,
d'un velo bianco ti facevi schermo
al freddo e alla vicina fredda morte;
e in faccia era svanito ogni colore,
ogni scintilla spenta, e nelle occhiaie
oscure gli occhi t'eran fatti cavi.
Io ti parlavo e tu non rispondevi,
ma pur col bianco vel t'adoperavi
di riparare l'ultimo calore.
T'ero vicino e tu non mi vedevi,
ma nella morte già eri raccolta
ed alla morte come ad un riposo
stanca le membra e i veli disponevi,
con moto lento, come di chi ascolta
d'una squilla lontana il misterioso
annunzio noto, ch'altri non intende.
 

Così m'eri distolta e la mia vita
invano sanguinava per ridare
a te la vita che s'era partita:
con le mani non ti potea scaldare,
con la voce non ti potea svegliare.
Come da lungi nel plumbeo mare
che si fonde col cielo vela bianca
non più in mare che in cielo navigare
sembra, così pur l'anima tua stanca
era già della morte ed era in vita,
t'era fatta la vita sol dolore,
poiché in te la passione era svanita,
ma sulla faccia il pallido terrore
t'era dipinto e t'era chiuso il core.
 

Ahi, non questa sognammo amara morte
nel suo pallido aspetto pauroso,
questa che va a picchiar tutte le porte
e ai morti dalla nascita il riposo
finge nel tempo eterno e tenebroso,
ma la giovane morte che sorride
a chi per la sua cura non la teme,
la morte che congiunge e non divide
la compagna e il compagno e non li preme
con l'oscuro dolore - ma che insieme
li accoglie nel suo seno, come il porto
di pace chi ha saputo navigare
nel mar selvaggio, nel deserto mare,
che a terra non s'è vòlto per conforto.
 

Rimprovero m'è il sogno e non spavento,
perch'io m'attardo mentre tu languisci;
s'io vinco certo così non perisci.
Questo sogno m'è sferza all'ardimento.
 

 10 settembre 1910
 


IV
 

Dato ho la vela al vento e in mezzo all'onde
del mar selvaggio, nella notte oscura,
solo, in fragile nave ho abbandonato
il porto della sicurezza inerte.
Al mare aperto drizzata ho la prora
per navigare, ed alla sorte oscura
la forza del mio braccio ho contrapposta.
Non ho temuto il vento avverso e l'onda
canuta, né la mensa famigliare
e l'usato giaciglio
ho rimpianto o il commercio delle care
e dolci cose. Né deserto e triste
m'è apparso il mar sonante nella notte,
anzi la voce sua come un appello
mi sonò in cor della mia stessa vita;
mi parve dolce cosa naufragare
nel seno ondoso che col ciel confina,
né temuta ho la morte...
 

Alla punta del golfo donde il mare
s'apre libero e vasto senza fine
tu m'attendi sicura e fiduciosa,
le vesti al vento, ritta sullo scoglio.
Costeggiar mi conviene la scogliera
per uscire dal golfo, quindi uniti
navigheremo, poiché a me t'affidi:
sì breve tratto da te mi divide
e dal libero mar sì breve tratto!
- Ma perch'io tenti la bordata e tenda
la vela al vento, pur l'inerte chiglia
non fende l'onda, ch'ora sulle creste
spumanti, or negli abissi, or sur un bordo
or sull'altro la trae senza riposo.
E se l'albero gema, se la scotta
a spezzarsi si tenda, e nella vela
ingolfandosi il vento il mio naviglio
minacci di sommergere, pur sempre
alla stessa distanza io mi ritrovo
dalla punta agognata. Col timone
io m'adopero invano al mare aperto
dirizzare la prora: a chiglia inerte
il timone non giova.
 

Il vento e l'onde intanto lentamente
come un rottame verso la scogliera
mi spingono a rovina senza scampo.
Ch'io debba naufragar senza lottare
fra la miseria dei battuti scogli,
presso al porto esecrato, come un vile,
senza esser giunto al mare, e te lasciando
sola e distrutta dopo il sogno infranto
fra le stesse miserie?
 

 Gorizia, 15 settembre 1910

 

V

Se mi trovo fra gli uomini talvolta,
qualunque cosa io parli, la mia voce
mi par che solo il nome tuo richiami.
Io taccio allora e aspetto trepidando
ch'altri con bocca impura a questa voce
risponda, e del mio bene ascoso mi discorra;
e se pur d'altre cose memorando
mi parlano con voce indifferente,
ma nel loro sorriso, ma negli occhi
mi par d'intravedere ch'altra cosa
vogliono dire, che nel cor profondo
sì mi ferisce. Che da ogni mio gesto,
che dal volto mi par ch'altri mi legga
il pensiero di te che sei lontana.
Dal commercio degli uomini rifuggo
allora alla campagna solitaria
o alla mia stanza solitaria e solo
tutto in me mi raccolgo; ma nell'aria,
nel canto degli uccelli e nell'uguale
mormorare dell'acqua, dalle ripe
alte del fiume e pur dalle pareti
della mia ignuda stanza, a piena voce
il tuo nome riecheggia al mio silenzio,
sì che palese a ognuno e manifesta
del tutto, al volgo preda senza schermo,
parmi l'anima mia nel suo segreto.
Ed il sogno che nasce palpitante,
la «storia» che non soffre le parole
ma vuol esser vissuta, il più profondo
e caro senso della nostra vita,
che pur uniti e soli sotto il velo
di parole comuni nascondiamo,
d'atti comuni, con gelosa cura
nascondiamo a noi stessi, ora del volgo
mi par fatto preda contaminata.
 

Nei giorni del dolore e nelle notti
senza riposo, nella valle triste
della sorda fatica e del tormento
senza speranza, nel mio dubitare
cieco, quando l'abisso dell'inerzia,
dell'abbandono m'era aperto ai piedi,
allor fioca scintilla io l'allevava
il mio sogno lontano, ancor ch'io fossi
d'ogni certa speranza privo al tutto;
ma da quello una vena mi fluiva
di forza che nel mezzo delle cose
vane e volgari, delle ottuse cure,
indifferente mi facea e sicuro,
e al dolor mi temprava e ogni timore
del mio stesso soffrir, ogni ricerca
di premi, di riposo, di conforto
ogni viltà dal cuore mi toglieva.
Dal più profondo della mia distretta,
nella mente più oscura quella fiamma
mi era sorta, caduta ogni speranza,
e la risposta al tanto faticare
di richieste alla vita per lei chiara
mi rifulgeva: «Non chieder più nulla,
sappi goder del tuo stesso dolore,
non adattarti per fuggir la morte;
anzi da te la vita nel deserto
fatti - che sia per gli altri nuova vita;
non disperare, ma rinuncia ai vani
aspetti della vita, e nel deserto
sarai tranquillo: dalla tua rinuncia
rifulgerà il tuo atto vittorioso,
ΑΡΓΙΑ sarà il tuo porto Ι'ΕΝΕΡΓΕΙΑΣ».
 

E sentii la mia vita fiammeggiare
ed il deserto farsi popoloso,
credetti fosse giunto il luminoso
mio giorno nella notte e consumare
quella fiamma mi parve la mia vita.
Ma per più lunga strada il mio destino
mi volse a far cammino: e vivo ancora
mi trovai nel fittizio riposo,
ma a te vicino per più forte andare;
in te concreta vidi la mia fiamma,
in te il mio sogno fatto era vicino
e la mia vita più certa: ogni ritorno,
ogni vile riposo, ogni timore
era morto per me. - Nel mare ondoso,
sulla brulla costiera solitaria,
sotto la forte quercia, a me vicina
io t'ho sentita siccome nel sogno. -
Non Argia ma Senia io t'ho chiamata,
per non sostar nel facile riposo,
e la lingua la fiamma consacrata
con le parole non contaminò.
Pur or mi trovo ancora nella nebbia
e il camminar m'è vano e la fatica
novellamente mi si fa penosa.
Io sento me da me fatto diverso,
se pur vicina ti sento lontana
ancora come un tempo, e la mia fiamma
geme che pur rifulse nella notte
per sua forza, sicura. Nelle tante
piccole e vane cose nuovamente
io mi dissolvo; nell'oscuro giro
della diuturna noia il nostro sogno
parmi tradito e per ignote voci
con parole di scherno messo a nudo,
pesato, misurato, confrontato…
Come se ignote mani il focolare
andassero scrutando ingordamente,
e alle ceneri insieme le faville
disperdessero al vento...
 

L'angoscia di non giungere alla vita
e di perire dell'oscura morte
te trascinando nell'abisso, Senia,
mi prende forte sì che dubitoso
mi son fatto di me, che non sopporto
le mie stesse parole, e di me stesso
invincibile nausea m'opprime.
 

 Gorizia, 19 settembre 1910
 


VI
 

Ti son vicino e tu mi sei lontana,
mi guardi e non mi vedi, o s'io ti parlo,
pur amando ascolti, non però m'intendi;
ti sono questo corpo e questi suoni,
ti sono un nome, ti son un dei tanti,
come un altro sarebbe
che per nome e per vista conoscessi.
Io non sono per te «io», la mia vita,
io, questa mia volontà più forte,
Il mio sogno, il mio mondo, il mio destino.
Io non sono per te: questo mio amore
disperato e lontano e doloroso
- gli passi accanto e non lo senti amare.
Ma ancor fra gli altri uomini t'aggiri,
con questo parli ed a quello t'affidi,
fra lor vivi e per lor, s'anco a nessuno
dai la tua speme intera e la fiducia.
Ma fra l'oggi e il domani e questo e quello
ti dissolvi, e trapassi senza sole
la tua selvaggia e forte giovinezza,
e la tua speme consumando ignara
sei di te stessa - ed io mi struggo invano.
Mentre mi vince gelosia crudele
non pur di questo giovane e di quello
cui lo sguardo concedi o la parola,
ma d'ogni cosa che ti sia vicina,
ma del sole, dell'aria, ma del pane,
ché di loro ti nutri e a me sei tolta;
gelosia d'ogni giorno, d'ogni istante,
che vivi, che non vivi di me solo,
che l'aria e il pane e il sole, che ogni cosa,
che il mondo intero, che la vita stessa
vorrei esser per te - ma tu l'ignori.
 


VII

Parlarti? e pria che tolta per la vita
mi sii, del tutto prenderti? - che giova?
che giova, se del tutto io t'ho perduta
quando mia tu non fosti il giorno stesso
che c'incontrammo? Che se pur t'avessi
ora, vincendo, mia per il futuro,
mia per diritto, mia per tuo volere,
mia non saresti più che non sei ora,
mia non saresti più che s'altra mano
ti possedesse. Che pur del mio corpo
sarei geloso come or son d'altrui.
Non più sarei per te la vita intera
ch'ora non sono, se già in me non l'ami:
ma se in me non l'ami, se tua vita
crear non so della mia vita stessa,
che più giova sperar, che più volere,
che mi giova la vita e il mio dolore
e questo amor lontano e disperato?
Fatto sono da me stesso diverso
che centra il fato mi dicevo forte,
poiché ho esperta e ancor vivo ad ogni istante
nella tua indifferenza la mia morte.
Né più mi giova mendicare i giorni
né chieder altro più dal dio nemico,
se non che faccia mia morte finita.



 


All'Isonzo

Dalle nevose gole, dai torbidi
monti lontani con lena rabida,
con aspro sibilo soffia la raffica,
rompe la densa greve nebbia,
stringe le basse grigie nubi
e le respinge in onde gravide.


Passa radendo sui pioppi tremoli
- sul nero piano incombe il peso
della ciclopica lotta dell'etere.
Ma a lei più forte risponde l'impeto
selvaggio e giovine del fiume rapido
cui le corrose ripe trattengono:
il suo possente muggito al sibilo
della procella commesce e il vivido
chiaror del lontano sereno
riflette livido, nell'onda torbida.


E al mar l'annuncio porta della lotta
che nebbia e vento nel ciel combattono,
al mar l'annuncio porta del tumulto
che in cor m'infuria quando la nausea,
quando il torpore, il dubbio, l'abbandono
per la tua vista, Argia, più fervido
l'ardir combatte e sogna il mare libero.


 Notte del 22 settembre 1910







13 mai 2018

LÉON TOLSTOï
LECTEUR DE SCHOPENHAUER

ÉDOUARD SANS
La notoriété de Schopenhauer a été tardive, et ne s'est réellement
affirmée qu'après sa mort. Mais, après le déclin de l'hégélianisme
et les désillusions de 1848-1849, il a exercé, dans la seconde
moitié du XIXe siècle, une influence considérable, à telle enseigne
que Thomas Mann a pu écrire (dans ses Considérations d'un
étranger à la politique) que la «constellation trinitaire» (das
Dreigestirn) composée de Schopenhauer, de Wagner et de
Nietzsche constitue le passage obligé de la pensée et de la culture à
la fin du siècle.
Cette influence s'est exercée en fonction des trois lectures possibles
de l'oeuvre du philosophe : la lecture pessimiste, qui ressortit
essentiellement au plan littéraire, du Zola de la Joie de vivre, en
passant par Huysmans et le drame wagnérien jusqu'à Thomas
Mann, Hermann Broch et Robert Musil; la lecture irrationaliste,
chez Julius Bahnsen, Eduard von Hartmann et même Bergson; enfin
la lecture tragique, des ontologies existentielles à la pensée absurde.
Slavica occitania, Toulouse, 9, 1999, pp. 33-54.
34 E.SANS
Léon Tolstoï n'a pas échappé à cette influence, et l'on peut retrouver
dans son oeuvre les trois lectures que nous venons de mentionner.
Mais le célèbre écrivain russe, que Thomas Mann n'hésite
pas à placer, précisément, entre Goethe et la constellation trinitaire,
ne pouvait, en raison de son tempérament, de ses origines, de son
environnement et de son évolution philosophique, morale et
religieuse, adhérer inconditionnellement aux prises de position
abruptes du « solitaire de Francfort ».
On pourrait rappeler tout d'abord une première parenté entre
Schopenhauer et Tolstoï: c'est - avec toutes les nuances nécessaires:
un certain cynisme chez le philosophe et une évidente mauvaise
conscience chez l'écrivain - le décalage, sinon la contradiction,
entre la vie et la doctrine, entre les théories et les idées qu'ils
défendent et leur comportement réel.
Il faut dire que, même si la vie intellectuelle de Tolstoï, qui s'ordonne
en paliers successifs entre des périodes créatrices et des moments
de doute, présente une certaine unité, l'écrivain demeure
malgré tout, au fond de lui-même, profondément divisé: «On
pourrait soutenir que Tolstoï a essayé, consciemment ou non, au
long de sa vie, de réconcilier en lui Proudhon et Joseph de Maistre.
La difficulté de faire se joindre en lui le progressisme de la fin du
XIXe siècle et le traditionalisme religieux d'un Joseph de Maistre a
été pour Tolstoï une source de conflits et de contradictions internes,
comme fut, pour sa conduite et sa vie intime, l'impossible réconciliation
du spirituel et du charnel]. » Tous ceux - et ils sont nombreux
- qui ont tracé le portrait de Tolstoï insistent sur cette
essentielle dualité, qui répond d'une part aux descriptions schopenhaueriennes
du vouloir-vivre et qui pourrait d'autre part illustrer la
négation de la Volonté. Tolstoï porte en lui, à travers une volonté
hésitante et sur fond de brusques variations, à la fois une ivresse de
l'existence, un formidable appétit de vivre et, avec l'horreur du
mal, puis l'amour des hommes, une sorte de répulsion face à la vie,
un refus passionné du réel, voyant partout l'immonde, source de
ses contradictions et de ses déchirements, et qui font de l'écrivain
« un homme écartelé entre toutes les contradictions de son être2 ».
1. Marie-Thérèse Bodart,Tolstoï, Paris, Ed. Universitaires, = Classiques du xxe siècle,
[1971], p. 58.
2. Jacques Madaule,Tolstoï, =Génies et réalités, p. 75.
LÉON TOLSTOÏ LECTEUR DE SCHOPENHAUER 35
Tolstoï a commencé à philosopher très tôt, mais le fait qu'il n'ait
reçu aucun enseignement systématique le porte à des engouements
soudains, à des « foucades» philosophiques, à des enthousiasmes
souvent fortuits. A seize ans, il se passionne pour Rousseau, puis
pour Pascal et Stendhal. Il apprécie le talent de Maupassant. Il lira
ensuite avec intérêt l' oeuvre de Hegel, puis, avec passion, celle de
Kant.
En ce qui concerne le rapprochement avec Schopenhauer, et
même si ce facteur n'est évidemment pas exclusif, l'un des traits
fondamentaux, c'est que chez l'un comme chez l'autre la préoccupation
majeure est d'ordre éthique. La sotériologie de Tolstoï
repose sur une base morale et religieuse, celle de Schopenhauer sur
une démarche essentiellement éthique - la contemplation esthétique,
l'état de «connaissance sans Volonté» (das willenlose
Erkennen) n'étant qu'une étape intermédiaire et insuffisante vers la
négation de la Volonté.
Nous pourrions appliquer aux deux personnalités cette phraseclé
que Schopenhauer écrit dans ses Parerga: «Croire que le
monde n'a qu'un sens physique et non moral, est l'erreur capitale,
la plus grande, la plus néfaste, véritable perversité de la pensée3 • »
De là vient ce que Thomas Mann appellera «la gigantesque balourdise
moralisante de Tolstoï4 ». Et si la filiation est moins évidente
qu'avec Schopenhauer - Tolstoï ne semblant avoir pris
contact avec la pensée du philosophe danois que vers 1890, à travers
la traduction de Ou bien... ou bien et des Etapes sur le chemin
de la vie -, on peut retrouver ici également les idées de Kierkegaard,
qui place l'homme devant l'alternative d'une vie esthétique,
sous le signe de l'immédiat et du sensuel, ou bien d'une vie
éthique, sous le signe du sentiment que tout homme possède de
l'éternel ; opposant le mal et le bien, le temporel et le spirituel,
Tolstoï poussera cette conception éthique de la vie dans le sens du
perfectionnement moral, démarche qui fera de lui « le treizième
apôtre »5. Il dépassera ainsi le « sécularisme » qui s'était développé
sous l' infuence occidentale tout en conservant un certain aspect
3. Parerga, vol. II chap. 8, § 109.
4. Article sur Dostoïevski, in Noblesse de l'Esprit, Paris, T.F. Albin Michel, 1960,
p.216.
5. Nicolas Weisbein, L'Evolution religieuse de Tolstoï; Paris, Librairie des Cinq
Continents, 1960, p. 457 sq.
36 E. SANS
religieux. Dans sa recherche passionnée du sens de la vie, Tolstoï
développe ce que Basile Zenkovsky a appelé un « panéthisme »6.
Il faut enfin tenir compte, lorsqu'on examine les rapports de
Tolstoï avec l'oeuvre de Schopenhauer, de l'évolution de sa pensée
et de la «crise », cette crise de conscience qui est à la fois
religieuse et artistique, qui s'est produite vers 1879, et que Tolstoï
a traduite dans' la Confession. Persuadé qu'il est le seul à
comprendre le sens véritable de l'Evangile, Tolstoï fait alors de la
prédication religieuse et morale le but de son action, soumettant à
une critique brutale et impitoyable l'Etat, les sciences, les arts, et
jusqu'aux dogmes de l'Eglise.
C'est au cours de l'année 1869, du mois de mai à la fin du mois
d'août, juste avant la fameuse nuit d'Arzamas, que Tolstoï fait une
lecture enthousiaste des oeuvres du philosophe, que son ami le
poète A.A. Fet, excellent traducteur, avait mises entre ses mains7 •
Le 10 mai, il parle à Fet de la Volonté schopenhauerienne, mais
c'est dans une lettre du 30 août que nous lisons les indications les
plus significatives: « Savez-vous ce que fut mon été? Un enthousiasme
ininterrompu pour Schopenhauer et une série de joies spirituelles
comme je n'en ai jamais éprouvé. J'ai écrit pour faire venir
toutes ses oeuvres et je les ai lues et je les lis (ainsi que celles de
Kant). Assurément, aucun étudiant n'a autant travaillé et appris en
un semestre que moi au cours de cet été. Je ne sais si je ne changerai
pas d'opinion un jour, mais aujourd'hui je suis persuadé que
Schopenhauer est le plus génial des hommes. Vous m'aviez dit
qu'il était "comme-ci, comme ça", qu'il avait écrit quelques petites
choses pas mal sur des questions philosophiques. "Comme-ci,
comme-ça" ? Mais c'est un reflet du monde d'une beauté et d'une
clarté incroyables ! J'ai commencé à le traduire. Et si vous vous y
mettiez aussi? Nous le publierions ensemble. En le lisant, je n'arrive
pas à comprendre comment son nom a pu rester ignoré. Je ne
vois qu'une explication, celle-là même qu'il répète souvent: à part
les idiots, il n'y a presque personne sur terre. Je vous attends avec
6. Histoire de la philosophie russe, Paris, Gallimard, 1953, t. I, p. 428.
7. Fait rapporté par l'éditeur Eduard Grisebach. Cf. aussi Arthur Sülzner, Schopenhauer-
Jahrbuch, 15,1928, p. 321.
LÉON TOLSTOï LECTEUR DE SCHOPENHAUER 37
impatience. Parfois le besoin insatisfait m'étouffe d'une âme soeur
comme la vôtre pour exprimer tout ce qui s'est accumulé en moi8 • »
C'est donc au moment où il termine Guerre et paix, avant de
réfléchir à un roman - qu'il n'écrira pas - sur Pierre le Grand,
puis d'entamer Anna Karénine, que Tolstoï lit Schopenhauer. A
quarante-et-un ans, dans le vide où l'achèvement de Guerre et paix
laisse son esprit, il est repris par ses préoccupations philosophiques
et se jette dans la lecture: avec celle de Kant, celle de Schopenhauer
est pour lui un enrichissement merveilleux. Il apprécie la
théorie de la Volonté, la vision de la vie comme souffrance, la nécessité
de la chasteté pour nier l'espèce, l'aspiration à une sérénité
orientale.
D'aucuns ont soutenu que l'influence de Schopenhauer a été décisive
pour la crise et l'évolution philosophique et religieuse de
l'écrivain9• Ce n'est pas impossible, mais il importe de nuancer ce
point de vue en observant, à travers les nombreuses notations que
nous trouvons en particulier dans le Journal et les Carnets ainsi
que dans la correspondance, les jugements successifs que Tolstoï
porte tant sur les idées esthétiques que sur la doctrine éthique du
philosophe, dont le portrait gravé est accroché au mur de son cabinet
de travail. Prenons-en quelques exemples, tirés de ses carnets,
de ses lettres et des écrits de son biographe Pavel Ivanovitch
Birioukov.
Le 15 septembre 1871, il écrit à Strakhov, critique littéraire et
philosophe, que la philosophie «purement cérébrale» est une
monstrueuse création de la pensée occidentale. En 1874, il lit le
Novum organum de Bacon et note en envisageant une introduction
à un ouvrage de philosophie de la religion qu'il n'écrira d'ailleurs
pas: « Il y a un langage de la philosophie, je ne le parlerai pas. Je
parlerai un langage simple. L'intérêt de la philosophie est commun
à tous et tout le monde en est juge. Le langage philosophique a été
inventé pour contrebattre les objections. Je ne crains pas les objections.
Je cherche. Je n'appartiens à aucun camp. Et je prie les lecteurs
de n'y pas appartenir. C'est la première condition de la philosophie.
Aux matérialistes je dois faire objection dans la préface. Ils
8. Lettre à Fat, inLettres 1 (1828-1879), Paris, Gallimard 1986, p. 236.
9. Cf. A. Sülzner, op. cit., et Richard Gebhard, « Schopenhauer und Tolstoj », Schopenhauer-
Jahrbuch, 1,1912.
38 E. SANS
disent qu'outre la vie terrestre il n'y a rien. Je dois faire objection,
car, s'il en était ainsi,je n'aurais pas sujet d'écrire. Ayant vécu près
de cinquante ans, je me suis convaincu que le vie terrestre ne donne
rien, et l'homme intelligent qui considérera la vie sérieusement, les
travaux, la crainte, les reproches, la lutte - pourquoi ? --pour
une folie, celui-là se fera aussitôt sauter la cervelle, et Hartmann et
Schopenhauer ont raison. Mais Schopenhauer a donné à sentir qu'il
Ya quelque chose à cause de quoi il ne se suicide pas. C'est justement
ce quelque chose qui est le but de mon livre. Qu'est-ce qui
nous fait vivre? - La religion ». - En 1879, dans sa correspondance
à Fet (lettre des 16-17 avril), il adopte un ton plus enjoué:
« Il y a à Vorobiovka un charmant vieux monsieur qui lit et médite
deux ou trois pages de Schopenhauer pour les restituer en russe,
fait une partie de billard, tire une bécasse, et, après être allé admirer
ses jeunes poulains, fume et boit du thé en compagnie de sa
femme ... ». Le 30 août 1879, il parle en termes élogieux de Pascal
et de Schopenhauer, en soulignant leurs ressemblances. Et, en décembre
1897, il note avec plaisir sa relecture de la Vie est un songe
de Calderon, qui était également l'une des oeuvres préférées de
Schopenhauer, et où figure la fameuse phrase: « Car le plus grand
crime de l'homme, c'est d'être né. »
Mais, surtout à partir de la fin des années 1880, les jugements
négatifs se font plus nombreux: le 28 (?) décembre 1880, il écrit à
Strakhov que « ces quatre racines lO, je n'arrive pas à comprendre,
et je crains que Schopenhauer non plus ne les ait pas comprises,
c'était un gamin à l'époque; devenu adulte, il n'a pas voulu se
renier ». En 1882, il attaque violemment, dans sa Confession, le
pessimisme de Schopenhauer, et il écrira le 22 février 1889 à
Edouard Rod : « [ ... ] le pessimisme, et en particulier celui de
Schopenhauer, m'a toujours paru non seulement un sophisme, mais
encore une sottise et une sottise de mauvais ton ». Le 16 octobre
1887, après une relecture de la Critique de la raison pure, il attaque
Schopenhauer critique de Kant11 dans une lettre à Strakhov où il
parle de «ce barbouilleur de talent qu'est Schopenhauer ». Le
20 mars 1890, il écrit: « Causé avec A.M. (Alexis Mitrofanovitch
Novikov). Il a raison de donner au stoïcisme la valeur d'une reli-
10. Tolstoï fait référence à la thèse de Schopenhauer.
1J. Cf. Critique de la philosophie kantienne, appendice au Monde comme Volonté et
représentation.
LÉON TOLSTOï LECTEUR DE SCHOPENHAUER 39
gion. Comme il est surprenant que les philosophes professionnels
ne s'aperçoivent pas qu'Epictète, Socrate, Confucius, Mencius,
Çakya-Mouni, c'est tout un, et que tous les Platon, les Aristote, les
Descartes, les Hegel, les Schopenhauer, c'est tout autre chose,
comme des peintres artistes et des peintres en bâtiment. Là c'est la
sagesse et la vie, ici c'est le vide de pensée et les mots. Les premiers,
c'est la même chose que le christianisme, en lui ôtant sa
fausse auréole, moins complet bien sûr et moins profond. Relever
la sagesse des sages et dégager de sa déification la sagesse du
Christ et les ramener à un foyer unique. » Le 19 décembre 1900, il
relève dans ses Carnets que les Parerga et Paralipomena de Schopenhauer
(dont trois éditions, deux en allemand et une en russe, figurent
dans sa bibliothèque) sont « beaucoup plus forts que son
exposé systématique ». Enfin, le 4 juillet 1908, il note avec satisfaction
dans son Journal la critique de la Volonté schopenhauerienne
par Vivekananda.
L'illustration la plus frappante de cette montée de l'esprit critique
est la position prise par Tolstoï à l'égard de l'art et particulièrement
de la musique.
Après sa crise, Tolstoï critique les institutions; il critique la métaphysique
; il critique également les exagérations de la science et
sa vanité dans la mesure où les sciences positives ne se soumettent
pas directement au principe éthique et où elles ne contribuent pas
au perfectionnement moral de l'homme12 • Mais ses attaques les
plus violentes sont dirigées contre la démarche artistique.
Dans les années où le « tolstoïsme » prend forme, l'écrivain
s'écarte expressément de l'art, qu'il subordonne à la morale, pour
en arriver à une condamnation formelle. Attitude paradoxale chez
un artiste aussi génial, mais il vivait là une contradiction tragique
qui opposait en lui le prophète et l'écrivain.
Dans le domaine proprement philosophique, il est possible de
relever les traces de l'influence schopenhauerienne sur la théorie de
la connaissance ainsi que sur les deux grandes notions que sont la
12. Cf. Lettre à Strakhov, 30-11-1875, et le Débat (1875) ainsi que le chapitre V de Ma
Confession.
40 E.SANS
liberté et la nécessité, avec une mention particulière pour la philosophie
de l'histoire.
Au chapitre XIX d'Adolescence, Tolstoï écrit: « Aucune école
philosophique ne m'attirait autant que le scepticisme qui, à un moment
donné, m'accula à un état voisin de la folie. Je m'imaginais
qu'en dehors de moi personne ni rien n'existait dans le monde, que
les objets n'étaient pas des objets, mais des images, qui ne tiraient
leur existence que de l'attention que je leur accordais, pour s'évanouir
dès que je cessais d'y penser. En un mot, je fus d'accord avec
Schelling pour prétendre que ce ne sont pas les objets qui existent,
mais notre rapport avec eux. » Il retrouvera cette position, en 1869,
dans l'affirmation qui constitue la toute première phrase de l'oeuvre
principale de Schopenhauer: « Le monde est ma représentation. »
Et, quelques trente-cinq ans plus tard, il reprendra - assorti cette
fois de l'inflexion religieuse - ce point de vue dans lequel apparaissent
les notions schopenhaueriennes d'unité et d'individuation
par l'objectivation de la Volonté, ainsi que le problème du corps,
que Schopenhauer appelle « le miracle par excellence 13 ».
Et, tout à fait logiquement, Tolstoï souligne le caractère idéal
des catégories d'espace et de temps, telles que - à la suite de Kant
qui parlait des « formes a priori de la sensibilité J4 » - Schopenhauer
le décrit au Livre premier du Monde comme Volonté et
représentation, en disant qu'elles sont, avec la causalité, constitutives
du principe de raison. Ainsi Tolstoï en arrive-t-il très tôt à la
conviction que l'individu est pure illusion. Nous sommes, dit-il,
accoutumés au caractère fallacieux de notre particularité, de notre
séparation du monde. Mais, quand on a percé le secret de cette
illusion, on s'étonne de ne pas voir que nous ne sommes que la
manifestation temporelle et spatiale de quelque chose de non temporel
et de non spatial. Basile Zenkovsky a très bien relevé ce trait
en parlant de « l'impersonnalisme » de Tolstoï'5.
Cette oscillation entre le pessimisme schopenhauerien et un optimisme
nuancé ressortit pour une bonne part au débat sur les notions
de liberté et de nécessité, qu'il s'agisse du caractère de la
13. Journaux et Carnets, 4-1-1903.
14. Tolstoï, Journal, 30-3-1902 et 10-04-1902.
15. Op. cit., p. 435 sq.
LÉON TOLSTOï LECTEUR DE SCHOPENHAUER 41
nature humaine proprement dite ou de phénomènes plus vastes
comme l'histoire elle-même.
Si la préoccupation majeure de Tolstoï est le perfectionnement
moral de l'homme, ce perfectionnement présuppose un postulat:
celui de la liberté. C'est ainsi que Tolstoï oppose, dans la connaissance
de l'homme, la Raison et la Conscience (soznanié). La première
débouche sur le déterminisme, la seconde nous révèle notre
liberté essentielle. Comme le dit l'écrivain dans son Epiloguel6 ,
« la raison exprime la loi de la nécessité, la conscience exprime
l'essence de la liberté », car elle se meut en un flux incessant qui
fait que l'homme est capable de libération intérieure: c'est le
« principe de fluence » (qui n'est pas sans parenté avec les « états
psychologiques» que Bergson décrit en 1889 dans les Données
immédiates de la conscience ainsi qu'avec le «stream of
consciousness » et « l'homme-fleuve» de William James, dont les
Principles of Psychology paraissent en 1890), qui donne au
romancier une indéniable supériorité sur l'historien, car celui-là
possède la faculté de se poser en contemporain de ce qu'il décrit, et
peut seul tenter la synthèse de la nécessité et de la liberté.
Dans ses considérations sur le caractère, Schopenhauer tient
pour acquise l'invariabilité du caractère empirique, déterminée par
l'individuation; et la finalité du destin de l'individu est à ses yeux
illusoire. Le caractère traduit la liberté du Vouloir et le déterminisme
du phénomène. Le caractère intelligible est libre, le caractère
empirique, lui, est invariable17 •
Mais Tolstoï essaie de dépasser cette théorie quelque peu réductrice,
en approfondissant la question de savoir comment il est possible
de concilier déterminisme et liberté dans le destin humain. Il
part de Kant, qui admettait dans sa Critique de la raison pure une
« causalité libre », et même, dans ses ouvrages ultérieurs, une
« volonté intelligible », opposée à la volonté sensorielle, qui ne dépendrait
pas de la loi de causalité et coexisterait avec la loi universelle
de la nécessité naturelle. Mais Tolstoï veut aller encore plus
loin: au-delà de Schopenhauer, qui croit à la liberté uniquement
16. Guerre et paix, 2e partie, chapitre X (<< Liberté et nécessité»).
17. Le Monde comme Volonté et représentation, Livre IV, § 55; et Parerga,
(<< Spéculation transcendantale sur l'apparente finalité dans Je destin de J'individu
»).
42 E.SANS
dans le monde antérieur à l'individuation, il veut réaliser la liberté
dès le monde sensoriel (Lettre à Fet, 10-5-1869). Dans la Critique
de la raison pratique, Kant accorde à l'homme la liberté morale:
l'homme responsable est libre. Cette idée, revue par Tolstoï, nous
porte à conclure que l'homme, enfermé pourtant dans ses limites
spatio-temporelles, dispose de cette part de liberté contenue dans
les « moments infiniment petits» qui arrêtent de manière fugitive
le mouvement incessant du flux de la conscience. Ainsi l'homme
est-il libre, aux yeux de Tolstoï, dans le domaine du bien et du mal.
Nicolas Weisbein18 a bien souligné la position simpliste de certains
commentateurs qui soutiennent qu'avant sa crise Tolstoï fut
exclusivement écrivain, et qu'ensuite il devint une sorte de patriarche,
voire un prophète, en tout cas un moraliste, vitupérant l'art
et prêchant la doctrine de la non-résistance, correspondant avec
Gandhi et Romain Rolland. En fait, dit Weisbein, on peut constater
une continuité dans son évolution, surtout à travers le Journal intime
: «L'oeuvre de Tolstoï est essentiellement une oeuvre d'Amour
et de Mort. Encore faut-il bien préciser cette expression, banale en
soi. Il n'est pas vain, en effet, d'affirmer que toute la production de
Tolstoï est dominée par le problème de la Mort d'abord, de
l'Amour ensuite. »
Effectivement, durant toute son existence et tout au long de son
évolution philosophique et religieuse, Tolstoï s'est interrogé sur le
sens de la vie. Cette réflexion, qui touche le problème philosophique
fondamental, s'est ordonnée autour des deux thèmes mis en
relief par Weisbein : la mort (Thanatos) d'une part, l'amour d'autre
part, ce dernier se trouvant composé d'un élément que Tolstoï finira
par considérer comme négatif, l'Eros (amor) et d'un élément
positif, porteur des plus hautes valeurs morales, l'Agapè (caritas).
L'enfance de l'écrivain fut marquée d'emblée par la mort: il
avait deux ans au décès de sa mère, neuf à celui de son père. Élevé
(comme Nietzsche) par des femmes, il évoque dans Enfance « le
lumineux sourire » de sa mère, la douleur à la mort de son père et
le désespoir qui s'ensuivit. Ce fut « la première rencontre de l'enfant
avec le spectre d'effroi, qu'une partie de sa vie devait être
18. Op. cif., et son article « Les problèmes essentiels. La Mort et l'Amour », dans la revue
Europe, n° 379-380, 1960, p. 200 sqq.
LOON TOLSTOI LECTEUR DE SCHOPENHAUER 43
consacrée à combattre, et l'autre à célébrer, en le transfigurant '9 ».
On retrouve J'acuité des notations dans la nouvelle Une tourmente
de neige (1856), et on relève la hantise de la mort et l'effroi que
causa à Tolstoï l'agonie et la disparition de son frère Nicolas à
Hyères (1860), dont l'écho se fait douloureusement sentir dans Je
chapitre d'Anna Karénine consacré à la mort du frère de Lévine (la
mort constitue en fait le filigrane de tout le roman). Puis c'est le
31 aoOt 1869, en plein dans la lecture de Schopenhauer, cette
étrange nuit d'Arzamas où l'écrivain est littéralement saisi par la
pensée de la mort implacable, par l'angoisse panique qui lui donne
la double révélation de la vanité des choses humaines et du mystère
de la mort, révélation qui sera accompagnée de cette angoisse qui
désormais ne cessera de croitre dans la question lancinante: quel
sens a donc la vie, et la mort?, et qu'il exprimera en 1884 dans les
Notes d'un fou. Et nous trouvons, au fil des oeuvres, des descriptions
où apparaissent tous les contrastes; si les funérailles du
prince (( ce corps pourri, plein de vers») ne sont intéressantes pour
personne, en revanche la mort du cheval est toute naturelle; c'est
« l'allègement du fardeau de la vie »20. On revoit ces descriptions el
ces préoccupations dans le sort de la plante mutilée d' Hadji Mourar
(1896-1904) et, évidemment, dans les grandes créations que sont la
Mort d'Ivan llitch (1885) et les nombreux récits (comme Maître et
valet ou Trois morts) qui tournent autour du thème, auquel Tolstoï
essaiera de donner une réponse définitive en 1887 dans son essai
sur la Vie et la Mort.
Car, au bout du compte, la mort ne donne-t-elle pas la vie? TI
faut donc « nihiliser », nier la mort à travers cette évacuation du
tragique qui scandalisera Chestov, et dans laquelle la mort est
réduite à une illusion: venu de Tout, l'homme. une fois acquise la
sagesse de l'acquiescement, retourne au Toul. Ne sommes-nous pas
ici, une fois encore, dans les considéralions que Schopenhauer
développe dans le Quatrième Livre du Monde comme Volonté et
représentation (§ 54) et les passages des Parerga (II, chap. 10, §
140) qui s'y rattachent? Le philosophe rappelle que, si l'individu
peut mourir, l'existence supérieure demeure intangible, parce
qu'elle ressortit à la Volonté avant son objectivation et que, par
conséquent, elle se situe au-delà de l'espace et du lemps. Mais,
19. Romain Rolland. Vie de TolslOl: Paris, Hacheue. 1911, p. 7 sq.
20. KholslOmier (1865, reprise 1886).
44 E.SANS
comme tout ce qui pour nous est réel ne l'est qu'à travers ces catégories,
la mort de l'individu nous semble un anéantissement. Car
elle est seulement la perte de l'intellect, facteur qui relève de la
pure représentation, alors que la Volonté constitue le facteur permanent
et éternel. «La perte de l'intellect que la Volonté subit à
travers la mort - la Volonté est la substance dont le phénomène
disparaît ici et en tant que chose en soi elle est indestructible - est
le léthé précisément de cette Volonté individuelle, sans lequel elle
se souviendrait des nombreux phénomènes dont elle a déjà été la
substance» : la mort individuelle est une illusion. La disparition du
sujet, que nous considérons communément comme un scandale, est
un « non-événement» : penser la mort, c'est donc restaurer l'immédiateté
qui retend l'arc de la vie. La mort est une simplification.
Et dans ce que Georges Nivat a appelé les «trois morts» de
Tolstoi"21 nous assistons presque toujours au phénomène constant de
la compensation du mort par du vivant. L'impersonnalisme de
Tolstoï, nourri de la pensée schopenhauerienne, l'empêche de
croire à l'immortalité individuelle de chaque âme: l'individualité,
et elle seule, périt à tout jamais avec la mort physique. Abordant le
problème des fins dernières de l'homme dans ce journal d'un mourant
qu'est la Mort d'Ivan Ilitch, Tolstoï met dans la bouche de son
personnage agonisant les mots suivants: « Mais la mort? Où estelle?
Quelle mort? Il n'y avait plus d'effroi parce qu'il n'y avait
plus de mort. Au lieu de la mort, il y avait la lumière [... ] La mort
est finie, se dit-il à lui-même. Il n'y a plus de mort. »En août 1887,
au moment où il termine son essai sur la Vie et la Mort, Tolstoï
reprendra les paroles mêmes d'Ivan Ilitch mourant et supprimera la
deuxième partie du titre pour ne conserver que la première, De la
Vie. Et, le 10 avril 1902, il notera dans ses Carnets: « Dès que
l'homme (ou n'importe quel être) a pris conscience de ce qu'a
d'inéluctable l'anéantissement de la forme de vie dans laquelle il se
trouve, il doit inévitablement être amené à la conscience de l' indestructibilité
de l'essence de la vie. »
Ainsi, pensant à une nouvelle naissance (il interprète les paroles
du Christ: « Il vous faut naître une seconde fois»), Tolstoï en vient
à la conviction que c'est l'amour qui assure l'éternité de la vie. «Il
me suffit de savoir que tout ce qui me fait vivre se compose de la
21. «La Mort chez Tolstoï: illusion ou bien "dernier ennemi" », in Cahiers Léon-Tolstoï
1986, p. 14.
LÉON TOLSTOï LECTEUR DE SCHOPENHAUER 45
vie de tous les hommes qui ont vécu avant moi et qui sont morts
depuis longtemps, et pourtant que l'homme qui accomplit la loi de
sa vie en soumettant son individualité animale à la raison et en manifestant
la force de son amour, a vécu et vit dans les autres
hommes après la cessation de son existence charnelle, - il me
suffit de savoir cela, dis-je, pour que l'absurde et terrible préjugé
de la mort cesse pour toujours de me tourmenter [... ]. En examinant
les hommes qui laissent après eux une force qui continue
d'agir, nous pouvons observer pourquoi ces hommes, en soumettant
leur individualité à la raison et en se vouant à une vie de charité,
n'ont jamais pu douter et n'ont jamais douté de l'impossibilité
de la destruction de la vie22. »
Nous voici dans l'agapè, qui sera sans nul doute le dernier mot
de Tolstoï et le fondement même du tolstoïsme. Mais auparavant, il
nous reste à parler de l'étape de l' eros.
L'oeuvre de Tolstoï a donc été tout à la fois une oeuvre de mort
et une oeuvre d'amour. A son habitude, l'écrivain aborde le problème
de manière personnelle, intransigeante, absolue: cette vie
qui aboutit à la mort, dit-il, n'est valable que par l'amour. tout en
constatant cette vérité première, il pose aussitôt la question fondamentale
: quel est cet amour qui fait vivre les hommes ?
Après avoir, dans ses leçons philosophiques de 1820, souligné
que l'affirmation de la Volonté est d'abord affirmation du corps,
avec, d'une manière générale, deux conséquences égoïstes:
l'amour sexuel et l'égoïsme moral, Schopenhauer expose sa théorie
au chapitre 22 (Vie de l'espèce) et surtout dans le célèbre chapitre
44 du second volume du Monde comme Volonté et représentation,
intitulé Métaphysique de l'amour sexuel.
A tous les degrés d'objectivation de la Volonté, dit le philosophe,
le but premier de la nature est de perpétuer les espèces. La
finalité de l'amour, de toute cette conquête, cette mimique, cette
recherche, cette comédie qui gouvernent le monde, est de composer,
en un perpétuel recommencement, la génération suivante. Et si
Schopenhauer décrit avec un remarquable talent les affres du mal
d'aimer, c'est pour rappeler que la douleur d'amour ne saurait être
le propre de l'individu éphémère, mais qu'elle est « le soupir de
22. De la Vie, chap. XXXI.
46 E.SANS
l'espèce» et que les organes sexuels sont le « foyer de la Volonté»
(der Brennpunkt des Willens). L'amour n'est donc qu'un piège
tendu par le Vouloir-vivre. Car, comme le dira un siècle plus tard
Rémy de Gourmont dans sa Physique de l'amour, « le but de la vie,
c'est tout simplement le maintien de la vie ».
Tolstoï a certainement lu ces chapitres de Schopenhauer avec
beaucoup d'intérêt, car il n'a pas laissé de souligner le caractère dégradant
de l'amour. Merejkovski disait que, si Dostoïevski est « le
voyant des mystères de l'esprit », Tolstoï, lui, est « le voyant des
mystères de la chair». Personne en effet n'a su illustrer mieux que
lui, en tant qu'écrivain, la théorie philosophique de Schopenhauer,
en décrivant avec une absolue maîtrise artistique les avatars de
l'amour et les turpitudes sexuelles, depuis le sentiment enfantin de
Nicolas pour Sophie Valakhine dans Enfance et Adolescence, jusqu'au
réveil des sens dans le Père Serge, en passant par les bacchanales
des Cosaques et du Diable, l'amour sensuel de Pierre Bezoukhov
pour Hélène Kouraguine, l'amour poétique de Natacha Rostov
pour le prince André Bolkonski, l'amour idyllique de Lévine
pour Kitty ou la passion douloureuse et fatale d'Anna Karénine,
décrite précisément au moment où Tolstoï lisait avec avidité et enthousiasme
l'oeuvre de Schopenhauer. Et cette extraordinaire Sonate
à Kreutzer de 1889 n'est-elle pas une description du gouffre
de l'animalité, quand l' écrivain délaisse les portraits de Marianna,
de Natacha, de Kitty, filles en fleurs faites pour la joie de vivre
dans l'amour et la maternité? C'était le moment où - dissension
capitale dans la doctrine - Tolstoï opposait à l'Eglise son attitude
intransigeante et hautaine de « chrétien intégral », et où il poussait
sa haine de la chair jusqu'à l'abhorrer même dans le mariage,
s'exclamant avec sa brutalité coutumière (alors qu'il venait de faire
à sa femme son treizième enfant !) : «Pourquoi, s'il y a affinité
d'âmes, faut-il coucher ensemble? »
L'amour comme passion permanente, funeste et irrésistible,
celle qui crée la lourde atmosphère passionnelle de l'Idiot et des
Frères Karamazov ou l'extrême tension qui règne dans la Messe
des morts de Przybyszewski, cette passion destructrice est ici le
thème essentiel: celui du sentiment dégradant et délétère, associé à
la musique, diabolique et sensuelle, qui vient conforter et exacerber
les appels de la chair. «L'amour, dira Céline, c'est l'infini à la
portée des caniches »...
LÉON TOLSTOï LECTEUR DE SCHOPENHAUER 47
Il n'est donc pas surprenant que la femme reçoive dans l'oeuvre
de Tolstoï des traits négatifs23 , avec ces trois types que sont la
« femme-fourneau », mère aimante et épouse fidèle, la « femmebrasero
», fortement sexuée, coquette et cocotte, et la « femmefumeron
», qui se situe à mi-chemin entre les deux premières.
Ainsi, qu'elle soit reine, putain ou mère, soeur, nourrice esclave, la
femme fortifie et entrave à la fois la nostalgie de Dieu ; elle est
l'instrument par excellence du piège tendu par le Vouloir-vivre.
L'instinct sexuel, dit Schopenhauer, se manifeste pour l'homme
dans la virilité, c'est-à-dire dans l'aptitude à la reproduction; il apparaît
chez la femme sous les formes physiques désirables, la santé,
la jeunesse et la beauté24• Mais Tolstoï rappellera dans le même
temps, non sans parenté avec Maupassant, son dégoût du corps
féminin, associé, dans une page de Résurection, à la peur de mourir
et de pourrir.
Ainsi, élevé dans la société de femmes aimantes mais dépourvues
d'autorité, Tolstoï a pu commencer, dans son rêve de mariage
avec la terre, par décrire la fraîcheur et la simplicité des jeunes paysannes
; il a pu rappeler ces figures de femmes témoins des sacrements
de vie et de mort. Mais il ne tardera pas à fustiger, avec de
plus en plus de violence, la mesquinerie de la femme. Ce sentiment
d'animosité toujours latent se trouve conforté en 1873 par la lecture
de deux ouvrages (L'homme-femme et la Femme de Claude), où
Alexandre Dumas fils donne une image particulièrement négative
de l'Éternel féminin.
De là vient ce que Marie Sémon a appelé la « désublimation du
couple ». Dans la nouvelle phase de sa pensée où se trouve l'écrivain
depuis la crise religieuse survenue après Anna Karénine, obsédé
par la quête de la foi, il va jusqu'à renier le mariage et à prôner
la chasteté absolue - moyen essentiel de rompre la chaîne
infernale du Vouloir-vivre -, la lutte sans merci contre l'univers
sensuel illustrée par la mutilation du père Serge. Ainsi, à travers les
couples antithétiques qui peuplent son oeuvre, Tolstoï pratique un
incessant va-et-vient entre la sublimation de l'amour et une profanatrice
désublimation.
23. Cf. Marie Sémon, Les Femmes dans l'oeuvre de Tolstoï; Paris, Institut d'Etudes
Slaves, 1984.
24. Journal, 11-06-1899, et Postface de la Sonate à Kreutzer.
48 E. SANS
Car, aux yeux de Tolstoï, l'amour véritable ne se situe pas à ce
niveau. Il est, pour reprendre le vocabulaire pascalien, d'un autre
ordre. Il ne saurait s'épanouir que dans l'agapè, lorsque la vie,
spiritualisée à la fois par le sentiment et par la raison, parvient à se
transcender elle-même. L'amour sensuel n'est que l'un des deux
termes, le plus vil, le plus méprisable, de l'amour. Schopenhauer ne
nie pas le caractère positif de l'amour, mais il le situe dans l'agapè.
C'est bien cette notion que va reprendre Tolstoï.
Schopenhauer a bien défini en effet, à la suite de Platon, ces
deux composantes, en particulier au § 547 des Neue Paralipomena,
où il relève l'ambivalence du terme Liebe, qui caractérise à la fois
l'amor, manifestation de la Volonté de l'espèce dans la poursuite
de ses buts égoïstes, et la caritas, fondée sur la pitié et la reconnaissance
de l'unité métaphysique des êtres. Et, au § 67 du Livre
IV du Monde comme Volonté et représentation, il écrit cette phrase
capitale: « Tout amour véritable et pur est pitié, et tout amour qui
n'est point pitié est égoÏsme25• »
La compassion est en effet, aux yeux de Schopenhauer, le
« phénomène éthique fondemental ». La supériorité de l'homme
sur les autres êtres, dit-il, c'est sa capacité de souffrance
consciente. Dans un monde où domine l'égoïsme, la pitié représente
ce « lutteur de force égale» qui permet de le vaincre et de
reconnaître l'unité des êtres, le tat twam asi (<< Tu es cela ») de la
philosophie indienne. Ce ressort essentiel a été condamné, pour des
raisons diverses, par Platon, par Spinoza, par Kant qui le considérait
comme sans valeur, et le sera par Nietzsche qui y verra une
forme plus subtile de l'amour de soi; mais Aristote en avait fait
l'un des moments principaux de l'action tragique. Le principe fondamental
de toute morale authentique, dit Schopenhauer, se résume
dans cette formule: « Nerninem laede ; imo omnes, quantum potes,
juva. » Car il s'agit de combattre avant tout l'égoïsme qui, lui, nous
dit : «Neminem juva ; imo omnes, si forte conducit, laede » et
même: « Imo omnes, quantum potes, laede. » - L'égoïsme étant
le « ressort anti-moral » le plus redoutable, l'absence de toute motivation
égoïste est, par conséquent, le critère de la moralité d'une
action. Et le philosophe rappelle la justification métaphysique de
l'unité des êtres au chapitre II du Fondement de la morale (§§ 21 et
25. Cf. Lettre à Fet, 28/29-04-1876.
LÉON TOLSTOÏ LECTEUR DE SCHOPENHAUER 49
22) intitulé Explication métaphysique du phénomène éthique fondamental:
l'individuation n'est qu'un simple phénomène, né de
l'espace et du temps; la multiplicité des individus est elle aussi
subjective, c'est-à-dire présente uniquement dans ma représentation.
«Le christianisme dit : aime ton prochain comme toi-même.
Moi, j'ai dit : reconnais-toi réellement toi-même dans ton prochain,
et reconnais la même chose dans tout le reste» (Neue Paralipomena.,
§ 232).
De ce principe découlent deux vertus, l'une négativement: la
justice, car la compassion me retient de faire du mal à autrui;
l'autre positivement, la plus belle, qui est l'amour du prochain, car
la compassion me pousse à faire le bien pour autrui : nous voici
dans le domaine de la charité.
Il est évident que Tolstoï ne pouvait qu'être sensible à cette morale
de l'affectivité, qu'il a développée de plus en plus amplement
au cours de son évolution religieuse après la crise, mais, s'il a largement
assimilé les vues schopenhaueriennes, il n'en a pas moins
suivi sa propre route. Essayons de retracer ce cheminement.
Schopenhauer développe assez longuement le thème de la charité
(Fondement de la morale, § 18), mais il l'envisage essentiellement
sur le plan théorique, car à ses yeux le véritable sage est celui
qui nie le Volonté, et donc toute action positive. La charité est pour
lui une notion philosophique qui fait partie intégrante de son système.
En aucun endroit de son oeuvre, Schopenhauer n'a fait, de
manière expresse, l'éloge du comportement altruiste, dynamique et
actif, empirique et concret. Sa morale, qui est finalement une morale
de quiétude personnelle, est dans son essence plus proche de
l'idéal bouddhique que de l'idéal chrétien, et - de même que son
esthétique est une esthétique de la contemplation et non de la création
-, son éthique est intrinsèquement passive. Tolstoï, lui, est
mû par le sentiment de la solidarité humaine et chrétienne. Mais il
inclut ce sentiment dans une religion qui lui est propre. Voyons
comment.
Aimer, dit-il, c'est faire le bien: application tolstoïenne de
l'amour évangélique qui, après la crise de conscience, portera
l'écrivain à la solution définitive; à l'amour charnel, impur, il opposera
un amour généreux caractérisé par le don de soi. Tolstoï
pose littérairement dans le Père Serge et philosophiquement dans la
50 E.SANS
Postface de la Sonate à Kreutzer le problème de la pureté.
L'amour-Eros est source d'impureté et de souffrance. Il importe de
lui opposer - de lui substituer - l'amour surnaturel, c'est-à-dire
l'amour du prochain, amour qui est le sens de la fraternité humaine,
l'amour évangélique de l'homme dans ce qu'il a de spirituel et de
divin, cet amour qui vainc les passions, la souffrance et la mort
même. Cette transmutation de l'amour se traduit, à partir de la sensualité
de jeunesse et jusqu'à la pureté du père Serge, par une tendance
croissante à la spiritualisation.
La charité chrétienne qui, dira Patrick Grainville26, «balance
dans une définition de vertige entre l'amour de Dieu et l'amour du
prochain », est une vertu surnaturelle par laquelle nous aimons
Dieu pour lui-même et par-dessus toutes choses, à cause de sa
bonté infinie, et le prochain comme nous-mêmes pour Dieu.
Mais, afin d'apporter à ces notions les nuances nécessaires, il
faut rappeler l'évolution des conceptions religieuses de Tolstoï27•
Le dénouement d'Anna Karénine ainsi que l'épigraphe choisie
par l'écrivain (<< Je me suis réservé la vengeance et c'est moi qui
punirai »)28 et aussi les interrogations de Lévine trahissent déjà le
drame intérieur de l'écrivain, son angoisse religieuse et sa conviction
que « c'est la foi qui fait vivre les hommes ». Voici sans doute
le point essentiel qui sépare Tolstoï de Schopenhauer, délibérément
athée ou au moins agnostique: la foi oblige l'homme au bien.
De là viennent les attaques de Tolstoï contre la philosophie
rationaliste purement intellectuelle, qui est «une monstrueuse
création de l'Occident », et « ni Platon, ni Schopenhauer, ni les
penseurs russes n'ont pu concevoir une telle philosophie », écrit-il
à son ami Strakhov en 1872. Dieu est Amour. Il est Vie et Amour.
Sans doute Tolstoï demeure-t-il sensible aux arguments de Kant et
de Schopenhauer démontrant l'impossibilité qu'il y a à prouver raisonnablement
l'existence de Dieu. Mais le plus souvent il les réfute:
Dieu est ce sans quoi on ne peut vivre. Connaître Dieu, c'est
vivre. Il faut donc vivre dans la quête de Dieu, et il n'y a alors plus
de vie possible sans Dieu.
26. «Vertus et péchés », in Le Monde, 7-08-1999.
27. Cf. l'excellente thèse de N. Weisbein, op. cil.
28. Saint Paul (Epître aux Romains, XII, 19), que Tolstoï avait lu chez Schopenhauer.
LÉON TOLSTOÏ LECTEUR DE SCHOPENHAUER 51
Mais Tolstoï (en particulier lorsqu'en 1880, au lendemain de sa
crise de conscience, il commence à travailler à sa Réunion, traduction
et examen des quatre Evangiles, dont des extraits seront publiés
en 1890 sous le titre Abrégé de l'Evangile) prend soin d'éviter
à la fois le point de vue théologique et le point de vue historique :
le christianisme n'est pour lui ni une pure révélation, ni une simple
manifestation historique, mais la seule doctrine qui donne un sens à
la vie. Tolstoï en arrive donc à une sorte d'Evangile « matérialiste
», c'est-à-dire « ne cherchant que l'intégralité de la pure doctrine
chrétienne, en faisant volontairement abstraction de tout ce
qui dépassait sa raison29 ». Et, dès le 4 mars 1855, il écrivait dans
son Journal ces lignes capitales: « Une discussion sur la Divinité
et la foi m'a amené à une grande idée, à la réalisation de laquelle je
me sens capable de consacrer toute ma vie. Cette idée, c'est la fondation
d'une nouvelle religion, correspondant au niveau de développement
de l'humanité, la religion du Christ, mais purifiée du
dogme et des mystères, une religion pratique ne promettant pas le
bonheur de la vie future, mais le donnant sur cette terre. » Largement
inspirée de Rousseau, cette religion pratique, sorte de christianisme
panthéiste et anarchiste dénué de tout mysticisme, est une
vaste utopie sociale fondée sur les principes de la participation de
tous aux travaux nécessaires à la vie et à la lutte contre les injustices
sociales et de la non-résistance au mal par la violence. Tolstoï
rejette l'idée d'un Dieu personnel- et a fortiori celle de la Trinité
- et rappelle que « la doctrine de Jésus doit être crue non
parce qu'elle est de Jésus, mais parce qu'elle est la vraie30 ». Il se
situe donc carrément en dehors de l'Eglise (ce qui lui vaudra son
excommunication). La partie négative de la doctrine, qui apparaît
dans le Sermon sur la montagne, est compensée par une partie
positive qui se résume en ce seul commandement: Aime Dieu et
ton prochain comme toi-même.
Ainsi, à Schopenhauer qui souligne que la perception est illusoire
(le voile de Maya) et que le mal, produit d'une Volonté absurde,
est l'existence même, car la vie est, « par essence », douleur,
29. N. Weisbein, Introduction à l'abrégé de l'Evangile, Thèse complémentaire en vue
du doctorat ès-lettres, Klincksieck, 1969, p. VII sqq.
30. Ma religion, chap.IX. - Schopenhauer, qui s'insurge essentiellement contre le
théisme, reconnaît une incontestable valeur à la morale chrétienne, qu'il juge supérieure
à la morale hellénique (Fondement de la morale, § 19), et apprécie la figure
du Christ en raison de sa suprême qualité morale.
52 E. SANS
Tolstoï oppose la réalité vivante de la connaissance de Dieu en
l'amour, qui est sa preuve authentique. En fait, il assimile le
concept schopenhauerien pour en réaliser la vérité tangible dans
l'action vivante.
Et c'est de cette manière que la question du sens de la vie trouve
une réponse. C'est dans sa Confession, en 1879, que Tolstoï expose
le plus clairement, à l'heure où il découvre ce que devient sa foi,
son raisonnement sur les quatre issues au problème existentiel.
Cette réponse, en effet, est quadruple. Elle est donnée par Socrate,
par Schopenhauer, par Salomon et par Bouddha. Mais elle ne satisfait
pas Tolstoï.
Socrate soutient que nous n'approchons de la vérité que dans la
mesure où nous nous éloignons de la vie, en nous libérant du corps.
La vie du corps est un leurre et la source de tout mal. Sa destruction
est le seul bien que nous devions désirer: « Le sage cherche sa
mort toute la vie et c'est pourquoi il ne craint pas la mort. »
Pour Schopenhauer, l'homme, produit de l'individuation à travers
l'objectivation de la Volonté, n'est en fait que volition, et la
destruction de cette volition ne laisse que le néant. Mais, à l'inverse,
pour celui qui sait nier cette Volonté, c'est notre monde
« réel » qui est le néant.
Salomon considère que tout est vain: «Vanitas vanitatum et
omnia vanitas » (Ecclésiaste, chap. IX, 2-6), la sagesse comme la
sottise, la richesse et la pauvreté, la joie et la douleur. L'homme
mourra et de lui il ne restera rien. Et tout cela est inepte.
Bouddha apprend à connaître l'inéluctable loi de la mort dans
l'aventure du prince Çakya-Mouni qui trouve un cadavre sur son
chemin et s'épouvante de proche en proche: vivre avec le sentiment
du caractère inéluctable de la faiblesse, de la souffrance, du
vieillissement et de la mort est impossible. Il faut se libérer de la
VIe.
Ainsi, aux yeux de Tolstoï, la connaissance humaine des sages
n'apporte pas de réponse satisfaisante. Après avoir constaté la
faillite de la connaissance scientifique, il enregistre celle de la
connaissance spéculative. ll est donc conduit à prendre en considération
la vie elle-même, à partir des réponses des sages, qui sont
l'indifférence, un certain épicurisme, le suicide et la résignation. Or
si la connaissance rationnelle réfute le sens de la vie, l'humanité
LÉON TOLSTOÏ LECTEUR DE SCHOPENHAUER 53
dans son ensemble acquiesce à la vie et admet ce sens à travers sa
connaissance irrationnelle, qui est la foi Mais la foi de Tolstoï n'est
pas celle qui se fonde sur la croyance à la personne divine ou à la
Création. « La foi est la force vive de la vie. » Et Tolstoï, abandonnant
savants et théologiens, se tourne vers les pauvres, les humbles
et les ignorants, c'est-à-dire les simples. Car ce sont eux qui possèdent
la foi véritable.
Ainsi se trouve élaborée la doctrine de l'amour universel et de la
non-violence, qui rapproche Tolstoï de la philosophie orientale et
particulièrement de Gandhi, lequel se considérait comme un de ses
disciples.
L'influence de l'oeuvre de Schopenhauer sur Tolstoï est incontestable.
Nous avons essayé d'en suivre le cheminement, en relevant
à la fois leurs ressemblances et leur différence. Nous pourrions
en conclusion redire l'ambiguïté de l'oeuvre de Tolstoï et
rappeler combien il est difficile de fonder une morale.
On a pu dire31 que Tolstoï a été « à la fois le Rousseau et le Luther
de la Russie ». Mais son orgueil, son action velléitaire ? Relevant
ses jugements négatifs sur Shakespeare ou sur Tourgueniev,
André Suarès écrit: « L'Evangile à la main, Tolstoï déteste la supériorité.
Il faut que tout rival lui cède. Il a parlé d'Ibsen et de Wagner
en termes outrageants. Wagner ignorait sans doute jusqu'au
nom de Tolstoï. Quant à Ibsen, s'il l'a connu, il était trop intelligent
pour en rien dire. La grande politique d'Ibsen a toujours été de se
taire [... ]. Si jamais pourtant il y eut un poète puissant en morale,
et terrible en pureté, c'est bien lui. Tolstoï, bien plus impur, est
bien plus vivant. Mais il a toujours un moujik dans sa poche pour
se donner saintement raison32. »
Il n'est pas impossible que la pensée de Tolstoï ait été trahie, ou
du moins déformée et exagérée par les tolstoïens. Il n'en reste pas
moins qu'il est bien malaisé d'instituer une morale. C'est ce que
Schopenhauer et Tolstoï ont voulu faire, chacun à sa façon. Encore
eût-il fallu que les actes fussent à la hauteur des intentions. On sait
ce qu'il en est de Schopenhauer. Pour ce qui est de Tolstoï, irons-
31. Sophie Laffitte, Texte d'introduction à l'exposition organisée pour le cinquantenaire
de la mort de Tolstoï, Bibliothèque nationale, Paris, 1960, p. XI.
32. André Suarès, Trois grands vivants: Cervantes, Tolstoï; Baudelaire, Paris, Grasset,
1938, p. 224.
54 E.SANS
nous jusqu'à accepter cette formule cruelle d'Aimée Alexandre:
« Tolstoï ne savait pas aimer33 » ... ? Mais du moins le grand Russe
n'a-t-il jamais laissé de souffrir de sa situation. « Le sublime de cet
homme est dans l'immensité de son tourment34• » Il aurait pu, sans
nul doute, être un véritable disciple de Schopenhauer. Mais il y
avait Rousseau, il y avait l'âme russe, et il y avait surtout Léon
Tolstoï. Si l'apôtre de Iasnaïa Poliana ne savait pas aimer, Schopenhauer,
lui, ne voulait pas aimer. La grande différence entre
Tolstoï et Schopenhauer, c'est que ce dernier n'a jamais eu d'états
d'âme.
33. Le mythe de Tolstoï: Essai de biographie psychologique, Paris, Jupiter, 1960, p. 76.
34. François Porché, Portrait psychologique de Tolstoï; Paris, Flammarion, 1935,
p. 155. Cf. aussi l'article de Maurice Schumann, «Tolstoï et notre angoisse », Colloque
Tolstoï aujourd'hui, 10-13 octobre 1978, Paris, Bibliothèque russe de l'Institut
d'études slaves, t. LVII, 1980, p. 19-24.
 
https://ferrusca.files.wordpress.com/2014/07/123.pdf