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27 déc. 2015


Giorgio Agamben :
 « De l’Etat de droit à l’Etat de sécurité » 


On ne comprend pas l’enjeu véritable de la prolongation de l’état d’urgence [jusqu’à la fin février] en France, si on ne le situe pas dans le contexte d’une transformation radicale du modèle étatique qui nous est familier. Il faut avant tout démentir le propos des femmes et hommes politiques irresponsables, selon lesquels l’état d’urgence serait un bouclier pour la démocratie.

Les historiens savent parfaitement que c’est le contraire qui est vrai. L’état d’urgence est justement le dispositif par lequel les pouvoirs totalitaires se sont installés enEurope. Ainsi, dans les années qui ont précédé la prise du pouvoir par Hitler, les gouvernements sociaux-démocrates de Weimar avaient eu si souvent recours à l’état d’urgence (état d’exception, comme on le nomme en allemand), qu’on a pu dire que l’Allemagne avait déjà cessé, avant 1933, d’être une démocratie parlementaire.

Or le premier acte d’Hitler, après sa nomination, a été de proclamer un état d’urgence, qui n’a jamais été révoqué. Lorsqu’on s’étonne des crimes qui ont pu êtrecommis impunément en Allemagne par les nazis, on oublie que ces actes étaient parfaitement légaux, car le pays était soumis à l’état d’exception et que les libertés individuelles étaient suspendues.

On ne voit pas pourquoi un pareil scénario ne pourrait pas se répéter en France  : on imagine sans difficulté un gouvernement d’extrême droite se servir à ses fins d’un état d’urgence auquel les gouvernements socialistes ont désormais habitué les citoyens. Dans un pays qui vit dans un état d’urgence prolongé, et dans lequel les opérations de police se substituent progressivement au pouvoir judiciaire, il faut s’attendre à une dégradation rapide et irréversible des institutions publiques.

Entretenir la peur
Cela est d’autant plus vrai que l’état d’urgence s’inscrit, aujourd’hui, dans le processus qui est en train de faire évoluer les démocraties occidentales vers quelque chose qu’il faut, d’ores et déjà, appeler Etat de sécurité (« Security State », comme disent les politologues américains). Le mot « sécurité » est tellement entré dans le discours politique que l’on peut dire, sans crainte de se tromper, que les « raisons de sécurité » ont pris la place de ce qu’on appelait, autrefois, la « raison d’Etat ». Une analyse de cette nouvelle forme de gouvernement fait, cependant, défaut. Comme l’Etat de sécurité ne relève ni de l’Etat de droit ni de ce que Michel Foucault appelait les « sociétés de discipline », il convient de poser ici quelques jalons en vue d’une possible définition.

Dans le modèle du Britannique Thomas Hobbes, qui a si profondément influencé notre philosophie politique, le contrat qui transfère les pouvoirs au souverain présuppose la peur réciproque et la guerre de tous contre tous : l’Etat est ce qui vient justement mettre fin à la peur. Dans l’Etat de sécurité, ce schéma se renverse : l’Etat se fonde durablement sur la peur et doit, à tout prix, l’entretenir, car il tire d’elle sa fonction essentielle et sa légitimité.

Foucault avait déjà montré que, lorsque le mot « sécurité » apparaît pour la première fois en France dans le discours politique avec les gouvernements physiocrates avant la Révolution, il ne s’agissait pas de prévenir les catastrophes et les famines, mais de les laisser advenir pour pouvoir ensuite les gouverner et les orienterdans une direction qu’on estimait profitable.

Aucun sens juridique
De même, la sécurité dont il est question aujourd’hui ne vise pas à prévenir les actes de terrorisme (ce qui est d’ailleurs extrêmement difficile, sinon impossible, puisque les mesures de sécurité ne sont efficaces qu’après coup, et que le terrorisme est, par définition, une série des premiers coups), mais à établir une nouvelle relation avec les hommes, qui est celle d’un contrôle généralisé et sans limites – d’où l’insistance particulière sur les dispositifs qui permettent le contrôle total des données informatiques et communicationnelles des citoyens, y compris le prélèvement intégral du contenu des ordinateurs.

Le risque, le premier que nous relevons, est la dérive vers la création d’une relation systémique entre terrorisme et Etat de sécurité : si l’Etat a besoin de la peur pour se légitimer, il faut alors, à la limite, produire la terreur ou, au moins, ne pas empêcher qu’elle se produise. On voit ainsi les pays poursuivre une politique étrangère qui alimente le terrorisme qu’on doit combattre à l’intérieur et entretenir des relations cordiales et même vendre des armes à des Etats dont on sait qu’ils financent les organisations terroristes.

Dans un pays qui vit dans un état d’urgence prolongé, et dans lequel les opérations de police se substituent progressivement au pouvoir judiciaire, il faut s’attendre à une dégradation rapide et irréversible des institutions publiques

Un deuxième point, qu’il est important de saisir, est le changement du statut politique des citoyens et du peuple, qui était censé être le titulaire de la souveraineté. Dans l’Etat de sécurité, on voit se produire une tendance irrépressible vers ce qu’il faut bien appeler une dépolitisation progressive des citoyens, dont la participation à la vie politique se réduit aux sondages électoraux. Cette tendance est d’autant plus inquiétante qu’elle avait été théorisée par les juristes nazis, qui définissent le peuple comme un élément essentiellement impolitique, dont l’Etat doit assurer la protection et la croissance.

Or, selon ces juristes, il y a une seule façon de rendre politique cet élément impolitique : par l’égalité de souche et de race, qui va le distinguer de l’étranger et de l’ennemi. Il ne s’agit pas ici de confondre l’Etat nazi et l’Etat de sécurité contemporain : ce qu’il faut comprendre, c’est que, si on dépolitise les citoyens, ils ne peuvent sortir de leur passivité que si on les mobilise par la peur contre un ennemi étranger qui ne leur soit pas seulement extérieur (c’étaient les juifs en Allemagne, ce sont les musulmans en France aujourd’hui).

Incertitude et terreur
C’est dans ce cadre qu’il faut considérer le sinistre projet de déchéance de la nationalité pour les citoyens binationaux, qui rappelle la loi fasciste de 1926 sur la dénationalisation des « citoyens indignes de la citoyenneté italienne » et les lois nazies sur la dénationalisation des juifs.

Un troisième point, dont il ne faut pas sous-évaluer l’importance, est la transformation radicale des critères qui établissent la vérité et la certitude dans la sphère publique. Ce qui frappe avant tout un observateur attentif dans les comptes rendus des crimes terroristes, c’est le renoncement intégral à l’établissement de la certitude judiciaire.

Alors qu’il est entendu dans un Etat de droit qu’un crime ne peut être certifié que par une enquête judiciaire, sous le paradigme sécuritaire, on doit se contenter de ce qu’en disent la police et les médias qui en dépendent – c’est-à-dire deux instances qui ont toujours été considérées comme peu fiables. D’où le vague incroyable et les contradictions patentes dans les reconstructions hâtives des événements, qui éludent sciemment toute possibilité de vérification et de falsification et qui ressemblent davantage à des commérages qu’à des enquêtes. Cela signifie que l’Etat de sécurité a intérêt à ce que les citoyens – dont il doit assurer la protection – restent dans l’incertitude sur ce qui les menace, car l’incertitude et la terreur vont de pair.

C’est la même incertitude que l’on retrouve dans le texte de la loi du 20 novembre sur l’état d’urgence, qui se réfère à « toute personne à l’égard de laquelle il existe de sérieuses raisons de penser que son comportement constitue une menace pour l’ordre public et la sécurité ». Il est tout à fait évident que la formule « sérieuses raisons de penser » n’a aucun sens juridique et, en tant qu’elle renvoie à l’arbitraire de celui qui « pense », peut s’appliquer à tout moment à n’importe qui. Or, dans l’Etat de sécurité, ces formules indéterminées, qui ont toujours été considérées par les juristes comme contraires au principe de la certitude du droit, deviennent la norme.

Dépolitisation des citoyens
La même imprécision et les mêmes équivoques reviennent dans les déclarations des femmes et hommes politiques, selon lesquelles la France serait en guerre contre le terrorisme. Une guerre contre le terrorisme est une contradiction dans les termes, car l’état de guerre se définit précisément par la possibilité d’identifier de façon certaine l’ennemi qu’on doit combattre. Dans la perspective sécuritaire, l’ennemi doit – au contraire – rester dans le vague, pour que n’importe qui – à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur – puisse être identifié en tant que tel.

Maintien d’un état de peur généralisé, dépolitisation des citoyens, renoncement à toute certitude du droit : voilà trois caractères de l’Etat de sécurité, qui ont de quoitroubler les esprits. Car cela signifie, d’une part, que l’Etat de sécurité dans lequel nous sommes en train de glisser fait le contraire de ce qu’il promet, puisque – si sécurité veut dire absence de souci (sine cura) – il entretient, en revanche, la peur et la terreur. L’Etat de sécurité est, d’autre part, un Etat policier, car, par l’éclipse du pouvoir judiciaire, il généralise la marge discrétionnaire de la police qui, dans un état d’urgence devenu normal, agit de plus en plus en souverain.

Par la dépolitisation progressive du citoyen, devenu en quelque sorte un terroriste en puissance, l’Etat de sécurité sort enfin du domaine connu de la politique, pour se diriger vers une zone incertaine, où le public et le privé se confondent, et dont on a du mal à définir les frontières.


22 juin 2014

Le philosophe Giorgio Agamben : "La pensée, c'est le courage du désespoir"
IDÉES | Le capitalisme ? Une religion. L'homme ? Un animal désoeuvré. La loi ? Trop présente. Le philosophe italien analyse avec sagacité notre société et ses dérives "biopolitiques".

Le 30/11/-1 à 00h00 - Mis à jour le 16/03/2012 à 09h41
Propos recueillis par Juliette Cerf - Télérama n° 3243

Alors que retentit le carillon des églises du Trastevere, où nous avons rendez-vous, nous pensons à son visage... Giorgio Agamben apparaît sous les traits de l'apôtre Philippe dans L'Evangile selon saint Matthieu (1964) de Pier Paolo Pasolini. Durant ces années-là, le jeune étudiant en droit, né à Rome en 1942, fréquentait les artistes et intellectuels réunis autour de l'écrivain Elsa Morante. La dolce vita ? Un moment d'intense amitié en tout cas. Petit à petit, le juriste se tourne vers la philosophie, suit le séminaire de Heidegger au Thor-en-Provence. Il se lance ensuite dans l'édition des oeuvres de Walter Benjamin, penseur qui l'accompagne toujours, de même que Guy Debord et Michel Foucault. Giorgio Agamben croise ainsi un sens messianique de l'Histoire, une critique de la société du spectacle et une résistance au biopouvoir, ce contrôle que le pouvoir exerce sur la vie, le corps même des citoyens. Politique et poétique, sa pensée opère des percées archéologiques, remonte le tourbillon du temps, jusqu'à l'origine des mots. Auteur d'une série d'essais réunis sous le titre latin Homo sacer, Agamben voyage au pays du droit, de la religion et de la littérature mais refuse désormais de se rendre... aux Etats-Unis, pour ne pas se soumettre aux contrôles biométriques. A cette réduction de l'homme à ses données biologiques, il oppose une exploration du champ des possibles.



Berlusconi est tombé, comme d'autres dirigeants européens. Vous qui avez écrit sur la souveraineté, que vous inspire cette situation inédite ?

Les pouvoirs publics sont en perte de légitimité. Un soupçon réciproque s'est immiscé entre le pouvoir et le citoyen. Cette méfiance accrue a renversé des régimes. Les démocraties vivent dans l'inquiétude ; comment expliquer sinon qu'elles aient une législation sur la sécurité deux fois pire que celle du fascisme italien ? Aux yeux du pouvoir, chaque citoyen est un terroriste en puissance. N'oublions jamais que l'appareil biométrique, qui va bientôt être inséré dans la carte d'identité de tous les citoyens, est d'abord né pour les criminels récidivistes.

La crise est-elle liée au fait que l'économique a pris le pas sur le politique ?

Dans le vocabulaire de la médecine antique, la crise désigne l'instant décisif de la maladie. Mais aujourd'hui, la crise n'est plus provisoire : c'est la marche même du capitalisme, son moteur interne. Elle est toujours en cours, car, pareille en cela aux autres dispositifs d'exception, elle permet au pouvoir d'imposer des mesures qu'il ne serait pas possible de faire accepter en temps normal. La crise, même si cela peut faire sourire, correspond parfaitement à ce qu'on appelait autrefois en Union soviétique la « révolution permanente ».

La théologie est maintenant très présente dans votre réflexion. Pourquoi ?

Les dernières recherches que j'ai entreprises m'ont montré que nos sociétés modernes, qui se prétendent laïques, sont au contraire gouvernées par des concepts théologiques sécularisés qui agissent avec d'autant plus de puissance qu'ils ne sont pas conscients. Nous n'arriverons jamais à saisir ce qui se passe aujourd'hui sans comprendre que le capitalisme est en réalité une religion. Et, comme le disait Walter Benjamin, il s'agit de la plus féroce des religions car elle ne connaît pas d'expiation... Prenez le mot « foi », d'habitude réservé à la sphère religieuse. Le terme grec qui lui correspond dans les Evangiles, c'est pistis. Un historien des religions qui essayait de comprendre la signification de ce mot se promenait un jour dans une rue d'Athènes. Tout à coup, il vit écrit sur une enseigne : « Trapeza tes pisteos ». Il s'approcha et se rendit compte qu'il s'agissait d'une banque : trapeza tes pisteos veut dire « banque de crédit ». Ce fut une illumination.

Que nous révèle cette histoire ?

Pistis, la foi, c'est le crédit dont nous jouissons auprès de Dieu et dont la parole de Dieu jouit auprès de nous. Or il y a bien dans notre société une sphère qui tourne entièrement autour du crédit. Cette sphère est l'argent et la banque est son temple. Vous savez que l'argent n'est qu'un crédit : sur le dollar et la livre (pas sur l'euro, cela aurait dû nous alerter...), on peut encore lire que la Banque centrale paiera au porteur l'équivalent de ce crédit. La crise a été déclenchée par une série d'opérations sur des crédits revendus des dizaines de fois avant qu'ils puissent être réalisés. En gouvernant le crédit, la Banque, qui a pris la place de l'Eglise et des prêtres, manipule la foi et la confiance des hommes. Si la politique est aujourd'hui en retrait, c'est que le pouvoir financier, en se substituant à la religion, a séquestré toute la foi et toutes les espérances. Voilà pourquoi je fais des recherches sur la religion et le droit : l'archéologie me semble être la meilleure voie d'accès au présent. L'homme européen ne peut accéder à son présent sans se mesurer à son passé.

En quoi consiste cette méthode archéologique ?

C'est une recherche de l'archè, qui veut dire « commencement » et « commandement » en grec. Dans notre tradition, le commencement est à la fois ce qui donne naissance à quelque chose et ce qui en commande l'histoire. Mais cette origine ne peut être datée, située sur une chronologie : c'est une force qui continue d'agir dans le présent, telle l'enfance en psychanalyse, qui détermine la vie psychique de l'adulte, ou le big bang, qui, selon les astrophysiciens, a donné naissance à l'Univers mais continue de propager son rayonnement fossile. L'exemple type de cette méthode serait le devenir homme de l'animal (l'anthropogenèse), c'est-à-dire un événement que l'on suppose avoir eu lieu nécessairement, mais qui n'est pas arrêté une fois pour toutes : l'homme est toujours en train de devenir humain, donc aussi de rester inhumain, animal. La philosophie n'est pas une discipline académique, c'est une façon de se mesurer à cet événement qui ne cesse de se produire et qui va décider de l'humanité et de l'inhumanité de l'homme, questions tout à fait vitales, il me semble.

Cette vision du devenir humain n'est-elle pas pessimiste dans votre oeuvre ?

Je suis très content que vous posiez cette question car je me trouve en effet souvent classé pessimiste. D'abord, à titre personnel, je ne le suis pas du tout. Ensuite, les concepts de pessimisme et d'optimisme n'ont rien à voir avec la pensée. Debord citait souvent une lettre de Marx : « Les conditions désespérées de la société dans laquelle je vis me remplissent d'espoir. » Une pensée radicale se met toujours dans la position extrême du désespoir. Simone Weil le disait aussi : « Je n'aime pas les gens qui se réchauffent avec des espoirs creux. » La pensée, pour moi, c'est cela : le courage du désespoir. N'est-ce pas le comble de l'optimisme ?

Etre contemporain, selon vous, c'est percevoir l'obscurité de son époque et non sa lumière. Comment comprendre cette idée ?

Etre contemporain, c'est répondre à un appel que l'époque nous lance par son obscurité. Dans l'Univers en expansion, l'espace qui nous sépare des galaxies les plus lointaines s'agrandit à une vitesse si grande que la lumière de leurs étoiles ne peut nous parvenir. Percevoir dans l'obscurité du ciel cette lumière qui cherche à nous rejoindre et ne le peut pas, c'est cela, être contemporain. Le présent est la chose la plus difficile à vivre. Car l'origine, je le répète, n'est pas confinée dans le passé : c'est un tourbillon, selon la très belle image de Benjamin, c'est un gouffre dans le présent. Et nous sommes pris dans ce gouffre. Voilà pourquoi le présent est par excellence ce qui reste non vécu.

Le contemporain suprême, serait-ce le poète ? Ou le philosophe ?

J'ai tendance à ne pas opposer poésie et philosophie, dans le sens où ces deux expériences ont également lieu dans le langage. La vérité a sa demeure dans les mots, et je me méfierais d'un philosophe qui laisserait à d'autres, aux philologues ou aux poètes, le souci de cette demeure. Il faut prendre soin du langage, et je crois que l'un des problèmes essentiels des médias est qu'ils ne s'en soucient pas. Le journaliste aussi est responsable par rapport à la langue, et il sera jugé par elle.

Comment votre dernier travail sur la liturgie nous donne-t-il accès au présent ?

L'analyser, c'est mettre le doigt sur un immense changement dans notre représentation de l'être des choses. Dans le monde ancien, l'être est là, c'est une présence. Avec la liturgie chrétienne, l'homme est ce qu'il doit et doit ce qu'il est. Aujourd'hui, nous n'avons pas d'autre représentation de la réalité que cette opérativité, cette efficacité. On ne conçoit plus un être sans effet. N'est réel que ce qui est effectif, donc efficace et gouvernable. La tâche de la philosophie à venir est de penser une politique et une éthique libérées des concepts de devoir et d'efficacité.

Penser le désoeuvrement, par exemple ?

L'insistance sur le travail, la production est néfaste. La gauche s'est fourvoyée quand elle a assumé ces catégories, qui sont au centre du capitalisme. Mais il faut préciser que le désoeuvrement, tel que je le conçois, n'est ni de l'inertie ni de la fainéantise. Il faut dés-oeuvrer au sens actif du terme - le mot français me semble très beau. C'est une activité qui consiste à rendre inopérantes toutes les oeuvres sociales de l'économie, du droit, de la religion pour les ouvrir à d'autres usages possibles. Car c'est cela le propre de l'homme : écrire un poème en dépassant la fonction communicative du langage ; parler ou donner un baiser en détournant de sa fonction la bouche, qui sert d'abord à manger. Dans Ethique à Nicomaque, Aristote se demande s'il y a une oeuvre propre à l'homme. L'oeuvre du joueur de flûte, c'est jouer de la flûte, l'oeuvre du cordonnier, c'est faire des chaussures, mais y a-t-il une oeuvre de l'homme en tant que tel ? Il fait alors l'hypothèse selon laquelle l'homme serait peut-être né sans oeuvre, mais l'abandonne aussitôt. Pourtant, cette hypothèse nous conduit au coeur de l'humain. L'homme est l'animal désoeuvré ; il n'a aucune tâche biologique assignée, aucune fonction clairement prescrite. C'est un être de puissance qui peut sa propre impuissance. L'homme peut tout mais ne doit rien.

Vous avez fait des études de droit, mais toute votre philosophie cherche en un sens à s'affranchir du droit.

Au sortir du lycée, je n'avais au fond qu'un désir : écrire. Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Ecrire quoi ? Je crois que c'est un désir de se rendre la vie possible. Ce qu'on veut, ce n'est pas « écrire », c'est « pouvoir » écrire. C'est un geste philosophique inconscient : on essaie de se rendre la vie possible, ce qui est une bonne définition de la philosophie. Or le droit, c'est apparemment le contraire, c'est le nécessaire et pas le possible. Mais si j'ai étudié le droit, c'est que je ne pouvais sans doute pas accéder au possible sans faire l'épreuve du nécessaire. En tout cas, mes études de droit m'ont été très utiles le moment venu. Le pouvoir a laissé tomber les concepts politiques au profit des concepts juridiques. Le juridique ne cesse de proliférer : on fait des lois sur tout, dans des domaines autrefois inconcevables. Cette prolifération est dangereuse ; dans nos sociétés démocratiques, il n'y a plus rien qui ne soit normé. J'ai découvert une chose très belle chez les juristes arabes. Ils représentent le droit par une sorte d'arbre avec, à un extrême, ce qui est interdit et, à l'autre, ce qui est obligatoire. Pour eux, la tâche du juriste se situe entre ces deux pôles, c'est-à-dire concerne tout ce qu'on peut faire sans que cela soit juridiquement sanctionné. Cette zone de liberté ne cesse de se rétrécir, alors qu'elle devrait s'élargir.

En 1997, dans le premier volume de votre cycle Homo sacer, vous avez affirmé que le camp était la norme de notre espace politique. D'Athènes à Auschwitz...

On m'a beaucoup reproché cette idée, que le camp ait remplacé la cité comme nomos (norme, loi) de la modernité. Or je ne visais pas le camp comme fait historique, mais comme matrice secrète de notre société. Qu'est-ce qu'un camp ? C'est une portion du territoire soustraite à l'ordre juridico-politique, une matérialisation de l'état d'exception. Aujourd'hui, l'exception et la dépolitisation ont pénétré partout. L'espace vidéosurveillé des villes contemporaines est-il public ou privé, intérieur ou extérieur ? De nouveaux espaces se déploient : le modèle israélien dans les territoires occupés, composé de toutes ces barrières excluant les Palestiniens, a été transposé à Dubaï pour créer des îlots touristiques absolus, hyper sécurisés...

Où en est Homo sacer ?

Quand j'ai commencé ce cycle, ce qui m'intéressait c'était la relation entre le droit et la vie. Dans notre culture, la notion de vie n'est jamais définie, mais elle est sans cesse divisée : il y a la vie politiquement qualifiée (bios), la vie naturelle commune à tous les animaux (zoé), la vie végétative, la vie de relation, etc. Peut-on atteindre une forme de vie qui résiste à la division ? Je suis à présent en train d'écrire le dernier volume d'Homo sacer. Giacometti a dit une chose que j'aime beaucoup : on ne termine jamais un tableau, on l'abandonne. Les tableaux de Giacometti ne sont pas finis, leur puissance n'est jamais épuisée. J'aimerais que cela arrive aussi pour Homo sacer, qu'il soit abandonné mais pas fini... Je pense en plus que la philosophie ne peut pas trop consister en un énoncé théorique. La théorie doit parfois montrer son insuffisance.

Est-ce pour cette raison que vous avez toujours écrit, à côté de vos essais théoriques, des textes plus courts, plus poétiques ?

Oui, tout à fait. Ces deux registres d'écriture ne se contredisent pas et, je l'espère, s'entrecroisent même parfois. C'est à partir d'un gros livre Le Règne et la Gloire (2008), généalogie du gouvernement et de l'économie, que m'est apparue avec force la notion de désoeuvrement, que j'ai essayé de développer de façon plus concrète dans d'autres textes. Ces croisements font tout le plaisir de l'écriture et de la pensée.

A lire

Opus Dei. Archéologie de l'office. Homo sacer II, 5, de Giorgio Agamben, traduit de l'italien par Martin Rueff, éd. du Seuil, 178 p., 19 €.

De la très haute pauvreté. Règles et forme de vie, Homo sacer IV, 1, de Giorgio Agamben, traduit de l'italien par Joël Gayraud, éd. Rivages, 214 p., 20 €.

La pensée d'Agamben

Pour entrer dans la pensée, exigeante, d'Agamben, quelques recueils de textes s'imposent, entre prose et poésie, flânerie et philologie : Nudités ainsi que Profanations et La Puissance de la pensée (éd. Rivages). Il sera alors temps de se lancer dans la lecture d'Homo sacer, via Le Pouvoir souverain et la vie nue (éd. Seuil) et Ce qui reste d'Auschwitz (éd. Rivages). A noter : plusieurs articles du philosophe sont disponibles sur le site de la revue Multitudes.


En savoir plus sur http://www.telerama.fr/idees/le-philosophe-giorgio-agamben-la-pensee-c-est-le-courage-du-desespoir,78653.php#MCDkbgldpxHWDbe3.99







 VERSO
 Télérama

18 févr. 2014

Giorgio Agamben
For a theory of destituent power

Public lecture in Athens, 16.11.2013
Invitation and organization by Nicos Poulantzas Institute and SYRIZA Youth


A reflection on the destiny of democracy today here in Athens is in some way disturbing, because it obliges to think the end of democracy in the very place where it was born. As a matter of fact, the hypothesis I would like to suggest is that the prevailing governamental paradigm in Europe today is not only non democratic, but that it cannot either be considered as political. I will try therefore to show that the European society today is no more a political society: it is something entirely new, for which we lack a proper terminology and we have therefore to invent a new strategy.
Let me begin with a concept which seems, starting from September 2001, to have replaced any other political notion: security. As you know, the formula “for security reasons” functions today in any domain, from everyday life to international conflicts,  as a password in order to impose measures that the people have no reason to accept. I will try to show that the real purpose of the security measures is not, as it is currently assumed, to prevent dangers, troubles or even catastrophes. I will be consequently obliged to make a short genealogy of the concept of “security”.
One possible way to sketch such a genealogy would be to inscribe its origin and history in the paradigm of the state of exception. In this perspective, we could trace it back to the Roman principle Salus publica suprema lex, public safety is the highest law, and connect it with Roman dictatorship, with the canonistic principle necessity does not acknowledge any law, with the comites de salut publique during French revolution and finally with article 48 of the Weimar republic, which was the juridical ground for the nazi regime. Such a genealogy is certainly correct, but I do not think that it could really explain the functioning of the security apparatuses and measures which are familiar to us. While the state of exception was originally conceived as a provisional measure, which was meant to cope with an immediate danger in order to restore the normal situation, the security reasons constitute today a pemanent technology of government. When in 2003 I published a book in which I tried to show precisely how  the state of exception was becoming in western democracies a normal system of  government, I could not imagine that my diagnosis would prove so accurate. The only clear precedent was the Nazi regime. When Hitler took the power in february 1933, he immediately proclaimed a decree suspending the articles of the Weimar constitution concerning personal liberties. The decree was never revoked, so that the entire Third Reich can be considered as a state of exception which lasted twelwe years.
What is happening today is still different. A formal state of exception is not declared and we see instead that vague non juridical notions –like the security reasons- are used to instaure a stable state of creeping and fictitious emergency without any clearly identifiable danger. An example of such non juridical notions which are used as emergency producing factors is the concept of crisis. Besides the juridical meaning of judgement in a trial, two semantic traditions converge in the history of this term which, as it is evident for you, comes from the greek verb crino: a medical and a theological one. In the medical tradition, crisis means the moment in which the doctor has to judge, to decide if the patient will die or survive. The day or the days in which this decision is taken are called crisimoi, the decisive days. In theology, crisis is the Last Judgment pronounced by Christ in the end of times. As you can see, what is essential in both traditions is the connection with a certain moment in time. In the present usage of the term, it is precisely this connection which is abolished. The crisis, the judgement is split from its temporal index and coincides now with the cronological course of time, so that, not only in economics and politics, but in every aspect of social life, the crisis coincides with normality and becomes, in this way, just a tool of government. Consequently, the capability to decide once for all disappears and  the continuous decision-making process decides nothing. To state it in paradoxixal terms, we could say that, having to face a continuous state of exception, the governement tends to take the form of a perpetual coup d’état. By the way, this paradox would be an accurate description of what happens here in Greece as well as in Italy, where to govern means to make a continuos series of small coups d’état. The present government of Italy is not legitimate.
This is why I think that, in order to understand the peculiar governamentality under which we live, the paradigm of the state of exception is not entirely adequate. I will therefore follow Michel Foucault’s suggestion and investigate the origin of the concept of security in the beginning of modern economy, by François Quesnais and the Physiocrates, whose influence on modern governamentality could not be overestimated. Starting with Westphalie treaty, the great absolutist european states begin to introduce in their political discourse the idea that the sovereign has to take care of his subjects security. But Quesnay is the first to establish security (sureté) as the central notion in the theory of government –and this in a very peculiar way.
One of the main problems governments had to cope with at the time, was the problem of famines. Before Quesnay, the usual methodology was trying to prevent famines by the creation of public granaries and forbidding the exportation of cereals. Both this measures had negatives effects on the production. Quesnay’s idea was to reverse the process: instead of trying to prevent famines, he decided to let them happen and to be able to govern them once they occurred, liberalizing both internal and foreign exchanges. “To govern” retains here its etymological cybernetical meaning: a good kybernes, a good pilot can’t avoid tempests, but, if a rempest occures, he must be able to govern his boat, using the force of  waves and winds for the navigation. This is the meaning of the famous motto “laisser faire, laissez passer”: it is not only the catchword of economic liberalism: it is a paradigm of government, which conceives of security (sureté, in Quesnay words) non as the prevention of troubles, but rather as the ability to govern and guide them in the good direction once they take place.
We should not neglect the philosophical implications of this reversal. It means an epoch-making transformation in the very idea of government, which overturns the traditional hyerachical relation between causes and effects. Since governing the causes is difficult and expensive, it is more safe and useful to try to govern the effects. I would suggest that this theorem by Quesnay is the axiom of modern governamentality. The ancien regime aimed to rule the causes, modernity pretends to control the effects. And this axiom applies to every domain: from economy to ecology, from foreign and military politics to the internal measures of police. We must realize that European governments today gave up any attempt to rule the causes, they only want to govern the effects. And Quesnay’s theorem makes also understandable a fact which seems otherwise inexplicable: I mean the paradoxical convergence today of an absolutely liberal paradigm in economy with an unprecedented and equally absolute paradigm of state and police control. If government aims to the effects and not to the causes, it will be obliged to extend and multiply controls. Causes demand to be known, while effects can only be checked and controlled.
One important sphere in which the axiom is operative is that of biometrical security apparatuses, which is increasingly pervading every aspect of social life. When biometrical technologies first appeared in 18th century in France with Alphonse Bertillon and in England with Francis Galton, the inventor of finger prints, they were obviously not meant to prevent crimes, but only to recognize recidivist delinquents. Only once a second crime has occurred, you can use the biometrical data to identify the offender.
Biometrical technologies, which had been invented for recividist criminals, remained for longtime their exclusive privilege. In 1943, the Congress of the USA still refused the Citizen identification act, which was meant to introduce for every citizen an Identity Card with finger prints. But according to a sort of fatality or unwritten law of modernity, the technologies which have been invented for animals, for criminals, strangers or Jews, will finally be extended to all human beings. Therefore in the course of 20th century, biometric technologies have been applied to all citizens and Bertillon identifying photograph and Galton’s fingerprints are currently used in every country for ID cards.
But the extreme step has been taken only in our days and it is still in the process of full realization. The development of new digital technologies, with optical scanners which can easily record not only finger prints but also the retina or the eye iris structure, biometrical apparatuses tend to move beyond the police stations and immigration offices and spread to everyday life. In many countries, the access to student’s restaurants or even to schools is controlled by a biometric apparatus on which the student just puts his hand. The European industries in this field, which are quickly growing, recommend that citizens get used to this kind of controls from their early youth. The phenomenon is really disturbing, because the European Commissions for the development of security (like the ESPR, European security research program) include among their permanent members the representatives of the big industries in the field, which are just armaments producers like Thales, Finmeccanica, EADS et BAE System, that have converted to the security business.
It is easy to imagine the dangers represented by a power that could have at its disposal the unlimited biometric and genetic information of all its citizens. With such a power at hand, the extermination of the jews, which was undertaken on the basis of incomparably less efficient documentation, would have been total and incredibly swift. But I will not dwell on this important aspect of the security problem. The reflections I would like to share with you concern rather the transformation of political identity and of political relationships that are involved in security technologies. This transformation is so extreme, that we can legitimately ask not only if the society in which we live is still a democratic one, but also if this society can be still considered as political.
Christian Meier has shown how in fifth century a transformation of the political conceptuality took place in Athens, which was grounded on what he calls a “politisation” (politisierung) of citizenship. While till that moment the fact of belonging to the polis was defined by a number of conditions and social status of different kind –for instance belonging to nobility or to a certain cultual community,  to be peasant or merchant, member of a certain family etc- from now on citizenship became the main criterion of social identity.
“The result was a specifically greek conception of citizenship, in which the fact that men had to behave as citizens found an institutional  form. The belonging to economical or religious communities was removed to a secondary rank. The citizens of a democracy considered themselves as members of the polis, only in so far as they devoted themselves to a political life. Polis and politeia, city and citizenship constituted and defined one another. Citizenship became in that way a form of life, by means of which the polis constituted itself in a domain clearly distinct from the oikos, the house. Politics became therefore a free public space as such opposed to the private space, which was the reign of necessity”. According to Meier, this specifically greek process of politisation was transmitted to western politics, where citizenship remained the decisive element.
The hypothesis I would like to propose to you  is that this fundamental political factor has entered an irrevocable process that we can only define as a process of increasing depolitisation. What was in the beginning a way of living , an essentially and irreducibly active condition, has now become a purely passive juridical status, in which action and inaction, the private and the public are progressively blurred and become indistinguishable. This process of depolitisation of citizenship is so evident, that I will not dwell on it.
I will rather try to show how the paradigm of security and the security apparatuses have played a decisive role in this process. The growing extension to citizens of technologies which were conceived for criminals has inevitably consequences on the political identity of the citizen. For the first time in the history of humanity, identity is no longer a function of the social personality and its recognition by others, but rather a funtion of biological data, which cannot bear any relation to it, like the arabesques of the fingerprints or the disposition of the genes in the double helix of  DNA. The most neutral and private thing becomes the decisive factor of social identity, which loose therefore its public character.
If my identity is now determined by biological facts, that in no way depends on my will and over which I have no control, then the construction of something like a political and ethical identity becomes problematic. What relationship can I establish with my fingerprints or my genetic code? The new identity is an identity without the person, as it were, in which the space of politics and ethics loses its sense and must be thought again from the ground up. While the greek citizen was defined through the opposition between the private and the public, the oikos , which is the place of reproductive life, and the polis, place of political action, the modern citizen seems rather to move in a zone of indifference beteween the private and the public, or , to quote Hobbes terms, the physical and the political body.
The materialization in space of this zone of indifference is the video surveillance of the streets and the squares of our cities. Here again an apparatus that had been conceived for the prisons  has been extended to public places. But it is evident that a video recorded place is no more an agora and becomes a hybrid of public and private, a zone of indifference between the prison and the forum. This transformation of the political space is certainly a complex phenomenon, that involves a multiplicity of causes, and among them the birth of biopower holds a special place. The primacy of the biological identity over the political identity is certainly linked to the politicization of bare life in modern states. But one should never forget that the leveling of social identity on body identity begun with the attempt to identify the recidivist criminals. We should not be astonished if today the normal relationship between the state and its citizens is defined by suspicion, police filing and control. The unspoken principle which rules our society can be stated like that: every citizen is a potential terrorist. But what is a State which is ruled by such a principle? Can we still define it as democratic State? Can we even consider it as being something political? In which kind of State do we live today?
You will probably know that Michel Foucault, in his book Surveiller et punir and in his courses at the Collège de France sketched a typological classification of modern States. He shows how the State of the Ancien regime, that he calls territorial or sovereign State and whose motto was faire mourir et laisser vivre, evolves progressively in a population State and in a disciplinary State, whose motto reverses now in faire vivre et laisser mourir, as it will take care of the citizens life in order to produce healthy, well ordered and manageable bodies.
The state in which we live now is no more a disciplinary State. Gilles Deleuze suggested to call it «Etat de contrôle»,  control State, because what it wants, is not to order and to impose discipline, but rather to manage and to control. Deleuze’s definition is correct, because management and control do not necessarily coincide with order and discipline. No one has told it so clearly as the Italian police officer, who, after the turmoils of Genoa in July 2001, declared that the government did not want that the police maintains order, but that it manages disorder.
American politologists, who have tried to analyze the constitutional transformation involved in the Patriot Act and in the other laws which followed September 2001, prefer to speak of a Security State.  But what does security here mean? It is during the French revolution that the notion of security –sureté, as they used to say- is linked to the definition of police. The laws of March 16, 1791 and August 11, 1792 introduce thus in the French legislation the notion of «police de sureté» (security police), which was doomed to have a long history in modernity. If you read the debates which preceded the votation of these laws, you will see that police and security define one another, but no one among the speakers (Brissot, Heraut de Séchelle, Gensonné) is able to define police or security by themselves.
The debates focused on the situation of the police with respect to justice and judicial power. Gensonné maintains that they are «two separate and distinct powers»; yet, while the function of the judicial power is clear, it is impossible to define the role of the police. An analysis of the debate shows that the place and function of the police is undecidable and must remain undecidable, because, if it were really absorbed in the judicial power, police could no more exist. This is the discretionary power which still today defines the action of the police officer, who, in a concrete situation of danger for the public security, acts so to speak as a sovereign. But, even when he exerts this discretionary power, he does not really take a decision, nor prepares, as is usually stated, the judge’s decision. Every decision concerns the causes, while the police acts on effects, which are by definition undecidable.
The name of this undecidable element is no more today, like it was in XVII century, «raison d’Etat», State reason: it is rather «security reasons». The Security State is a police State: but, again, in the juridical theory, the police is a kind of black hole. All we can say is that when the so called «Science of the police» first appears in XVIII century, the «police» is brought back to its etymology from the Greek «politeia» and opposed as such to «politics». But it is surprising to see that Police coincides now with the true political function, while the term politics is reserved to the foreign policy. Thus Von Justi, in his treatise on Policey Wissenschaft, calls Politik the relationship of a State with other States, while he calls Polizei the relationship of a State with itself. It is worthwhile to reflect upon this definition: (I quote): «Police is the relationship of a State with itself».
The hypothesis I would like to suggest here is that, placing itself under the sign of security, modern State has left the domain of politics to enter a no man’s land, whose geography and whose borders are still unknown. The Security State, whose name seems to refer to an absence of cares (securus from sine cura) should, on the contrary, make us worry about the dangers it involves for democracy, because in it political life has become impossible, while democracy means precisely the possibility of a political life.
But I would like to conclude –or better to simply stop my lecture (in philosophy like in art, no conclusion is possible, you can only abandon your work) with something which, as far as I can see now, is perhaps the most urgent political problem. If the State we have in front of us is the Security State I described, we have to think anew the traditional strategies of political conflicts. What shall we do, what strategy shall we follow?
The Security paradigm implies that each dissention, each more or less violent attempt to overhrow its order, become an opportunity to govern them in a profitable direction. This is evident in the dialectics which binds tightly together terrorism and State in an endless vicious spiral. Starting with French revolution, the political tradition of modernity has conceived of radical changes in the form of a revolutionary process that acts as the pouvoir constituant, the «constituent power» of a new institutional order. I think that we have to abandon this paradigm and try to think something as a puissance destituante, a «purely destituent power», that cannot be captured in the spiral of security.
It is a destituent power of this sort that Benjamin has in mind in his essay On the critique of violence when he tries to define a pure violence which could «break the false dialectics of lawmaking violence and law-preserving violence», an example of which is Sorel’s proletarian general strike. «On the breaking of this cycle» he writes in the end of the essay «maintained by mythic forms of law, on the destitution of law with all the forces on which it depends, finally therefore on the abolition of State power, a new historical epoch is founded». While a constituent power destroys law only to recreate it in a new form, destituent power, in so far as it deposes once for all the law, can open a really new historical epoch.
To think such a purely destituent power is not an easy task. Benjamin wrote once that nothing is so anarchical as the bourgeois order. In the same sense, Pasolini in his last movie has one of the four Salò masters saying to their slaves: «true anarchy is the anarchy of power». It is precisely because power constitutes itself through the inclusion and the capture of anarchy and anomy, that it is so difficult to have an immediate access to these dimensions, it is so hard to think today something as a true anarchy or a true anomy. I think that a praxis which would succeed in exposing clearly the anarchy and the anomy captured in the Security government technologies could act as a purely destituent power. A really new political dimension becomes possible only when we grasp and depose the anarchy and the anomy of power. But this is not only a theoretical task: it means first of all the rediscovery of a form-of-life, the access to a new figure of that political life whose memory the Security State tries at any price to cancel.
   
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     ΧΡΟΝΟΣ 10 (02.2014)