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17 déc. 2019



Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'œil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux…

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

 
(Le bateau ivre, Arthur Rimbaud)

9 déc. 2019



Histoire du Genre humain

Giacomo Leopardi 

On raconte que tous les hommes qui au commencement peuplèrent la terre, furent créés partout en même temps, et tous enfants, et furent nourris par les abeilles, les chèvres et les colombes, comme Jupiter enfant dans les fables des poètes. La terre était beaucoup plus petite qu’elle ne l’est aujourd’hui, presque tous les pays étaient plats, le ciel sans étoiles. La mer n’avait pas été créée, et il apparaissait dans le monde beaucoup moins de variété et de magnificence qu’on n’y en découvre aujourd’hui. Mais néanmoins les hommes se complaisaient, sans que la satiété leur vint, à regarder et à considérer le ciel et la terre, s’émerveillant outre mesure et estimant ces deux choses fort belles et non seulement vastes, mais infinies en grandeur comme en majesté et en grâce. Ils se nourrissaient en outre de joyeuses espérances, retiraient d’incroyables plaisirs de chacun des sentiments de leur vie, grandissaient dans le contentement, et se croyaient presque possesseurs de la félicité. Ainsi se passèrent fort doucement leur enfance et leur première adolescence. Arrivés à un âge plus mûr, ils commencèrent à éprouver quelque changement. Comme les espérances, que jusqu’alors ils avaient remises de jour en jour, ne se réalisaient point, il leur parut qu’elles méritaient peu de foi. Se contenter des jouissances présentes, sans se promettre aucun accroissement de bonheur, leur paraissait impossible, surtout parce que l’aspect des choses de la nature et chaque partie de la vie journalière, soit habitude, soit que leur âme eût perdu sa vivacité première, ne leur donnaient plus, à beaucoup près, autant d’agrément qu’à l’origine. Ils allaient par la terre, visitant les contrées les plus lointaines, ce qu’ils pouvaient faire sans difficulté puisque ce n’étaient que des plaines, sans mers et sans obstacles. Au bout de quelques années, la plupart d’entre eux s’aperçurent que la terre avait des limites certaines qui n’étaient même pas assez éloignées pour qu’on ne pût les atteindre, et que tous les endroits de cette terre, ainsi que tous les hommes, sauf de très légères différences, étaient semblables les uns aux autres. Ces choses accrurent leur mécontentement de telle sorte qu’avant même d’être sortis de la jeunesse un dégoût marqué de leur existence les avait universellement saisis. Et peu à peu, dans l’âge viril, et surtout au déclin des ans, la satiété se changeant en haine, quelques-uns en vinrent à un tel désespoir que, ne supportant plus la lumière et la vie qu’ils avaient d’abord tant aimées, spontanément, l’un d’une façon, l’autre d’une autre, ils s’en délivrèrent.
Cela parut horrible aux Dieux que des créatures vivantes préférassent la mort à la vie et se détruisissent sans y être forcées par la nécessité ni par aucun événement. On ne peut dire aisément combien ils s’étonnèrent que leurs dons parussent assez vils et assez détestables pour qu’on s’en dépouillât et qu’on les rejetât de toutes ses forces. Il leur semblait avoir mis dans le monde assez de bonté, de beauté, d’ordre et d’harmonie, pour qu’un tel séjour fût non seulement toléré, mais extrêmement aimé de quelque animal que ce fût, principalement de l’homme, qu’ils avaient formé avec un soin particulier et une perfection merveilleuse. Mais dans le même temps, outre qu’ils ressentaient une grande pitié à la vue d’une misère comme celle que les hommes manifestaient, ils se demandaient si ces tristes exemples, en se renouvelant et en se multipliant, n’entraîneraient pas au bout de peu de temps, contre l’ordre des destins, la perte de la race humaine, et si les choses n’allaient pas être privées de cette perfection qui leur venait de notre race, et eux-mêmes de ces honneurs qu’ils recevaient des hommes.
Jupiter résolut d’améliorer la condition humaine, puisqu’il semblait qu’on le réclamât, et de donner aux hommes des moyens plus efficaces pour qu’ils se dirigeassent vers le bonheur. Il les entendait se plaindre surtout de ce que les choses n’étaient pas immenses en grandeur, ni infinies en beauté, en perfection et en variété, comme ils l’avaient jugé d’abord, mais au contraire fort petites, toutes imparfaites et presque de même forme. Ils ne se plaignaient pas seulement de leur vieillesse, mais aussi de leur âge mûr et même de leur jeunesse. Ils regrettaient la douceur de leurs premières années. Ils demandaient avec de ferventes prières de retourner à l’enfance et d’y rester toute leur vie. Là-dessus, Jupiter ne pouvait les satisfaire, car cela était contraire aux lois universelles de la nature, ainsi qu’aux devoirs et aux services auxquels l’homme était destiné, selon les intentions et les décrets divins. Jupiter ne pouvait pas davantage communiquer sa propre infinité aux créatures mortelles, ni rendre infinie la matière pas plus que la perfection et la félicité des choses et des hommes.
Il lui parut à propos de reculer les limites de la création, d’y ajouter des ornements et de la variété. Cette résolution prise, il agrandit la terre de tous les côtés, et y fit couler la mer, créant de la sorte des séparations entre les lieux habités, afin de varier l’aspect des choses, et d’empêcher que les confins en fussent aisément connus des hommes; il leur coupa ainsi les chemins et leur proposa une image vivante de l’immensité. A cette époque, les nouvelles eaux occupèrent la terre Atlantide, ainsi qu’une quantité d’autres régions : il reste de l’Atlantide un souvenir qui a survécu à la multitude des siècles. Jupiter abaissa beaucoup de lieux, en exhaussa beaucoup d’autres, fit surgir des montagnes et des collines, parsema la nuit d’étoiles, subtilisa et épura la nature de l’air, donna au jour plus de clarté et plus de lumière, nuança et distribua plus diversement que par le passé les couleurs du ciel et des campagnes, mêla les générations des hommes de telle sorte que la vieillesse des uns concordât avec la jeunesse des autres. S’étant résolu à multiplier les apparences de cet infini dont les hommes étaient par-dessus tout avides, puis qu’il ne pouvait les satisfaire en réalité, et voulant donner de l’agrément et un aliment à leur imagination, dont il sentait que la force avait été la principale source de cette si grande béatitude de leur enfance, il employa encore beaucoup d’expédients semblables à celui de la mer, créa l’écho, le cacha dans les vallées et dans les cavernes, et mit dans les forêts un bruissement sourd et profond, avec un vaste ondoiement de leurs cimes. Il créa de même le peuple des songes et leur confia le soin de tromper sous plusieurs formes la pensée des hommes, en leur figurant cette plénitude de félicité incompréhensible et impossible à réaliser, et ces images douteuses et indéterminées, dont lui-même n’aurait pu produire aucun exemplaire réel, quand même il l’eût voulu, pour exaucer les soupirs ardents des hommes.
Ces précautions de Jupiter recréèrent et relevèrent l’âme des hommes et rendirent à la vie de chacun son charme et son prix. On sentit, on aima et on admira la beauté et l’immensité des choses terrestres. Cet heureux état dura plus longtemps que le premier, surtout à cause des intervalles que Jupiter avait introduits dans les naissances, si bien que les âmes, refroidies et lassées par l’expérience des choses, furent réconfortées en retrouvant la chaleur et les espérances de l’âge vert. Mais le progrès du temps fit disparaître cette nouveauté. On vit renaître et se relever l’ennui et le mépris de la vie. Les hommes tombèrent dans un tel abattement qu’alors, dit-on, prit naissance cette coutume que l’histoire attribue à quelques peuples anciens : quand il naissait quelqu’un, les parents et les amis de la famille se réunissaient pour pleurer; et quand il mourait, c’était un jour de fête et de félicitations. Enfin tous les peuples en vinrent à l’impiété, soit qu’il leur parût n’être pas écoutés de Jupiter, soit qu’il entre dans la nature du malheur d’endurcir et de corrompre les âmes les mieux nées et de leur ôter l’amour de l’honnêteté et de la droiture. Aussi se trompent-ils tout à fait ceux qui pensent que la première cause des malheurs de l’homme est dans ses iniquités et ses crimes à l’égard des Dieux : au contraire, c’est la perversité de l’homme qui est née de ses malheurs.
Quand les Dieux punirent par le déluge de Deucalion l’insolence des mortels et tirèrent vengeance de leurs injures, les deux seuls survivants du naufrage universel de notre race, Deucalion et Pyrrha, convaincus que le mieux qui pût arriver au genre humain était d’être entièrement anéanti, s’étaient assis sur le sommet d’un rocher, appelant la mort de tous leurs souhaits, bien loin de se plaindre ni de déplorer le destin commun. Jupiter leur enjoignit cependant de remédier au dépeuplement de la terre. Mais, désespérés et dédaigneux de la vie comme ils l’étaient, ils n’eurent pas le courage d’engendrer une nouvelle génération. Ce fut en prenant des pierres sur la montagne, selon les instructions des Dieux, et en les lançant derrière leurs épaules, qu’ils refirent la race humaine. Toutefois, instruit par le passé du caractère des hommes et sachant qu’il ne leur peut suffire comme aux autres animaux de vivre et d’être exempts de toute douleur et de toute incommodité physique, mais que, désirant l’impossible toujours et en tout état, ils se tourmentent eux-mêmes de ce désir d’autant plus qu’ils souffrent moins des autres maux, Jupiter résolut, pour conserver cette misérable espèce, d’employer de nouveaux moyens, dont voici les principaux.
Premièrement il mêla à la vie de véritables maux, et l’embarrassa de mille affaires et de mille fatigues, à l’effet de distraire les hommes et de les détourner le plus possible de s’entretenir avec leur âme ou du moins avec ce désir d’une inconnue et vaine félicité. Il répandit parmi eux une multitude de maladies variées et une infinité d’autres disgrâces; il voulait, en diversifiant les conditions et les fortunes de la vie mortelle, obvier à la satiété, accroître le prix des biens par le contraste des maux, et faire que l’expérience d’un état pire rendit le défaut de jouissances beaucoup plus tolérable que par le passé. Il entendait aussi rompre et apprivoiser la férocité des hommes, les contraindre à courber la tête et à céder à la nécessité, les réduire à se contenter plus facilement de leur sort et émousser la vivacité et la véhémence du désir dans les âmes affaiblies non moins par les infirmités physiques que par les peines morales. En outre, il sentait qu’il arriverait que les hommes, exténués par les maladies et les malheurs, seraient moins prompts que par le passé à tourner leurs mains contre eux-mêmes, parce qu’ils seraient lâches et découragés, comme il advient par l’usage des souffrances. Ces souffrances ont même coutume, en laissant place à des espérances meilleures, d’attacher les âmes à la vie : les infortunés ont la ferme espérance qu’ils seront très heureux quand ils seront délivrés de leurs maux, chose qu’ils ne manquent jamais d’espérer d’une façon ou d’une autre, comme c’est la nature de l’homme. Ensuite Jupiter créa les tempêtes des vents et des nuées, s’arma du tonnerre et de la foudre, donna à Neptune le trident, lança les comètes et régla les éclipses. Avec ces phénomènes et d’autres signes terribles, il résolut d’épouvanter de temps en temps les mortels, sachant que la crainte et la présence des dangers réconcilieraient avec la vie, au moins pour quelques instants, non seulement les malheureux, mais ceux qui l’avaient le plus prise en abomination et qui étaient le plus disposés à la fuir.
Et pour bannir l’oisiveté passée, il donna au genre humain le besoin et l’appétit de nouveaux aliments et de nouvelles boissons, qu’il ne pouvait se procurer sans mille fatigues; tandis que jusqu’au déluge les hommes ne s’étaient désaltérés qu’avec de l’eau et s’étaient nourris des herbes et des fruits que la terre et les arbres fournissaient spontanément et d’autres aliments de peu de prix et faciles à trouver, comme en usent encore aujourd’hui quelques peuples, et particulièrement ceux de Californie. Il assigna aux diverses contrées divers climats, varia semblablement les parties de l’année qui, jusqu’alors, avait été toujours et pour toute la terre si bonne et si favorable que les hommes n’avaient pas pris l’habitude de se vêtir : ils y furent contraints dès lors, et ils durent à force d’industrie remédier aux changements et aux inclémences du ciel. Il invita Mercure à fonder les premières cités, à séparer les hommes par peuples, par nations et par langues, en les faisant se quereller entre eux, et à leur enseigner le chant et les autres arts qui par leur nature et leur origine furent appelés et sont encore appelés divins. Lui-même donna des lois et des réglementations politiques aux nouvelles nations; et enfin, voulant les gratifier d’un incomparable présent, il envoya parmi eux quelques fantômes de figures excellentes et surhumaines qui furent appelés Justice, Vertu, Gloire, Amour de la patrie, et d’autres semblables. Parmi ces fantômes, il y en eut même un nommé Amour, qui à cette époque primitive vint au monde en même temps que les autres : car, avant l’usage des vêtements, ce n’était pas l’amour, mais un élan de désir, semblable à celui qui est de tout temps dans les brutes, qui poussait un sexe vers l’autre, de la façon dont chacun est attiré par des aliments ou des objets semblables, que l’on n’aime pas véritablement, mais que l’on désire.
On ne saurait dire combien furent grands les fruits que la vie mortelle retira de ces divins décrets, et combien la condition des hommes, nonobstant les fatigues, les épouvantes et les douleurs inconnues auparavant à notre race, surpassa en commodité et en douceur l’état de choses antérieur au déluge. Et ce résultat provint en grande partie de ces merveilleuses chimères, dont les hommes firent tantôt des génies, tantôt des dieux, et qu’ils suivirent et honorèrent avec une ardeur indicible et avec les plus grandes et les plus étonnantes fatigues pendant une longue durée de siècles : ils y étaient excités opiniâtrement par les poètes et les artistes célèbres, si bien qu’un très grand nombre de mortels n’hésitèrent pas à faire à l’un ou à l’autre de ces fantômes le sacrifice de leur sang et de leur vie. Loin de s’en offenser, Jupiter en éprouvait un plaisir excessif pour divers motifs, entre autres parce qu’il jugeait que les hommes seraient d’autant moins portés à rejeter volontairement leur vie qu’ils seraient plus prompts à la dépenser pour des causes belles et glorieuses. Ces bonnes dispositions eurent une durée plus grande que les précédentes. Sans doute la suite des siècles les altéra, mais telle fut leur valeur que, jusqu’au commencement d’un âge peu éloigné de l’âge présent, la vie humaine, qui, pendant quelque temps, avait été presque agréable, resta assez facile et assez tolérable.
Les causes et les modes de cette altération furent les nombreux moyens trouvés par les hommes pour subvenir aisément et en peu de temps à leurs propres besoins ; l’accroissement démesuré de l’inégalité entre les conditions et les emplois que Jupiter avait établis quand il fonda et organisa les premières républiques; l’oisiveté et la vanité qui pour ces motifs revinrent après une si longue absence occuper la vie ; l'affaiblissement, dans la réalité et dans l’opinion des hommes, de la grâce qui résultait de la variété de la vie, comme il arrive toujours après une longue habitude ; et enfin d’autres circonstances très graves qui ont été trop souvent décrites pour que nous ayons à en parler ici. Assurément on vit se renouveler parmi les hommes ce dégoût des choses dont ils avaient souffert avant le déluge, et grandir cet amer désir d’une félicité inconnue et étrangère à la nature de l’univers.
Mais la révolution totale de la fortune des hommes et la fin de cet état qu’aujourd’hui nous avons coutume d’appeler antique vinrent principalement d’une cause autre que les précédentes. La voici : Parmi ces fantômes si prisés des anciens, il y en avait un qu’ils appelaient dans leur langue Sagesse ; qui, honoré universellement comme tous les autres, et suivi particulièrement par un grand nombre, avait contribué pour sa part, autant que les autres, à la prospérité des siècles écoulés.
Cette Sagesse plus d’une fois, presque chaque jour, avait promis et juré à ses fidèles qu’elle voulait leur montrer la Vérité : c’était, disait-elle, un génie très grand dont elle était l’esclave; il n’était jamais venu sur la terre ; il siégeait au ciel avec les Dieux. La Sagesse se faisait forte de l’en faire sortir par son autorité et sa grâce propre, et de le décider à se promener pendant quelque temps parmi les hommes. Le commerce et la familiarité de la Vérité devaient élever le genre humain à un si haut point que, par la hauteur de ses connaissances, l’excellence de ses institutions et de ses mœurs, et la félicité de sa vie, il serait dans peu comparable à la divinité. Mais comment une pure ombre, une vaine image pouvait-elle, je ne dis pas amener la Vérité sur la terre, mais seulement la montrer, comme elle l’avait promis? Aussi les hommes, après beaucoup d’années de croyance et de confiance, s’aperçurent-ils de la vanité de ce qu’on leur offrait. Dans le même temps, ayant faim de choses nouvelles, surtout à cause de l’oisiveté où ils vivaient, et excités moitié par l’ambition de s’égaler aux Dieux, moitié par le désir de cette félicité que les paroles du fantôme leur faisaient entrevoir dans le commerce de la Vérité, ils se mirent avec autant d’instance que de présomption à demander à Jupiter qu’il donnât pour quelque temps à la terre ce génie, le plus noble de tous; ils lui reprochaient d’envier à ses créatures l’utilité infinie qu’elles retireraient de la présence de la Vérité, et en même temps ils se plaignaient avec lui de leur sort et renouvelaient les plaintes antiques et odieuses sur la petitesse et la pauvreté des choses humaines. Ces chimères si séductrices, principes de tant de biens dans l’âge passé, étaient tenues maintenant par la plupart en peu d’estime, non qu’on sût déjà ce qu’elles étaient véritablement, mais la bassesse générale des pensées et la lâcheté des mœurs faisaient que presque personne ne s’attachait à elles. Voilà pourquoi les hommes blasphémaient contre le plus grand présent que les Éternels eussent fait et pussent faire aux mortels; ils criaient que la terre n’était jugée digne que des moindres génies; quant aux plus grands, auxquels il serait plus convenable que la race humaine se soumit, ils ne daignaient ni ne pouvaient mettre les pieds sur cette infime partie de l’univers.
Beaucoup de choses avaient déjà depuis longtemps aliéné de nouveau aux hommes la bienveillance de Jupiter, et entre autres les vices et les méfaits incomparables qui pour le nombre et la scélératesse avaient laissé bien loin la perversité que le déluge avait punie. Ce qui le dépitait surtout, c’était, après tant d’expériences faites, l’inquiétude et l’insatiabilité immodérée de la nature humaine. Quant à assurer, sinon le bonheur, du moins la tranquillité des hommes, il voyait désormais qu’aucune précaution, aucun état, aucune contrée ne pourrait le faire. Quand bien même il aurait voulu accroître mille fois plus l’étendue et les plaisirs de la terre et de l’univers, les hommes, aussi désireux de l’infini qu’ils en sont incapables, trouveraient bien vite ces choses petites, désagréables et de peu de prix. Mais, à la fin, ces sottes et orgueilleuses demandes excitèrent tellement la colère du dieu qu’il se résolut, mettant de côté toute pitié, à punir pour toujours l’espèce humaine, en la condamnant pour tous les âges à venir à des misères beaucoup plus graves que les misères passées. Aussi décida-t-il d’envoyer la Vérité sur la terre, non seulement pour qu’elle y restât quelque temps, comme ils le demandaient, mais pour qu’elle y élût domicile à jamais. Chassant d’ici-bas ces beaux fantômes qu’il y avait placés, il fit de la Vérité la perpétuelle modératrice et maîtresse de la race humaine.
Les autres dieux s’étonnèrent de ce dessein. Il leur sembla que de la sorte on élevait trop la race humaine au préjudice de leur grandeur. Jupiter les fit changer d’avis en leur montrant que tous les génies, même les plus grands, ne sont pas naturellement bienfaisants et que tel n’est pas le caractère de la Vérité : elle produirait les mêmes effets chez les hommes que chez les dieux. Aux immortels, elle leur démontrait leur béatitude : aux hommes, elle leur découvrirait entièrement et leur mettrait continuellement sous les yeux leur infélicité, en la leur représentant de plus, non seulement comme l’œuvre de la fortune, mais comme de telle nature qu’aucun accident ni aucun remède ne la pourrait bannir ni interrompre pendant la vie. Et comme la nature de la plupart des maux est qu’ils sont maux en tant qu’ils sont jugés tels par celui qui les supporte, et qu’ils sont plus ou moins graves selon l’opinion qu’on en a, on peut juger combien devra nuire aux hommes la présence de ce génie. Rien ne leur paraîtra plus véritable que la fausseté de tous les biens mortels; et rien ne leur semblera solide si ce n’est la vanité de toutes choses, leurs douleurs exceptées. Pour ces motifs, ils perdront jusqu’à l’espérance qui de tout temps avait soutenu leur vie plus que tout autre secours ou tout autre plaisir. N’espérant rien, ne voyant à leurs travaux et à leurs fatigues aucune fin qui en soit digne, ils en viendront à une telle négligence et à une telle horreur de toute œuvre de grandeur ou même d’activité, que l’attitude des vivants différera peu de celle des morts. Mais, dans ce désespoir et cette langueur, ils ne pourront éviter que le désir d’une immense félicité, inhérent à leurs âmes, ne les pique et ne les tourmente d’autant plus qu’ils seront moins distraits par la variété des soucis et l’effort de l’activité. Et dans le même temps ils se trouveront privés de la faculté naturelle de l’imagination, qui seule pouvait leur procurer quelque chose de cette félicité qui, dit-il, est impossible et incompréhensible pour moi et pour ceux qui la souhaitent. Et toutes ces images de l’infini (continua Jupiter), que j’avais placées dans le monde pour les tromper et les repaître, et qui étaient conformes à leur penchant vers les pensées vastes et indéterminées, deviendront tout à fait insuffisantes à cause des idées et des habitudes qu’ils emprunteront à la Vérité. De cette manière, si la terre et les autres parties de l’univers leur paraissaient jadis petites, elles leur paraîtront désormais minimes : car ils seront instruits et éclairés sur les arcanes de la nature, et ces arcanes, contrairement à l’attente des hommes, paraissent d’autant moins étendues qu’on les connaît davantage. Enfin, quand la terre aura perdu ses fantômes, et que les enseignements de la Vérité, en en faisant connaître aux hommes la nature, auront ôté à la vie humaine toute valeur et toute rectitude de pensées comme d’actions, et éteint partout non seulement le dévouement et l’amour dont les nations étaient l’objet, mais jusqu’au nom de patrie, tous les hommes se réuniront, conformément à leurs théories, en une seule nation et une seule patrie, comme ils étaient réunis à l’origine, et, tout en faisant profession d’un amour universel à l’égard de leur espèce, ils diviseront en réalité la race humaine en autant de peuples qu’il y aura d’hommes. En ne se proposant ni patrie à aimer particulièrement ni étrangers à haïr, chacun haïra tous les autres, n’aimant, dans toute son espèce, que soi-même. Quelles disgrâces naitront de là, ce serait infini à conter. Néanmoins une si grande et si désespérée infortune ne décidera pas les mortels à abandonner spontanément la lumière : car la domination de ce génie ne les rendra pas moins vils que malheureux, et, en ajoutant outre mesure aux amertumes de leur vie, leur ôtera la force de la repousser.
A ces paroles de Jupiter, il parut aux dieux que notre sort serait plus cruel et plus terrible qu’il ne convient à la pitié divine d’y consentir. Mais Jupiter reprit en ces termes : Ils recevront néanmoins quelque consolation de ce fantôme qu’ils appellent Amour ; je suis disposé à le leur laisser, tout en éloignant tous les autres. Et il ne sera pas donné à la Vérité, si puissante qu’elle soit et bien qu’elle le doive combattre sans cesse, de l’exterminer jamais de la terre ni de le vaincre, si ce n’est rarement. Ainsi la vie des hommes, également occupée au culte de l’Amour et de la Vérité, sera divisée en deux parties qui toutes deux auront sur les choses et les âmes des mortels un commun empire. Tous les autres soins, sauf un petit nombre et de peu d’importance, seront négligés par la plupart des hommes. Dans la vieillesse, le manque des consolations de l’Amour sera compensé par le privilège même de la vieillesse, qui est d’être presque contente de vivre, comme il arrive aux autres animaux, et de soigner sa vie avec sollicitude, pour elle-même et non pour le plaisir ou l’avantage qu’on en retire.
Ayant donc éloigné de la terre les fantômes heureux, sauf l’Amour, le moins noble de tous, Jupiter envoya parmi les hommes la Vérité et lui donna sur la terre un séjour et un empire éternels. Les lamentables résultats qu’il avait prévus se produisirent. Et il arriva une chose merveilleuse : c’est que ce génie qui avant de descendre sur la terre, alors qu’il n’avait ni pouvoir ni réalité aucune parmi les hommes, avait été honoré par eux d’un grand nombre de temples et de sacrifices, une fois venu sur la terre avec l’autorité d’un principe, et une fois présent, au contraire de tous les autres immortels qui plus ils se manifestent clairement, plus ils apparaissent vénérables, attrista de telle sorte les esprits des hommes et les émut d’une telle horreur que, bien que forcés de lui obéir, ils refusèrent de l’adorer. Quand les fantômes d’autrefois exerçaient leur influence sur une âme, ils en étaient d’ordinaire révérés et aimés ; ce génie au contraire fut en butte aux plus violentes malédictions et à la haine la plus pesante de la part de ceux qui subirent le plus son empire. Mais ne pouvant pour cela ni se soustraire ni résister à sa tyrannie, les mortels vivaient dans cette misère suprême qu’ils ont supportée jusqu’à maintenant et qu’ils supporteront toujours.

Cependant la pitié, qui n’est jamais éteinte au cœur des Dieux, émut Jupiter (il n’y a pas longtemps) au sujet d’une telle infortune, principalement de celle de quelques hommes singuliers par la finesse de leur intelligence unie à la noblesse de leurs mœurs et à l’intégrité de leur vie, qu’il voyait communément opprimés et accablés plus que les autres par la puissance et la dure domination de ce génie. Aux temps antiques, les Dieux avaient coutume, quand la Justice, la Vertu et les autres fantômes gouvernaient les affaires humaines, de visiter quelquefois leurs propres créatures : ils descendaient, tantôt l’un, tantôt l’autre, sur la terre, et y signifiaient leur présence de diverses façons : ces apparitions avaient toujours été d’un grand profit à tous les hommes ou à quelqu’un d’eux en particulier. Mais quand la vie fut corrompue de nouveau et submergée dans toutes les scélératesses, ils dédaignèrent pendant longtemps le commerce des hommes. Or Jupiter, compatissant à notre extrême infortune, demanda aux immortels si quelqu’un d’eux se résoudrait, comme par le passé, à visiter et à consoler leurs créatures, surtout celles qui paraissaient ne pas mériter personnellement l’universelle misère. Tous se turent, sauf l’Amour, fils de Vénus Céleste, qui portait le même nom que le fantôme ainsi appelé, mais dont la nature, la force et les actions étaient bien différentes. Comme la pitié de ce Dieu est singulière, il offrit de remplir lui-même la mission proposée par Jupiter et de descendre du ciel qu’il n’avait jamais quitté : car il était si indiciblement cher à l’assemblée des immortels qu’elle n’avait pas souffert qu’il s’éloignât d’elle, même pour un instant. Sans doute, de temps en temps, les anciens hommes, trompés par les métamorphoses et les ruses du fantôme qui portait le même nom, avaient pensé avoir des signes non douteux de la présence de ce grand dieu. Mais l’Amour ne voulut visiter les mortels que quand ils eurent été soumis à l’empire de la Vérité. Et encore, depuis ce temps, ne descend-il que rarement et ne s’arrête-t-il qu’un instant : autant parce que le genre humain est indigne de lui que parce que les Dieux ont beaucoup de peine à supporter son absence. Quand il vient sur la terre, il choisit les cœurs les plus tendres et plus doux des personnes généreuses et magnanimes ; il s’y pose pour un court instant, y répand une si étrange et si merveilleuse suavité et les remplit de passions si nobles, de tant de vertu et de tant de courage, qu’ils éprouvent alors, chose toute nouvelle au genre humain, plutôt la réalité que la ressemblance du bonheur. Il est extrêmement rare qu’il unisse deux cœurs ensemble, en les saisissant l’un et l’autre en même temps et en leur donnant à tous deux une égale ardeur et un égal désir, bien qu’il en soit instamment prié par tous ceux qu’il possède. Mais Jupiter ne lui permet d’en satisfaire qu’un très petit nombre, parce que la félicité qui naît d’un tel bienfait n’est séparée de la félicité divine que par un trop petit intervalle. De toute façon, être plein de sa puissance l’emporte en soi sur les plus fortunées conditions qu’ait eues aucun homme au meilleur temps. Où il se pose, tout autour de lui, se groupent invisibles à autrui les merveilleuses chimères, jadis bannies du commerce des hommes; le dieu les ramène pour cet effet sur la terre : Jupiter le permet, et la Vérité ne s’y peut opposer, bien que très ennemie de ces fantômes et en son âme grandement offensée de leur retour; mais il n’est pas donné aux génies de lutter contre les Dieux. Les destins lui ont donné une enfance éternelle, et, conformément à sa nature, il remplit en quelque sorte ce premier vœu de l’homme, qui fut de retourner à la condition de l’enfance. Aussi, dans les âmes qu’il choisit pour y séjourner, il suscite et il fait reverdir, pendant tout le temps qu’il y reste, l’infinie espérance et les belles et chères imaginations des tendres années. Beaucoup de mortels, n’ayant pas éprouvé ces plaisirs dont ils sont incapables, le méprisent et le déchirent tous les jours, de loin comme de près, avec l’audace la plus effrénée : mais lui n’entend pas leurs outrages, et, quand il les entendrait, il ne tirerait aucun châtiment de ces hommes, tant il est naturellement magnanime et clément. D’ailleurs, les Immortels, contents de la vengeance qu’ils exercent sur toute la race, et de l’incurable misère dont ils la châtient, ne se soucient pas des offenses singulières des hommes, et le seul châtiment que reçoivent les trompeurs, les injustes et les contempteurs des Dieux, c’est d’être étrangers, même en paroles, à la grâce de l’Amour.




3 déc. 2019

Dear Philip José Farmer:
Wars can be ended with sex or religion. Everything seems to indicate that there are no other citizen alternatives; these are dark days, heaven knows. We can set aside religion for now. That leaves sex. Let’s try to put it to good use. First question: what can you in particular and American science fiction writers in general do about it? I propose the immediate creation of a committee to centralize and coordinate all efforts. As a first step—call it preparing the terrain—the committee must select ten or twenty authors for inclusion in an anthology, choosing those who have written most radically and enthusiastically about carnal relations and the future. (The committee should be free to select who they like, but I would presume to suggest the indispensable inclusion of entries by Joanna Russ and Anne McCaffrey; maybe later I’ll explain why, in another letter.) This anthology, to be titled something like American Orgasms in Space or A Radiant Future, should focus the reader’s attention on pleasure and make frequent use of flashbacks—to our times, I mean—to chart the path of hard work and peace that it has been necessary to travel to reach this no-man’s-land of love. In each story, there should be at least one sexual act (or, lacking that, one episode of ardent and devoted camaraderie) between Latin Americans and North Americans. For example: legendary space pilot Jack Higgins, commander of the Fidel Castro, participates in interesting physical and spiritual encounters with Gloria Díaz, a navigation engineer from Colombia. Or: shipwrecked on Asteroid BM101, Demetrio Aguilar and Jennifer Brown spend ten years practicing the Kama Sutra. Stories with a happy ending. Desperate socialist realism in the service of alluring, mind-blowing happiness. Every ship with a mixed crew and every ship with its requisite overdose of amatory activity! At the same time, the committee should establish contact with the rest of American science fiction writers, those who’re left cold by sex or who won’t touch it for reasons of style, ethics, market appeal, personal preference, plot, aesthetics, philosophy, etc. They must be taught to see the importance of writing about the orgies that future citizens of Latin America and the U.S. can take part in if we take action now. If they flatly refuse, they must be convinced, at the very least, to write to the White House to ask for a cease in hostilities. Or to pray along with the bishops of Washington. To pray for peace. But that’s our backup plan, and we’ll keep it in under wraps for now. In closing, let me tell you how much I admire your work. I don’t read your novels; I devour them. I’m seventeen, and maybe someday I’ll write decent science fiction stories. A week ago, I lost my virginity.
Warmly,
Jan Schrella, alias Roberto Bolaño

20 oct. 2019

Les Turinoises
(…) Dans un appartement, les sols astiqués jusqu'au sang, témoins d'une rage épique toute vouée à transformer le sourd carreau en cristal de bohème, dénoncent la présence d'une maîtresse de maison turinoise. Après l'astiquage luciférien, l'accès est barré pour tout le monde. Ceux qui ont un sauf-conduit doivent s'adapter à une immobilité humiliante pour ne pas salir. (Elles n'ont pas tort : aucune présence humaine n'est jamais très propre.)
Comme remontants, elles privilégient le marsala à l'oeuf et la viande crue en salade. A tout moment de la journée, dans leurs cuisines, fument les décoctions des herboristes. L'idolâtrie des cheveux bien mis les conduit chez le coiffeur à la fréquence d'un tic nerveux, et quiconque sait manier un peigne et paralyser l'ondulation du crin se fait de l'argent avec elles. Je ne suis pas certain que la conscience qu'elles auraient de l'importance érotique et magique des cheveux y soit pour quoi que ce soit : l'acharnement aux cheveux bien mis relève plutôt de la compulsion maniaque, sans doute d'une honte désespérée pour ces actes toujours illégaux, excessivement intimes, qui les décoiffent. D'astucieux méridionaux ont malheureusement remplacé par de stables antres tricophiles les coiffeuses turinoises à domicile - elles étaient le nerf moral de la ville, admirables protagonistes et réceptrices de récits désespérants tout en réchauffant le fer et fixant le bigoudi.
Mère et fille sont inséparables lorsqu'il s'agit d'achats d'importance ; dans les méandres du shopping, elles ne s'aventurent pas seules, ni ne se fient à d'autres ; devant le chiffon coloré, la complicité du sang se déclenche comme un couteau de poche. Pour une visite médicale, la préparation est méticuleuse : on commence par laver la maison, on fait briller les vitres, le laiton, l'argenterie, on inspecte les armoires, on renouvelle la camphre et la naphtaline ; on change ensuite le linge, on sort acheter une tenue toute neuve, une paire de chaussures, un sac à main. On retourne chez le coiffeur pour une dernière retouche avant la consultation. Avant le rendez-vous, on essaie par tous les moyens d'assainir la maladie ou, à tout le moins, d'éliminer tout ce qui serait désagréable à la vue et à la palpation du médecin afin de lui éviter la mauvaise
surprise de se retrouver face à un désordre physique insuffisamment propre, injurieux pour l'Esculape.
Les Turinoises invitent à déjeuner, mais refusent l'hospitalité nocturne. L'hôte, la nuit, est un pillard de vie privée, un vampire d'intimité et une source d'indécence. Tant qu'il n'a pas l'intention de rester dormir, elles multiplient les attentions diurnes : des déjeuners congestionnants, à base des terribles fritures, le rassasient, lui donnant envie de marcher toute la nuit. Même un amant n'est pas agréé après minuit : s'il dort chez lui, on l'en aimera davantage.
Mariées ou non, ces femmes sont peut-être les plus terrassées par la solitude, et parmi les plus capables de la supporter. Aucune circonstance de la vie ne les trouve dépourvues de méthode ni d'art pour y faire face : c'est là leur force. La fortune ininterrompue de la Salle des Danses, à Turin, repose essentiellement sur leurs solitudes en quête de brèves pauses. Jusqu'à il y a une vingtaine d'années, il y avait, dans la rue San Massimo, une de ces salles que les langues masculines insolentes avaient rebaptisée Le Ménopause à cause du nombre élevé de petits pieds mûrs et non accompagnés qui, avec le même entrain qu'ils avaient mis à astiquer le sol de la maison, venaient frotter la piste. Mais toutes les pistes de danse non vulgaires, où l'on a préservé le culte du bal populaire, surtout l'après-midi à l'heure du thé dansant, sont Le Ménopause. Dans ce type de bals, elles n'ont pas de rivales : même dans la Palerme de Buenos Aires, une Turinoise serait capable de gagner une compétition de tango. (pp. 47-49)
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Divertissement et peine, je me délecte à guetter Psyché. Et chaque fois la perte de lumière chez le type féminin local me serre le coeur, comme si je me penchais sur une lande de mutilations. Même la voix, chez ces femmes, a changé. Et le sourire ? Introuvable. Peut-être y en a-t-il aussi peu à Moscou, à Sarajevo, dans les sordides bistrots à bière du Nord... A l'époque où j'écrivais « Les Turinoises », t'en voyais encore de la beauté, c'était en 1975... je crois. Les porteuses de lumière-du-visage d'alors sont vieilles ou ont disparu, les jeunes que tu rencontres, toutes avec le rictus du téléphone portable, même les chiens n'en mangeraient pas. Dans les autres villes italiennes (mal en point, irrémédiablement), la beauté féminine a mieux tenu le coup ; et tu admires la force qu'ont ces derniers drapeaux pour encore flotter au vent. Mais c'est un enlaidissement qui vient de l'intérieur, d'une âme bouleversée, altérée par l'adaptation. Ces femmes-là se sentent en enfer, se plient à son occulte loi, et elles s'en revêtent comme d'un habit, choisissant précisément, pour l'extérieur, la couleur noire. Le visage, dénonciateur, cruel, ne cache rien de tout cela. (pp. 10-11)
Petit enfer de Turin de Guido Ceronetti, traduit de l’italien par Angela Guidi avec la collaboration de Vera Milan-Primevère, Fario Éditions, 2018.

5 nov. 2018


A Translation of "Ich könnte auf dem Papier jemand umbringen" (Thomas Bernhard interviewed in Der Spiegel on June 23, 1980)

I Could Kill Anybody on Paper [1]

QUESTION: Mr. Bernhard, in Germany it’s become common to classify writers as either rats or blowflies.  Are you a rat or a blowfly?

THOMAS BERNHARD:  A hybrid of a rat and a blowfly, probably.  In Austria we haven’t yet alighted on the idea of calling writers rats and blowflies, but there are certainly people here also who at least go around with [such a distinction] in their heads.

QUESTION: What’s the reason for that; why is the tone in Austria so much nicer?

THOMAS BERNHARD: I don’t know if it’s any nicer.  But nobody dares to call writers rats and blowflies outright…

QUESTION: Even though you have done plenty to provoke your fellow Austrians to do something to that effect.

THOMAS BERNHARD: In order to be reviled as every possible species of vermin, I’d have to go to Germany or be a German; perhaps then I’d still stand a chance of receiving an honorary degree there.

QUESTION: What were the causes of your being reviled in Austria?

THOMAS BERNHARD: Writing on its own was enough.  Basically even in my early poems there was enough to make people call me a skunk.

QUESTION: On the other hand, you have a tendency to view other people [as existing] in a state of decay, of dissolution, you depict them as ailing and having gone to seed.  Your characters have often lost the ability to walk, to see, to hear; the only thing they really can still do is grouse and rant and browbeat their surroundings.  Is your heroes’ illness there as a kind of camouflage, something that perhaps allows them to see and hear even better [than other people]?

THOMAS BERNHARD: No, I certainly don’t camouflage my characters; I release them from their cage as they are, and they’re bound to go wherever they like.  I no longer have any influence over these characters; I’m obviously not a very good herdsman.

QUESTION: The most recent of your characters for the theater has a highly remarkable job-title: he’s a “World-Improver.”

THOMAS BERNHARD: Improving the world is obviously an insane idea; the world can’t be made any better than it is.

QUESTION: But you’re having a go at it anyway?

THOMAS BERNHARD: I have a go at it, at making the world a better place, every time I get up in the morning.  A go at making myself better and the world better…

QUESTION: But are you especially horrified by the people who are in power?

THOMAS BERNHARD: I’m certainly no lover of power; I don’t care either for individuals who wield power or for groups of people who wield it.

QUESTION: But are you not a lover of chaos either?

THOMAS BERNHARD: Chaos is basically impossible in the so-called civilized world, although I personally am quite partial to chaos in the abstract.

QUESTION: Are your plays and books meant to promote chaos?

THOMAS BERNHARD: Basically I think they are, yes.

QUESTION: And how is that supposed to function?

THOMAS BERNHARD: The moment it functions, there’s obviously no more chaos.

QUESTION: But the purpose of your writings could still be to frustrate power.

THOMAS BERNHARD: I find the word “purpose” almost as repellent as the word “power.”  Purposes [or ends] always seek out means, and with means you also always get power.

QUESTION: A thorough survey of your heroes reveals that they are sometimes—as in the case of your President—politicians, at other times philosophers, at still   other times artists.  Are artists as much wielders of power as politicians?

THOMAS BERNHARD: Artists sometimes have every bit as much power as politicians.

QUESTION: Does their power disturb you every bit as much?

THOMAS BERNHARD: Their power would disturb me if I were ever confronted by it.

QUESTION: Am I right in detecting a hint of self-disgust in what you just said?

THOMAS BERNHARD: Probably.  But it’s not just that.  I don’t see life just as something that’s disgusting…and I don’t see writing that way either.

QUESTION: Your texts are centered on death, disgust with life, suicide.  Do you write to avoid hanging yourself?

THOMAS BERNHARD: Maybe, sure, why not?

QUESTION: You’ve said you’re not a very good herdsman of your characters.  Despite this you’ve recently prohibited the Viennese theaters from staging any of your plays until further notice.

THOMAS BERNHARD: I wasn’t being particularly serious when I said that.  But I don’t willingly commit my characters into the care of people who are habitually cruel to animals.

QUESTION: Have you had bad experiences with the Burgtheater in Vienna?

THOMAS BERNHARD: I have had nothing but bad experiences with the Burgtheater, but I don’t take those very seriously.  It’s just that I don’t want any play of mine to be performed there.

QUESTION: Is the performance of your plays by the Viennese a forbidden act?

THOMAS BERNHARD: “Forbidden act”—it sounds so melodramatic.

QUESTION: Back to matters Austrian.  You have never hesitated to saddle the Austrians with every conceivable form of wickedness.  In an article on the 1977 National Holiday you wrote that your governments in recent decades have been willing to perpetrate any crime against this Austria.  The governments had “committed every imaginable crime, they have finally transformed the exploitation of the vulgarity and brutality of this congenitally somnolent nation into their sole art, which masters them, and which they venerate, and with which they are positively smitten.”  That’s basically a blanket vote of no confidence against every Austrian government.

THOMAS BERNHARD: Yes, against all these people who have gotten used to being in power and abusing power.

QUESTION: You spoke in similarly forceful terms when you left the German Academy for Language and Literature.

THOMAS BERNHARD: On closer consideration, the Academy for Language and Literature turned out to be the limit…

QUESTION: But it seemed that as long as Walter Scheel wasn’t in it you didn’t have a problem with it[.]  Was Walther Scheel’s election a welcome excuse for [you to] leave?

THOMAS BERNHARD: I found the [whole] appearance of the thing unsavory.

QUESTION: Why?
THOMAS BERNHARD: That’s a difficult question.  Questions are always correct; answers are always wrong, erroneous.

QUESTION: Was it [the election of] Scheel as [an] individual that moved you to withdraw, or would any other president—say, Carstens or Heinemann—have served just as well?

THOMAS BERNHARD: Any of them would have served.  And I would have reacted in exactly the same way.

QUESTION: The same in the case of all three?

THOMAS BERNHARD: Also in the case of Giscard d’Estaing, even if Margaret Thatcher or whoever had come [to the ceremony] at the invitation of the [West German] government.

QUESTION: But at some point you must have participated in the academy’s activities; at any rate, that’s the impression one gets when one reads your maliciously punctilious accounts of the academy’s meetings, which you describe as a mixture of vanity, senility, idleness, and high-rollerism.

THOMAS BERNHARD: I’ve never been to any of these meetings.  But [the spirit of] the academy is of course reflected in its publications.

QUESTION: You have refused to allow these publications into your house.

THOMAS BERNHARD: I can’t keep them out.  The postman chucks them in [through the front door].

QUESTION: Are you still a member of some [other] similar academy somewhere?

THOMAS BERNHARD: I’m a member of a group of health insurance policyholders.

QUESTION: And of what else?

THOMAS BERNHARD: Nothing else.

QUESTION: You haven’t always been especially consistent; for example, you’ve been known to accept prizes and honorary titles.

THOMAS BERNHARD: Nobody can be consistent; a person will always be able to catch himself out in some inconsistency or other.

QUESTION: In your [acceptance] speeche[s] you have of course repaid the awarders of prizes [with thanks time and] again.  Would you ever again accept a prize, for example the Nobel Prize?

THOMAS BERNHARD: Neither a prize nor a title or distinction.

QUESTION: In your new play you depict the ineluctable ridiculousness of a prize-awarding ceremony.

THOMAS BERNHARD: I’ve always found such ceremonies ridiculous, ever since I was quite a young boy of fifteen or sixteen.  And there has of course always been an air of the comical surrounding all the prizes I’ve received.

QUESTION: Is a prize not also always an attempt to muzzle the artist?

THOMAS BERNHARD: [It’s an attempt] to pacify him, [and] thereby render him harmless.

QUESTION: What is it about writers that makes them dangerous?  In a brief prose sketch you write about an author sitting in a theater and shooting people who laugh during the parts of his comedy that aren’t supposed to be funny.  You yourself behave with much more equanimity at the theater, on those rare occasions when you go there.  What’s the difference between the written and the real?  You are of course aware that in Germany we’ve goat truly a truly ludicrous debate going on in Augsburg, because the theater and film director [Werner] Schroeter has fantasized about assassinating [Franz Josef?] Strauss with a veal sausage and has admitted that he’s in a killing sort of mood—much in the manner of your sharpshooting playwright.

THOMAS BERNHARD: I, too, could kill anybody on paper.  But only on paper.

QUESTION: And are you at all worried that some person somewhere could take what’s on paper for a prescription?

THOMAS BERNHARD: There’s nothing I can do to stop that.

QUESTION: Does one kill on paper in order to spare oneself in real life?

THOMAS BERNHARD: I can’t answer that [question].

QUESTION: Your penchant for morbidity shows you to be a kind of romantic writer who envisages a connection between illness and art, between madness and art, between anarchy and art.

THOMAS BERNHARD: Yes, you’ve really hit the mark there.  I think it’s like with dreams; you have no control over the direction your dreams take; if need be somebody can wake you up; the worst things [imaginable] can happen in them, but you have no influence over them.

QUESTION: Do you think the criticism leveled at you is justified?
THOMAS BERNHARD: Every [instance of] criticism is justified, but of course you never know whether it[’s] hit its mark; everybody can say whatever he wants, and there’s nothing you can do to change it; why should anybody change any [piece of] criticism?

QUESTION: How then would you characterize your experiences with [book] reviews and newspapers?

THOMAS BERNHARD: As ranging from horrendous to thoroughly amusing.

QUESTION: Which one was horrendous?

THOMAS BERNHARD: It was really quite a long time ago; it was about fifteen years ago.
 
QUESTION: In other words, it was horrendous because at the time you weren’t yet capable of fighting back[--]

THOMAS  BERNHARD:  [--]because at the time everything was oversized.  When you’re a child or a very young man, everything is much bigger—the mountains, the snowdrifts.  The winters are colder; the summers are hotter.

QUESTION: So Thomas Bernhard has grown more mature, and he has fun reading newspapers, because he no longer feels as much of a need to get involved.

THOMAS BERNHARD: If I were to pack it in, in other words if I were to snuff it, and I could no longer move, I’d probably find it ideal to sit in a coffeehouse with the curtains drawn.  But not drawn so tightly that you could no longer read.  It would be nice to experience the world exclusively through the newspapers.  Then I[’d] stop reading the world except through the newspapers.

QUESTION: [Wouldn’t it be] even better to be lying and bed and also slightly ill?

THOMAS BERNHARD: That would be a great pleasure, I think.  Being slightly ill is of course very nice.  [And it’s nice no matter how ill you get], all the way to [death’s] door.  Even though naturally if you cross [the threshold] and you’re dead, that’s bound to be a great pleasure too.

QUESTION: Reliable reports on that [experience] are hard to come by.

THOMAS BERNHARD: The only [experience], I believe, that’s simply followed by nothing.

QUESTION: Whenever anybody in your books writes or contemplates, he always ends up genuinely suffering from the fact that he has conceived something and that now he’s shackled, enslaved, by the product of his conception.  Is that your [own] situation?

THOMAS BERNHARD: I think so.  When the book, or the manuscript, is completely finished, the period of enslavement is at an end.  A new one begins[—n]amely, of [enslavement to] not writing and not being shackled.

QUESTION: One gets the impression that your plays are also always iterations of one and the same play.

THOMAS BERNHARD: That’s probably quite true.  Because of course the prose is also like that.

QUESTION: But surely the text isn’t as far gone and washed-up as that?

THOMAS BERNHARD: Basically it’s always the same [kind of] prose and the same way of writing for the stage.

QUESTION: But now suddenly there [has appeared] among all your characters, who are all also [part of] a single play [written] by you, a [character] who resembles [Hans] Filbinger.  Surely this character can’t have any relation to you?

THOMAS BERNHARD: Now please don’t misunderstand me.  I have the feeling that I and everybody else are [in some way] related to everybody.  That there’s even a Filbinger inside me and inside everybody else.  That the Good Lord is also in each of us and so is the girl next door and pretty much every other living person.  Each of us could identify with all of them.  That is the question: to what extent are we stifled and dominated by all these millions and billions of possibilities of people that we carry within us?

QUESTION: That is understandable.  But doesn’t it vex you when somebody interprets your plays so unambiguously and says that in Stuttgart there was a run of a play about Filbinger and the Filbinger affair?

THOMAS BERNHARD: No, it’s nonsensical for anyone to say that it’s a play about Filbinger.  Because it’s got nothing to do with Filbinger.  [It’s] just about a person with similar personality traits.

QUESTION: And every similarity is purely coincidental?

THOMAS BERNHARD: …no, of course it’s not coincidental.  Thanks to the newspapers I’ve run into [plenty of] these fossilized Nazis.

QUESTION: Was the little mini-drama for Die Zeit in which a Nazi family are eating soup the first draft [i.e., of the play about the Filbingeresque character (DR)]?

THOMAS BERNHARD: No, that was a play I really didn’t want to write in the first place.  Heinrichs from Die Zeit asked me for a play.  I wrote it.  And as I watched it tumbling into the wastepaper basket I said, “Well, that’s enough of that thing.”  But then I fished it back out and typed it up and sent it off.

QUESTION: You have written a comedy about Kant in which the hero, who’s called Kant, is traveling to America for an eye operation.  “I’m bringing America reason,” he says; “America is giving me eyesight.”  Is this the motto that best sums up your relationship with your audience?

THOMAS BERNHARD: It was apt in that I actually had an acute case of glaucoma and was faced with the threat of going blind.  And to stave that off an operation was necessary.  But that was just the initial inspiration for the play.

QUESTION: So [it’s] really just [one of those] bioplay[s] about an artist?

THOMAS BERNHARD: [It’s] no such thing.  It’s a bioplay about a [pair of] eyes.  About the drama of [having] glaucoma.

QUESTION: What about [your] plays about the drama of being in a wheelchair?

THOMAS BERNHARD: Those have their place.  Obviously, just because your head is smashed in it doesn’t mean you’re unconditionally bound to write about heads.

QUESTION: And once you’ve delivered a play up to the people at the theater, do you keep tabs on what’s being done with it?

THOMAS BERNHARD: “Delivering up” suggests vomiting.  And the two acts may be genuinely dependent on each other.  And they probably really are dependent on each other.

QUESTION: But it is of course just a myth propagated by Thomas Bernhard himself that he for example never attends premieres.  He can in fact be seen at premieres, hiding out [in the wings], to be sure; but he does at least take a peek at each of his plays.

THOMAS BERNHARD: Sure, I’ve been to several [premieres].  Sometimes I’ve taken an interest in them, and more often I haven’t.  I’ve also actually walked out on them.  I saw The Hunting Party in Vienna from the start [of the performance] onwards, and from the first word I realized that the whole thing was a washout and dead on arrival.  I walked out in the middle of the first act and went upstairs to the gallery and got my coat from the wardrobe lady, and she said, “Oh, you don’t like it either?”

QUESTION: Have you studied acting?

THOMAS BERNHARD: Yes, that’s what they say.  Nowadays I no longer have anything to do with it, or with music; everything I[’ve] studied I[’ve] had nothing to do with afterwards.

QUESTION: And have you perchance come back to it since?  And you have in fact become so strongly addicted to the theater that you have discovered an actor whom you regard as your ideal incarnation[—s]o much so that you have named a play after him.

THOMAS BERNHARD: With Minetti it’s almost as if I’d discovered my own self.

QUESTION: Even the play written for Minetti about Minetti is the dramatization of a catastrophe, of a failure.  Do you get high on catastrophe?

THOMAS BERNHARD: I am after all a berserker; how can I put it[?]  I obviously want to write well, I obviously want to keep getting better [at it].  But that means I really ought to keep making myself more and more gruesome and [immerse] myself in ever more horrifying and ever darker [depths of] evil, so that I get better [at writing].

QUESTION: Do you have to make an effort to be so evil, so gruesome?  Is it something you actually have to decide to do, to say to yourself, “Now it’s time for me to get nice and beastly”?

THOMAS BERNHARD:  I think I’m evil by nature, and the basic outline doesn’t require any effort, but its execution is arduous.

QUESTION: You once actually wrote that Salzburg was the city with the most suicides.

THOMAS BERNHARD: Yes, I actually just transcribed that; it’s actually been officially determined that there’s a [high] concentration of suicides there.

QUESTION: How do you account for that?

THOMAS BERNHARD: First of all on the basis of [the city’s] natural setting, the way it’s been carved into the rock-faces; Salzburg is really terribly humid…it rains suicides there, in the autumn, at the beginning of the school year; by October they’ve met their quota.  But these are all statistics and uninteresting.

QUESTION: So you found them interesting just that one time?

THOMAS BERNHARD: I’d find it interesting if I killed myself and was able to observe myself afterwards.

QUESTION: Unfortunately that’s not possible.

THOMAS BERNHARD: The discovery that it’s not possible is my biggest disappointment.

QUESTION:  What sort of relationship does Thomas Bernhard have with his colleagues, with other writers?  Does he feel a sense of solidarity with them?

THOMAS BERNHARD: With which writers?  With living writers?

QUESTION: To start with, sure, with living writers.

THOMAS BERNHARD: I haven’t a thing to do with any of them.  Not as near as I can remember.

QUESTION: Because you think you’re better off going it alone?

THOMAS BERNHARD: That’s quite hard to say.

QUESTION: Well, we’ve already talked about the Academy.  Can you imagine what things would be like if the Gruppe 47 still existed?  Could you imagine traveling to that kind of annual gathering of writers?

THOMAS BERNHARD: I would have traveled to it fifteen or twenty years ago, if I had been invited to it then.  Back then I certainly wanted to receive an invitation, but I just never got one.  In hindsight I couldn’t care less.

QUESTION: So you wouldn’t go to it now?

THOMAS BERNHARD: No, if there were a Gruppe 44 or 88 in existence now, I wouldn’t go, because I have no desire to hang out with writers.

QUESTION: What is it about other writers that bothers you?  Why don’t you want [to be around them]?

THOMAS BERNHARD: In the first place they bother me because they’re also writers.

QUESTION: [So it’s] envy of [your] competitors?

THOMAS BERNHARD: Of course every human being is a competitor.  Among the other things they do writers are naturally even bigger competitors.

QUESTION: But is there really not a single one of them who you think of almost as a brother, as a twin or as a buddy?

THOMAS BERNHARD: I’ve got an actual brother.

QUESTION: Not [one who’s] a writer.

THOMAS BERNHARD: I’m absolutely sure I have no need of a [fellow-]writer[ly] brother, and I’ve never had one either.  I love Wittgenstein and Thomas Wolfe; these are [figures] who have kept company with me like brothers for decades, who I’ll love with all my heart until the day I die and beyond the grave, to use that wonderful expression.  But [as for] living writers?  Probably I don’t read enough either.  I mean, I obviously don’t read everything that comes out of South America.

QUESTION: Do you read everything that comes out of Austria?

THOMAS BERNHARD: No, that would of course drive a person mad; to do that you’d have to read all day and all night, and you can only do that if you’re brain-dead.

QUESTION: When people compare you from time to time to other Austrians, to, let’s say, Handke, what’s your response to that?  Can you see any similarities, any points of contact, [between the two of you]?

THOMAS BERNHARD: [I see] no similarities whatsoever.  Handke is an intelligent lad, and there’s not a single one of his books that I’d be proud to have written, whereas [I am proud] of all of mine.

QUESTION: What about [Ernst] Jandl?

THOMAS BERNHARD: I’m completely against [people like him].  They’re schoolmasterly types who can never dissociate themselves from their line of work.  What’s more, they can’t be bothered to make the slightest effort to immerse themselves in anything.

QUESTION: And [as for] other playwrights?

THOMAS BERNHARD: I personally am [quite] enthusiastic about Hochhuth.  It’s ghastly, the stuff he writes.

QUESTION: And Botho Strauss?  You and Botho Strauss are among the most often performed contemporary German[-language] dramatists.

THOMAS BERNHARD: Yeah, Botho Strauss.  I lump him in with Peter Stein and the Schaubühne [am Lehniner Platz company]: in my view the stuff that Stein does isn’t theater.  It’s like a church in which he builds an altar and then installs his [idols,] his God-proxies.  I don’t go to church.  Strauss is like an altar boy in Stein’s [church], and he’s still writing like one even now.  [It’s] very bracing and very charming; I enjoy it enormously, but ten years from now I don’t think anyone will be interested in what he’s writing now.

QUESTION: Does this mean that you are convinced that ten years from now people will still be conversant with your plays to some extent?

THOMAS BERNHARD: I don’t think they’ll have forgotten them.  It seems to me that in Strauss’s [work everything] depends on his diction, his jargon, which is very, very, appealing in an evanescent sort of way, like the smell of lilacs at my front doorstep.

QUESTION: In other words, you’re saying your [own] diction is for the ages.

THOMAS BERNHARD: Absolutely nothing is for the ages.

QUESTION: But you are for at least an age or two; Strauss is on the fast track to obsolescence.

THOMAS BERNHARD: I am for at least an age or two.  Maybe.  Sure.

QUESTION: And [everybody] else is on the fast track to obsolescence?

THOMAS BERNHARD: Well, you know, prospective obsolescence is also kind of nice.  There’s nothing more horrible than sticking around forever.  I certainly don’t care at all to have everything having to do with me survive; I find the prospect of that completely uninteresting; it’s just that [I think] my stuff is more likely to [last longer].

QUESTION: So Peter Stein’s theater reminds you of a church?

THOMAS BERNHARD: In my view, it isn’t theater at all, the stuff that Stein does—velvet, silk, purple [vestments]: it’s all so much churchy paraphernalia.  It’s all so…what’s the word?

QUESTION: Sacramental?

THOMAS BERNHARD: Sacramental.  It really has absolutely nothing to do with the theater.

QUESTION: What about when your [play]  The Ignoramus and the Madman was about to be premiered in Salzburg and even the emergency lights were supposed to be turned off during the performance because they supposedly threatened to disrupt the [intended] effect—was that also [a bit of] church[ery]?

THOMAS BERNHARD: I didn’t witness any part of that imbroglio because I wasn’t present at the time.

QUESTION: But wasn’t it precipitated by things you had asked for?

THOMAS BERNHARD: No, it was something that somehow arose among the people who were putting on [the play].  I had no say [in the matter], but logically I was on the side of the people who in the final analysis had been imposed upon there.

QUESTION: Do you enjoy going to the theater?  And what theaters do you go to?

THOMAS BERNHARD: I go to the theater once a year, and that’s [to see one of] my own play[s].  And naturally [the play in question] no longer belongs to me, because the actors and the director have made it their own, in the final analysis.  Of course it has the title I gave it; the characters have the names I gave them, but all the same, for what it’s worth, whatever they say is basically completely different from what I would have had them say, or thought they were saying.

QUESTION: So it’s [basically] been made worse…

THOMAS BERNHARD:…I wouldn’t say that; in certain circumstances it can [actually] be much better, but it’s [still] different.  It’s different and it’s also always a huge disappointment and a huge falsification, which is impossible in the case of my prose texts, because there’s nothing that needs to be changed in them.  Actually even with them [everything] is falsified from beginning to end.  [What] I mean [is that] the title alone [and] by chance remains the same.

QUESTION: What would you say to a theater that you wrote [all] the plays for, [a theater] where you produced [and directed] them yourself, and where you were your own audience?

THOMAS BERNHARD: I’d find it infinitely tedious, and it would literally be enough to make me puke.

QUESTION: And yet it would be your ideal; you wouldn’t be disappointed.

THOMAS BERNHARD: From the very start I’d be disappointed in myself.

QUESTION: Can you ever [actually] be disappointed in yourself?

THOMAS BERNHARD: I’m immeasurably disappointed every [single] day.  At [every] instant, at [every] moment[,] constantly.

QUESTION: What does Thomas Bernhard think of his public, of his readers?

THOMAS BERNHARD: I don’t know them at all, and I don’t want to at all either.

QUESTION: Are there no exceptions?

THOMAS BERNHARD: If there are any they’re like what’s her name, Ria Endres, who’s written about me; well OK, there was actually a point to that; she was working on her doctor[al dissertation]; she could just as easily have written it about somebody else, but I happened to be around.

QUESTION: Ria Endres has portrayed you as a male chauvinist, as a misogynist.  And as a matter of fact your women are stupid, submissive victims of tyrannical men.

THOMAS BERNHARD: And in the real world there are also women who are happy with just being allowed to mop up the vomit of social underdogs.  I’m not responsible for Ria Endres’s problems.  Probably it would have done her some good if on account of me she’d go[ne] to Mexico and sat naked on a mountain.  But it’s nice that she managed to get a doctorate out of me.     

QUESTION: Even if you’re not improving the world you’re still helping [people] out, [helping,] for example, Ms. Endres to get her PhD.

THOMAS BERNHARD: One helps a lot of people get their jobs done and, to use that wonderful expression, earn their daily bread: stagehands, printers, workers at paper factories.  Not everything one does disappears into thin air.

QUESTION: So [by] now we’ve ascertained that you write because you have to write, but you don’t really write for anybody [in particular].

THOMAS BERNHARD: Have to, ought to—one doesn’t have to do anything whatsoever; I have to eat, to drink, and, sure, one simply has to keep polishing off all that food and drink; one has to do that, but there’s nothing else one has to do; probably there’s nothing at all one has to do, but it’s a predilection, a passion, I’d call it; it’s [something] one simply can’t stop doing.

QUESTION: You’ve said you live under pressure as long as you’re writing, until you’re finished.  And when you’re finished you live under pressure because you’re not living under pressure.

THOMAS BERNHARD: As a matter of course a writer lives under pressure [Druck], which is of course naturally bound up with printing [Drucken] and printers [Druckern]—but what I said just now was really just another bit of coquetry.

QUESTION: Do you manage to live off of your writing, to live well [off of it]?

THOMAS BERNHARD: Oh, I live the way I like to live.

QUESTION: And were you able to calculate how you’d manage that when you started writing?  

THOMAS BERNHARD: No, I didn’t calculate anything.  I was very calculating, but I didn’t calculate anything.

QUESTION: Does success gratify your vanity or doesn’t it?  Is success an integral part of the life of a writer; is it something he needs?

THOMAS BERNHARD: When a person is successful, you shouldn’t ask him what success is.  And the same goes for someone who’s unsuccessful: you shouldn’t ask him that question.

QUESTION: Can one [get away with] asking you if success is something you enjoy?

THOMAS BERNHARD: I enjoy it immensely.  I’m horrified by failure, even though failure is more useful than success.

QUESTION: So you enjoy success, but you don’t want to receive any prizes.  Is that logical?

THOMAS BERNHARD: In my view prizes have nothing to do with success; I don’t see any [evidence of] success in the fact that some [group of] people somewhere [have] worked up some rationale for getting up on a soapbox about something or other while handing out a prize; where’s the success in that? 

QUESTION: How then do you measure success?

THOMAS BERNHARD: Success is when I send a publisher a manuscript and he doesn’t ask me a bunch of questions about it; he typesets it; he prints it; for me that really is the full measure of success.

QUESTION: So just getting published is really enough for you; it makes no difference to you whether 200 or 200,000 copies are issued?

THOMAS BERNHARD: It’s enough for me if the book is printed as accurately as possible and with the fewest possible number of typographical errors, and without any silly graphical decorations.  And if I can continue living.  All the rest of it I can do without.  I always find what comes afterwards more horrible [than pleasant].


--Mr. Bernhard, we thank you for this conversation.

THE END


[1] Editors’ noteFirst published in Der Spiegel, Hamburg, June 23, 1980.
The interview was conducted by the Der Spiegel editors Erich Böhme and Hellmuth Karasek.  A box in the text of the interview contains the following note from the editors: “Thomas Bernhard lives two hours by car from Vienna and Munich, in an isolated farmhouse in the upper-Austrian village of Ohlsdorf; moreover, the great lone wolf of contemporary literature maintains no telephone connection to the outside world.  At the theater in Bochum the Bernhard veteran Claus Peymann is currently rehearsing a new Bernhard play starring Edith Heerdegen and Bernhard Minetti and bearing the sarcastic title The World-Improver; the premiere is scheduled for September.  [The premiere took place on September 6, 1980.]  In Bochum preparations are also already underway for the performance of his next play, On the Far Side of All Mountains Is Peace [The premiere of this play took place on June 25, 1982.]  In the past year Bernhard, whose favorite themes include the obsessions of the artistic vocation, as well as illness, the experience of pain, and the horrors of decay, has left the German Academy for Language and Literature amid much spewing of bile and venom and declared the Viennese theaters incompetent to stage performances of Bernhard plays.”
The “Play about Filbinger” referred to in the interview is Eve of Retirement; the minidrama published in Die Zeit on December 29, 1979 is The German Lunch Table; Ria Endres’s dissertation appeared in print under the title “At the End of the Line.  [As] Allegorized in the Delusional Darkness of Thomas Bernhard’s Portraits of Men.”

[2] This sketch is presumably “Ein eigenwilliger Autor” on p. 119 of Der Stimmenimitator (a.k.a. “A Self-Willed Author” on p. 70 of Northcott’s translation).






Source: Der Wahrheit auf der Spur.  Reden, Leserbriefe, Interviews, Feuilletons.  Herausgegeben von  Wolfram Bayer, Raimund Fellingerund und Martin Huber [Stalking the Truth.  Speeches, Open Letters, Interviews, Newspaper Articles.  Edited by Wolfram Bayer et al.](Frankfurt: Suhrkamp, 2011).